Vailhé, LETTRES, vol.1, p.280

8 mar 1832 [Lavagnac, LA_GOURNERIE Eugène
Informations générales
  • V1-280
  • 0+092|XCII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.280
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ARMEE
    1 BEAU CHRETIEN
    1 BEAU LITTERAIRE
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 DOUTE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA PATROLOGIE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE SCOLASTIQUE
    1 FONCTIONNAIRES
    1 LIBERAUX
    1 LOISIRS
    1 MERCREDI DES CENDRES
    1 PARESSE
    1 PASSIONS
    1 POUVOIR
    1 PROVIDENCE
    1 REPOS
    1 REVOLUTION
    1 ROYALISTES
    1 SENSIBILITE
    1 SENTIMENTS
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUVENIRS
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    2 AULNOIS, CHARLES-ANTOINE
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 BRIDIEU, FRANCOIS DE
    2 DANTE ALIGHIERI
    2 DAUBREE, LEON
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D'
    2 GOURAUD, HENRI
    2 HUGO, VICTOR
    2 LA BOUILLERIE, FRANCOIS DE
    2 LA BRUYERE
    2 LACTANCE
    2 LAMARTINE
    2 ROBERT BELLARMIN, SAINT
    2 SAINTE-BEUVE, CHARLES-AUGUSTIN
    2 TORQUATO TASSO
    3 PARIS
    3 PEZENAS
    3 ROME
  • A MONSIEUR EUGENE DE LA GOURNERIE (1).
  • LA_GOURNERIE Eugène
  • le 8 mars 1832.]
  • 8 mar 1832
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Eugène de la Gournerie,
    rue du Vieux-Colombier, n° 29 ou 25.
    Paris.
La lettre

Croyez à mon amitié, dites-vous, mon cher Eugène, en finissant votre délicieuse, votre charmante lettre. Eh bien! sur ce point je vous crois tellement que je vous prie de ne plus me demander d’y croire. Vous devriez en être tellement sûr, que pas le moindre doute n’eût dû…(2) Ni l’absence, ni le silence, rien ne devait vous en donner le soupçon. Non que je ne croie pas positivement que vous m’aimez, aussi vrai que j’ai cinq doigts à la main, aussi vrai que nous sommes restés cinq mois sans nous…(3) Allons, Eugène; je crois à votre amitié une fois pour toutes; persuadez-vous-le, aussi bien que la douce confiance que j’ai que vous croyez à la mienne.

Mon cher ami, vos lettres me font toujours un plaisir indicible, et me font aussi bien de la peine par la pensée que je ne pourrai vous embrasser peut-être de longtemps. Vous saurez bientôt pourquoi. Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez de nos amis. C’est une pensée qui m’émeut toujours profondément, et leur souvenir est si vif que je dois remercier la Providence de m’avoir préservé des mauvaises liaisons; il m’en eût trop coûté pour les lui sacrifier.

Dites à Bridieu que la paresse ne retient, j’espère, que sa main, mais que je ne doute nullement de son coeur. Bridieu m’a été bien utile, et j’ai envers lui une dette que je n’oublierai jamais. On ne peut penser à Bridieu sans penser aux oeuvres qu’il soutenait si bien. La révolution leur a-t-elle été funeste? J’espère que l’on aura au moins respecté les consolations apportées au peuple dans les souffrances que lui ont causées plus que jamais les derniers événements]. Que fait le bon d’Aulnois? A-t-il conservé sa maison? Donnez-moi, je vous prie, [l’adresse] de M. Bailly, car vainement je la demande à de Jouenne et à Gouraud. [Voulez-]vous me parler de Brézé? Est-il toujours à Rome? Je « plains beaucoup François de la Bouillerie, et si vous le voulez, parlez-lui de moi. Je conserve toujours de lui un souvenir très précieux. C’était bien un de ces rares jeunes gens qui ont conservé toujours le coeur pur et l’esprit […(4) Je suis] curieux de connaître ses vers.

