Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 253.

22 oct 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

M. Gabriel – L’abbé Semenenko – Mon plan – Sr Thérèse-Emmanuel – Les confidences des Soeurs – Les demoiselles Carbonnel – Frères convers – De vos portraits, je veux le plus triste – Envoyez le jeune homme – Veillez avec grand soin au recueillement – Un conseil de saint François de Sales – Ne vous préoccupez pas trop de vos imperfections – Où en est la maison de N.-D. des Champs ?

Informations générales
  • PM_XIV_253
  • 0+492 a|CDXCII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 253.
  • Orig.ms. ACR, AD 461; D'A., T.D. 19, pp. 131-134.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 ANGOISSE
    1 ASSOMPTION
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 COLERE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONTRARIETES
    1 DEFIANCE DE SOI-MEME
    1 FAIBLESSES
    1 FOI
    1 FRERES CONVERS ASSOMPTIONNISTES
    1 GENEROSITE
    1 JOIE
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 PIETE
    1 RENDEMENT DE COMPTE
    1 RESPECT
    1 SEVERITE
    1 TRAITEMENTS
    1 TRISTESSE
    1 VACANCES
    1 VIE DE RECUEILLEMENT
    2 CARBONNEL, MESDEMOISELLES
    2 CHARPENTIER
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 EVERLANGE, MARIE-EMMANUEL
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 IMLE, HENRI-JOSEPH
    2 JEANNE DE CHANTAL, SAINTE
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 ROUX, MARIE-MARGUERITE
    2 SEMENENKO, PIERRE
    3 ALGER
    3 PARIS
    3 SOMMIERES
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 22 octobre 1846.
  • 22 oct 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Monsieur Gabriel est parti hier soir, ma chère enfant, et je ne sais mais il me semble qu’il a été assez content de moi. Il ne dépend que de vous d’entretenir cette bonne disposition. Je n’ai pas trop parlé de vous, n’ayant l’air de savoir que ce qu’il supposait que je savais. Quant à lui, j’ai été réellement édifié de sa piété et de son esprit de foi. Il est plein de confiance dans l’avenir de l’oeuvre, seulement il voudrait que je fusse plus ferme, quand on se sent disposé à être raide et cassant. Mais quoiqu’il dise, il y a de meilleures dispositions chez nos jeunes gens qu’il ne le prétend. Il m’est impossible de ne pas lui donner quelques torts dans une discussion, qu’il vous répétera certainement à sa façon, mais où quelqu’un qui mourrait d’envie de lui donner raison n’a pu s’empêcher de trouver qu’il avait été trop vif.

Le 29, jeudi.

Est-il possible que je sois resté huit jours sans vous écrire? Cela est pourtant vrai. J’arrive d’un petit voyage et je retrouve une lettre de vous, à mon retour. J’avais emporté avec moi votre avant-dernière lettre, et la paresse de demander de l’encre m’a empêché de vous répondre. J’essaie aujourd’hui, un peu brisé par l’obligation de maintenir l’esprit de charité chez des personnes qui semblent prendre à tâche de s’aigrir réciproquement. Mais laissons ces gens de côté et venons à vous.

Me laissera-t-on longtemps l’abbé Semenenko? Je voudrais bien le soigner, mais ce m’est impossible. Je voudrais bien qu’on le fît partir pour Alger. Quant à mon plan, je ne ferai rien avant d’avoir été à Paris, et alors nous pourrons nous concerter. Vous verrez alors pourquoi je suis bien aise d’avoir de l’espace. Je pense qu’il vaut mieux attendre que nous nous soyons vus. Veuillez seulement sonder M. Charpentier sur ce que je lui devrai, et pourtant pas trop vite, parce que son associé me prépare de nouvelles études de plan. Je m’en veux quelquefois de vous demander toutes ces choses, et puis je m’en veux de m’en être voulu.

M. Gabriel paraît tenir à ce que Soeur Marguerite vous reste; moi je ne tiens qu’à une chose, c’est qu’elle ne revienne pas ici. Ce que vous me dites de votre rapprochement de Soeur Th[érèse]-Em[manuel] me comble de joie. Puisque la glace est rompue, ne la laissez plus se reformer, je vous en conjure. Vous me faites, à ce propos, une question, à laquelle il est bien facile de répondre. Je crois que vous devez avoir beaucoup de respect pour le secret des Soeurs, même avec moi. Ne croyez pas qu’à cet égard je sois défiant. Cette confiance personnelle et qui ne veut pas tomber par ricochet sur une troisième m’est toute facile à expliquer, et il y a un certain respect des âmes qui veut qu’on leur obéisse sur ce point.

