Vailhé, LETTRES, vol.1, p.131

14 sep 1830 [Lavagnac, LA_GOURNERIE Eugène
Informations générales
  • V1-131
  • 0+043|XLIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.131
Informations détaillées
  • 1 ARMEE
    1 BESTIAUX
    1 GUERISON
    1 LIBERAUX
    1 LIBERTE
    1 MALADIES
    1 PARENTS
    1 PARESSE
    1 PEUPLE
    1 REVOLUTION
    1 ROYALISTES
    1 SAUVAGES
    1 VOLAILLES
    2 ALZON, HENRI D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BONALD, LOUIS DE
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 SEGUIN DES HONS, JACQUES
    3 FRANCE
    3 LAVAGNAC
    3 MIDI
    3 NIMES
    3 PARIS
  • A MONSIEUR EUGENE DE LA GOURNERIE(1).
  • LA_GOURNERIE Eugène
  • le 14 septembre 1830].
  • 14 sep 1830
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Eugène de La Gournerie,
    au château de La Gournerie,
    par Nantes
    Loire-Inférieure.
La lettre

Je le confesse, mon cher ami, ma faute est grande. Il y a plus de quinze jours que je vous devais écrire, et je ne sais ce qui tous les jours m’arrêtait. La paresse de commencer, le désir de ne pas vous envoyer des antiquailles; bref, j’étais comme l’âne entre deux boisseaux. Cependant, je dois vous assurer que, hier soir, n’eussé-je pas reçu vos tendres reproches, j’aurais essayé de vous donner de mes nouvelles, si un très violent mal de tête ne m’avait extrêmement fait souffrir. Ce matin, je me suis réveillé entièrement guéri, et, avant d’aller plus loin, je vous supplie de me pardonner.

La révolution nous traite à merveille, et si partout le repos était aussi grand que dans les environs, si surtout les têtes n’étaient pas aussi engouées du nouvel état de choses, tout ceci ne nous mènerait pas loin. Nous sommes fort disposés à ne pas nous laisser manger l’herbe (sic) sur le dos, et les autres le savent bien. Partout on n’est pas, il est vrai, aussi pacifique. A Nîmes, il y a eu du train, mais ce n’était pas, comme l’a dit le Correspondant, pour des motifs politiques. Le Correspondant est fort mal instruit, en général. Les catholiques ont voulu défendre leurs croix; l’évêque seul a pu les apaiser avec les promesses du général. Quelques personnes ont voulu les désarmer; elles s’en sont mal trouvées, il est vrai, mais je ne vois pas ce qu’il y aurait de mal à refuser de rendre les armes. Du reste, tous les bruits qu’ont fait courir les libéraux sur le pillage fait par les royalistes sont absolument faux. De l’aveu même de l’officier envoyé pour le faire cesser, il a reconnu qu’après avoir battu la campagne pendant deux jours, il n’avait pu trouver le moindre indice de dégât. Après cela, pour ameuter le peuple, les libéraux feignent que dans quelques châteaux il y a trois cents hommes (car, remarquez bien qu’il y a toujours trois cents hommes), plus des armes et de la poudre. Il paraît qu’on est allé chez M. de Bonald, qui, pour se sauver, n’a eu que le temps de passer par une porte de derrière.

Je n’ai pas à vous conter d’aussi intéressantes scènes que celle de la cérémonie du coq gaulois. Nous en avons été tous touchés jusqu’aux larmes. Ce bon roi qui pleure, qui embrasse tout le monde, son cordonnier, les forts de la halle, comment ne voulez-vous pas qu’il fasse le bonheur de la France? Nous sommes des sauvages, ici; nous rossons quiconque porte la cocarde aux trois couleurs; nous mettons en pièces des drapeaux tricolores, sur lesquels pourtant est écrit: Liberté et Ordre public, ainsi que l’observe très bien Mgr l’évêque de Troyes en Champagne(2). Oui, mon cher, vingt ou trente royalistes, insultés par trois ou quatre cents libéraux, leur ont pris leur drapeau, l’ont déchiré, foulé aux pieds, et les libéraux les ont laissés faire. Ah! vous ne savez pas ce que c’est que nos royalistes!

Je viens d’avoir, sur le grand chemin, une conversation de près d’une heure avec un royaliste enragé. C’était à peindre. Je ne croyais pas que les hommes fussent aussi chauds. Il y a encore du sang méridional. Ce brave homme, dans son zèle, me donnait de si forts coups de poing à la poitrine que je ne savais si c’était [pour] de bon; mais il ne fallait y voir qu’un excès de conviction et le désir de pouvoir tenir certaines gens au bout de son fusil.

J’ignore encore, mon cher ami, si j’irai à Paris, au moins au mois de novembre. Peut-être me sera-t-il plus utile de rester ici. Mes parents qui n’ont pas le projet de retourner à Paris me laissent libre; je crois pourtant qu’ils seraient bien aises de m’avoir auprès d’eux dans ces moments où nous ignorons ce qui peut arriver. J’ignore ce qu’il adviendra de moi.

D’après ce que vous me dites, vous paraissez entièrement libre. Le seriez-vous assez pour venir jusque dans le Midi? Vous seriez le bienvenu. Mes parents auraient un plaisir infini à vous voir. J’avais bien le projet d’aller passer quelques mois chez l’abbé de la Mennais; en passant, je vous aurais dit bonjour. Mais l’abbé de la Mennais est à Paris; je ne sais si j’irai à Paris. Eh! mon Dieu, qui peut savoir ce qu’il fera? Même S. M. Louis-Philippe Ier, que nous venons de nommer roi des Français, car c’est nous, et non pas d’autres, qui l’avons mis sur le trône…

Adieu, mon cher Eugène. Quand nous reverrons-nous? Je vous promets. d’être plus exact. Ah! c’est un mauvais mal que l’inexactitude avec ses amis. Aussi, je vous promets de m’en corriger. Adieu. Je vous aime bien tendrement.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1.La date donnée est celle du cachet de la poste, à Pézenas.
2. Mgr Seguin des Hons. ancien vicaire général de Montpellier, nommé évêque de Troyes en 1825, et mort le 31 août 1843.