Ludovic (J.-Marie Louis) MARSEILLE – 1877-1964

Confesseur de l’ambassadeur.
« Dans la Turquie qui se laïcise, le P. Ludovic Marseille reçoit en
septembre
1925 notification de son expulsion. M. Sarraut, ambassadeur, s’écrie: ‘Ca
ne se passera pas comme ça, je vais voir le ministre des Affaires
Etrangères’. M. Sarraut ne
peut répliquer aux arguments du ministre qui ne peut favoriser un prêtre
catholique alors que tous les autres cultes, imams et popes, doivent
accepter eux-aussi la laïcisation. L’ambassadeur se retire furieux et
bredouille lorsque, sur le pas de la porte, fulgure l’idée de génie. ‘Une
simple question, M. le
Ministre: ai-je le droit de me confesser? Ahuri, le rire aux dents, le
ministre répond. ‘Je n’y vois pas le moindre inconvénient’. Sarraut
insiste:
‘Ai-je le droit d’avoir auprès de moi un confesseur, un
aumônier ou un chapelain, comme vous voudrez, qui recevra mes confessions?’
La réponse du ministre est claire:
‘ Vous êtes le maître dans votre ambassade’. Sarraut lui tend le décret
d’expulsion. Ayez l’obligeance d’inscrire sur ce papier que M. Ludovic
Marseille est autorisé à rester à Ankara comme confesseur de son Excellence
l’Ambassadeur de France’. lsrnet Pacha offrit un costume civil au P.
Ludovic».

Religieux de la Province de Lyon. Formation.

Jean-Marie Louis Marseille est né à Nîmes (Gard), le 27 septembre 1877, trois ans avant la mort du P. d’Alzon. Son père est sacristain à la cathédrale. Jean-Marie fait ses études au petit séminaire diocésain de Beaucaire d’où il vient frapper à la porte du noviciat de Livry (Seine-Saint-Denis) en 1896. Le 10 août, il reçoit l’habit sous le nom de Frère Ludovic et part en septembre pour Phanaraki (Turquie). Profès annuel le 10 août 1897, il est reçu à la profession perpétuelle à Phanaraki, le 6 septembre 1898. Le Frère Ludovic va enseigner trois ans à l’école de Koum-Kapou (1899-1902). En 1902, il se rend à Jérusalem pour y faire sa théologie (1902- 1904), achevée à Kadi-Keùï (1904-1905). Il est prêtre depuis le 23 octobre 1905. Les premiers emplois du P. Ludovic sont pour l’enseignement dans les écoles de la mission: Phanaraki (1905-1907), Kadi-Keuï (1907-1908), Karagatch-Andrinopie (1908-1909). Missionnaire courageux à Eski-Chéïr. Le P. Ludovic est affecté en 1909 à la mission d’Eski-Chéïr, l’ancienne ville de Dorylée, où les Assomptionnistes ont la responsabilité de l’église Sainte-Croix et d’un collège tandis que les Oblates animent, de leur côté, deux écoles, avec une quinzaine de religieuses. Eh 1914, c’est la guerre que le P. Ludovic, mobilisé en octobre 1915, fait tout entière sur le front d’Orient. Démobilisé en 1919, il renonce à un retour en France devant la possibilité qui est lui offerte de rejoindre sans tarder Eski-Chéïr. Il y fait sa rentrée en tenue de zouave, la barbe martiale, une caisse sous le bras, et se présente au pacha. Le fonctionnaire veut faire arrêter cet étrange visiteur qui s’exprime en un turc impeccable, se dit ‘papa’ (religieux prêtre) et porte le fez. Mais la population, prévenue de son retour, accourt et manifeste son enthousiasme sous les fenêtres du pacha qui se confond alors en politesses et relâche le P. Ludovic. Ce dernier retrouve la mission en triste état, mais il ne se décourage pas. Au lieu de regarder en arrière, je préfère penser à ce que nous pourrons faire pour le – relèvement des oeuvres. Il a auprès de lui comme compagnon le Frère Joseph Azéma qui fait la cuisine et apporte au moment du repas une marmite en terre cuite, leur unique plat pendant longtemps. Le P. Ludovic ne tarde pas à être pris dans le remous de la guerre gréco-turque. Les Grecs arrivent en juillet 1921 aux portes d’Eski-Chéir où s’est replié l’état- major du généralissime lsmet Pacha. Les soldats turcs évacuent la ville. La municipalité demande au P. Ludovic d’aller au-devant des vainqueurs et d’obtenir que la ville soit épargnée. Le général grec agrée la demande et se fait présenter par le Père les membres de la municipalité.

