OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • VINGT-CINQUIEME CONFERENCE DONNEE LE 10 DECEMBRE 1870.
    COMPASSION DE LA SAINTE VIERGE.
  • Prêtre et Apôtre, XI, N° 129, novembre 1929, p. 325-329.
  • DA 45; CN 4; CV 32.
Informations détaillées
  • 1 ASCENSION
    1 COMPASSION DE LA SAINTE VIERGE
    1 DETACHEMENT
    1 EDUCATION
    1 EGLISE
    1 EPREUVES DE L'EGLISE
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 EUCHARISTIE
    1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
    1 MARIE NOTRE MERE
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 REINE DES ANGES
    1 SOLITUDE
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 TENTATION
    2 ABRAHAM
    2 BOSSUET
    2 HERODE AGRIPPA I
    2 JEAN, SAINT
    2 MARIE-MADELEINE DE PAZZI, SAINTE
    2 PILATE
    2 SIMEON, VIEILLARD
    2 THERESE, SAINTE
  • Religieuses de l'Assomption
  • 10 décembre 1870
  • Nîmes
La lettre

(Suite)

Canevas de l’auteur. -I. Marie au pied de la croix. Mystère d’espérance et de consolation. Etat de celui qui souffre sans consolation, sans espérance. On souffre, et au delà, le néant, peut-être… Mais si ce n’est pas le néant, qu’est-ce que c’est? Doute affreux. Et alors, ce qu’on laisse! Marie souffre avec espérance et consolation. Grandeur de son espérance, source de consolation, grandeur de l’espérance chrétienne.

II. L’adoption et les deux sociétés. -Qui se fut douté, quand Jésus disait à sa Mère: Ecce filius tuus, qu’il fondait une société nouvelle? En face du césarisme représenté par Pilate, du pouvoir uni à la débauche représenté par Hérode, du fanatisme hypocrite représenté par les Princes des prêtres, du matérialisme par les sadducéens, de l’ironie savante par les pharisiens, de la haine grossière de la populace, Jésus était seul avec sa Mère, la Reine des vierges, et Jean, l’apôtre de la chasteté et de la contemplation. Nous approchons de quelque chose de semblable. Faut-il se décourager? Il faut refaire la société.

III. Isolement de la Sainte Vierge. -Quelles furent les joies de Marie à la Résurrection? Pourquoi Jésus ne la conduisit-il pas au ciel? Pourquoi cet exil? Savoir son Fils dans la gloire et rester sur la terre, quelle destinée! Il faut rester pour souffrir, il faut vivre de séparations, il faut se dévouer dans la volonté de Dieu. Jésus-Christ n’eut-il pas mieux fait de rester vingt- cinq ans de plus sur la terre? Pourquoi le contraire a-t-il eu lieu? Pouvons-nous douter de l’amour de Jésus? Mystère de séparation, que de cruautés tu renfermes! Voyez ces lenteurs de l’amour et quelle pureté Jésus-Christ exigeait de sa Mère pour en faire la Reine des anges et des saints. Quelle pureté nous est demandée!

IV. Marie et l’Eucharistie. -Tout est-il fini pour Marie? Les sacrilèges des chrétiens contre son Fils… L’inutilité de sa Passion. Faisons effort et dédommageons Marie: 1° par nos Communions; 2° par le zèle pour la méditation de la Passion; 3° par l’apostolat qui rendra plus abondants les fruits de la Rédemption.

V. Douleurs de Marie à cause de l’Eglise. -La Reine des Prophètes souffrait à la vue: 1° des persécutions de l’Eglise; 2° des hérétiques; 3° des politiques; 4° des faux frères; 5° des mauvais chrétiens. A quoi nous sommes obligés d’opposer: aux persécutions, l’invincible patience; aux hérétiques, la confession de la vérité; aux politiques, la lutte pour le royaume de Jésus- Christ; aux faux frères, la franchise et la beauté du caractère, aux mauvais chrétiens la conversion et la sainteté.

Texte sténographié de la Conférence

I. Marie au pied de la croix

Mes Soeurs,

Nous nous sommes arrêtés l’autre jour à la considération de la séparation de la Sainte Vierge au moment de la vie apostolique de Notre-Seigneur. Nous reprendrons aujourd’hui le cours de la vie de Marie, et nous la retrouverons d’abord au pied de la croix.

