Religieux de la Province de France. De la Manche à la Mer Noire. « Je suis né à Morlaix (Finistère) le 2 novembre 1901, pittoresque ville bretonne près de la Manche, dans une famille où trois ou quatre générations m’ont légué un héritage de goûts et de dispositions artistiques auxquels je dois, dans les vicissitudes des camps, d’avoir pu sauver ma vie ». Après trois années à Saint-Maur (Maine-et-Loire), de 1916 à 1919, Jean entre le 29 septembre 1919 au noviciat de Louvain (Belgique) où il prend le nom de Frère Judicaël. Il accomplit son service militaire de 1921 à 1923 à Nantes, puis à Constantinople. Ensuite détaché au collège français de Varna en Bulgarie, il s’adonne à la mosaïque et apprend la langue sans soupçonner le service que cela lui rendra plus tard. Il retourne en 1924 en Belgique, à Saint-Gérard, pour les études de philosophie. Profès perpétuel le 11 février 1926, il passe à Louvain pour la théologie. Il s’initie à la miniature et à l’enluminure chez les Bénédictines de Sainte-Gertrude et réalise un superbe antiphonaire. Il est ordonné prêtre le dimanche de Pâques 20 avril 1930. En septembre de la même année, je suis désigné pour la communauté de Beius (Roumanie). J’y suis professeur de français au lycée gréco- catholique durant 13 ans et supérieur de l’internat pendant 7 ans, ayant à supporter les dures années de guerre, de 1939 à Noël 1942. A cette date, parla nonciature, Rome demande mon accord pour aller à Odessa en Ukraine où le P. Maniglier a fondé l’église Saint-Pierre en 1905. En octobre 1941, la ville d’Odessa est prise par les troupes gerrnano-roumaines de von Rundstedt et la région, rebaptisée Transnistrie est confiée à l’administration civile roumaine. En compagnie d’un jésuite italien, le P. Leoni qui parle parfaitement le russe, je dois m’y occuper de la population catholique de la ville. C’est en décembre 1943 que je vais définitivement à Odessa. Les Allemands ont capitulé devant Stalingrad le 31 janvier 1943. Le général Malinovski entre dans Odessa libérée le 10 avril 1944. Les Russes nous laissent relativement en paix durant un an, mais nous sommes arrêtés le 18 avril 1945. D’Odessa à Vorkouta. Le P. Judicaël est pris dans les mailles inextricables du Guépéou, une toile d’araignée tentaculaire n’offrant aucune issue possible. Il est transféré d’Odessa à Moscou où il est enfermé dans la sinistre prison de la Loubianka d’où l’on ne sort que pour être fusillé ou expédié au goulag concentrationnaire. De Moscou on l’envoie, après interrogatoires, vers des pénitenciers de rééducation bolchevique, en trois lieux successifs du Zakhstan (1946- 1947), aux confins de la Caspienne et du Caucase. Page : 49/49 En décembre 1947, un train à deux étages déporte les prisonniers, serrés les uns contre les autres sans pouvoir s’allonger. Il emmène son bétail humain en quatre jours et quatre nuits jusqu’à l’extrême nord, à Vorkouta. Plusieurs dizaines de milliers de forçats grouillent dans ce camp. Le P. Nicolas va y passer six ans et demi (1947-1953), changeant 13 fois de baraquement. Vorkouta est une ville de Sibérie, à quelque 2000 km au nord-est de Moscou, au- delà du Cercle polaire. C’est l’enfer blanc, avec 8 mois de neige, sans l’ombre d’un arbre, le long hiver de la nuit polaire avec deux ou trois heures de clarté par jour. En juin, c’est le soleil de minuit. La température y descend jusqu’à 40 et même 50° en-dessous de zéro. On imagine facilement les souffrances physiques endurées par ces pitoyables bagnards. Au froid s’ajoute la faim, la ration des chiens policiers est supérieure à la leur. A