DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 27

30 jan 1877 Rome COLLEGE de l'Assomption

De Nîmes à Rome – L’urbanisme des Piémontais – Les Pères du Séminaire français – Le regard de Pie IX.

Informations générales
  • DR12_027
  • 5841
  • DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 27
  • Orig.ms. ACR, AK 426; D'A., T.D. 33, n. 16, pp. 336-339; publiée par l'*Assomption*, 3e année, n°52 (15 février 1877), p. 221-222.
Informations détaillées
  • 1 BETISE
    1 BONHEUR
    1 BONTE MORALE
    1 CELEBRATION DE LA MESSE PAR LE RELIGIEUX
    1 CHEMIN DE FER
    1 COMMANDEMENTS DE DIEU
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 ENFER
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 FETE
    1 FONCTIONNAIRES
    1 GARES
    1 ITALIENS
    1 JESUS-CHRIST
    1 MAITRES
    1 PAPE
    1 PERFECTION
    1 PERSECUTIONS
    1 PROPRIETES FONCIERES
    1 RESPECT
    1 SAINT-SIEGE
    1 SAINTETE
    1 SAINTS
    1 SATAN
    1 SEMINARISTES
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 TRAVAIL MANUEL
    1 TRIOMPHE
    1 VERITE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VOL
    1 VOYAGES
    2 BELISAIRE
    2 BESSON, LOUIS
    2 BRICHET, HENRI
    2 DAUM, JEAN-PIERRE
    2 DIOCLETIEN
    2 ESCHBACH, ALPHONSE
    2 FREYD, MELCHIOR
    2 GAMBETTA, LEON
    2 NERON
    2 PAUL, SAINT
    2 PAULINIER, JUSTIN
    2 PIE IX
    2 RASPAIL, BENJAMIN
    3 BESANCON
    3 GENES
    3 LIVOURNE
    3 NIMES
    3 PISE
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-JEAN DU LATRAN
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PAUL-HORS-LES-MURS
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 ROME, SEMINAIRE FRANCAIS
  • AUX ELEVES DU COLLEGE DE L'ASSOMPTION A NIMES
  • COLLEGE de l'Assomption
  • Rome, le 30 janvier 1877.
  • 30 jan 1877
  • Rome
La lettre

Mes chers enfants,

Je vous ai promis de parler sérieusement, cette fois, et c’est très sérieusement que je me plains de la sottise des indicateurs italiens. En partant à 2 heures du matin de Nîmes, on est le surlendemain à Rome, vers 1 h. et demie de l’après-midi, pas tout à fait trente-six heures. Mais pour cela il faut découvrir, dans le coin le plus reculé du dit indicateur, que la voie par Livourne est la plus longue et qu’on peut aller tout droit de Pise à Rome. Il est vrai qu’alors on n’a le temps de visiter ni Pise ni Gênes. Mais quand on a vu plusieurs fois ces deux villes?

Enfin, nous aurions pu, si nous avions vu la note infiniment petite, dire la messe le jour de la conversion de saint Paul, et nous ne le pûmes pas. Ce fut très désagréable. Mais notre excellent caractère prenant le dessus, nous nous consolâmes en pensant que si nous n’étions pas arrivés vingt-quatre heures plus tôt, nous arrivions vingt-quatre heures plus tard. Il fallait bien payer une consolation pareille un certain prix. Le prix pour moi fut mon parapluie. Aussi à quoi bon des parapluies en voyage, sinon pour les perdre? Aussi qui m’en fera prendre désormais sera bien habile.

Enfin, nous approchons de Rome. Le chemin de fer italien fait semblant de prendre quelque chose de la rapidité du chemin de fer français. Nous saluons au loin la grande coupole, plus près Saint-Jean de Latran, plus près les aqueducs de Néron, si j’ai bonne mémoire, nous apercevons Saint-Paul hors-les-murs dans son immense et rêveuse solitude; nous franchissons les murs de Bélisaire; nous sommes arrivés dans cette gare, que le bon goût piémontais a placée à côté des thermes de Dioclétien, pour mieux établir la comparaison qu’on [peut] faire entre le grand Romain et le Polichinelle du progrès.

Maintenant, soyons juste. On a beaucoup détruit depuis six ans, mais on a beaucoup déblayé. Jamais la papauté n’eût osé toucher à certains monuments. Les successeurs de la papauté ont eu moins de scrupules. Est-ce que les honnêtes gens consentiront à faire de vils métiers? Ces métiers-là pourtant, il les faut pour l’ordre matériel. Si d’autres que le Pape se sont chargés de nettoyer certaines écuries, est-ce un si grand mal? Avoir des rues plus commodes, des pentes moins casse-cou(1), eh bien! j’estime cela. Et si le respect de la propriété empêche les gens qui croient aux commandements de Dieu de voler, de faire certains actes arbitraires, d’autres le feront. Ce sera tant pis pour eux, tant pis sans doute pour les propriétaires, mais on aura des rues mieux alignées.

