Ernest Fortin – 1923-2002

Un fils d’Augustin en Amérique.

Ernest Fortin est né le 17 décembre 1923 à Woonsocket (Rhode Island, U.S.A.). Son cursus scolaire s’est déroulé à Worcester de 1937 à 1942 et de 1944 à 1946, ses études de théologie à l’Université Laval (1946) et à l’Angelicum de Rome (1946-1950), ses études universitaires de qualification à l’Université de Paris (1952), à la Sorbonne (1955) pour le doctorat, à l’Ecole pratique des hautes Etudes (1952-1955) et à l’Université de Chicago (1962). Sa formation religieuse s’est déroulée au Québec pour le noviciat (vêture le 5 janvier 1943, première profession le 6 janvier 1944, profession perpétuelle à Rome le 6 janvier 1947, ordination sacerdotale à Rome le 17 décembre 1949). Il a été professeur au collège de Worcester (1955-1974), supérieur de la communauté de 1964 à 1967, en résidence à Brookline (1974-1989), puis à Brighton (1989-1996), enfin au manoir Saint-Patrick les 6 dernières années de sa vie. Il y est décédé le 22 octobre 2002, à l’âge de 78 ans et 8 mois.

>p>« J’ai rencontré le Père Ernest la première fois à la fin de l’année 1959 en tant qu’étudiant au Collège de l’Assomption. Mes camarades de classe et moi-même avions le sentiment d’avoir un enseignant de théologie et de philosophie inhabituel, qui était un érudit dévoué. Une image est gravée dans ma mémoire, celle de sa marche accélérée quand il marchait dans les dortoirs pour aller à sa chambre pour son travail intellectuel. Apprendre était la passion de cet homme, doué d’une curiosité intellectuelle sans limites. Avant d’oser frapper à sa porte, nous hésitions car nous savions qu’il était en train de lire et d’écrire et qu’il n’accepterait pas une interruption frivole. C’était un homme doux et généreux, pas un tendre, a dit de lui le jésuite Paul MacNellis. Plus tard dans la vie, je pensai à notre hésitation lorsque je lus dans les Confessions la réticence d’Augustin à déranger Ambroise en train de lire. Bien que nous fassions souvent référence au Père Ernest en le nommant le gros ‘E’, nous nous apercevions progressivement qu’il était un homme sympathique, capable d’engager la conversation, généreux de son temps et pourvu d’un agréable sens de l’humour. D’ailleurs même avant un grand match de basket-ball, on attendait avec impatience sa prise de parole.

Il puisait souvent dans la Bible ses références et qualifiait nos adversaires au jeu de béotiens incirconcis &nbps:! J’ai remarqué avec d’autres la sympathie nouée entre les Pères Ernest et Denys Gonthier, l’un linguiste et l’autre psychologue. N’écrivit-il pas une fois dans le magazine de l’Assomption que les étudiants essayaient de garder leur esprit fermé quand ils croisaient le Père Denys de peur que celui-ci ne discernât leurs pensées&nbps: ! Chaque soir après le souper, les deux compères faisaient un tour de Campus, bavardant et riant. Nul doute que son ami lui a beaucoup manqué après 1980. Un jour, des étudiants faisaient un vacarme énorme dans la salle à manger. Les Religieux venaient les uns après les autres nous demander de baisser le ton, sans succès. Le Père Ernest alors surgit renfrogné, faisant claquer ses doigts, le silence revint &nbps:! Heureux d’apprendre et heureux d’enseigner, tel pourrait être le résumé de la vie du Père Ernest. Il enseigna tout et partout, en classe, lors de séminaires, aux lectures de Bradley, en salles de réunion, lors de visites dans son appartement encombré de livres éparpillés. Il savait se faire comprendre par des regards de désapprobation et des silences éloquents. Il nous semblait que nous lui répondions comme Alypius, esclave de la folie des jeux, à Augustin lorsque ce dernier illustra son enseignement avec une image tirée des jeux. Alypius bien que touché à vif sut tourner sa colère contre lui-même. Sans avoir raison à chaque coup, le Père Ernest savait taper dans le mille, grâce à son expérience. J’ai moi-même été brocardé par lui, bien que ma femme continue à penser qu’il ne m’a pas assez envoyé de piques &nbps! Les confrères du Père Ernest lui témoignaient estime et respect, même s’ils trouvaient qu’il manquait de jugement et le jugeaient aussi trop fier, impatient, acariâtre, critique. Le Père Ernest en rajoutait en disant de lui-même qu’il n’y avait rien de meilleur en lui que sa fierté!

A ses yeux aucune composition n’était jamais assez complète, aucune rédaction assez lucide, aucune source suffisamment ciblée. Comme un père exigeant attend trop des enfants qu’il aime, ainsi voulait-il de ses étudiants la perfection, la productivité, le succès. Un de ses amis proches, le Père Matt Lamb, a su parler en termes émouvants des attentions chrétiennes du Père Ernest. Avec lui il échangea sur la mort, sur la Providence, sur la prière même si au cœur de l’épreuve de santé qu’il traversa il se récriait &nbps:: * Ma vocation est celle d’un professeur érudit, pas celle d’un moine contemplatif&nbps; ! + Avec la gêne et la douleur de sa condition souffrante, il orienta sa pensée vers la théologie de la croix selon son maître Augustin. Il apprit à savourer les psaumes qu’il savait de mémoire en latin. Prêtre et théologien, le Père Ernest avait fait sienne la doctrine de l’Eglise, sa pratique, sa prière, d’où sa hantise de voir des chrétiens perdre leur âme en ne comprenant pas la différence que l’Eglise apporte entre la philosophie classique et celle transmise par sa propre tradition. C’est cet héritage vivant que ses amis s’attachent et s’attacheront à garder du Père Ernest dans la compréhension du combat de l’Eglise pour plus de justice et plus de paix, pour être à la fois des tenants de modernité et de fidélité. Durant les dernières années de sa vie, le Père Ernest disait qu’il faisait déjà son purgatoire. Ses dernières années lui furent difficiles. Ne plus être capable de lire et de marcher lui était une grande souffrance, pour lui qui disait dans les années 1960 qu’il voulait mourir avec ses chaussures aux pieds. Il ne réalisa pas ce vœu, mais il eut certainement l’occasion d’expier ses fautes. Juste avant de mourir, le Père Ernest dit à Sœur Danièle, une carmélite de Saint-Patrick, qu’il voyait quelque chose de beau. Comme Monique dit à son fils Augustin avant de rendre le dernier soupir&bnps: : * Fais mémoire de moi à l’autel où la sainte victime est offerte&nbps: +. Ernest sera heureux si nous suivons Monique dans l’expression de son dernier désir&nbps; +.

Selon le témoignage de J. Brian Benestad, le 26 octobre 2002.


|

Bibliographies