Les historiens ne disent rien de ce qui s’est passé pour elle la veille du jour de la Passion. Une pieuse tradition laisse croire qu’elle assistait à la Pâque. C’est peu probable; d’après les usages des Juifs, les femmes n’y assistaient pas. Nous savons seulement d’une manière certaine qu’elle avait la prévision des souffrances de son Fils et des siennes propres. Et tuam ipsius animam pertransivit gladius (Luc II,35,) avait prorhétisé le vieillard Siméon.

A partir de ce moment, le glaive des appréhensions avait été enfoncé dans l’âme maternelle de Marie. Enfin, le moment du sacrifice arrive, et, comme le dit magnifiquement Bossuet, les douleurs de la Sainte Vierge sont multipliées par la perfection de sa nature, la perfection de son amour, la perfection de l’objet aimé. Elle est la plus parfaite des créatures et la plus capable de souffrir; elle est la plus parfaite en amour par les trésors de grâces répandus dans son coeur: elle aime celui qui est le plus beau des enfants des hommes, son Maître, son Fils et son Dieu.

J’arrive à cette conclusion pour vous. Plus vous avancerez dans la perfection, plus vous souffrirez, et malheur à vous si vous ne souffrez pas. C’est une preuve que vous ne faites pas de progrès dans la perfection. A mesure que la nature se perfectionne, elle est plus susceptible de souffrir. S’il arrive que des religieuses souffrent et restent imparfaites, c’est parce qu’elles se plaignent.

La religieuse parfaite, à mesure qu’elle fait des progrès, souffre et se tait, et elle se tait parce qu’elle aime. C’est la raison du silence de Marie au pied de la croix. Magna est enim velut mare contritio tua. (Lam. II, 13.) Sa douleur est vaste comme l’étendue de la mer. Et pourtant, elle renferme cette immense douleur en son coeur.

Mes Soeurs, il y a, là encore, une conclusion pratique à tirer, et je le dis pour l’enseignement des Supérieures. Les religieuses qui se plaignent le plus ne sont pas les plus à plaindre, elles sont tout simplement les moins parfaites. Les autres se plaignent moins, parce qu’elles souffrent en acceptant la souffrance en vue de leur sanctification. Voyez-vous, de la vie de la Sainte Vierge ressortent, comme de grandes lignes de conduite, les axiomes qui peuvent donner une direction à votre vie.

Personne n’a plus souffert que la Sainte Vierge et personne ne s’est moins plaint. Où trouverez-vous trace de ses plaintes? Non, la plus parfaite des créatures ne se plaignait jamais. Elle acceptait toute souffrance, elle aimait toute souffrance, elle la traitait comme rien et elle se taisait.

Mais Notre-Seigneur a parlé de ses souffrances! Il fallait ces deux types: Le type de Marie se taisant, le type de Notre-Seigneur s’entretenant de ses douleurs. La raison en est profonde. Le Sauveur s’imposait à lui-même ses souffrances par un surcroît d’amour, de bonté, d’humilité, mais il n’en a eu que ce qu’il a voulu, tandis que les souffrances de Marie lui étaient imposées. Notre-Seigneur a dû en parler pour se mettre à portée des peines humaines, pour être le modèle des pauvres âmes qui ont besoin de soulager leur douleur. La créature à qui la souffrance est imposée de la main de son Dieu se tait, et cependant elle aime à souffrir, car sa souffrance n’aurait rien été si Marie ne l’avait acceptée dans toute la perfection où Notre-Seigneur voulait la conférer à sa Mère.

Pour terminer cette considération, je vous citerai les paroles de trois saintes éprises de l’amour de la croix. Sainte Thérèse disait: « Ou souffrir ou mourir; » sainte Madeleine de Pazzi: « Toujours souffrir, ne jamais mourir; » une autre sainte, dont je ne sais pas le nom, a été plus loin en disant: « Ni souffrir, ni mourir. » Je vous avoue que cette troisième parole me dépasse et je n’y comprends rien. J’aime mieux la simplicité, le mouvement impétueux de sainte Thérèse. Je comprends le cri de sainte Madeleine comme un jet de son coeur embrasé. L’autre veut peut-être dire beaucoup plus, mais je déclare mon incapacité. Vous me l’expliquerez.