En 1922, les troupes kémalistes reprennent l’offensive et c’est au tour des Grecs d’évacuer la ville après l’avoir pillée et incendiée. Par crainte de représailles de la part des irréguliers turcs, le P. Ludovic fait évacuer avec prudence les chrétiens et les communautés de l’Assomption. De la gare, les religieux voient les flammes jaillir de leurs trois maisons et de l’église Sainte-Croix. Le P. Ludovic arrive avec tout son monde à Constantinople. Le 2 octobre, le général Pellé épingle sur son camail la croix de la Légion d’Honneur. Il a déjà la Croix de guerre, la Médaille d’Or serbe et obtiendra en 1928 les Palmes Académiques. Ankara. Après un bref séjour en Europe, le P. Ludovic revient à Eski-Chéïr, mais la ville n’a plus de communauté catholique. Il visite des chrétiens isolés, baptise, confesse et administre le sacrement de confirmation. Dès 1925, Mgr Rotta, délégué apostolique, souhaite l’abandon du poste d’Eski-Chéïr au profit de la nouvelle capitale, Ankara, où leurs fonctions fixent près de 500 catholiques. Le P. Ludovic commence par y faire de fréquents séjours, il a vivre et couvert chez l’ambassadeur de France, M. Albert Sarraut qui évoque la figure du P. Ludovic dans ses Mémoires. Bien que radical-socialiste et franc-maçon, il met à la disposition du Père pour le culte une ancienne remise de peaux de chèvres transformée en un somptueux local. Le P. Ludovic souhaite se fixer à Ankara, niais en vertu de la laïcisation que poursuit le gouvernement turc, cette autorisation lui est refusée. En septembre 1925, il est signifié un ordre d’expulsion. C’est alors que M. Sarraut, qui sera peu de temps après nommé ministre de l’intérieur, le tire d’embarras en l’accréditant comme son chapelain personnel. Les différents ambassadeurs auront la même cordialité à l’égard des religieux. C’est ainsi qu’en 1929 le P. Ludovic peut construire un immeuble dont l’ambassadeur occupe des bureaux, réserve des chambres pour les religieux et laisse disponible un espace pour une chapelle ‘Sainte-Thérèse’. Une carte diplomatique permet au P. Ludovic de circuler dans toute la Turquie. Parts. En 1936, le P. Ludovic quitte Ankara pour venir régler quelques affaires à Paris. C’est pour lui un départ définitif de sa terre d’adoption, sans regard en arrière. A 59 ans, il accepte un service pastoral à l’église parisienne de Saint-Pierre du Gros Caillou, tout en résidant d’abord à l’avenue Bosquet, puis à la rue François 1er (à partir de 1958). Son activité principale est celle du confessionnal. Il dirige et oriente vers la vie religieuse ou le Tiers-Ordre augustinien de nombreuses jeunes filles. Le P. Ludovic s’éteint le 10 février 1964, à 87 ans, peu de temps après avoir communié. Il meurt presqu’à l’insu des religieux qui le soignent, sans bruit, sans un mot. Il est inhumé à Paris Montparnasse. On garde de ce religieux le souvenir d’un confrère vaillant, simple et oublieux de lui-même. A toute sa vie s’applique ce mot écrit par lui d’Ankara.« On fait son travail le moins mal possible, persuadé qu’au moment voulu, la semence germera dans les âmes ».

Bibliographies

Bibliographie et documentation: B.O.A. juin 1965, p. 76-77. Jeunesses (Bure), 1964, na 3, p. 12-17. Lettre à la Famille, 1964, no 378, p. 622-623. L’Assomption et ses (Euvres, 1964, no 537, p. 12-17 (extrait). Le Gros Caillou (mensuel paroisse de Paris), janvier 1965, no 82. Chtistiane Babot, Les Missions des Augustins de l’Assomption à Eski-Chéhir (sic), Strasbourg, 1996. Du,P. Ludovic Marseille, dans les ACR, correspondances (1901-1954), rapports sur A,nkara (1929-1935), articles sur la mission assomptionniste en Turquie publiés dans l’Assomption et ses Oeuvres. Les relations entre le P. Ludovic Mareille et Albert Sarraut, ambassadeur français à Ankara, sont présentées dans un article de la Revue des Deux-Mondes de 1953.