DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 150

26 aug 1868 Bagnères de Bigorre MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Le titre de fondateur. – Les rapports entre congrégations d’hommes et congrégations de femmes.

Informations générales
  • DR07_150
  • 3388
  • DERAEDT, Lettres, vol.7 , p. 150
  • Orig.ms. ACR, AD 1494; D'A., T.D. 24, n. 993, pp. 33-35.
Informations détaillées
  • 1 AUGUSTIN
    1 CONGREGATIONS D'HOMMES
    1 CONGREGATIONS DE FEMMES
    1 FONDATEUR
    1 JURIDICTION EPISCOPALE
    1 OBLATES
    1 PELERINAGES
    1 RELATIONS DU PERE D'ALZON AVEC LES ASSOMPTIADES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SAINT-SIEGE
    1 SOUCIS D'ARGENT
    1 TRAVAIL
    1 VOEUX DE RELIGION
    2 ALPHONSE DE LIGUORI, SAINT
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BASILE, SAINT
    2 BENOIT, SAINT
    2 PAUL DE LA CROIX, SAINT
    2 PICARD, FRANCOIS
    3 LOURDES
    3 MONTMAU
    3 NIMES
    3 ROME
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Bagnères de Bigorre, 26 août 1868.
  • 26 aug 1868
  • Bagnères de Bigorre
La lettre

Ma chère fille,

Je pars samedi. Si vos filles fussent allées à Lourdes dimanche, comme elles me l’avaient d’abord annoncé, j’aurais pu m’y trouver avec elles; mais le 1er septembre est trop tard. Nous avons sept Oblates qui feront profession le 6, et il faut que je sois à Nîmes quelques jours à l’avance pour les préparer. Vous me parlez de vos décisions à prendre et vous demandez si j’accepte la donnée de travailler à notre oeuvre(1). J’accepte, remarquez-le bien, toutes les données que vous voudrez; c’est une affaire de pure explication. Quand j’établis, il y a vingt-trois ou vingt-quatre ans, ce que je vous serais, il n’était pas question de me donner le titre de fondateur, auquel vous êtes revenue depuis. Ce titre emporte quelque chose avec lui. Que voulez-vous me donner de ce quelque chose? Voilà quel a été mon embarras, en présence de diverses paroles de vous. Je ne veux pas plus que vous ne voulez donner, seulement ce que vous voulez donner va-t-il au titre de fondateur? La question est là pour moi, et puisque vous trouvez que, dans la liberté plus grande que j’ai ici, je vous reviens, (ce qui n’est pas exact, je n’avais pas à vous revenir), vous pouvez voir au moins que je suis tout disposé à entrer dans vos vues, pourvu que je sache quelles elles sont.

Du reste, si le P. Picard trouve le moyen de me rembourser certaines sommes, si je vends Montmau, (le moment favorable arrive dans quelques mois seulement), si par conséquent je puis laisser le P. Emmanuel Bailly affranchi des soucis d’argent, j’espère avoir plus de temps pour aller à Paris, où en conscience je ne puis me rendre, avec les préoccupations qui pèseraient sans moi sur le petit et excellent supérieur, des jours de qui je ne veux pas hâter la fin.

Pour revenir à notre oeuvre, je vous dirai: 1° qu’en lisant toutes les décisions de l’Eglise dans ses conciles, j’ai été épouvanté en voyant les barrières sans cesse élevées entre les hommes et les femmes; 2° qu’à côté de cela pas un fondateur d’ordre depuis saint Basile, saint Benoît, saint Augustin jusqu’à saint Liguori et saint Paul de la Croix, qui, à côté des hommes, n’ait établi des femmes. Je m’arrête surtout aux derniers. Pourquoi cette obstination? D’abord, parce que c’est dans la nature des choses; ensuite parce que, pour ne parler que de nos jours, les têtes à gouvernement sont plus rares chez les femmes que chez les hommes. Mais ce qui me frappe surtout, c’est que si, de nos jours, les femmes doivent par l’éducation venir en aide à la défense de l’Eglise contre certaines tendances épiscopales, il importe qu’elles soient soutenues par des hommes dont les tendances seront avant tout catholiques. Cet argument ne serait pas à faire aux évêques, mais je suis sûr qu’à Rome il aurait un très grand poids.

J’en ajouterai un autre qui peut paraître paradoxal mais qui, au fond, est d’une incontestable vérité. Le cloître, contre certains dangers, est une barrière moins infranchissable qu’une certaine espèce de travail. Pourquoi? Parce que le travail absorbe, je parle d’un travail forcé. Or, je crois qu’à ce point de vue la Carmélite qui file sa quenouille dans sa cellule a plus de temps pour les écarts de son imagination que l’Assomptiade qui fait sa classe. Or, ce travail forcé dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les pensionnats, tend de plus en plus à se répandre. Enfin la Providence, selon moi, a permis qu’une association de 15.000 filles en relation avec une Congrégation de prêtres, – non religieux il est vrai, faisant des voeux pourtant – traversât deux-cent cinquante ans sans des inconvénients plus graves que ceux qui se rencontrent dans le clergé séculier des diocèses les plus fervents. Cette épreuve est pourtant quelque chose. Or remarquez, puisqu’il faut aller au fond, que la Fille de Charité et toutes les hospitalières ont à faire non seulement aux prêtres mais, je pense bien, aussi aux médecins. Il y a des scandales, dira-t-on. Il n’y en a donc pas autour des confessionnaux et dans les sacristies de paroisse? Faut-il supprimer les confessionnaux et les sacristies? Il me semble que les précautions seront toujours nécessaires et toujours, à certains moments, inutiles, même les grilles.

Voici donc le résumé des questions à poser sur cette matière:

1° L’expérience faite par les 15.000 Filles de la Charité, depuis plus de deux siècles, n’autorise-t-elle pas la conviction que, avec des précautions inspirées par la prudence chrétienne et sous la vigilance des évêques, on peut laisser les Congrégations de filles vouées à l’enseignement et aux autres oeuvres de zèle s’appuyer un peu plus sur des Congrégations d’hommes, fondées dans un but analogue.

2° Quelles seraient ces mesures de précaution?

3° Dès lors, quels rapports établir entre les religieux et les religieuses, d’une part, entre les religieux et les évêques, de l’autre(2)?

Voilà, ma chère fille, quelque chose à méditer. Je souhaite que vous en ayez le temps. Gardez-moi cette lettre. Je crois y avoir assez bien éclairci certains points de vue pour arriver à certaines conséquences.

Mille fois vôtre en Notre-Seigneur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Le P. d'Alzon répond ici à ce que Mère M.-Eugénie lui a écrit le 24 août (v. *Lettre* 3380, n. 2).
2. Sur ces questions, voir *Documentation biographique*, pp. 758-777.