Fran KEREC – 1904-1984

Belgrade, 1980.
«J’avais l’intention de vous écrire pour Noël, mais je n’ai pas eu un
moment de libre, tout le travail de la maison retombant sur mes épaules.
L’église de l’Assomption a été vendue à un prix dérisoire, uniquement pour
rendre service à l’évêque d’ici, qui est de rite gréco-catholique comme
vous savez. A mes yeux il faut annuler cette
vente, car l’enregistrement judiciaire n’a pas encore été rég1é et il est
encore temps de restituer l’argent versé. Or des chrétiens
gréco-catholiques ici à Belgrade, il n’y en a pas. Avant la guerre, il y
avait
deux familles de ce rite et quand il y avait la messe, c’est moi qui la
servait. Dernièrement nous avons eu beaucoup de visiteurs allemands qui
visitent le pays. Ils font les réparations des monuments endommagés par la
guerre et ils sont venus chez nous pour exécuter des réparations à la
nouvelle église. A mes yeux, le plus urgent c’est le toit et les
gouttières, mais l’évêque veut
faire réparer la cave pour nous mettre dedans. Mais aucun catholique ne
viendra à la messe dans une cave. J’ai passé ici plus de 50 ans et je ne
veux pas que l’on nous mette à la porte de notre église».

Religieux yougoslave de la Province de France.

Une vocation yougoslave.

Frans ou Franç (François) Kerec (1) est né le 10 août 1904 à Gornja Lendava en Yougoslavie dans le diocèse de Maribor, au nord de la Slovénie, alors province de l’empire austro-hongrois. On sait seulement du temps sa jeunesse qu’il a été domestique à la cour du roi Alexandre de Yougoslavie (2). Très pieux, il est remarqué par les religieux de la paroisse assomptionniste de Belgrade. En 1932, Franç abandonne le service du roi et devient postulant, en résidant dans la communauté, faisant office de sacristain, de jardinier et de cuisinier. Surnommé ‘Gratia’, à cause du bienheureux Gratia de Catharo du calendrier augustinien, il sert le plus de messes possible, courant d’un autel à l’autre pour les répons. A l’automne de 1935, Franç part en France pour le noviciat de Nozeroy (Jura): il y prend l’habit le 25 février 1936 et y prononce ses premiers v?ux le 26 février 1937. A la demande du P. Privat Bélard, il revient à la communauté de Belgrade qu’il ne va plus quitter, ajoutant sans cesse d’autres fonctions aux précédentes. Il devient profès perpétuel le 26 février 1940. Le 6 avril 1941, Belgrade est bombardée par les armées du Reich. On compte plus de 6.000 morts dans la journée. Dans le quartier des religieux, les tués se comptent par dizaines. Infatigable, le Frère Franç fouille les maisons écroulées, transporte blessés et cadavres. C’est la guerre, l’occupation, la misère. On manque de tout, d’eau potable, de logement. Sous la direction du P. Bélard, le Frère Franç creuse un puits pour les gens du quartier. Les locaux de la paroisse sont occupés par les malheureux sans-abris, jusqu’au dernier recoin. On organise la distribution d’une soupe chaude. Le Frère Franç gagne son surnom de ‘Pater Franç’. Les trois religieux de la communauté sont emprisonnés,

souvent pour avoir aidé des blessés quel que soit leur camp. Le P. Bélard reste seul avec le Frère Franc qui se fait maçon. Il répare les églises endommagées, à Belgrade et au dehors, répondant aux sollicitations de l’archevêché. Arrive la libération en 1945. Le P. Bélard, citoyen français, est honteusement expulsé. Le Frère Franç assure seul la continuité assomptionniste à Belgrade où d’anciens alumnistes, devenus prêtres diocésains, viennent le rejoindre. Gardien de l’église de l’Assomption, le Frère Franç vit très pauvrement, un peu à la manière des chiffonniers ramassant sans cesse des objets dans la rue et les entassant autour des bâtiments. Homme aux m?urs rudes, travaillant du matin au soir, fidèle à ses exercices de piété, il n’aime guère être commandé. Frugal cuisinier, il a la charge de préparer les repas qu’il sert à l’heure qui lui convient, quand il est prêt, et dans la tenue où il se trouve, d’une propreté douteuse. La communauté peut se maintenir jusqu’en 1982. On a pu penser dans les années 1973-1974 à une véritable ‘refondation’ avec la présence des PP. Petar Ljubas, Julian Walter, Pïerre Boucard, Mato Princip et du Frère Gérard Dumas, infirmier. A nouveau le Frère Franç se retrouve presque seul, jusqu’à ce 17 novembre 1984 où, usé par le travail, il meurt soudain sur la brèche. Il est inhumé dans un cimetière éloigné de Belgrade, le mardi 20 novembre, par un temps hivernal de pluie et de froid. Un avocat orthodoxe tient à rappeler, devant la tombe ouverte, le travail et le dévouement de ce religieux, durant les années difficiles de la guerre et de l’après- guerre. Une délégation de la communauté protestante dépose une gerbe. C’est dire l’estime d’un large milieu.

(1) Frans est la transcription plutôt germanique du prénom François. La forme Franç entend respecter le caractère slave de son prénom.

(2) Alexandre 1er Karageorgévitch (1888-1934), fils de Pierre 1er de Serbie, est roi de Yougoslavie de 1921 à 1934. Il a fait la première guerre mondiale dans l’armée serbe, au cours de sa difficile retraite à travers l’Albanie. Régent en 1918 du royaume des Serbes, Croates et Slovènes, il a la rude tâche comme roi à partir de 1921 de faire coexister les trois nationalités d’un royaume créé de toutes pièces après 1918 et devenu en 1929 la Yougoslavie. Il est assassiné à Marseille par des terroristes croates en même temps que le ministre français Louis Barthou.

Bibliographies

Bibliographie et documentation: Documents Assomption, nécrologe (III) 1984-1986, p. 39-40. Assomption-France, Nécrologie n° 3, décembre 1984, p. 52-53. Lettre du Frère Franç Kerec aux PP. Noël Bugnard et Paul Charpentier, Beograd, 17 février 1980.