une époque, faute de cuillère, les condamnés sont obligés de laper leur écuellée d’infâme brouet. Les prisonniers sont astreints à l’extraction de charbon, à l’agrandissement de la ville, à la construction de voies ferrées et de tunnels. Atteint de scorbut, le P. Judicaël aurait succombé si son talent de dessinateur ne l’avait introduit au Bureau des Recherches géologiques. Bientôt policiers et officiels lui commandent des tableaux, des affiches, des plans et décorations pour édifices publics. Il peut conserver ses pinceaux et par miracle il a trouvé une boîte de compas. Les épreuves physiques sont doublées de souffrances morales l’isolement complet, la promiscuité, la crainte des espions et mouchards dans cette Babel de 56 nationalités dont la pègre occupe les postes-clés et qui dénonce à la police. Durant son procès, le P. Judicaël est convoqué 60 fois par des juges. En perdant leur liberté, ces détenus perdent aussi leur personnalité: ils ne gardent qu’un numéro d’identification. Pendant trois ans, le P. Judicaël ne peut célébrer une seule Eucharistie. Un ouvrier polonais de l’usine du camp réussit à fabriquer une petite boîte en duralumin dont le fond sert de calice et le couvercle de patène. Du raisin gonflé dans l’eau procure quelques gouttes de vin. Le Père célèbre alors la messe dans le tiroir de son bureau. S’il survient un importun, il repousse prestement le tiroir. De telles conditions de vie et de foi évoquent les Actes des premiers martyrs. Le P. Nicolas livrera le témoignage émouvant de sa tragique aventure dans son livre souvenir, Onze ans au paradis. De la Seine à la Gironde. Purgée sa peine de 8 ans, le P. Judicaël est libéré, mais doit rester à Vorkouta sans espoir d’en sortir. Un détenu français, libéré au printemps 1954, M. Mzerdof, correspondant breton au journal parisien Le Temps, affirme connaître un prêtre français, Nicolas à Vorkouta. Grâce aux appuis diplomatiques, le P. Nicolas débarque au Bourget le 22 juin 1954. il séjourne pendant une année à Paris. En juin 1955, il est nommé à Valpré (Rhône), en 1959 à la communauté de Lvon- Debrousse et travaille à l’œuvre de la Sainte-Enfance. Il connaît encore les postes de Vellexon (Haute-Saône),de 1961 à 1969, puis de Scy-Chazelles (Moselle) jusqu’en 1975. Sa dernière maison est Pont-l’Abbé d’Arnoult (Charente-Maritime). Hospitalisé à Bordeaux, il meurt en clinique le 13 février 1984. Il est inhumé à Layrac (Lot-et-Garonne) le jeudi 16 février suivant. Page : 50/50
Bibliographies
Bibliographie et documentation., Documents Assomption, Nécrologe (III) 1984-1986, p. 14-18. Assomption-France, Nécrologie n° 2, juin 1984, p. 35-39. L’Assomption et ses OEuvres, 1984, n° 618, p. 24-25. Voulez-Vous? (Layrac) , 1984, n° 128, p. 19-24 et n° 1985, n° 132, p. 14-16. Lettre à la Famille, 1956, n° 200, p. 5-7. Annonce de libérationlettre du P. Gervais Quenard au P. Wilfrid Dufault, Paris, 15 mai 1954. A.A. lnfo, mars 1995, n° 149, p. 3. Le P. Noël Richard dans son livre ‘Pastels toulousains 1 (Toulouse, 1993) consacre quelques pages au P. Judicaël (p. 161-190) . Cf également les ouvrages du P. Antoine Wenger, Rome et Moscou et Catholiques en Russie, de M Patrick Meney, Les mains coupées de la Taïga, 1984, et, plus largement, les oeuvres de Soljenitsyne. Du P. Judicaël Nicolas, dans les ACR, rapports sur Beius (1936-1938), correspondances (1922-1962) . On doit au P. Judicaël un livre témoignage sur sa détention en U.R.S.S.: ‘Onze ans au paradis’, Payard, Fayard, 1958, des conférences et rapports sur la Russie soviétique et sa détention. Notices Biographiques