Georges Henri Tavard est né le 6 février 1922 à Nancy, de Henri et de Mme née Marguerite Wasser. La famille compte deux autres garçons, Maurice et Jean et une fille Anne-Marie.
La famille s’honore de compter parmi ses ancêtres, le Bienheureux Jean Martin Moye, des Missions étrangères de Paris, missionnaire en Chine au 18ème siècle et fondateur de la congrégation de sueurs de saint Jean de Bassel et de Portieux.
Le papa a vécu une dizaine d’années à Hong-Kong et parle couramment l’anglais.
Georges a été baptisé en l’église Saint Vincent et Saint Fiacre de Nancy et a été confirmé le 18 juin 1933 à l’école Saint-Sigisbert, de Nancy. C’est dans cette école qu’il a fait ses études de la 11ème à la philosophie (1928 à 1939), puis il commence une licence de lettres à Caen (1939-1940) avant d’entrer au grand séminaire de Nancy (1940-1942) pour la philosophie scolastique.
Il décide d’entrer chez les Assomptionnistes après avoir rencontré le P. Merklen, directeur du journal « La Croix ». La belle figure de ce religieux journaliste l’attire à l’Assomption, lui et son ami séminariste, Yves Namur. À Mgr Fleury, l’évêque de Nancy, qui lui demanda le pourquoi de cette décision, Georges répondit qu’il avait trouvé dans notre congrégation un véritable esprit catholique. L’évêque s’en étonna, estimant qu’il était lui aussi bon catholique. Georges lui expliqua que le sens catholique du Père d’Alzon était plus qu’une appartenance confessionnelle, mais une attitude par laquelle « on s’efforce de s’ouvrir soi-même à l’ampleur et à l’amplitude, à la catholicité de l’Église ». Avec cette découverte du sens catholique chez le Père d’Alzon, Georges posait les premiers jalons de sa passion œcuménique.
Il a pris l’habit religieux à Pont-l’Abbé d’Arnoult en Charente-Maritime le 26 décembre 1942, sous la direction du P. Régis Escoubas, et a prononcé ses premiers vœux, le 27 décembre 1943. C’est à Lyon qu’il a été reçu à la profession perpétuelle, le 27 décembre 1946, par le P. Marie-Germain Filliol, provincial de l’Est. Il a accompli ses études de théologie aux facultés catholiques de Lyon, de 1943 à 1948. Ordonné diacre par le cardinal Gerlier le 24 février 1947, il a reçu l’ordination sacerdotale le 2 mars 1947 à Scy-Chazelles (Moselle) des mains de Mgr Heintz, évêque de Metz. À Paris, il obtient un baccalauréat en philosophie scolastique en 1942, et à Lyon, un doctorat en théologie le 27 juin 1949. En 1965, il recevra un doctorat en Divinity, honoris causa de la Methodist theological School. On lui reconnaît la double nationalité française et américaine.
Ses résidences:
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1948-1951: Capenor House, scolasticat de philosophie de la province anglaise où il est professeur et sous-prieur.
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1951-1952: Paris, Bonne Presse à la Documentation catholique
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1952-1957: paroisse de la Guadalupe à New York
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1957-1958: à l’Assumption College de Worcester
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1958-1959: à la paroisse de l’Esperanza à New York
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1959-1964: Georges est amené à vivre hors-communauté pour remplir une mission dans l’enseignement. Il est alors professeur de théologie à Pittsburgh en Pennsylvanie.
En septembre 1960, il est nommé par Jean XXIII, consulteur près le secrétariat pontifical pour l’unité des Chrétiens. Il participe aux réunions préconciliaires. Et entre 1962 et 1965, il participe comme expert, peritus, à Vatican II.
De 1965 à 1990 tout en étant rattaché à la maison provinciale, Georges poursuit sa carrière de professeur en théologie à la Methodist Theological School (Ohio) dont il se retira en 1990 avec le titre de professeur émérite. C’est en 1990 qu’il devient membre de la communauté de Brighton, près de Boston.
