Victor (Pierre) UGINET – 1864-1886

Rome, 1883.
« Cette fois-ci, je n’écris pas de lettre pragmatique, mais j’interromps
volontiers le silence du Carême pour venir vous trouver au milieu de vos
prédications, dans cette maison de Nîmes où vous nous avez enfantés à la
vie religieuse.
Voici des nouvelles: le P. Alfred
[Mariage] est parti pour
Marseille et le Frère Maxime
[Viallet], après de longues hésitations, s’est décidé sur avis médical à ne
pas aller à Jérusalem. Me voici économe, infirmier et cellerier, triste
sort! Econome sans argent, je suis obligé de mêler la cuisine avec st
Thomas. Le Frère Bernard Fortin est loin d’être guéri de sa bronchite, il
est épuisé par la fièvre. Nous avons eu la chance d’être bénis par Léon
XIII, samedi dernier: c’était l’anniversaire de son couronnement et il
devait se rendre à la Chapelle Sixtine. A partir de 8 h., le grand escalier
était envahi, la place est aux
premiers. Les Suisses arrêtèrent cette foule compacte, mais chacun jouait
des coudes. La digue fut rompue, ce fut l’avalanche. Les portes craquaient,
les escaliers escaladés, les salles envahies: quel spectacle! Nous étions
les premiers. L’accès de la Sixtine était gardée, nous avons dû nous
contenter d’inonder la salle du trône et la salle ducale… ».

Religieux français. Jeunes et courtes années. Pierre Uginet est né à Césarches, près d’Albertville (Savoie), le 15 janvier 1864. Il est des premiers à connaître les origines de la fondation des alumnats Notre-Dame des Châteaux (Savoie), Le Vigan, Alès et Nîmes (Gard). Il y connaît le P. d’Alzon à la fin de ses jours (1), en 1879-1880. C’est à Nîmes que le jeune Pierre prend l’habit le 29 septembre 1879, sous le nom de Frère Victor. Il prononce ses premiers vœux un an après. Le P. Emmanuel Bailly remarque «qu’il est difficile de porter un jugement bien précis sur ce novice qui a encore les allures de l’enfant ou de l’écolier. Son caractère -semble avoir besoin d’être tenu avec fermeté, mais il y a un fonds de foi, de franchise et de vie qui permet de concevoir de bonnes espérances. C’est une affaire de temps. Il y a chez lui de la distinction et de l’entrain, du cœur et de la simplicité. L’esprit de l’Assomption s’harmonise avec ces dispositions ». En novembre 1880, il nia pas encore ses 17 ans! Il part pour Osma en Espagne où il achève sa deuxième année de noviciat, tout en faisant de la philosophie (1881- 1882). Il y prononce ses vœux perpétuels le 29 septembre 1881. Les supérieurs l’envoient alors à Rome pour étudier la théologie (1883-1884). Il a la chance de pouvoir participer au premier pèlerinage en bateau à Jérusalem. A la communauté de Rome, le Frère Victor est chargé également de l’économat si l’on en juge par ce billet que lui adresse P. Picard, le 10 mars 1883: « je félicite le nouvel économe, mais j’ai bien envie de le laisser pâtir, car j’ai absolument défendu de faire des comptes et donné l’ordre de payer au jour le jour. Orje vois par les notes que vous m’adressez, qu’on paie au mois le boulanger, l’épicier, le boucher, le blanchisseur, le laitier. Ce n’est pas ainsi que vivent les pauvres. Page :133/133 On ne leur ouvre pas de crédit parce qu »ils n’ont rien. J’a vais déjà prévenu et je suis désolé qu’on n’ait pas obéi à la lettre. J’ai passé assez longtemps à Rome et jamais ouvert de compte ni chez le boucher ni chez l’épicier. Suivre cette méthode, c’est la ruine, sans compter que c’est très peu religieux. Rappelez-vous que l’économie est impossible avec des économes qui ne paient pas au jour le jour, surtout à Rome. Prenez de bonnes habitudes et veillez à ce que les richesses de votre esprit et les trésors de votre vertu soient plus abondants que ceux de votre caisse. Soyez un petit saint et travaillez à devenir un vrai thomiste ». Sans doute la leçon est- elle entendue, mais le jeune Frère Victor doit rentrer en France et laisser ses études à cause de la maladie de la tuberculose (1885). Il est soigné quelque temps chez les Petites Sœurs de l’Assomption, à Paris-Grenelle, fait de rapides séjours à Notre-Dame des Châteaux en Savoie. Il connaît le même destin que son compatriote et co-novice de 1879, le Frère Pierre Dupuy. C’est aussi à Nîmes que le Frère Victor meurt le 27 mars 1886, à l’aube de sa vingt-troisième année. Il est inhumé dans la tombe de l’Assomption, à Saint-Baudile. Témoignage posthume et anonyme. « Combien la mort du pauvre Frère Victor m’a été au cœur. Voilà les deux colonnes du noviciat de Nîmes parties pour le ciel. Ce bon Frère qui avait tant édifié pendant le pèlerinage de Jérusalem, que le médecin du bateau chérissait, que le capitaine Fortier adorait, qui avait converti le médecin et l’avait fait communier au Mont de l’Ascension, puis l’avait conduit à Bethléem! Il me disait il y a un an, pendant qu’il était chez les Petites Sœurs: ‘Avec les soins que l’on me donne, je vivrai encore un an. Le pauvre enfant ne se trompait pas. ‘Si je n’étais pas soigné comme je le suis par Sr Gonzague, je n’en aurais pas pour six mois’. ». (1) Le Frère Victor Uginet est mentionné dans le dernier volume de la correspondance du P. d’Alzon .t. XIII, 1996, p. 370. Il figure également sur la photographie du noviciat de Nîmes, prise le 29 septembre 1879.ib. p. 424. Dans les dernières années de la correspondance du P. d’Alzon, sont mentionnés d’autres ‘Victor’ à ne pas confondre, le Frère Victor Cry et un autre Frère Victor, ancien domestique dont nous ignorons le patronyme, recruté par le P. Vincent de Paul Bailly. Nous connaissons par ailleurs le Frère Victor Borelly [Bourélly] ou encore Victor Cardenne. Page :134/134

Bibliographies

Bibliographie et documentation: Souvenirs, 1886, no 49, P. 315. L’Assomption 1897, no 11, P. 171. Lettre à la Dispersion, 1910, no 69, p. 275. Notice biographique par le P. Marie-Alexis Gaudefroy. Lettre du Frère Victor Uginet au P. Emmanuel Bailly, Rome, 7 mars 1883. Billet anonyme dans les papiers du Frère Victor. Dans les ACR, du Frère Victor Uginet, quelques correspondances (1882-1885).