Pierre (Pierre-Marie) MOISAN – 1890-1985

Une grande âme.
« Serviteur de tous, croiriez- vous que le Frère Pierre eût l’âme servile?
Ce serait se méprendre totalement. Il n’y avait à tout son comportement
qu’une explication. il ne comptait pour rien et c’est pourquoi il était
libre! Reconnaissez-le à l’attention qu’il vous donne. Et soyez rassuré: il
vous a vu et entendu une fois, vous êtes enregistré, il ne vous oubliera
plus
jamais, il saura même vous reconnaître à la voix quand il sera aveugle.
Avez-vous besoin d’un service? Le voici libre et disponible. Lui
demandez-vous de ses nouvelles? C’est inintéressant et il vous répond. Et
vous? Partez-moi de vous et d’un tel de votre famille, comment va- t-il,
est-il guéri? L’avant-veille de sa mort, passe à Layrac un missionnaire du
Brésil. C’est lui, Pierre, qui a limitative d’énumérer les 17 religieux
A.A. qui sont là-bas, pour en avoir des nouvelles. Ame servile? Voyez son
sourire! Taquinez-le, il est aussi malicieux que vous pouvez l’être.
Racontez une anecdote, il éclate de rire comme un enfant. Inhibé, timide?
Certes pas! Ni dupe de qui que ce soit, mais si finement lucide!
Et pourtant voyez comme il vous accueille, comme il va vous servir, comme
il vous comprend … ».

Religieux de la Province de France.

Un nonagénaire à la vie pleine.

Pierre Moisan est venu au monde, le 12 octobre 1890, à Pleugriffet (Morbihan). Entré au Bizet (Belgique) comme alumniste en 1906, il y commence un noviciat quelques années plus tard, accomplit son service militaire à Lille (Nord), de 1911 à 1913 et se trouve mobilisé pendant toute la durée de la première guerre mondiale, de 1914 à 1919. Il gagne ensuite Elorrio au pays basque espagnol, y prononce ses premiers vœux le 28 août 1921 et ses vœux perpétuels en août 1924. Nommé à la communauté de Bordeaux-Caudéran (Gironde) en 1933, il y reste jusqu’au 29 juin 1984, soit 51 ans! Affaibli, il se retire à Layrac (Lot-et-Garonne), mais il y souffre de n’avoir rien à faire, réclame volontiers un tablier ou une binette et prie beaucoup. A partir de juillet 1985, il décline peu à peu, mais garde toute sa tête et toute sa mémoire, s’intéressant aux visiteurs et demandant des nouvelles de chacun. Il s’éteint sereinement dans l’après-midi du mercredi 27 septembre 1985, à 95 ans et Il mois. Le 30 septembre, le Provincial de France, le P. Claude Maréchal, entouré de nombreux religieux, préside les obsèques. Le Frère Pierre repose au caveau de Layrac, auprès du P. Francis Le Goff, son grand ami, et du P. Alcime Trémelot, son compatriote et aîné de 15 jours, décédé un mois plus tôt.

De l’homélie du P. Vincent Hémon.

« Notre cher Frère Pierre est parti et, depuis lors, nous vivons un paradoxe: lui si discret, si, silencieux, voici que son souvenir se fiait plus envahissant que ne le fut jamais sa présence, au point que, pour en parier, il faut se dire d’abord qu’il est impossible de tout rappeler et qu’il faut choisir. Pour résumer, je serais tenté de dire: un pauvre de Dieu a vécu parmi nous. N’ayant rien et se prenant pour rien, il a laissé à Dieu toute liberté de se développer en lui. Il a présenté cette disponibilité hors de laquelle le Puissant lui-même ne peut pas déployer ses merveilles. Mais il en est,