Georges collabore à de nombreuses institutions universitaires, tel le Princeton Theological Seminary, The Josephinum School of theology, Marquette University (1992-1994), Hekima College au Kenya (1998), Regis College à Toronto (1999) et donne de nombreuses sessions et conférences à travers le monde et cela jusque ces derniers mois. Le P. Georges Tavard a beaucoup publié surtout théologie, histoire des religions, vies des saints, œcuménisme.
George Tavard était membre de la commission préparatoire Anglican- Catholique Romain en 1968, puis membre de la même commission (ARCIC I) jusqu’en 1983. Il se consacra ensuite aux rencontres avec le Conseil Méthodiste Mondial. Il participa activement au dialogue institutionnel de l’Église catholique américaine avec l’Église anglicane (Episcopalienne) et les Luthériens américains.
George mourut subitement à l’aéroport d’Orly, le 13 août 2007, alors qu’il s’apprêtait à embarquer en avion pour rentrer aux Etats-Unis.
Obsèques du P. Georges Tavard, aa
(église Saint-Dominique, Paris 14e, le 21/08/2007. Evangile : Jean 17, 20-26)
« Que tous ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21). Cette prière que Jésus adresse à Dieu son Père, juste avant d’être livré et de mourir pour le salut de l’humanité, nous la comprenons souvent d’une manière univoque. Nous l’appliquons à une grande cause : le mouvement des chrétiens pour retrouver l’unité entre disciples du Christ, séparés par des siècles de schismes et de haines, de jugements violents d’hérésies et d’anathèmes. Ce mouvement qu’on appelle l’œcuménisme et qui occupa tant de place dans la vie et l’ œuvre de notre frère Georges Tavard.
Il se trouve que ce mouvement de dialogue et de rapprochement entre les Eglises s’est déclenché au fil du XXe siècle, et la génération de Georges a donc pu suivre en direct les germinations, voire les bouleversements que l’œcuménisme aura introduits dans le paysage ecclésial tout au long de ce siècle, « son » siècle. Il n’est que de rappeler les dates des grands rendez-vous fondateurs : Conférence missionnaire mondiale à Edimbourg en 1910, conférence mondiale Vie et Action à Stockholm en 1925, création de Foi et constitution à Lausanne (1927) et de Christianisme pratique à Oxford (1937), et bien sûr naissance du Conseil œcuménique des Eglises à Amsterdam en 1948, au moment où notre frère bouclait ses études de théologie à Lyon…
Ce n’est donc pas par hasard qu’il choisira ce champ théologique pour y investir toute sa vie intellectuelle, et on ne s’étonnera pas que son premier livre (avant plusieurs dizaines d’autres !), paru à la Bonne Presse en 1952, se soit intitulé ‘L’angoisse de l’unité’ ! Et c’est cet engagement résolu, dès la première heure, qui lui aura valu à sa mort l’hommage du Vatican, le cardinal Walter Kasper déclarant que « Georges Tavard doit être considéré comme l’un des grands pionniers du travail œcuménique catholique ».
Mais il n’y a qu’une date à retenir, côté catholique, en ce « siècle œcuménique », c’est celle de Vatican II : le Concile, auquel le pape Jean XXIII appela le P. Tavard à venir participer comme ‘peritus’, « expert » au sein du Secrétariat pour l’unité des chrétiens qu’il venait de créer.
Je ne vais pas reprendre ici son parcours biographique qui nous a été rappelé au début de cette célébration. Mais je voudrais redire ce qui était, je crois, deux de ses grandes convictions:
– D’abord, l’œcuménisme n’est pas « un » secteur de la vie ou de la pensée de l’Eglise, mais il doit en imprégner la totalité. C’est ainsi que le premier travail du Secrétariat auquel Georges participa à Vatican II n’était pas de préparer un décret sur l’œcuménisme, mais, disait-il en citant Mgr Willebrands qui en était la cheville ouvrière, sa tâche était « d’insuffler une dimension œcuménique dans toutes les décisions du Concile », et de faire ainsi œuvre d’espérance.
– Son autre grande conviction, qu’on lui demanda de mettre en forme dans le texte du décret de Vatican II sur l’œcuménisme, était que celui-ci n’allait jamais sans conversion intérieure. C’est pourquoi, dit le Concile sous la plume de notre frère, « nous devons humblement demander pardon à Dieu et aux frères séparés, de même que nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » (UR n.7).
