René Emile Maurice Bouverot est né le 15 septembre 1929 à Battenans-Varia dans le Haut Doubs. Son père, Camille, est charpentier. Sa mère, Anna Gigon, est à la maison. René est le 6è de 7 enfants. Le crash financier de 1929 ruine la famille : le père de René perd son travail, la vie devient dure à la maison ; mais le papa finit par trouver un emploi de facteur ; la famille déménage à Belfort.
En 1941 (René a 12 ans) il obtient son certificat d’étude. Le P. Bruno Curot, assomptionniste de passage, fait entrer René à l’alumnat petit séminaire de Nozeroy, dans le Jura. Les 6 jeunes de Nozeroy (les 6 cruches…) ont 10 professeurs assomptionnistes. Et on mange mieux à Nozeroy qu’à Belfort. C’est toujours la guerre : la maison familiale est démolie en 1941 par un bombardement italien; reconstruite en 1943, la maison familiale est à nouveau démolie en 1944 par un bombardement américain… La famille vit en camping, puis elle est accueillie chez des amis ; on manque de nourriture : il faut souvent quêter de maison en maison…
Le 21 novembre 1944, Belfort est libéré.
En décembre 44 et janvier 45, René, qui a 15 ans, fait un voyage long et difficile, dans la neige, le froid et souvent la faim, en camion, en vieux car, en petit train ou à pied. Il fait 12 km à pied dans la neige pour arriver à Miribel des Echelles, en Isère, où il est mal reçu… C’est là qu’il fait sa 3ème, sa 2de et sa 1ère.
En 1947, il choisit de devenir Assomptionniste. Il fait son noviciat à Nozeroy, sous le nom nouveau de Frère Dominique. Le 29 septembre 1948, il fait ses premiers vœux de religieux (il a 19 ans).
II va à Scy-Chazelles en Moselle, pour sa philo universitaire. En 1949, il fait sa philo scolastique, toujours à Scy-Chazelles.
En 1951, il fait son service militaire à Versailles, dans l’aviation (mais il ne monte jamais dans un avion…). Comme beaucoup de ses camarades sont illettrés, il écrit souvent leurs lettres à leurs fiancées…
En 1952, Frère Dominique va à Rome, Tor di Nona, pour étudier la théologie. C’est à Rome qu’il fait ses vœux perpétuels en 1953, qu’il est licencié en théologie, et qu’il est ordonné prêtre le 17 décembre 1955. Comme il a la bosse des mathématiques, le P. Dominique est envoyé à Strasbourg, pour faire math élém puis pour passer sa licence en maths-physique.
C’est en 1960 que le P. Dominique Bouverot est nommé au collège de Mongré, à Villefranche sur Saône, près de Lyon; Il est nommé prof de mathématiques et de dessin (il n’a jamais fait de dessin…). Il enseigne dans toutes les classes. Puis il se spécialise dans les classes de 4ème et 3ème. Bien sûr, il se met aussi au service de la catéchèse. Quelques années après, il est nommé sous-directeur et responsable des 200 jeunes de 4ème et 3ème. Les 21 ans que le P. Dominique a passés à Mongré sont probablement les meilleures années de sa vie : il s’est fait de nombreux amis parmi les élèves, les professeurs et les familles. Cela lui a été dur de quitter Mongré.
A partir de 1981, le P. Dominique est, pendant 6 ans, supérieur vice-provincial de Lyon, responsable des Assomptionniste de l’Est de la France, d’Italie, Grèce, Turquie, Bulgarie, Roumanie et Côte d’Ivoire. Cela l’oblige à élargir ses horizons.
A partir de 1987, il est, pendant 12 ans, assistant général, obligé d’élargir encore ses horizons sur tous les continents.
En janvier 1996, il tombe gravement malade des poumons, pour avoir trop fumé… Et il commence à fréquenter les hôpitaux.
En 1999, il prend une année sabbatique de repos à Vincennes, en Val de Marne.
En 2001, il est nommé « vieux sage » à Denfert Rochereau à Paris. Pendant 4 ans, il s’occupe des archives et des nécrologies de la province.
Le 13 juillet 2005, il arrive à Lorgues. L’air pur de la Provence lui va bien. Dans la communauté, il trouve de vieilles connaissances et de nombreux amis. Il apprécie beaucoup les soignantes et tout le personnel. Il est également apprécié, parce qu’il est simple, joyeux et fraternel.
Il nous a quittés brusquement le 28 novembre 2007, à l’âge de 78 ans.
Chers parents et amis du P. Dominique,
Chers frères et sœurs
« Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées ». La consigne reste impérative des siècles après. La raison de pareille attitude réitérée alors est tout-à-fait explicite peu après « Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »
Nous sommes bien avertis et pourtant c’est toujours une surprise, bien compréhensible d’ailleurs, quand une connaissance et a fortiori un frère, un ami s’en va sans avoir pu nous dire adieu d’un dernier regard, d’un geste de la main, d’un ultime sourire. La visite projetée n’aura pas lieu. Il ne sera plus possible de raconter à une oreille toujours bienveillante tout ce qu’on aurait aimé lui dire.
Frapper à sa porte sera désormais vain.
