L’esprit des maîtres chrétiens.

Je sortais un jour du collège Stanislas, où j’avais été élevé vingt ans auparavant; j’étais en compagnie d’un de nos anciens députés les plus regrettés, et de M. Charles Lenormant, que les libres-penseurs d’alors venaient de forcer d’abandonner sa chaire à la Sorbonne. Deux jeunes gens vinrent se jeter à mon cou. – ĞQuels sont ces Messieurs?ğ me demanda Ferdinand Béchard; à leur accent, il les avait reconnus pour des compatriotes. – ĞCe sont, répondis-je, deux anciens élèves que j’ai été obligés de rendre à leur familleğ. – ĞAh! reprit M. Lenormant, j’ai eu tous les succès dans mon lycée; mais je n’ai jamais eu, une fois sorti, la pensée de conserver l’ombre d’une relation avec mon proviseurğ. Sauf les plus rares exceptions, tel est le grand privilège des maîtres chrétiens: le pouvoir de former des groupes, d’étendre leur action bien au-delà des années du collège. C’est cette puissance incomparable qu’il faut développer, accroître pour le bien; et le secret de notre influence, secret dont nous devons conserver précieusement le privilège, c’est que nous aimons nos élèves, que nos élèves se sentent aimés. Ailleurs on n’aime pas. En général, on donne, à dose plus ou moins élevée, du grec, du latin, des mathématiques, et même de la gymnastique; on ne sait pas donner de l’affection, et surtout on n’en reçoit jamais.

Discours de distribution des prix, 1872, d’après édition, Nîmes, Lafare, p. 8-9.

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