Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 388.

20 nov 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Votre procès – Votre rendement de compte – Allez avec confiance à Jésus-Christ, docteur et époux, et trouvez refuge dans la solitude de son coeur – La douceur – Vos excuses, mes torts, ma peine, notre amitié – La paillasse – M. Michel – L’affaire des soeurs Carbonnel.

Informations générales
  • PM_XIV_388
  • 0+546 b|DXLVI b
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 388.
  • Orig.ms. ACR, AD 549; D'A., T.D. 19, pp. 263-266.
Informations détaillées
  • 2 ANDLEY
    2 BECHARD, FERDINAND
    2 BOSSUET
    2 BRANDIS, MADAME DE
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 CARBONNEL, MESDEMOISELLES
    2 DEPLACE, CHARLES
    2 FENELON
    2 JEAN, SAINT
    2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
    2 MICHEL, ERNEST
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 PATY, ISIDORE DE
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 20 novembre 1847.
  • 20 nov 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Monsieur*
    *Monsieur de Paty*
    *Sous-chef à la Direction générale des Postes*
    *Paris.*
La lettre

Il est bien tard, ma chère enfant, mais je viens de prendre un peu de café à votre intention. Je tiens à ne pas me mettre en retard avec vous, et à ne pas perdre les bonnes dispositions où vous pouvez vous trouver pour vous porter, autant que je le pourrai, à l’amour de Notre-Seigneur. Laissez-moi vous dire d’abord tout le chagrin que j’ai eu de ne pouvoir vous être bon à rien dans votre procès, mais c’est qu’en effet il y a une véritable impossibilité. Je suis convaincu, du reste, que si vous êtes allée trouver Mme de Brandis, elle vous aura accueillie au moins très poliment, mais j’ignore si votre visite aura produit le moindre effet.

J’en viens à votre rendement de compte. Je ne puis rien vous dire sur le bien que vous font les idées qui vous ont frappée pendant la retraite, sinon que, puisque leur souvenir vous ranime, il faut y avoir recours. En vous engageant à vous établir aux pieds de Jésus-Christ, je vous parlais comme pour moi, mais dans ces choses-là il faut se servir de ce qui est utile et de pas autre chose. Moi, je me trouve bien de revenir tout simplement aux pieds de Notre- Seigneur, parce que c’est lui. Il me semble que ce mot seul dit plus que toutes les considérations du monde, mais je vous dis ceci uniquement comme renseignement personnel, et non pour vous pousser là plutôt que dans la voie où le Saint-Esprit vous veut. Laissez-vous donc fixer par les pensées qui vous apaiseront le plus promptement et le plus solidement.

Et sous ce rapport je comprends très bien que la considération de Jésus- Christ, docteur intérieur de nos âmes, vous soit utile. Ecoutez-le ainsi; mais encore quand il ne parlait pas, quelle meilleure place pour l’écouter que celle de Marie-Madeleine, à moins que du premier coup vous ne vouliez celle de saint Jean? A cet égard, liberté complète. Car avec lui le respect ne nuit pas à la confiance, ni la confiance au respect. Prenez-le donc comme il se donnera à vous, comme docteur en attendant que ce soit comme époux. Pourquoi n’irais- je pas à lui avec confiance, dites-vous? C’est bien cela; oui, allez avec toute la confiance possible. Vous n’en aurez jamais assez, au gré de ses désirs. Pourquoi, ajoutez-vous, ne puis-je me dilater avec Jésus-Christ, comme avec le P. Deplace? Parce que vous êtes encore une fille de peu de foi, -mais cela viendra;- et puis, parce que c’est la condition d’une foule d’âmes, même aujourd’hui canonisées, d’avoir constamment besoin d’un appui extérieur pour aller à Dieu. J’ai été très frappé de certaines paroles de saintes, citées avec éloge par Fénelon et Bossuet, sur ce besoin manifesté par les âmes les plus fortes et les plus abandonnées.

Je crois comprendre toute la douleur de votre âme dans ces paroles: Puisque Jésus veut ainsi que je sois pour les autres et que personne ne soit pour moi, ne faut-il pas au moins que lui le soit? Que je serais heureux, chère fille, si cette conviction s’ancrait dans votre coeur! Peut-être quand votre épreuve sera passée, comprendrez-vous qu’il y a des gens qui veulent être quelque chose pour vous. Mais pour le moment il me semble très avantageux pour vous de vous réfugier dans cette solitude du coeur de Jésus-Christ. Vous ne sauriez mieux faire, ce me semble, que d’y établir votre demeure. Cherchez-le en tant que totus desiderabilis, comme disait Soeur Thérèse-Em[manuel]. Peu après, vous verrez son action revivifier votre pauvre nature endolorie. Notre- Seigneur veut être pris comme il se présente, et, si vous avez besoin de confiance, il faut aller à lui par la confiance et la liberté. Le respect et l’adoration viendront ensuite: ils sont éminemment dans l’amour tel que nous l’avons pour Dieu.

Soyez douce. La douceur est une condition fondamentale d’une supérieure. Reprenez peu à peu votre ferveur pour les choses extérieures; Dieu vous en récompensera.

J’accepterai vos excuses, si vous les faites au représentant de l’autorité de Dieu, parce qu’elles remonteront à Dieu même.Quant à ce qui m’est personnel, croyez, ma chère fille, que je connais envers vous certains torts qui me sont plus pesants que vous ne le sauriez croire. Je vous les expliquerai à Paris, si vous le désirez. Ne parlons pas de la peine que vous m’avez faite; elle m’a été très utile, et je crois en avoir profité pour donner à mon amitié pour vous une pureté de désintéressement qui en a, je crois, augmenté l’intensité.

J’approuve peu que vous ayez repris votre paillasse, juste au plus fort de l’hiver. N’est-ce pas imprudent? Vous ai-je chargée de remercier M. Michel de ses offres? Je me suis arrangé pour attendre jusqu’à l’année prochaine. Si je vous ai demandé si tard un instituteur, c’est que celui sur lequel [je] comptais, et dont j’étais peu content, a attendu les premiers jours de la rentrée pour me signifier qu’au lieu de six heures de classe, il n’en voulait plus faire que deux. J’ai quelqu’un pour le remplacer provisoirement, et ce provisoire pourra sans difficulté durer jusqu’à l’année prochaine.

Les demoiselles Carbonnel commencent à se plaindre que M. Béchard est du parti de leur soeur. Je crois très important que ce brave homme soit de notre bord. J’ai su que vous aviez fait demander 12.000 francs. A moins que vous ne soyez très pressée d’argent, il me semblerait bien utile de pouvoir vous poser d’une façon plus généreuse; vous n’y perdriez rien et vous forceriez bien des préjugés répandus à tomber. Je vous parle ici avec certitude que mon conseil est le bon.

Je ne veux pas fermer cette lettre sans vous dire que demain je prierai bien pour vous. Je vous présenterai à Notre-Seigneur et vous consacrerai à lui, en union avec Marie notre Mère. J’offrirai également toutes vos filles, et je demanderai qu’elles soient des temples vivants du Saint-Esprit.

Adieu, chère fille. Voilà 11 heures qui sonnent, et j’ai mon cours d’histoire ecclésiastique à préparer. Si j’ai un moment demain, j’ajouterai quelques lignes.

Depuis deux jours, je n’ai pas même trouvé le temps de mettre une adresse. Adieu. J’aurai quelqu’un pour M. Andley.

Notes et post-scriptum