Le 29, au soir.

Croiriez-vous qu’il faut que je me rappelle mon voeu, pour me décider à vous écrire? Je ne m’en serais pas cru la force, après les ennuis que j’ai eus, car voilà les demoiselles Carbonnel qui me mettent la partie en main, ou plutôt qui déclarent vouloir définitivement partir mardi prochain. Ces oscillations perpétuelles fatiguent étrangement, je puis vous l’assurer.

Je reprends ce que je vous disais des confidences des Soeurs. Il me semble que vous devez les respecter beaucoup, qu’il vaut bien mieux que je sois un peu moins au courant et que leur confiance soit tranquille à cet égard. La délicatesse doit être grande quant aux conseils à demander. Pourquoi ne pas consulter sans nommer?

Je regrette beaucoup que le petit ébéniste ne puisse venir encore. Tâchez de me procurer quelques Frères convers; d’autre part, il faut avoir un local, car, dans la gêne de logement où nous nous trouvons, il faut avouer que je ne sais trop où fourrer de nouveaux maîtres. Mon choix est tout fait pour vos portraits, je veux le plus triste. Mais, chère enfant, dans la situation des choses, puis-je le recevoir? Le mettre dans mon cabinet, c’est accumuler des tempêtes de la part de certaines têtes, et si vous me l’envoyez, je veux que tous le voient. J’ai presque envie de vous prier de me le garder quelque temps encore, et pourtant je ne puis vous dire quelle envie j’ai de le recevoir et le bien qu’il me ferait.

Au fait, envoyez-moi le jeune homme dont parle M. Imlé, s’il veut venir à 1.500 francs, mais logé en ville. Pour quelqu’un qui ne veut pas être religieux du premier coup, ce que j’aurais à lui offrir comme logement est réellement trop peu de chose. M. Decker paraît vouloir devenir bien bon, mais je le tiendrai à distance, puisque vous pensez que je le dois.

Le 30 octobre.

Je vais achever, ma chère enfant, cette lettre si souvent recommencée et si souvent interrompue. Il me semble que tout d’abord, vous devez veiller avec un soin extrême à tout ce qui vous entretiendra dans le recueillement. Ces fluctuations dans l’état de votre âme ne doivent pas vous préoccuper. Je veux que vous vous efforciez de vous maintenir dans l’état que saint François de Sales exprimait à Mme de Chantal, quand il lui disait: « Je ne m’occupe plus de savoir si je suis fervent ou sec, mais si je vais à Dieu de tout mon coeur, et cela me suffit ». Dès lors, peu importe s’il peut y avoir ou ne pas y avoir de la joie au fond de votre âme, quoique après tout ce soit à mon gré, le seul moyen de l’y faire revenir. Soyez donc, ma fille, ce que Dieu veut que vous soyez; il faut absolument y tendre.

Je suis, en effet, très humilié pour vous de ce qui fait monter l’écume, pour employer votre expression. Réellement ce n’est pas beau. Comme vous devez affliger en de pareils moments le coeur de Jésus-Christ Il faut que de pareils mouvements ne se produisent plus. Allez toujours vers Notre-Seigneur cependant. Si vous lui dites: Fac ut diligam lui vous répond: In charitate perpetua dilexi te. C’est une parole bien consolante et bien vraie de sa part.

Il me semble qu’au point où vous en êtes, vous ne devez pas trop vous laisser aller à la préoccupation de vos imperfections. Il faut, sans doute, être attentive aux imperfections que l’on découvre, mais je ne crois pas nécessaire de les scruter avec cette inquiétude que vos lettres semblent révéler quelquefois.

Je serai enchanté de savoir où en est la maison de la rue Notre-Dame des Champs. Adieu, ma chère enfant. Priez pour moi. Il faut que je m’arrête. On m’a dérangé vingt fois, pendant que j’ai écrit cette page. Je suis un peu triste, et même beaucoup, mais j’ai résolu de n’en pas tenir compte. Je n’écris pas à Soeur Marie-Em[manuel]. J’ai vu son frère à Sommières. On doit vous amener de là une élève, d’ici à quinze jours. Mille choses à toutes vos filles. Que de choses j’ai dans le coeur à vous dire pour elles! J’espère toujours aller vous voir aux vacances prochaines. C’est la chose que je désire le plus. Adieu, chère fille. Je n’en finirais pas, et pourtant il faut m’arrêter.

E.D’ALZON.

Je garde encore un rendement de compte.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum