Le frère Ludovic THIBON s’en est allé à la Maison du Père le vendredi 4 février 2005. Son départ rapide nous a tous surpris.
Le vendredi 28 janvier, il commença à avoir un peu de fièvre. Les jours suivants, il garda toujours un peu de fièvre, mais sans se plaindre. Il perdit aussi un peu l’appétit et puis, peu à peu, on s’aperçut qu’il avait de plus en plus de mal à marcher. Les jambes ne le portaient plus et il n’accepta pas facilement le fauteuil roulant. Mais la grippe faisait sournoisement son chemin. Le 4 février au matin, il était vraiment fatigué et même un peu agité. La température monta un peu plus haut. Il donnait l’impression d’avoir les bronches encombrées et vers 16 h 30, alors que je lui donnais à boire une tisane avec une petite cuillère, il expira devant moi, sans autres signes extérieurs particuliers. Le coeur avait cédé. Il était dans sa 89ème année.
Le frère Ludovic THIBON, Raoul de son nom de baptême, est né à MALBOSC, dans l’Ardèche, le 8 octobre 1916. Il a 9 ans quand sa mère décède. Suite à ce départ prématuré de la maman, les enfants sont recueillis dans deux établissements. Raoul est envoyé à ANNONAY, dans un orphelinat, tenu par les Religieuses Trinitaires, et ses deux soeurs plus jeunes vont à l’orphelinat tenu par les Religieuses de la Providence.
En 1930, à l’âge de 14 ans, il rentre à l’Alumnat de DAVEZIEUX qui vient d’ouvrir ses portes en 1927. Il y fait des études de grammaire de &nbps;1930 à 1935. Il va ensuite faire ses études d’humanités à l’alumnat de VERRARGUES (dans l’Hérault) de &nbps;1935 à 1937.
En 1939, il rentre au Noviciat des ESSARTS (Seine Maritime) et fait sa première profession religieuse le 19 janvier 1939.
Le 2 septembre de cette même année, c’est la déclaration de la guerre. Le frère Ludovic, faisant partie du Service Auxiliaire à cause de sa vue trop faible, est affecté à MONTPELLIER, dans l’Infanterie Alpine.
Démobilisé le 26 juillet 1940, son Provincial d’alors, le Père BALFONTAINE, l’envoie à DAVEZIEUX pour aider le Frère Jean Baptiste LAGARDE, déjà âgé, dans les travaux de la cuisine et pour faire les commissions au village d’ANNONAY.
Le 11 avril 1943, il prononce ses voeux perpétuels. Début novembre 1944, le Frère Jean Baptiste LAGARDE décède. Le frère Ludovic prend tout naturellement sa succession à la cuisine, et cela durera jusqu’à la fermeture de l’Alumnat en 1970.
Il va continuer ensuite de rester au service des pères dans le bâtiment attenant à l’Alumnat où vont résider désormais les pères qui vont prendre différentes responsabilités au plan apostolique. L’un est curé de la paroisse, les deux autres sont professeurs au Collège du Sacré Coeur tenu par les pères Basiliens. Cette situation dura encore 22 ans, de &nbps;1970 à 1992.
Cela représente au total 52 ans de présence à DAVEZIEUX, alors qu’il n’avait pas fait vœu de stabilité. Ce fut sa manière à lui de vivre le voeu d’obéissance. Il ne le regretta jamais.
Le 12 mais 1992, le frère Ludovic arrivait à la Maison de Retraite de Saint Sigismond avec le Père CHANIAL. Il continuera de vivre sa vie religieuse sans faire de bruit, toujours régulier, toujours prêt à rendre service dans les travaux de la maison ou de la propriété, aussi longtemps qu’il put tenir un balai, une pèle, une pioche ou un râteau pour la propreté de la maison, de la cour, des allées ou du jardin.
Le frère Ludovic avait gagné l’estime de tous et fait l’admiration de tous ceux qui l’ont connu, non seulement à DAVEZIEUX, mais ici même avec les membres de la communauté et du personnel. Il rayonnait la sérénité et la bonne humeur, il savait accepter les petites taquineries sans se formaliser. Il faisait bon vivre avec lui en communauté.
Un ardéchois comme lui, nous a écrit lorsqu’il apprit son décès : « connu il y a 35 ans dans la maison de DAVEZIEUX, il vivait la paix et il la faisait partager autour de lui ».
Le frère Ludovic a eu une vie de frère coadjuteur bien remplie en étant cuisinier de &nbps;1943 à 1986. Une vie de frère humble, toute simple, faite de beauté spirituelle puisée dans la prière et l’union à Dieu, au service des vocations à DAVEZIEUX comme au service de ses frères jusqu’à ces dernières années.
Avec lui, nous rendons grâce au Seigneur pour ce don de la vie religieuse vécue dans la générosité, pour le témoignage de dévouement et de fidélité qu’il nous donna jusqu’à sa mort.
Que le Seigneur aujourd’hui soit sa récompense avec ceux de sa famille qu’il va retrouver, en particulier sa soeur et son beau-frère décédés en nombre et décembre dernier.