dit l’Evangile, à qui cela est donné. Ne rien avoir: pour le Frère Pierre, cela a commencé dès sa naissance. Les ouvriers agricoles du Morbihan, en 1890, n’étaient pas pauvres, ils étaient misérables. Ni viande, ni vin, ni chauffage dans leur masure, ni vêtement confortable, aucun bien au soleil, aucune garantie de travail, salaire de misère. Il en est donc à qui le Seigneur ne demande pas, pour le suivre, de vendre tout leur bien, et pour cause! Il leur donne d’emblée la liberté nécessaire pour répondre à son appel cette liberté que beaucoup ne récupèrent jamais au long d’une vie. Heureux celui qui, né dans la pauvreté, ne cesse jamais de l’apprécier, non pas par contrainte sociale, mais pour raison évangélique! Tels étaient ses parents. Et tel il était. Le jour où le Seigneur passa, le jeune homme riche s’en alla tout triste. Mais Pierre quitta les siens, une grande joie au cœur. Il avait 16 ans. Rien ne le retenait, rien n’allait jamais le retenir. Déjà il était celui dont le Seigneur est la richesse, une richesse qui comble et accomplit. Quand je l’ai rencontré la première fois, il y a 50 ans, il paraissait à nos yeux d’adolescents un homme déjà accompli: toute la suite n’a fait que le confirmer. Il avait tenté quelques études, sans succès suffisant au jugement de ses maîtres. Le sacerdoce ne serait pas son lot, mais toute la richesse de la vie religieuse. Il est mobilisé dès la déclaration de guerre en 1914, il a souffert avec ses compagnons, glané une multitude de souvenirs dont ceux qui émergeraient le plus volontiers rapporteraient les anecdotes les plus désopilantes, et pas toujours glorieuses. Ensuite le voici en Espagne, de 1918 à 1933, puis en France, à la communauté de Caudéran et à la paroisse Notre- Dame de Salut. Il est voué à la vie fraternelle de la communauté religieuse et aux travaux les Plus humbles de la maison, à l’église et au jardin, mais qui requièrent tant d’amour. Il se prenait pour rien, disant qu’il n’était que Frère. Comme cela se fait habituellement, ses supérieurs l’avaient consulté, il y a quelques années, pour le choix du supérieur de sa communauté. Sa réponse est un chef-d’œuvre: ‘Ayant vécu de longues années sous l’ancien régime de la Congrégation, les Constitutions d’alors spécifiaient très fortement ceci: les Frères convers n’ont aucune part au gouvernement, soit de la Congrégation, soit des maisons dans lesquelles ils se trouvent. Aussi, devant la réponse motivée que vous demandez à chacun des membres de la communauté pour la nomination d’un supérieur, point n’est besoin de vous dire dans quel embarras se trouve le plus ignorant et le dernier de tous. A ma pauvre jugeotte, le plus apte à assurer le souci de la liberté de chacun et l’unité de tous serait le Père… D’avance j’accepte avec joie celui que l’obéissance nous enverra. Je demande au bon Dieu d’alléger la grande responsabilité qui l’attend. Se compter pour rien! Voyez-le se précipiter pour vous ouvrir la porte. Vous ne saurez pas, à table, ce qu’il aime ou n’aime pas; lui donnez-vous le choix entre ceci ou cela, il répond. ‘C’est bon. Manque-t-il quelque chose où que ce soit, n:y courez pas, il l’a vu le premier et il y est déjà. Avez-vous l’air pressé? Il s’efface contre mur ou cloison. N’insistez pas pour l’aider. vous l’impatientez. L’échelle qu’il porte vous paraît-elle lourde, vous en prenez une extrémité. Peine perdue, il la prend par le milieu!… ».

Bibliographies

Bibliographie et documentation: Documents Assomption, Nécrologe (III) 1984-1986, p. 90-91. Assomption-France, Nécrologie n° 4, année 1985, p. 91-93. Voulez-Vous? (Layrac) , 1986, n° 135, p. 8-13. Dans les ACR, du Frère Pierre Moisan, correspondances (1914-1927). Sur l’Assompticn à Bordeaux et Bordeaux-Caudéran: PP. Alphonse Picot: et Protais Jaïn, L’Assomption à Bordeaux depuis la fondation (1892- 1964), pro manuscripto. L’Assomption à Caudéran dans L’Assomption et ses Oeuvres, 1932, n° 376, p. 184. Vente de Caudéran. A.T. L. P. (Paris) , décembre 184, n° 36, p. 20.