Pierre-Rogatien (Joachim-Marie) SOREL – 1891-1926

Corps retrouvé, 1927.
« Le corps du petit Rungoat a été retrouvé le 4 juillet 1926 à
Saint-Mathurin, à l’issue de la messe célébrée par le vicaire, le P.
Yves-Gilbert Loiseau. Ce n’est qu’en mars 1927 qu’est retrouvé le corps du
Frère Pierre-Rogatien Sorel par un groupe de pêcheurs, vers la Daguenière,
un petit village à
15 km. de Saint-Maur. Quelle vision! Toute la partie supérieure du corps
était décomposée, seul le squelette restait, les membres étaient en partie
disjoints, la tête tenant à peine, le bras gauche manquant et l’avant-bras
droit aussi. Le corps n’avait pas dû être ensablé immédiatement, ce qui
explique ce manque de conservation. La partie inférieure du corps était
mieux conservée, grâce à la culotte que le Frère portait. Je l’ai
reconnu pour être parfaitement celle qu’il avait au moment de l’accident,
culotte noire de coton avec rayures grises, culotte courte rattachée au-
dessous des genoux par des filets ou rubans. Dans ses poches se trouvaient
son chapelet et deux sifflets de surveillant, de ces sifflets qu’il
fabriquait lui-même en bois de châtaignier. L’extrémité des pieds était
rongée, car il
n’avait pas de chaussures. Le corps du Frère repose dans le cimetière de
l’abbaye».