Ici, il faut parler de l’état des personnes qui souffrent sans consolation et sans espérance. Nous ne considérerons pas aujourd’hui la souffrance de Notre-Seigneur. Avec son caractère de délaissement profond, il y a quelque chose du désespoir dans ce cri: Deus meus, Deus meus ut quid dereliquisti me? (Marc. XV, 34.) Mais nous ne voyons pas cela dans la douleur de la Sainte Vierge. Lorsque Notre-Seigneur lui dit: Ecce filius tuus, il y avait là, peut-être, un rayon d’espérance. Si donc vous passez par ces états de désolation -et puisque cela a été le partage des saints, pourquoi ne vous y attendriez-vous pas-? avez grande dévotion à Marie désolée, pas désespérée. Elle est l’espérance de ceux qui pleurent, de ceux qui se découragent, de ceux qui ont essayé en vain et qui disent comme Elie au pied du genévrier: « Je ne suis pas meilleur que mes pères. »

Mes Soeurs, autrefois, quand une âme se repliait en elle-même pour servir Dieu exclusivement, il arrivait souvent que le démon fondait sur elle et l’accablait de ses coups. Si aujourd’hui ces faits-là sont plus rares, cela montre tout simplement la faiblesse des religieux et la miséricorde de Dieu qui, sachant que le moindre coup de Satan les ébranle, leur épargne les attaques plus violentes qui pourraient les faire tomber.

Il n’en est pas moins vrai que si vous voulez vous mettre sérieusement au travail de votre perfection, il faut vous attendre à être tentées; et plus vous avancerez, plus vous devez compter sur la souffrance. « Celui qui veut s’approcher du service de Dieu doit s’attendre à la tentation. » (Eccl. II, 1.) Mais il faut souffrir avec espérance, comme la Sainte Vierge. Elle est là, au pied de la croix, abîmée dans la douleur, mais elle espère en Jésus-Christ; elle espère en Dieu par son Fils attaché à la croix.

Quelques-unes d’entre vous sont-elles livrées à des tentations contre la foi? Regardez Marie. Quelles épreuves! L’ange Gabriel est venu lui annoncer qu’elle serait la Mère du Sauveur. A la parole d’un ange aussi, Abraham a cru qu’il serait père d’une postérité nombreuse, et il est dit de lui dans l’Ecriture: Abraham credidit Deo, et reputatum est illi ad justitiam (Gal. III, 6,) et dans un autre endroit: Qui contra spem in spem credidit, ut fieret pater multarum gentium. (Rom. IV, 18.)

Mais si par cet acte de foi il a mérité d’être appelé le père des croyants, que dirons-nous de Marie? Qu’une vierge croie que, par l’opération du Saint-Esprit, elle deviendra Mère du Sauveur, quelle épreuve! Et Marie n’a pas douté. Et voilà ce Fils annoncé par Gabriel qui est donné au monde. Marie est vraiment mère, son espérance ne l’a pas déçue.

Mais il est là sur le Calvaire, il est Dieu et il meurt. Rendez-vous compte de la tentation contre la foi qui doit envahir l’âme de la Sainte Vierge. Y en eût-il jamais une plus violente? Il faut qu’elle l’adore comme son Dieu, et il est là abandonné, insulté, flagellé, blasphémé, crucifié. Il n’est pas ressuscité, la synagogue l’a condamné, le collège des apôtres a pris la fuite, et il faut croire que c’est là le Rédempteur du monde.

Marie reste debout au pied de la croix, Stabat Mater dolorosa. Jamais vous n’avez vu rien de semblable, une tentation, une épreuve approchant de celle-là. Dans vos peines aussi ayez recours à la Sainte Vierge et dites-lui: « Au nom de ce terrible moment de tentation et d’angoisse, protégez-moi contre les attaques du démon. »

Je crois qu’une religieuse qui aurait dévotion à méditer beaucoup cette souffrance incomparable de la Sainte Vierge pourrait faire de grands progrès dans l’oraison et l’esprit de foi.

