Gabriel (Valentin Victor) CHAIGNON – 1880-1976

Le bouledogue de Tor di
Nona.
« Pour les générations d’étudiants qui se sont succédées le long du Tibre,
le Frère Gabriel restera toujours un personnage. Premier regard à vous
dévisager dès la porte d’entrée, il était l’ombre silencieuse qui hantait
les couloirs et les escaliers, un chiffon à la main, comme s’il poursuivait
sans relâche la poussière des rampes, des chambres, des appuis de fenêtre.
Un silence très relatif, car l’ombre parfois bougonnait lorsque la sonnerie
du téléphone lui paraissait tinter à contretemps. De l’unique téléphone
accroché à mi- chemin entre la porte d’accueil et la chambre du portier,
dans une encoignure ouverte à tous les vents, courants d’air déchaînés par
la cage d’escalier, effluves fusant de la ritirata voisine. C’était
l’époque où la maison généralice ne vivait pas encore à l’heure américaine.
Cela
nous valait donc le plaisir de surprendre le Frère Gabriel se dirigeant
sans aménité vers l’importun tintinnabulement pour décrocher l’appareil en
grognant un ‘pronto’ caverneux à souhait. La voix, l’instant d’après,
savait se faire onctueuse pour répondre
‘Subito, Signora’… P. D. Stiernon.

Religieux de la Province de Lyon.

Novice impénitent et cosmopolite.

Valentin Victor Chaignon est né le 7 mars 1880 à Vaiges (Mayenne), aux confins de la Normandie, dans une famille rurale et pauvre d’ouvriers agricoles. Orphelin de mère, désireux de devenir prêtre, le jeune homme va commencer des études au petit séminaire de la Mayenne, mais ne peut dépasser le niveau de la 4ème. Il veut alors entrer chez les Frères de Saint-Gabriel, mais le prix de pension est prohibitif. Son curé l’oriente vers l’Assomption: il entre à Livry comme postulant en 1895. De santé chétive, infirme de la main gauche, de caractère vif et ‘soupe au lait’, il n’est admis à la première profession qu’en 1913! En 1916, on le retrouve toujours novice à Athènes: sous le nom de Frère Gabriel, il a fait 3 ans à Livry (1895- 1898), 2 ans à Rome (1899-1900), 2 ans à Bure (1901-1902) où il demande alors à entrer chez les Bénédictins. Mais le voici à la fin de 1902 à New-York où il ne passe que quelques mois. Le P. Thomas Darbois qui n’y comprend rien supplie le P. Général d’envoyer en mission des gens sérieux et équilibrés, non des fauteurs de troubles! Le Frère Gabriel n’entre pas dans cette catégorie, mais il n’a pu se faire au climat, à la vie et à la langue de l’Amérique. Le Frère Gabriel passe alors dans une situation incertaine où il connaît la misère. Il supplie qu’on le reprenne à l’Assomption au moins comme domestique au pair. Il est alors admis 5 ans à l’orphelinat d’Arras, puis il est envoyé 5 ans à Londres. En octobre 1911, il est à Gempe, puis au Luxembourg avant de gagner Athènes auprès de Mgr Petit en mai 1912! Ce dernier le présente favorablement aux premiers vœux de trois ans; on lui reproche seulement de trop taquiner son compagnon, le Frère Jules Pector, sur sa patrie. En 1916, Mgr Petit présente à nouveau le Frère Gabriel aux deuxièmes vœux triennaux:

il ne cache pas dans le rapport un caractère susceptible et emporté, mais un cœur dévoué, une attitude franche et un attachement sincère à l’Assomption. Enfin, le 21 novembre 1919, le Frère Gabriel peut prononcer ses vœux perpétuels entre les mains de Mgr Petit, après 24 ans de vie religieuse! Le frère Gabriel reste à Athènes jusqu’en 1926. A cette date il est nommé à la maison généralice à Rome où il va rester jusqu’en 1957, à part trois années à Florence (1929- 1932) et les années d’errance de la Curie généralice pendant la seconde guerre mondiale qu’il suit à Paris, avenue Bosquet et Chaville (1939-1945).

« Ah ! Elle est belle votre Congrégation ! « Fr. Gabriel, romain.

Pendant quelque 28 ans, le Frère Gabriel a en quelque sorte servi la Congrégation à son sommet, d’abord au palais Filippani (Ara Coeli), puis sur les bords du Tibre à Tor di Nona. Portier, factotum à la boutade piquante et à la critique mordante, il sait rendre service et rabrouer. D’une propreté méticuleuse, il vit le chiffon dans une main et le chapelet dans l’autre. Il ravaude et lave son linge lui-même, utilise par pauvreté tout ce qui lui tombe sous la main et en fait bénéficier les gens pauvres du quartier. Rompu aux roueries romaines, ce bon bourru apprend aux jeunes étudiants à s’acclimater à la jungle des hommes et des choses et son expérience est précieuse, même à l’état-major de la Congrégation, pour découvrir toutes les arcanes de la ville de Rome. On peut dire de lui qu’il a passé sa vie à être dérangé, dans l’ineffable trio fraternel romain: Hermann, Jules et Gabriel. Une de ses boutades est restée célèbre, celle qu’il répète volontiers au P. Gervais Quenard lorsque quelque chose va mal: « Ah! Elle est belle, votre Congrégation! ».

Retour en France.

C’est en 1956-1957 que s’opère le retour définitif en France du Frère Gabriel, à Lorgues (Var). Ses dernières années le montrent attentif aux autres, paisible, mais ferme et volontaire jusqu’au bout. Il meurt, nonagénaire, le 15 décembre 1976 à Lorgues où il est inhumé.

Bibliographies

Bibliographie et documentation : Documents Assomption, Nécrologe (11), 1975-1980, p. 36-39. Souvenirs du P. Daniel Stiernon et du P. Corpacci sur le Frère Gabriel Chaignon, 1976. Lyon-Assomption, 14 février 1977, p.15-19. Le Frère Gabriel Chaignon a laissé quelques correspondances dans les ACR (1901- 1946).