Notices Biographiques A.A

Religieux de la Province de Bordeaux. Sacrifice au prix de la vie. Joachim-Marie Sorel est né le 20 août 1891 à Bruc- sur-Aff, près de Pipriac (Ille-et-Vilaine). Il est le fils de Pierre et de Jeanne-Marie, née Robert, et le frère aîné d’Etienne qui deviendra à l’Assomption le P. Pacifique Sorel (1894-1976). Joachim est élève à Sart-les-Moines en Belgique, de 1919 à 1921, puis aux Essarts (Seine-Maritime), de 1921 à 1923. Le 31 octobre 1923, il prend l’habit au noviciat de Saint-Gérard en Belgique, sous le nom de Frère Pierre-Rogatien, et il prononce ses premiers vœux le ler novembre 1924, à Taintegnies, devenu noviciat tandis que Saint-Gérard devient scolasticat pour la philosophie. C’est dans cette dernière résidence qu’il étudie la philosophie, de 1924 à 1925. Il est alors envoyé à l’alumnat de Saint-Maur (Maine-et-Loire) où il trouve la mort de façon tragique, le jeudi ler juillet 1926, en se portant au secours d’alumnistes emportés par un trou d’eau de la Loire. Son corps n’est retrouvé que six ou sept mois plus tard. Il est inhumé dans le petit cimetière de l’abbaye, près de l’ancienne chapelle. D’une lettre du P. Félix Dufau au P. Gervais Quenard (3 juillet 1926). « Une laconique dépêche a dû vous apprendre quel terrible malheur vient de nous frapper. Nous sommes dans la consternation. Voici quelques détails sur l’accident. Jeudi dernier ler juillet, à midi, Pierre-Rogatien Sorel me demanda d’aller avec ses élèves se promener sur la Loire en barque, à l’occasion de sa fête. Comme il était très bon rameur, je ne fis aucune difficulté de le lui accorder. Et certes il n’y avait aucun danger, la Loire ce jour- là étant particulièrement calme. Par oubli, sans aucun doute, ni élèves ni professeur ne m’avertirent quels désiraient aussi prendre un bain. Je le leur auraient certainement défendu, en dehors des endroits fixés qui ne présentent aucun danger. Ils partirent tout heureux, remontèrent jusqu’à l’île située du côté du Thoureil, pour se laisser descendre ensuite au courant de l’eau vers Saint-Mathurin. Ils s’arrêtèrent à deux km. environ de Saint Maur, A.A en aval, et en face de la petite chapelle de Saint-Jean, située sur là paroisse de Saint-Rémy. Ils se trouvaient à l’extrémité d’une grève qui commençait à émerger par endroits. Un fort courant la rongeait dans toute sa largeur, déterminant des profondeurs subites, particulièrement dangereuses et que l’on ne soupçonne même pas. Les enfants se déshabillèrent dans la barque et sautèrent dans l’eau qui leur montait à peine jusqu’aux genoux, à tel point que M. Sorel fit descendre sa barque de quelques mètres et invita les enfants à le suivre afin de trouver assez d’eau pour nager. Les enfants s’arrêtèrent à nouveau et, insensiblement sans doute, la barque continua à dériver et se trouva sur un fond de plusieurs mètres et au milieu d’un assez fort courant. M. Sorel essaya de la retenir, mais sa perche, longue de trois mètres au moins, n’avait plus de prise. Craignant de ne pouvoir plus rejoindre ],es enfants dont il gardait les habits, il leur dit de remonter vite dans la barque. Ce fut désastreux. Six perdirent pied en même temps. Dans leur élan, deux purent accrocher la barque et, rentrés, aidèrent leurs camarades à monter aussi. M. Sorel tendit la perche à un autre dont on ne voyait plus que les mains et qui fut assez heureux pour la saisir. Tous étaient sauvés, sauf un plus éloigné que les autres, qui ne put les rejoindre. A cet endroit d’ailleurs, le courant butait contre la poin7 te d’une nouvelle grève, celle-là émergée, et bifurquait à droite et à gauche de la grève. L’enfant (1) était à droite et la barque s’engagea dans le courant à gauche. Impossible par conséquent de pouvoir le rejoindre. Aussitôt qu’il perdit pied, l’enfant se laissa couler et n’offrit aucune résistance. Bon nageur, sans hésiter, M. Sorel enlève sa soutane et plonge droit sur lui pour le prendre en dessous. Il y réussit mais l’enfant n’avait plus aucune force et la tête retombait constamment. Il essaya de le saisir par le caleçon qui se déchira; les cheveux coupés courts ne lui offrirent aucune prise. Il en fut réduit à le traîner par la main, mais dans le sens du courant qui de plus en plus l’éloignait de la barque. Chaque fois qu’il revenait au-dessus de l’eau, il criait. ‘Amenez la barque!. Mais que pouvaient sept enfants dont le plus âgé avait treize ans, pour manœuvrer une barque entraînée par un courant perpendiculairement opposé à celui qui entraînait les deux malheureux? M. Sorel cependant tenait toujours la main de l’enfant de sa main droite et nageait avec la gauche. Mais épuisé de fatigue et d’émotion, un remous plus violent l’engloutit lui-même avec celui que désespérément il tentait de sauver. Que se passa-t-il alors? Dieu le sait. Toujours est-il quels ne reparurent plus. je vous écris quarante-huit heures exactement après l’accident et nous n’avons pu trouver encore leurs corps malgré d’actives et de prévenantes recherches! Ces deux-là perdus, les sept autres restés dans la barque étaient loin d’être hors de danger. Le courant les entraîna en plein fleuve, et s’ils n’arrivaient pas à s’en dégager, infailliblement, ils allaient se briser contre les piliers du pont de Saint-Mathurin, au milieu d’un remous violent où les barques n’osent jamais s’aventurer, même manœuvrées par des gens de métier. Dieu aidant, ils parvinrent à se dégager du courant et purent aborder au milieu de saules à moitié déracinés où ils accrochèrent la barque et, d’un arbre à J’autre, gagnèrent la terre ferme … ». (1) Yves Rungoat, 13 ans, né à Plounéventer (Finistère).

Bibliographies

Bibliographie et documentation: Lettre à la Dispersion, 1926, n° 189, p. 177-180; n° 191, p. 193-194; 1927, n° 223, p. 100- 101. L’Echo de Saint-Maur, 1926, n° 1 (nouvelle série). Petit Courrier de l’Anjou, juillet 1926. Notice biographique par le P. Marie-Alexis Gaudefroy. Notices Biographiques