II. L’adoption et les deux sociétés

Pourquoi la Sainte Vierge a-t-elle souffert? Je voudrais, moi, que vous éleviez vos pensées, vos esprits, et considériez ce qui se passe au pied de la croix. Voilà saint Jean et la Sainte Vierge. Notre-Seigneur abaisse son regard sur le groupe désolé et dit à sa Mère: « Femme, voilà votre fils. » Qui se serait douté qu’à ce moment Notre-Seigneur fondait la société nouvelle? Notre-Seigneur, divin Fondateur de l’Eglise, sur la croix; la Sainte Vierge, Mère des enfants de l’Eglise, représentés par saint Jean.

Cette puissance donnée à la Sainte Vierge d’adopter les chrétiens, vous, filles de l’Assomption, vous l’avez reçue, et dans les petites âmes qui vous sont confiées, vous devez voir écrites ces paroles: Ecce filia tua, et chaque fois que vous les rencontrez, quelque chose en vous doit leur dire: Ecce mater tua.

Je distingue deux sortes d’adoption. D’abord votre Congrégation elle-même, considérée comme personne morale et adoptant toutes sortes de personnes sur qui elle a de l’influence. Tout concourt à cette adoption générale: les prières, les bonnes oeuvres, les pensionnats, les parloirs, les rapports avec le dehors, toute l’action extérieure enfin.

Mais il y a encore pour vous, individuellement, une adoption particulière à exercer, comme maîtresse de classe, comme chargées spécialement de quelque oeuvre. Il y aura certaines âmes qui vous seront unies par des liens plus étroits. De celles-là vous pourrez dire en vérité: Ecce filia tua. Même dans vos relations de famille telles que vous les permet l’obéissance, il y a des âmes qui viendront à vous, et vous aurez un bien tout particulier à apporter de ce côté-là. La Sainte Vierge, en acceptant le legs que lui faisait Notre-Seigneur, acceptait l’Eglise entière, tous les chrétiens, qui, dans la suite des siècles, devaient former le troupeau de Jésus-Christ.

Du haut du ciel elle continue son adoption. Mais en même temps qu’elle est mère là-haut, elle continue à exercer une action directe, sensible, positive, par celles à qui elle communique la fécondité de sa maternité, par ses filles privilégiées. Il y a sur terre des filles de Marie, des instruments de Marie. Merveilleux enchaînement! Marie adoptant les chrétiens et se servant de ses filles comme d’elle-même, afin de continuer cette oeuvre d’adoption à travers les siècles, sur la surface de l’Eglise, dans le monde. Et par là vous pouvez être d’autres Marie, d’autres mères de saint Jean.

Marie veut prendre les enfants qui lui sont confiées. Au fond de leurs petites âmes elle dit: Ecce filia tua, et vous répondez aussi: Ecce mater tua. C’est comme un écho perpétuel de la maternité de Marie par vous et de votre influence par Marie. C’est un travail merveilleux qui s’opère entre Marie et vous, entre vous et Marie. Vous avez l’honneur de faire l’oeuvre de Marie. Quand vous rencontrez sous vos pas ces âmes qui lui appartiennent, elle vous donne sa puissance; leur sanctification lui appartient comme mère; elle la remet entre vos mains, vous demandant de faire son travail en son nom.

Vous devez donc conclure à la nécessité d’union d’âme entre Marie et vous pour l’oeuvre d’éducation de vos enfants, et je m’estimerais très heureux si je vous avais fourni un nouvel élément de dévotion à la Sainte Vierge dans votre mission auprès des enfants. En même temps, vous verrez l’obligation où vous êtes de sacrifier vos idées personnelles et de chercher à travailler sur les enfants par les pensées et les sentiments de la Sainte Vierge.

Voyez quelle grandeur, quelles proportions magnifiques prend votre oeuvre d’éducation des âmes. Quel honneur pour vous de donner des âmes à Jésus-Christ, des filles à Marie!

Aujourd’hui, plus que jamais, vous êtes invitées à ce grand travail. La société a besoin de l’adoption de Marie, et c’est l’effort de ses filles qui augmentera le nombre de ses enfants.

