Religieux français, profès in articulo mortes. Un fils du P. d’Alzon.
La famille Ménard de Lunel (Hérault) est une famille connue du P. d’Alzon et de l’Assomption. Trois de ses enfants, Joseph (1), Louis et Michel, neveux de l’abbé Barre de Montpellier avec lequel le P. d’Alzon est en lien, font leurs études au collège de l’Assomption à Nîmes. Le P. d’Alzon entretient aussi avec Michel Ménard une correspondance suivie dont il reste quelques témoignages dans les archives de l’Assomption. N’écrit-il pas à Mère Marie -Eugénie de jésus, le 19 février 1872, « J’ai encore parmi mes élèves un excellent sujet, Michel Ménard, professeur dans un petit séminaire, mais qui ne rêve que de l’Assomption. Faites prier pour lui » (2). Retraçons succinctement le parcours de vie de ce religieux, mort à 28 ans, profès in articulo mortes. Michel Ménard est né le 18 juin 1857 à Lunel. Il est conduit en 1863 au collège de l’Assomption à Nîmes par M. Louis Allemand. Désireux, dès le premier jour, de se faire religieux de l’Assomption, c’est un élève qui fait l’admiration de ses professeurs et de ses camarades pour son intelligence, son entrain et sa piété. Il a plus d’une fois l’occasion de servir la messe au P. d’Alzon. En 1871, il décide d’entrer au noviciat au Vigan (Gard), mais de pénibles épreuves en famille entravent sa vocation jusqu’en 1884. Professeur/précepteur en Belgique et en France, licencié en droit, il est inscrit au barreau, secrétaire de M. Keller, puis du baron Reille, attaché au ministère de l’intérieur et enfin à la rédaction du Moniteui-, mais nulle part il ne se sent arrimé au port avant de gagner le rivage de l’Assomption. En octobre 1884, il peut enfin frapper à la porte du noviciat d’Osma en Espagne où l’accueille le P. Enunanuel Bailly, reconnaissant qu’il est à l’Assomption de cœur depuis vingt ans et qu’il postule depuis quinze ans. Il prend l’habit le 28 octobre 1884, sous le nom de Frère Marie -Michel. Son entrée dans la vie religieuse n’est en fait qu’une préparation à la mort. Toujours modeste malgré son expérience de vie et ses relations, il s’applique parmi ses confrères à exercer les tâches les plus effacées. Il n’est pas rebuté par les sacrifices et privations du temps de noviciat. On doit même le modérer devant des accès d’austérité. Il se livre avec ferveur au régime de vie de prière nourri du noviciat. Vers le milieu du mois de décembre 1884, son état de fatigue nécessite un changement d’air. On l’envoie en France, mais en route il est pris d’un violent accès de fièvre qui le conduit au délire. Il doit s’arrêter à Morcenx (Landes). Trois jours après, le 21 décembre, ayant fait sa profession in articulo mortis, il rend le dernier soupir, après avoir placé son chapelet sur sa poitrine, les bras en croix et tenant en main le crucifix que lui avait donné le P. d’Alzon. Il est à peine entré dans sa28ème année depuis 5 mois.
Le corps du Frère Marie-Michel repose au cimetière de Lunel.
Réflexions d’un ancien élève sur une vocation qui s’est éloignée.
« Flandin que j’ai vu ces jours derniers à Paris m’a dit, après vous l’ avoir entendu dire, que vous étiez étonné de ne pas recevoir de lettre de moi. Il paraît que j’ai tous les torts; je ne le pensais pas, mais j’en suis très certainement capable. J’aurais rompu depuis longtemps le silence sans plusieurs préoccupations qui mont fait négliger bien des devoirs et bien des convenances. Mon élève a été menacé d’une fièvre muqueuse; puis Joseph et les difficultés inextricables que sa faute nous a suscitées à tous, puis 5 ou 6 semaines de vacances à Pâris, un voyage à Douai et que sais-je encore? Mais assez d’excuses, n’est-ce pas? Votre dernière lettre m’a fort touché. Elle a frappé dans mon cœur un coup qui y a réveillé bien des souvenirs endormis,, elle m’a aussi confirmé cette inaltérable affection que vous me portez et qui résiste toujours aussi forte, aussi serrée, aux coups du temps, aux négligences, aux froids momentanés. Vous me paraissez croire encore à ce que, étant plus jeune, nous regardions vous et moi comme une vocation sérieuse. J’y ai pensé souvent, j’y pense encore quelquefois, maire je n’y crois plus. C’étaient de vagues désirs, chauffés à la flamme ardente de mon imagination encore pure. La preuve que ce n’était pas un véritable appel, c’est qu’il n’a pas duré. Les désirs se sont rallumés plusieurs fois, mais toujours avec une moindre intensité, aujourd’hui ils se sont éteints. J’aurais fait un mauvais religieux si, près de franchir le seuil de la vie monastique, je n’avais pas soudain reculé. Dieu ne veut pas sans doute que je sois moine. Il ne m’eut pas donné, s’il meut créé pour la chasteté, le tempérament et les ardeurs dont il m’a doué. S’il meut créé pour l’obéissance, pensez-vous que j’aurais eu cette humeur capricieuse, indépendante, cet. orgueil, cette ambition que vous connaissez mieux que moi, que vous avez vu bouillonner dans mon âme ouverte par moi à vos regards; la pauvreté, ah! Dieu m’a donné à elle et les vertus qui naissent d’elle, je pourrai très probablement les pratiquer dans le monde, j’aurais pu les pratiquer déjà! je ne la crains pas. Par moments, j’ai su en savourer les douceurs. J’ai bu les larmes de la misère, ces larmes qui nous lavent le cœur et qui nous le parfument. Donc je ne suis pas fait pour la vie religieuse. J’ai l’humeur d’un gyrovague, mais il n’y a plus de gyrovagues. Vous savez que je fais mon droit. Je crois que mes parents en sont heureux. Je trouve cette étude peu récréative et la perspective d’être avocat humiliante. Mais je serai avocat. Je ne connais rien de plus méprisable. Je me mépriserai davantage. Le commencement de la sagesse est de mépriser les autres et la fin c’est de se mépriser soi-même. Qu’en pensez-vous? Adieu. Je ne vous ai pas parlé de ce pauvre Joseph. Comment vont Chailes et Augustinî Mes compliments à mes anciens maîtres et amis, entre autres à Goubier. Adieu encore, tuissimus ». (1) Cf L’Assomption, 1911, n° 177, p. 141. Joseph Ménard est le fameux Michel Désars du roman Adveniat de Louis de Chauvigny, 1902. (2) Lettres d’Alzon, tome IX (1871-1872), édit. 1994, p. 307.
Bibliographies
Bibliographie et documentation: Souvenirs 1885, n° 39, p. 217-223. Association des anciens élèves de l’Assomption, février 1885, n° 8, p. 317-321. Notice biographique par le P. marie-Alexis Gaudefroy. Lettre du frère Mihel-Marie Ménard au P. Picard, Hendaye, 7 octobre 1884. Lettre de Michel Ménard au P. Emmanuel Bailly, Schooten-lès-Anvers, 26 avril 1875 (chez M. le Chevalier Ch. Van Praet, bourgmestre) . Le Frère Marie-Michel Ménard est l’auteur de la vie de saint Ephrem, publiée dans la collection de la Bonne Presse, La vie des Saints. Dans les ACR, du Frère Marie-Michel Ménard, quelques correspondances (1871-1884)