DERAEDT, Lettres, vol.13 , p. 251

1 jan 1880 Nîmes PICARD François aa

La Revue et le *Pèlerin* – Qui sera directeur? – Collaborateurs – Aspects financiers – Dans la lutte contre les sociétés secrètes: un chef, Baragnon; une armée, la jeunesse catholique; un clairon, la Revue.

Informations générales
  • DR13_251
  • 6862
  • DERAEDT, Lettres, vol.13 , p. 251
  • Orig.ms. ACR, AF 383; D'A., T.D.26, n. 766, pp. 322-324.
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENTS
    1 ARMEE
    1 CLASSES SUPERIEURES
    1 CONGREGATION DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 ELEVES
    1 ENERGIE
    1 FRANC-MACONNERIE
    1 JEUNES RELIGIEUX
    1 JEUNESSE
    1 LUTTE ENTRE L'EGLISE ET LA REVOLUTION
    1 MAITRES
    1 MENEURS
    1 MENSONGE
    1 POLEMIQUE
    1 PREDICATION
    1 PRESSE CATHOLIQUE
    1 RELIGIEUX ENSEIGNANTS
    1 RESSOURCES FINANCIERES
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 RHETORIQUE
    1 SOCIETES SECRETES
    1 TIERS-ORDRE MASCULIN
    1 UNITE CATHOLIQUE
    2 ALLEMAND, LOUIS
    2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
    2 BARAGNON, NUMA
    2 BOUVY, EDMOND
    2 GAMBETTA, LEON
    2 GOUBIER, LOUIS-GUSTAVE
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LAURENT, CHARLES
    2 LEON XIII
    2 MARCHASSON, YVES
    2 PIE IX
    2 VIALLET, MAXIME
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 RUSSIE
  • AU PERE FRANCOIS PICARD
  • PICARD François aa
  • Nîmes, 1er janvier 18[80](1).
  • 1 jan 1880
  • Nîmes
La lettre

Mon bien cher ami,

Je vous ai écrit hier(2). Si vous ne voulez pas faire la Revue, il faut le dire, mais rappelez-vous que vous m’en avez parlé le premier. Et, à vrai dire, je pense que c’est vous qui devez en avoir la direction. Quant au P. V[incent] de Paul, vous m’avez tellement dit qu’il lui serait très facile d’avoir à lui toute une feuille, que je croyais tout arrangé(3). La tournure de son esprit est charmante; je me permets de croire que, pour une Revue, il faut quelque chose de plus que l’esprit si grand du Pèlerin. Autrement, donnez au Pèlerin une page sérieuse, et tout ira bien. Remarquez que vous avez trois articles de Nîmes. Vous en aurez un en février sur la Jeunesse catholique, un en mars sur la Russie, pour ma part(4). Quant au P. Edmond, il est tout feu et flammes; le P. Laurent également. Vous avez à Paris des jeunes gens de talent plus libres que les nôtres. Je vous promets le concours très actif du Fr.Maxime. Ainsi P. Laurent, P. Edmond, Fr. Maxime et moi, plus Allemand et Goubier, vous avez là six rédacteurs; les autres donneront peu, mais donneront. Je ne parle pas de la partie financière. Vous savez que nous n’avons rien. Si vous n’y pourvoyez pas, mettons qu’il n’y a rien de fait. La Revue ne peut se faire à Nîmes, mais ne paraissant que tous les mois, sauf les nouvelles du dernier moment, nous pouvons faire beaucoup ici et nous en serons très heureux.

Je passe à un autre point de vue. Pour moi, avec les succès prodigieux de Baragnon comme orateur archichrétien(5) -car il fait de vrais sermons-, je ne vois personne à opposer à Gambetta que lui. Je lui ai dit: « Laissez l’Assomption de côté, elle est avec vous; mais allez trouver les Jésuites et demandez-leur des aides chez les jeunes gens, allez trouver les Dominicains enseignants(6). La Révolution force à l’union, et quand vous aurez quelques milliers de jeunes gens des classes supérieures, quand vous aurez examiné si les Frères ne peuvent pas vous donner leur contingent, vous serez plus fort que Gambetta ». Cette idée lui a prodigieusement souri, et il m’a promis de voir les Jésuites et les Dominicains du T[iers-]O[rdre]. Voilà une armée qui se forme. Il lui faut un organe. Voilà le but que je voulais donner à la Revue. Le clairon de l’armée de la Jeunesse catholique contre les troupes de la Révolution ou les Sociétés secrètes, et voilà le combat. Voilà le moyen de soutenir un chef, puisque nous l’avons, et voilà le moyen de lui attirer des soldats. Il faut faire la chose habilement, prudemment; mais à vous je dis le secret. Un chef, Baragnon; une armée, la Jeunesse catholique; un clairon, la Revue(7).

