Religieux français, profès in articulo mortis.
Témoin des derniers jours du P. d’Alzon.
Joseph Marin est né le 14 mars 1862 à Durmettaz- Clarafond en Savoie, dans le canton de Grésy-sur- Aix. Il fait ses études secondaires à l’alumnat des Châteaux (Savoie) et prend l’habit religieux au noviciat de Nîmes, le 29 septembre 1880, sous le nom de Frère Bonaventure. Il est connu in fine du P. d’Alzon qui le cite deux fois dans sa correspondance (1). « Je vous [P. Victorin Galabert] enverrai aussi le Fr. Bonaventure, jeune homme de 18 ans, malheureusement en retard pour ses études, mais intelligent, de bon caractère, très vivant, de bon sens et pieux, à 30 ans vous pourrez le faire ordonner…». Le Frère Bonaventure vit les événements douloureux de la fin de l’année 1880: la mort et l’inhumation du P. d’Alzon, les décrets d’expulsion des religieux, la nomination du P. Picard comme Supérieur Général et le transfert imminent des noviciats de Paris et Nîmes en Espagne. En décembre 1880, le Frère Bonaventure rejoint en effet le bourg d’Osma ( Espagne) pour y continuer son temps de noviciat. Il y meurt le 7 mars 1882, à 20 ans, ayant prononcé ses vœux in articulo mortes le 7 mars précédent. Les détails de sa fin prématurée sont donnés dans une lettre, datée du 19 mars 1882, écrite par le P. Jean Lehec et publiée dans les Souvenirs.
Pierre de fondation.
« Malgré la lenteur des télégraphes espagnols, j’espère que vous avez reçu à l’heure présente la dépêche à la fois triste et consolante que je vous ai envoyée ce matin. Il est sept heures et je viens de poser dans les fondations du couvent d’Osma la première pierre vivante, au milieu d’une assistance nombreuse de prêtres et de fidèles dont beaucoup pleuraient. Le Frère Bonaventure est mort à minuit un quart environ, Saint Joseph était son patron, et il avait voulu réserver sa communion d’hier pour ce matin. Je n’ai pas insisté, à cause de l’état de sa bouche qui était pleine de sang, mais je prévoyais bien qu’il communierait dans la gloire et je le lui avais fait entendre. Il m’avait compris. A neuf heures l’agonie commençait, j’ai réuni tous les religieux et je lui ai récité la recommandation de l’âme. Il avait pleine connaissance, il l’a manifestée par ses regards déjà voilés. Il ne pouvait plus parler et ses dents étaient tellement serrées qu’il ne pouvait rien prendre. Les religieux étaient fortement impressionnés. Pour ma part je me suis efforcé de toujours refouler les larmes et d’agir avec calme et sérénité. J’ai réussi jusqu’à ce soir. Nous verrons lorsque je serai tout seul. J’ai permis aux religieux de prier jusqu’à 10 et 11 heures devant le Saint Sacrement, et pendant ce temps-là, je les ai confessés. Le P. Géry [Delalleau], le P. Théodore [Defrance], le P. Ignace [?] se remplaçaient auprès de notre cher malade. J’avais dit de m’avertir quand l’agonie redoublerait de force, mais il est mort sans qu’on s’en aperçut, et je n’ai pu recevoir son dernier soupir. Je lui avais renouvelé l’absolution plusieurs fois dans des visites particulières et le prêtre qui était présent la lui renouvelait tous les quarts d’heure. Il a conservé sa connaissance jusqu’au dernier moment, et dix minutes avant sa mort il s’efforçait encore d’avaler un peu d’eau de Lourdes que le Frère Eugène [Dourver] lui faisait passer entre les dents. Je me suis occupé immédiatement de sa sépulture. Je suis allé voir l’évêque qui s’est beaucoup intéressé à tous les détails que je lui ai donnés. Je lui ai demandé s’il permettait l’enterrement dans la chapelle où sont enterrés les Cannes. Il m’a répondu que de sa part il n’y avait aucun inconvénient et que, depuis qu’on n’enterre plus dans les églises, on meurt davantage et plus jeune. L’autorité civile pouivait faire des difficultés. Les chanoines m’ont dit de ne pas s’en occuper, que la chapelle était hors de la ville, qu’on pouvait y enterrer. D’autre part l’Alcade était absent. Et, de fait, j’ai fait faire la fosse dans la chapelle du Crucifix. On a exhumé un Carme enterré là depuis longtemps, et maintenant ils reposent ensemble. Il y a 1 mètre 80 de profondeur, sous la planche qui porte le n° 5. On a jeté de la chaux vive et je crois qu’il n’y a nul inconvénient. Si l’autorité civile fait des observations, je saurai bien m’en tirer. J’ai invité les chanoines, le clergé, la confrérie du Carmel, et ce soir, à 6 heures, après la fonction de la cathédrale, on a descendu notre cher petit Frère à l’église, avec le nouvel habit augustinien qu’il étrennait, la ceinture de cuir, le capuchon sur la tête. Nous avons chanté les Vêpres des morts, j’ai fait l’absoute, les quatre novices de seconde année l’ont porté à la chapelle du Crucifix et l’ont eux- mêmes recouvert de terre… Je fais prévenir la famille par le P. Paul [Bador]. ». (1) Lettres du P. Emmanuel d’Alzon, Rome, 1996, t. XIII, p. 384 et 390. Le P. d’Alzon, à la fin de sa vie, avait pris la décision de reporter à 30 ans l’âge de l’ordination pour les jeunes religieux, estimant devoir renforcer la qualité de leur formation intellectuelle et spirituelle.
Bibliographies
Bibliographie et documentation: Souvenirs 1882, no 8, p. 43-44. Lettre à la Dispersion, 1910, no 69, p. 275. Lettres d’Alzon, t. XIII, 1996, p. 456. Réflexions d’un chroniqueur: Ephémérides d’Osma 1882 (ARC: D 49). Notice biographique par le P. Marie-Alexis Gaudefroy.