Mais, lorsque Jésus prie son Père pour que ses disciples « soient un », il me semble qu’il ne pense pas seulement à toutes ces querelles qui, au long des siècles, allaient déchirer sa robe sans couture. Il demande d’abord à Dieu que cette unité soit la marque de chaque communauté chrétienne, en son sein même, de quelque bord qu’elle soit, y compris, bien sûr, nos communautés religieuses ! Le P. Tavard, dont nous savons aussi la fréquentation passionnée qu’il avait de saint Augustin, ne manquait jamais de rappeler l’appel qui ouvre la Règle donnée par notre père l’évêque d’Hippone à ses communautés : « Avant tout, vivez unanimes à la maison, ayant un seul cœur et une seule âme tournés vers Dieu. » L’unité à laquelle sont requis les disciples de Jésus-Christ est d’abord celle de l’amour mutuel, à revivifier chaque jour à travers la vie fraternelle.
Ce qu’il faut noter ici, comme un clin d’œil de la grâce de Dieu et un signe de la cohérence de son appel, c’est que l’amour fraternel ainsi vécu par les chrétiens sera une pierre de fondation pour l’unité des Eglises. Pour citer à nouveau le décret conciliaire que le P. Georges contribua à rédiger, «les fidèles favoriseront l’union des chrétiens – bien plus, ils la réaliseront – dans la mesure où ils s’appliqueront à vivre plus purement selon l’Evangile ». Je ne sais pas à quel point Georges aura été un modèle de vie communautaire (dieu seul le sait !), mais j’ai toujours été en admiration devant le caractère incarné de son engagement œcuménique : une multitude de cours, de colloques et d’instances de dialogue officiel, certes, mais d’abord l’ascèse du contact quotidien avec des chrétiens d’autres confessions, dont il a reçu beaucoup grâce à cette vie en commun. Tant il était convaincu que « les Eglises doivent s’attacher vraiment à la tâche d’apprendre les unes des autres, théologiquement et pratiquement, comment vivre ensemble ».
Je voudrais pour conclure évoquer encore, très brièvement, un troisième registre de l’unité à laquelle Jésus nous appelle : non seulement celle qu’il nous faut retrouver entre Eglises séparées, non seulement celle que nous devons tisser chaque jour au sein même de nos communautés et de nos familles, mais aussi, et peut-être avant tout, l’unité intérieure de chacun/chacune d’entre nous, en tant que disciples. « Qu’ils soient un en nous », disait le Christ à son Père dans sa prière. Et le décret conciliaire sur l’œcuménisme, une dernière fois : « Plus étroite sera leur communion avec le Père, le Verbe et l’Esprit-Saint, plus ils pourront rendre intime et facile la fraternité mutuelle. » La communion avec Dieu-Trinité, c’est-à-dire Dieu lui-même comme modèle d’unité parfaite dans la diversité réconciliée – et c’est pourquoi, selon le témoignage d’un théologien américain qui a consacré son doctorat à la théologie de Georges Tavard (le P. Marc Alexander, vicaire général de Honolulu), celui-ci désirait que l’on lise l’ensemble de cette œuvre comme « un témoignage rendu au mystère de Dieu », Dieu comme Trinité.
Frères et sœurs, l’appel du Christ à l’unité, que nous avons lu dans l’Evangile de saint Jean, ne se limite pas aux « professionnels » de l’œcuménisme : nous avons tous à en être les artisans, en commençant par nous préoccuper de notre propre qualité de vie spirituelle… Convenons, toujours avec Vatican II, que là non plus cela n’ira pas « sans conversion intérieure ». Georges Tavard l’avait perçu, notamment en fréquentant saint Jean de la Croix, et je lui laisse donc le mot de la fin : « La conversion intérieure, fruit de la grâce divine, peut exiger que l’on passe par les nuits active et passive de la foi qui sont nécessaires à la purification de la mémoire et à la perfection de la charité… » Amen!
P. Michel Kubler