Voyez la lutte qui se dessine plus distinctement que jamais. Tandis que d’un côté les Souverains Pontifes désirent que des pensionnats soient établis dans les Ordres cloîtrés, à moins d’opposition formelle des règles, l’enfer, par la bouche des gens du monde, dit: « Plus de religieux! Ecartons ce moyen puissant par lequel les enfants de la Sainte Vierge s’augmentent chaque jour. »

Quelle mission est, comme la vôtre, l’objet de la fureur de Satan, parce que dans ce travail silencieux, obscur et ignoré, est le triomphe de Marie et le salut de beaucoup d’âmes!

III. Isolement de la Sainte Vierge

Je ne reviendrai pas sur l’isolement de Marie lorsque Notre-Seigneur fut monté au ciel, je passerai la joie de la Pentecôte pour m’arrêter plus particulièrement à ces vingt-cinq ans dont la tradition nous parle, et pendant lesquels la Sainte Vierge resta seule. Que Notre-Seigneur soit venu quelquefois la visiter pendant son exil, je veux bien le croire; il n’en est pas moins vrai que Marie était seule. Il arrive aussi, dans la vie religieuse, qu’une pauvre fille semble n’être bonne à rien; elle est malade, infirme, et l’on ne sait qu’en faire; elle est isolée, ne prenant pas sa part de la vie active de sa communauté, et on ne l’emploie pas. Quel est ce temps pour elle? C’est celui de la Sainte Vierge pendant ces vingt-cinq ans qu’elle employa à se préparer au ciel; c’est le temps où elle devint plus parfaite, où elle mit le sceau à sa sainteté. Bossuet ne craint pas de l’affirmer. Que faisait-elle à Ephèse? Sans doute elle s’occupait de l’Eglise.

On rapporte que les apôtres venaient quelquefois auprès d’elle s’éclairer de ses lumières. Mais, outre que cela paraît difficile après la dispersion des apôtres, j’aime mieux me représenter la Sainte Vierge dans ce petit coin du monde, ignorée, délaissée, priant, attendant le ciel, préparant son âme jusqu’à ce qu’elle fût assez embrasée d’amour pour se séparer de la vie, selon la belle expression de Bossuet, comme un fruit mûr par l’amour détaché.

Il y a là une grande leçon pour les religieuses, pour les avertir que, quelle que soit l’époque de leur vie, quelle que soit leur inutilité apparente, lors même qu’elles semblent n’avoir plus rien à faire en ce monde, n’être bonnes à rien, elles sont merveilleusement bonnes à se sanctifier et à se préparer au ciel.

La Sainte Vierge y consacra vingt-cinq ans; c’est long. Il ne s’agit pas pour vous d’une petite halte de cinq ou six mois, d’une courte maladie qui vient interrompre votre travail. La Sainte Vierge vous dit que c’est vingt-cinq ans qu’il faut passer dans l’isolement, l’éloignement des choses de ce monde, si Notre-Seigneur vous le demande.

Il faut donc bien du temps pour se préparer au ciel! Oui, certainement. Mais pendant cette halte dans la vie active, une religieuse de l’Assomption ne doit pas rester oisive; elle doit porter saintement le poids de son inutilité, de son incapacité. C’est l’heure des saints progrès, des prières plus fréquentes, des sacrifices plus constants. C’est très pénible, mes Soeurs, de n’être bonne à rien, ou bien parce qu’on est malade, ou qu’on a le cerveau affaibli, ou parce qu’on vous dit que vous êtes une nigaude. Alors il faut porter courageusement son mal, il faut vouloir ce que Dieu veut. Vous imiterez ainsi Marie à l’époque de sa vie la plus parfaite.

Je ne puis pas agir, je puis prier; je ne puis pas penser, je puis aimer; je ne puis pas prier, au milieu de mes souffrances, je dirai: « Mon Dieu, je vous l’offre. » Je suis isolée, personne n’a le temps de s’occuper de moi; j’aurai le temps de m’occuper de Dieu. Temps admirable dans lequel je puis prier et souffrir, et, par beaucoup d’isolement, arriver à la perfection de l’humilité! Mes Soeurs, quand on est arrivé à la perfection de l’humilité, on touche de bien près la perfection de la sainteté.

