La compagnie des morts.

Merci, mon cher ami, de tout ce que vous voulez bien me dire pour les miens et pour moi, dans le malheur que Dieu nous envoie. On vous retrouve toujours là où il y a à partager la souffrance d’un ami, et c’est bien le caractère de la véritable affection d’aller surtout à ceux qui sont dans la tristesse. M. de Puységur est mort, comme il avait vécu, en chrétien. C’est une grande consolation en une si rude épreuve pour sa femme, qui pourtant a été trop brisée, même dans sa santé, pour venir encore auprès de ma mère. Et moi, seul à Nîmes pour l’évêché, il m’a fallu me contenter de lui écrire pour la soutenir, lorsque j’aurais tant voulu être auprès d’elle. A côté de cette douleur, Dieu en a placé une autre pour moi, d’un autre genre, mais non moins vive sous quelques rapports. Je tenais à mon beau-frère, surtout à cause de ma sœur et de ses enfants. Je tenais, depuis six ans, du fond de l’âme, à un jeune homme plein d’avenir, qui, après avoir eu les plus beaux succès dans ses classes, se destinait à l’école Polytechnique: à dix-sept ans, il avait déjà composé un dictionnaire chinois, travaillait en ce moment à un dictionnaire arabe. Sa facilité pour la poésie n’était pas moindre, et la dernière pièce de vers que j’ai de lui parle de ceux des enfants de l’Assomption que nous avons déjà accompagnés au cimetière. Du reste, il avait comme un pressentiment de sa mort, car sur la plupart de ses livres on a trouvé écrit ces mots: Dies mei sicut umbra declinaverunt et ego sicut foenum arui (1). Ce pauvre enfant avait écrit ses mémoires.

Lettre à Luglien de Jouenne d’Esgrigny (Lettres, t. I, p. 71-72).

(1) Ps 102 [101], 12: ĞMes jours sont comme l’ombre qui décline, et moi comme l’herbe je sècheğ. Il s’agit de Félix Hedde.