MERMOZ JosephSupérieur de la Communauté
HomélieFrères,
Le Fr. Ludovic Thibon nous a quittés en silence, tout bonnement. Il goûte enfin le repos du Seigneur, rejoignant l’Assomption du Ciel et sa famille, ses parents dont i1 a été orphelin bien jeune, sa soeur Georgette, tout récemment, son autre soeur France et son beau-frère. M’écrivant il y a une dizaine de jours, il s’interrogeait sur la vie, sur la mort, appréciant d’être “si bien soigné” à Saint-Sigismond. – Naturellement, son départ est une grande peine pour nous, pour sa famille, ses nièces… qui vont, comme nous, garder 1e souvenir, l’exemple et l’héritage spirituel d’un pauvre… qui nous laisse la richesse même du trésor évangélique des Béatitudes.
Raoul était de l’Ardèche “à l’huile”, du Midi cévenol où la foi est nourrie de tradition séculaire, sous une apparence quelquefois rude, rigide, mais tempérée par le sentiment d’un Dieu-Père qu’on cherche et qu’on ne trouve que dans la miséricorde et la tendresse infinies.
Quelle vie… extraordinaire de simplicité, du don de soi sans repli, de fidélité à Dieu, à l’Assomption, marquée à vie par 1a souffrance dès les jeunes années. Je pense à 3 orphelins des années 25, projetés au nord, dans cette Ardèche dite “au beurre”, à la Rue des Jardins, à Annonay, petite ville mêlée d’ouvriers et de bourgeois. Raoul, donc, chez les Religieuses Trinitaires; ses soeurs, d’un autre côté, chez les Dames de la Providence. Séparés, pauvres gosses, avec toutes les difficultés de pouvoir se retrouver. A la Rue des Jardins, régnaient, c’est vrai,une réelle bonté des Soeurs, mais aussi une extrême pauvreté, une alimentation dérisoire, 1a bienfaisance de la bourgeoisie, les menues recettes obtenues par les orphelins qu’on exemptait de l’école pour accompagner certains défunts jusqu’au cimetière de la Croisette, la ville haute, dans les matins glacés de l’hiver, avec des engelures aux doigts,un cierge en main, près des chevaux qui renâclaient à la montée.
Mais i1 y avait les exercices de piété, le chapelet, la messe, pour tenir bon. Avec la chaude amitié des camarades, de ceux que Raoul aimait évoquer et qui ont été nos frères à l’Assomption &nbps;: René Mercier, Toussaint Bouillot, Louis Fontenat, Gabriel Ravoin, Louis Rousset. Amitié resserrée à l’Alumnat &nbps;: Davézieux, Vérargues, au Noviciat : Les Essarts.
Et voilà notre Frère Ludovic, à Montpellier, à Saint Flour, dans la tourmente,comme nous, des années tragiques de la guerre et de l’Occupation. Et, pendant 52 ans, dans 1a même maison de Davézieux au service des alumnistes, de la Communauté Saint-Régis. Le train-train de 1a vie, dans la plus parfaite modestie, le plus admirable dévouement. La ronde des jours dans le même esprit du don de soi renouvelé,à la cuisine, au jardin, à l’accueil. Cuisine soignée, commissions au village à heures bien fixes, porte et table ouvertes à de nombreux vagabonds, les mêmes souvent’ aller et retour sur le trajet Saint-Etienne-Valence. Toujours avec le même sourire, la même générosité, le même empressement à servir. Ce goût pareillement du travail à l’extérieur,… par récréation! Avec lui, nous cultivions un grand jardin. Nous bêchions, nous bûchions, silencieux, vrais moines, mais nous nous comprenions, en communion. Je pense à quelques escapades annuelles aux vans, en famille; à mobylette, 100 kms par monts et par vaux; la visite hebdomadaire chez les Soeurs Trinitaires, inspirée par une gratitude vivace.
Je n’aurais rien dit, si j’oubliais le secret moteur de toute cette vie &nbps;: 1a vie communautaire, 1a piété personnelle, la méditation, le chapelet, les exercices qui remplissaient son coeur ¢t animaient sa vie non pareille de Religieux en quête de sainteté.
On n’aura pas de peine à comprendre pourquoi nous avons préféré. l’évangile des Béatitudes. Il avait choisi le bon chemin, le bon guide, entre le présent d’ici-bas jusqu’à ce futur qui est pour lui, maintenant, le jour de Dieu.
Bienheureux, les pauvres de coeur qui ont tout offert en holocauste au quotidien jusqu’à l’obtention finalement gagnée du Royaume, en plénitude.
Bienheureux les doux… comme ces pauvres de l’Evangile, ces ANAWIM, les courbés qui plient sans défense, sans révolte, obéissants, comme Jésus doux et humble de coeur.
Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, comme ces pauvres qui avaient faim et soif de pain, de vin, mais de ton sourire, de ta bonté surabondante, parce que tu avais toi aussi rencontré la justice de Dieu, le Pain de Vie, l’Eau vive… en Jésus. Bienheureux les miséricordieux, ceux qui osent aller jusqu’au bout de l’amour, cette plénitude du coeur qui sait comprendre, compatir et pardonner.
Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils sont la Paix, qu’ils 1a transmettent, de la part du Prince de la Paix.
Bienheureux les purs… Ton visage et le fond de ton coeur, Ludovic, annonçaient visiblement la transparence, la candeur de l’enfance, 1a lumière même de Dieu. Qu’ajouterai-je, en guise d’envoi ? Ces mots de l’Evangile : entre dans la joie de ton Maître ! Dès ce jour, au paradis, plus beau que tous les jardins et paradis terrestres. A la table du Festin Royal où le Divin Maître en personne te servira à son tour. A la porte de la Grande Maison où, nous osons croire, tu n’auras guère à attendre, parce que tu étais attendu.
“Cher Ludovic, bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton Maître !”
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