Et vous, mon cher Eugène, quand faites[vous part] au public de vos poésies? Vous auriez un portefeuille précieux à [publier. Si] vous voulez que je vous parle en ami, je vous engagerai fortement [à cultiver] votre talent. Si vous ne suivez pas la nonchalante négligence [de] la poésie moderne, vous pouvez, je n’en doute pas, aller loin. [Vos poésies respi]rent une fraîcheur, une naïveté, un charme de candeur qui est [d’autant] plus rare aujourd’hui que nos poètes sont toujours gens blasés, qui connaissent le mal, qui l’ont fait et que, malgré tout leur talent, ils n’atteindront jamais à ce genre de beauté chaste que vous possédez et que vous pourrez augmenter, pas plus que la courtisane ne peut couvrir son visage de cette rougeur pudique qui colore les traits de la vierge. Que si donc [ce que j’ignore] vous avez un peu oublié ces temps où vous ne pouviez concevoir qu’on peut être à la fois bon chrétien et malheureux, que si vous allez plus souvent au bal qu’à confesse, revenez, revenez à votre ancienne, à votre véritable voie. Qui sait si Dieu ne vous a pas choisi pour montrer jusqu’où s’élève le talent paré de la pureté chrétienne? Ce que je vous dis ici n’est pas pour vous flatter. Vous avez une mission comme tout homme, et si la vôtre est de donner aux hommes une idée des beautés virginales de la religion, vous seriez coupable de ne pas céder à ce qui vous est demandé. Vous êtes à Paris. Paris vous encourage. C’est bien. Ne perdez donc pas votre temps; travaillez, travaillez pour devenir, non pas un homme de talent, mais pour perfectionner [celui] que vous avez.

Je l’avoue, et quoi qu’en aient dit l’Avenir et même le Correspondant, la littérature parfaite ce n’est pas le romantisme, ce n’est pas Sainte-Beuve, pas plus que Victor Hugo. Il y a un sens profond qui n’a pas été compris, une corde qui n’a pas été touchée. Mon cher ami, vous qui avez la foi, vous qui croyez ce que vous dites, ne [sentez]-vous pas au dedans de vous un genre d’impression qui n’est exprimé par [personne] dans la littérature? C’est en poésie cette tristesse évangélique, que La Bruyère trouvait dans les orateurs chrétiens. J’en ai trouvé quelques vestiges dans le Dante, le Tasse; mais parmi nos poètes, Lamartine lui-même n’a pas rempli toute ma pensée. La raison en est, je crois, que, pour être poète, il faut une part abondante de sentiment, que le sentiment mal dirigé alimente les passions, et que trop souvent les poètes ont profané à des usages impies la beauté des dons qu’ils avaient reçus. Un poète chrétien est donc chose rare, et le poète destiné à chanter les triomphes préparés par le catholicisme a une carrière nouvelle, immense, sublime à parcourir. Qui est choisi de Dieu pour accomplir cette oeuvre magnifique, telle que je la conçois? Est-ce vous? Peut-être. Ce qu’il y a de sûr, c’est que votre partage, si vous profitez de tout ce qui vous a été donné, sera très beau. L’admirable chose qu’un poète, même dans notre temps d’indifférence et de glace!

Vous vous trouvez bien à Paris; je vous en félicite. Soignez-les bien ces bons amis que vous pouvez encore y voir, et parlez-leur quelquefois de moi. Nous sommes assez tranquilles, et, sans les précautions que prend l’autorité pour ne pas nous faire perdre l’habitude des émeutes, notre repos serait parfait. Il y a des gens qui, à force de faire voir qu’ils ont peur, persuadent qu’ils sont faibles, et c’est tant pis pour eux. Hier, mercredi des cendres, à Pézenas, ville de 10 000 âmes, royalistes et libéraux se sont réunis pour faire des barricades. L’émeute a été chaude, mais courte. Le maire avait, par précaution, pris la fuite. Après quelques coups de carabine et de pierres, échangés entre une compagnie de dragons et le peuple, les barricades sont tombées au milieu des malédictions unanimes envoyées par les deux camps au maire fugitif.

Je m’occupe toujours des scolastiques ou des Pères de l’Eglise. Après avoir lu Bellarmin, j’ai pris Lactance. C’est bien sérieux, comme vous voyez; aussi n’entrerai-je pas dans les détails.

Voyez-vous quelquefois Daubrée? J’ai reçu une lettre de lui aujourd’hui même, après être restés dix-huit mois sans nous écrire. J’ai profité, dans ma visite à du Lac, de leur correspondance, pour lui adresser quelques lignes. Il m’a répondu déjà plusieurs fois, et j’espère ne plus être empêché d’écrire quand je voudrai, à ce bon jeune prêtre. Il se fait tard, je vous quitte.

Adieu, seigneur. Dormez en paix et en santé. Bonne nuit je vous souhaite.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir *Notes et Documents*, t. Ier, p. 107 sq. Le cachet de la poste porte: Montagnac, 9 mars, mais la lettre fut écrite le lendemain du mercredi des Cendres qui tomba cette année-là, le 7 mars.1. Voir *Notes et Documents*, t. Ier, p. 107 sq. Le cachet de la poste porte: Montagnac, 9 mars, mais la lettre fut écrite le lendemain du mercredi des Cendres qui tomba cette année-là, le 7 mars.
2.Mot déchiré. Ce manuscrit est en très mauvais état, percé de trous et rongé à tous les bouts.
3. Mot déchiré.
4. Mot déchiré.