Il me semble que je m’embrouille à propos des gens qui se font des consciences de travers pour avoir des rues droites. Je passe vite au Séminaire français, où nous ne retrouverons plus, hélas! ce P. Freyd si bon, si patient, si fin, si prudent, si ferme, quello santarello, comme l’appelait le Pape. Mais je retrouve mon cher Père Brichet, la perfection des économes, passé procureur, le P. Eschbach, le successeur du P. Freyd, dont les manières distinguées et avenantes rendent le Séminaire français si doux à habiter; le P. Daum, dont la tête tremblante sous le poids de la science qu’elle contient porte constamment l’empreinte d’une bonté prête à se dépenser pour les autres. Le caractère général des directeurs du Séminaire français, c’est le don d’eux-mêmes, de leur temps, de leur patience, (qui ne connaît pas la patience du P. Brichet ne connaît rien), de leurs exemples auprès des élèves, de leurs services dans la dernière mesure du possible auprès des étrangers(2).

J’ai parlé d’élèves. Celui que j’ai vu à la dernière place souhaitait être prêtre depuis dix ans. Son évêque avait voulu en faire un député; il se laissa faire, mais lui-même ne fit rien, manqua son coup, planta là sa position, et bien autre chose, et vint joyeux au séminaire. Un jour, le supérieur me donna deux élèves pour m’accompagner à Saint-Pierre: l’un avait été vicaire pendant deux ans, l’autre curé pendant quatre. Tous deux avaient fait leurs études théologiques; affaire de les recommencer à Rome. Quand on commence à parler du Séminaire français, on n’en finirait pas; mais quand mon cher Père Brichet éteint(3) le gaz au milieu d’une conversation du soir, il faut bien de force s’arrêter, faisant comme si le gaz s’éteignait.

A peine arrivés, nous réparons nos forces et je cours au Vatican demander une audience pour Monseigneur de Nîmes. L’archevêque de Besançon, arrivé l’avant-veille, l’eut pour le vendredi, celle de Monseigneur de Nîmes eut lieu le dimanche soir. Ce que dit le Pape soit à lui, soit à votre serviteur, une correspondance comme celle-ci doit respectueusement le taire. Ce qui est sûr, c’est que tout, absolument tout ce que Mgr Besson demanda fut accordé. Moi, je ne demandai que des bénédictions et je les obtins avec surabondance.

Pie IX a un don, celui de prêcher la sainteté par son regard. Je me demande en le contemplant quelle expression plus belle, plus lumineuse(4) imprégnée du reflet de Dieu, on pourrait lui donner un jour, si jamais on le canonise, comme je l’espère bien. Cette certitude très calme, très divine, de son pouvoir passe à travers des rayons ineffables de bonté. Prenez tout ce que vous pourrez rêver de plus admirable dans le père, le roi, le prêtre supérieur, le saint surtout, et composez-en, si vous pouvez, la physionomie de Pie IX.

Vous comprenez que pour dire tout cela très mal, mais du fond du coeur, il faut être sorti de l’audience assez satisfait, soit dit sans trop d’amour-propre. Je voudrais avoir pu comparer les facies de tous nos représentants, sénateurs, ministres, diplomates, rois, empereurs, présidents, avec cette figure que je ne crains pas de déclarer unique. Aujourd’hui, c’est l’idéal de la perfection dans la souffrance, la résignation, la force, la vérité, la joie de la persécution, l’amour des persécutés, le sentiment de la défaite infaillible de l’enfer, de la mission de Satan au service de Dieu, du triomphe futur, éternel de Jésus-Christ et des saints.

Gambetta et Raspail(5) sont pourtant bien plus forts, n’est-ce pas? N’en ai-je pas trop dit? Oh! que je sens bien que je suis au dessous de mon sujet! J’y reviendrai peut-être. Quand on sort de chez le Saint-Père, on n’a plus beaucoup la tête à soi, et comme il vous a pris le coeur, il ne vous reste pas grand’chose, sinon un bonheur immense.

Notes et post-scriptum
1. L'*Assomption* a: *des trottoirs moins étroits*.
2. Le P. Melchior Freyd, supérieur du Séminaire français, était décédé le 6 mars 1875; le P. Alphonse Eschbach, auteur d'une histoire du Séminaire à laquelle nous nous sommes déjà référé plusieurs fois, lui avait succédé (ici le P. d'Alzon a écrit *Eischbach*, partout ailleurs il met *Essbach*); le P. Jean-Pierre Daum était consulteur des Evêques et Réguliers.
3. Le ms a: *qui éteint*.
4. L'*Assomption* a: *lumineusement*.
5. Léon Gambetta (1838-1882), chef de l'Union républicaine, d'un anticléricalisme virulent. Son "le cléricalisme, voilà l'ennemi" est pour bientôt (4 mai 1877). - Benjamin Raspail (1828-1899) siégeait à l'extrême gauche à la Chambre des députés.