Bruno (Augustin) DELPOUVE – 1872-1921

D’après un témoin.
« Les grévistes de Lota ayant refoulé jusque dans leur caserne, à coups de
grenades et de revolvers, les carabiniers et policiers de la ville, ceux-ci
se défendent par plusieurs décharges de ‘Mauzer’. Le P. Bruno se trouve
dehors et rentre dans son bureau. Là l’attendent deux fiancés venant se
faire inscrire pour les bans de mariage.
Le Bruno est atteint alors qu’il est à sa table par une balle perdue, juste
à la barre du front au-dessus du nez. Le projective, avant d’arriver à lui,
a traversé un arbre et le carreau de la pièce où se trouvent le P. Bruno,
le P. Morand et les deux fiancés. Son compagnon croit qu’il se gare contre
une prochaine
décharge et lui s’est couché sur le plancher. La fiancée s’est évanouie.
Le P. Bruno est blessé, ne respire qu’avec peine et ne répond plus. La
fusillade
cesse. Le P. Bruno expire. Nos sentiments de regret sont ceux de toute la
famille assomptioniste avec la pointe d’acuité qu’y apporte la connaissance
de ce religieux si bon, si simple, si dévoué et si fervent ».
P. Thomas Dorbois, 11
novembre 1921.

Bruno (Augustin) DELPOUVE

1872-1921

Religieux français, en mission au Chili.

Des larmes d’Allouagne.

Augustin Delpouve est né le 01 janvier 1872 à Allouagne, petite localité du Pas-de-Calais qui se fait une gloire de posséder comme relique une ‘sainte larme’. Le jeune Augustin fait ses études de grammaire à l’alumnat d’Arras (1885-1888) et celles d’humanités à Clairmarais (1888-1890) où il reçoit les leçons et les ‘savons’ restés célèbres du P. Edouard Bachelier qui le surnomme ‘Eusèbe’. Il entre au noviciat à l’abbaye de Livry-Gargan le 6 août 1890 et prend le nom de Frère Bruno, amoureux, comme le fondateur des Chartreux, d’une vie silencieuse. C’est à Phanaraki (Turquie) qu’il achève ses deux années de noviciat par la profession perpétuelle le 6 août 1892. « Sans être expansif, c’est un être gai, bon compagnon, aimant la taquinerie et acceptant d’être taquiné, mais avec distinction, sans aiguiser la pointe des sentiments. Sensible, il laisse perler aux inévitables heurts de la vie commune une larme à sa paupière dont parfois ses confrères se moquent faisant référence à la relique d’Allouagne. Esprit clair, ferme et droit, il exprime sa pensée en traits directs et en formules pleines, sans ornement ni recherche ». De 1892 à 1897, le Frère Bruno étudie la philosophie et la théologie à Jérusalem où il est ordonné prêtre le 19 décembre 1896. On l’envoie en 1897 comme professeur au collège de Varna en Bulgarie et en 1898, il est désigné pour la mission lointaine du Chili afin de prendre en charge la maison de Los Andes où il déploie jusqu’en 1921, sans discontinuer, une grande énergie et une activité féconde: construction d’une église, du couvent, d’une grotte de Lourdes. Il introduit également de grandes et d’heureuses modifications dans la direction du collège qu’il anime. Ce n’est pas sans peine ni nostalgie qu’il laisse la main au P. Joachim Bonnel en 1921

lorsqu’il lui est demandé en 1921 d’assumer la lourde charge de curé à Lota, ville minière que travaillent de graves mouvements sociaux.

Une mort tragique et prématurée.

Depuis 1920, la cité du charbon et de la pèche qu’est Lota, dirigée par une municipalité de gauche, est agitée par une grève importante des mineurs dont les meneurs organisent des marches de protestation. Le 1er octobre 1921, des grévistes se trouvent réunis sur la place d’armes de la ville, devant la caserne des carabiniers et des gendarmes qui effectuent le servie d’ordre, et cherchent à prendre d’assaut le bâtiment. Un officier commande de faire feu sur les manifestants et sur la foule. Le P. Morand Ohrel entend une décharge, descend rapidement du premier étape du presbytère et crie au P. Bruno en train de recevoir des fiancés pour leur préparation de mariage: « Baissez-vous parce que les balles rebondissent contre la fenêtre ». Le P. Bruno se trouve à son bureau en train d’écrire, il se redresse pour se protéger derrière un mur. Quand le Père Morand se relève, il voit son confrère rejeté en arrière sur son siège, sans mouvement, laissant à peine entendre une légère plainte. Il s’approche et devine une petite tache de sang sur le front. Le Père Bruno ne répond à aucune question, une balle égarée l’a atteint en plein front. Aidé des fiancés, il transporte le blessé dans sa chambre et appelle un médecin qui ne peut que constater le décès. Le Père Bruno meurt ainsi à 50 ans, tragiquement, et la nouvelle de son décès se transmet comme une traînée de poudre, non seulement à Lota, mais dans tout le pays. Le calme revient à Lota. Pendant trois jours, une foule ininterrompue défile devant sa dépouille du Père Bruno. Le mardi 5 octobre, veille de la fête de Saint Bruno, les funérailles sont célébrées en présence de l’évêque de Conception, Mgr. Fuenzalida. Une inscription évoque le contexte de cette mort: « Que tu sangre inocente traiga la paz a tu pueblo que le llora ». Le Père Bruno est inhumé au cimetière de Lota, mais les paroissiens de Los Andes demandent et obtiennent le transfert de sa dépouille dans leur ville. Le Père Bruno repose enfin au mausolée de la Confrérie de Lourdes, à Los Andes.

Bibliographies

Bibliographie et documentation: Lettre à la Dispersion, 1921 n° 405, p. 109-110; n° 423, p. 238-240; 1922, n° 3, p. 17-IS. L’Assomption, 1922, n° 246, p. 9-10. Notice biographique par le P. Marie-Alexis Gaudefray. Homenaje (plaquette sure le P. Bruno Delpouve de 15 pages, tirée à Los Andes). Le P. Bruno Delpouve a laissé dans les ACR de nombreux rapports sur Los Andes (1905-1916) ainsi que de la correspondance (1890-1920). Similien Guiguenc a écrit un témoignage sur la vie missionnaire du P. Delpouve et des 25 ans de l’Assomption à Lata, publié dans L’Assomption etses œuvres, 1929, n° 335, p. ,88-89. Notices Biographiques