Une fois de plus, la mort a frappé à l’improviste et du jour au lendemain, ce fut le face-à-face pour Dominique comme nous le croyons car cette certitude relève de la foi et d’elle seule. Extraordinaire Evangile qui, évoquant la veille jusque tard dans la nuit, cette vigilance à laquelle une fois de plus l’Avent va nous convier, en dévoile aussitôt l’extraordinaire issue : le maître lui-même revêt la tenue de service que portait son serviteur vigilant. Et ne voilà-t-il pas que lui, le maître, fait asseoir tout son monde, servant chacun à son tour. Les rôles sont inversés comme ils le furent déjà du vivant de Jésus, le lavement des pieds étant le signe on ne peut plus parlant d’une vie donnée jusqu’à la corde, du début à la fin. « Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns des autres ».
Le service joyeux et discret, l’accueil de chacun dans une disponibilité comme naturelle tant elle était réelle : c’est l’image que beaucoup retiendront de Dominique et c’est peut-être, sans doute, le secret de sa vie. L’Evangile du bon serviteur, ce fut son Evangile, ne trouvant pas extraordinaire d’agir ainsi comme cet autre serviteur qui se juge tout-à-fait quelconque. Pas plus que nous, Dominique n’était un saint et en bon franc-comtois franco-français, il avait quelque peine à entrer dans les subtilités d’autres cultures, d’autant plus qu’en mathématiques, dont il fut si longtemps professeur, 2 et 2 font 4, un résultat précis et incontestable, et que la physique est régie par des lois. Couper les cheveux en quatre désorientait cet homme droit, carré, peu porté au conflit, étant foncièrement homme non de tranquillité mais de paix.
Il appréciait la vie fraternelle, c’était même l’une de ses grandes joies, mais il en savait le prix et il le payait pour sa part. Consciencieux, fidèle, il n’aimait pas chercher midi à quatorze heures, préférant le plus simple, pour ne pas dire parfois le solide bon sens, au plus compliqué surtout quand il s’agissait des profondeurs du psychologique ou de l’inconscient. Il n’était pas homme à se mettre en avant et il ne souffrait pas de vivre dans l’ombre d’un autre, se sentant plus d’aptitude à être un bon second qu’un premier de cordée, exécutant fidèle plus que tête chercheuse. Homme de foi certes mais plus dans le quotidien que dans l’exceptionnel, oui, dans le service et la disponibilité. Sa vie, à l’exemple de la Vierge Marie que ce fidèle du National à Lourdes a beaucoup priée, ce fut le oui du service avec d’ autres, derrière d’autres, à l’Assomption, sans rechigner à changer de cap, alors même qu’il était plus casanier qu’aventureux, plus anxieux qu’intrépide.
Se mettre aux sciences et aux maths en partant de zéro ou presque, premier saut dans l’inconnu couronné de succès pour cet homme doutant de lui-même. Abandonner le monde sécurisant de Mongré pour accepter d’être vice-provincial de Lyon, deuxième acte de foi car la charge n’était guère convoitée mais elle lui permettra de s’amarrer solidement à l’Europe orientale, à la Mission d’Orient qui prenait alors un visage concret pour lui. Nouveau pas quelques années après avec la casquette de vicaire général et de secrétaire général, motivé cette fois encore par le service de ses frères, la peur au ventre et la joie de retrouver Rome, cette ville où il se sentait presque aussi heureux qu’à Villefranche. Et enfin, dernier abandon de foi plus décapant encore, les ennuis de santé du grand fumeur qu’il était et de l’amateur de whisky et cette maladie de la peau qui l’a fait beaucoup souffrir même si sa discrétion restait totale.
Si le manque d’attention était douloureux à l’ultra-sensible qu’il était, la moindre délicatesse de ses frères, des soignants, de ses amis l’émerveillait. Sa lucidité l’a fait souffrir, sa fraternité et sa foi lui ont valu de grandes joies, y compris dans cette maison où il s’est senti si bien accueilli, soigné et entouré. « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour » nous disait saint Paul se référant à sa propre expérience. Dominique, je crois, a vécu ainsi sa dernière étape.
La foi de Dominique enracinée dans les terres du Haut-Doubs, burinée par l’Esprit, n’a jamais, me semble-t-il, été taraudée par le doute. La foi de l’Eglise, telle que la formule saint Paul, ce fut la sienne, indémontrable mais indéniable : « Frères, nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera nous aussi avec Jésus et il nous placera près de lui avec vous. » Nous perdons un frère, nous trouvons un protecteur prêt encore à servir humblement. Comme Jésus, le Serviteur, à qui toute sa vie fut donnée.
A peine franchie la porte de Denfert à mon retour de Corée, la 1° nouvelle fut celle de sa mort. Comment au lendemain de l’ordination presbytérale du premier assomptionniste coréen ne pas lui confier l’avenir de cette aventure missionnaire dont il a participé au douloureux enfantement ? Ne nous dit-il pas, à sa façon, « Et tout ce qui nous arrive, c’est pour vous afin que la grâce plus abondante, en vous rendant plus nombreux, fasse monter une immense action de grâce pour la gloire de Dieu ». Amen
Claude Maréchal