IV. Marie et l’Eucharistie

Pourtant, au milieu de son isolement, Marie conservait une consolation qui n’est jamais refusée, non plus, à la religieuse. Saint Jean communiait la Sainte Vierge, et la tradition rapporte qu’en lui présentant le corps de Jésus-Christ, il disait: « Femme, voilà votre Fils! » Mystère ineffable, mes Soeurs.

Et la religieuse séparée de toutes choses, reléguée dans son inutilité, ne peut-elle pas entendre quelque chose de semblable quand le prêtre s’approche portant le Corps du Sauveur? Il me semble que de l’oreille de la foi elle peut entendre les anges qui font cortège au divin Maître lui dire, dans les transports de leur adoration et de leur amour: « Voilà votre Epoux! » Pourquoi ne recevriez-vous pas Notre-Seigneur comme la Sainte Vierge l’a reçu, tâchant d’entrer dans ses dispositions, de prendre part à son amour? Voyez donc ce qu’a dû être une communion de la Sainte Vierge. Elle a vu sur le Calvaire l’inutilité du sang répandu par son Fils, l’inutilité des communions pour beaucoup de chrétiens et de religieux, plus encore les communions sacrilèges; elle a vu tant de Messes point ou mal entendues, des adorations mal faites, des profanations commises envers les saintes Espèces. Elle a vu tout cela. Pensez ce qu’il pouvait y avoir de douleur, d’amour, de trésors de réparation dans une seule de ses communions.

Et vous, mes Soeurs, ne pouvez-vous pas vous unir aux douleurs intimes de la Sainte Vierge devant tant de crimes qui se commettent? La Sainte Vierge, dans ses communions, a offert à son Fils un amour de plus en plus parfait.

Ne pouvons-nous pas imiter Marie, lui demander de présider à nos communions, de prendre les sentiments intimes de son coeur à ces moments si précieux? Ce qui se passe dans l’âme de Marie, pourquoi ne le verrait-on pas dans le coeur d’une religieuse de l’Assomption?

V. Douleurs de Marie a cause de l’Eglise

Enfin, les douleurs que Marie ressentait étaient très vives, à cause de l’Eglise qu’elle découvrait dans la suite des siècles. Elle avait été saluée du titre de Reine des prophètes; de son regard prophétique, elle voyait à travers le temps les persécutions des hérétiques et des mauvais chrétiens. Pendant vingt-cinq ans, ce terrible tableau passa sous ses yeux; une lumière intérieure et plus abondante lui manifesta tout cela pendant ses communions.

Sans être prophète, mes Soeurs, il suffit de jeter un regard sur les premiers siècles qui nous ont précédés pour voir quel sera l’avenir et quelles nouvelles persécutions attendent l’Eglise de Dieu.

Il y a dans cette vue de quoi nous attrister, et si nous ne sentons pas notre coeur brisé de douleur comme la Sainte Vierge, c’est que nous n’aimons pas comme elle. Pour des filles consacrées à une vocation apostolique, les sentiments de foi doivent jaillir d’un très grand amour.

Voyez donc ce que vous avez à faire, et, pénétrant dans la vie de la Sainte Vierge, demandez à cette bonne Mère qu’elle vous donne un coeur immense. Les douleurs et les souffrances l’agrandiront. Quand vous l’aurez agrandi, mettez-y une abondance d’amour, et vous sentirez alors le besoin de souffrir et de vous immoler davantage, marchant ainsi sur les traces de Marie, acceptant les différentes phases de sa vie.

Soit que Jésus vous mène à la pauvreté de sa crèche et à l’humilité, soit qu’il vous fasse partager l’obscurité de Nazareth, et plus tard les délaissements de ses courses apostoliques, soit qu’il semble vous repousser durement et même vous abandonner, soit que vous restiez à la croix, soit qu’il semble vous délaisser encore et répandre ses faveurs sur d’autres âmes, soit enfin que votre vie vous paraisse un long exil sans autre consolation que l’Eucharistie, voyez comme par la souffrance vous pouvez arriver à l’imitation de Marie, à une plus grande pureté, à une plus grande sainteté, à un plus grand amour.

Notes et post-scriptum