Est-ce clair? Et en poussant dans ce sens, pouvons-nous manquer de public? Ce n’est plus l’ancienne Revue mieux faite, c’est un immense auditoire, l’ensemble des élèves, dont nous voulions seulement former les professeurs à nos idées. La franc-maçonnerie touche à sa fin sous sa forme actuelle, pour plusieurs raisons: 1° Parce que, dès qu’elle triomphe, ses membres se tournent les uns contre les autres et se dévorent; c’est ce que nous commençons à voir; 2° Au commencement les mensonges de la franc-maçonnerie peuvent se dissimuler. Nous sommes au moment où ils disparaissent et où nous avons la chance d’un triomphe en disant à ces gens-là:  » Vous êtes des menteurs ».

L’Univers du 30 ou du 31 avait un article que j’aurais pu signer, tant je le pense depuis longtemps. Maintenant, il faut prier, mais la Revue considérée ainsi me semble d’une nécessité si évidente que je me demande comment après nos conversations on peut hésiter, sauf devant les obstacles matériels. Voilà ma conviction, et je vous avoue que ne pouvant plus prêcher, je m’estimerais très heureux d’avoir cette tribune pour le peu de temps que j’ai à vivre. Vous avez toute ma pensée. Si vous croyez que nous puissions commencer, commençons et mettons-nous y rondement et au plus tôt.

Adieu, et tout vôtre du fond du coeur.

E. D’ALZON.

Et j’oublie de vous souhaiter une bonne année!

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Le manuscrit porte *1879*.
2. A part un court billet du 30, la dernière lettre conservée du P. d'Alzon au P. Picard remonte au 8 décembre.
3. Le P. d'Alzon a pu lire dans la lettre du P. Picard du 30 décembre: "...je vois le P. Bailly un peu découragé. L'encombrement de la fin d'année, la fatigue y contribuent; la difficulté de bien voir comme il faut commencer et la façon de procéder ajoute encore. Ce bon Père est très préoccupé d'avoir des lecteurs, et il n'a pas tort, car on n'écrit pas pour n'être pas lu. Comment avoir ce public ? En l'intéressant. Comment l'intéresser en lui faisant tout le bien qu'on désire ? *That is the question*. Il craint sur ce point de n'être pas d'accord avec vous, il suppose que sa tournure d'esprit qui plaît au public, déplaît aux membres de la Congrégation, il a peur du surcroît de travail, il se trouve incapable d'être directeur d'une revue, dans laquelle la lutte doit s'engager sur le terrain philosophique et théologique, il est enfin convaincu qu'après s'être écrasé il réussira tout juste à mécontenter tout le monde dans la Congrégation. Une revue sérieuse, représentant la Congrégation, doit, dit-il, être rédigée sous vos yeux."
4. Le premier numéro de la *Croix* (avril) publiera déjà un article du P. d'Alzon sur la Russie. Celui de juillet en contiendra un sur "L'avenir de la jeunesse".
5. Il y a une dizaine de jours à peine que Numa Baragnon a parlé à Nîmes (v. *Lettre* 6804, n.2).
6. Le Tiers-Ordre enseignant de Saint-Dominique avait été fondé par Lacordaire en 1852.
7. Sur ces projets du P. d'Alzon, v. MARCHASSON, o.c., p.142. Mais peut-on, comme cet auteur, y voir une résistance à l'orientation nouvelle de réconciliation de l'Eglise avec le monde moderne, voulue par Léon XIII, et à la politique d'apaisement pratiquée depuis son avènement ? Certes le P. d'Alzon est toujours dans la ligne de Pie IX et du *Syllabus* et il est partisan d'une résistance à outrance aux projets anticléricaux et antireligieux du gouvernement de la République. Mais est-il consciemment en opposition avec une volonté exprimée par le pape régnant ? Certainement pas. Il se rend bien compte -et s'en inquiète même- que quelque chose a changé à Rome mais il est toujours persuadé que "Léon XIII, s'il vit, fera comme Pie IX" (v. *Lettre* 6831 du 19 novembre 1879, lettre toute récente donc). De toute façon , pour le P. d'Alzon, il était hors de question de prendre le contre-pied d'une volonté connue du Saint-Père: "Du moment que l'on sait que le Pape veut qu'on signe, il n'y a qu'à se soumettre" (*Lettre* 7023). Il disait cela à propos de la "Déclaration des religieux", qu'il signa en effet sans tergiverser, alors qu'il y avait été farouchement opposé jusque-là (v. *Lettre* 7022, n.).