CONVERSATIONS [A ROME]

Informations générales
  • TD43.035
  • CONVERSATIONS [A ROME]
  • [Chez le P. Olivieri, le 5 novembre]
  • Orig.ms. BJ 1; T.D. 43, pp. 35-37.
Informations détaillées
  • 1 COMMERCE
    1 ENCYCLIQUE
    1 ERREURS MENAISIENNES
    1 HERITAGES
    1 JUSTICE
    1 LOI DIVINE
    1 LOI NATURELLE
    1 PECHE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PROPRIETES FONCIERES
    1 USURE
    2 CHABAUD, ABBE
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 PLATON
  • 5 novembre 1834
  • Rome
La lettre

5 novembre. Ol[ivieri].

[Olivieri]. Tout ce que l’encyclique contient contre M. de la M[ennais] est en dernière analyse peu de chose. Prenez la condamnation du livre, aucune proposition particulière n’y est formellement condamnée. Quant à mon opinion sur l’ouvrage, je puis dire seulement que c’est le rêve d’un homme de bien. Il me semble que M. de la M[ennais] est tombé dans une erreur semblable à celle de Platon, c’est-à-dire qu’il a voulu mettre dans le monde réel ce qui ne peut subsister que dans le monde de l’esprit. L’abbé de la M[ennais] a toujours dans l’esprit la pensée d’un monde, dans lequel tout sera pour le mieux, mais sur ce point il me paraît dans l’erreur; car on ne peut nier que tant que la cause du mal subsistera, le mal subsistera nécessairement. Or la cause du mal, c’est le péché, c’est le désordre des passions. Enlevez ce désordre, enlevez le péché, et vous serez en paradis. Mais tant que les hommes vivront, le péché subsistera, et par conséquent le mal également.

L’ouvrage de M. de la M[ennais], pris dans un sens symbolique, peut être très bon. Il faut l’entendre dans le même sens qu’il faut entendre les prophéties d’Isaïe, lorsque celui-ci fait la peinture d’une paix universelle. Cette paix, prise à la lettre, ne subsistera jamais; c’est une véritable folie. Il faut l’entendre dans un sens spirituel, et alors tout s’explique. Quant au blâme du système philosophique, on ne peut pas nier que l’encyclique ne s’explique pas clairement. Je crois qu’il y a un système philosophique blâmé dans l’encyclique, mais je ne sais si c’est celui de M. de la Mennais.

Chab[and]. Je voudrais, mon Père, vous proposer un cas. Un homme possède, depuis vingt-sept ans, de bonne foi un bien qui ne lui appartient pas. Son fils s’aperçoit que le bien n’appartient pas à son père, mais il ne l’en avertit pas, afin de laisser son père de bonne foi et de laisser passer le temps de la prescription. Les trente ans de prescription s’écoulent, en effet, et le père, de longues années après, vient à mourir. Le fils demande s’il peut légitimement hériter de ce bien.

Ol[ivieri]. Pour répondre à la question, il faut remonter aux premiers principes, c’est-à-dire qu’il faut établir en premier lieu que la propriété ne saurait être un droit naturel, mais qu’elle est un droit divin établi et maintenu par les lois humaines. La propriété, en effet, est un droit que l’on ne trouve pas dans les peuples sauvages. Les terres y sont au premier occupant à cause du travail, mais elles lui appartiennent par son travail. Rien, du reste, ne lui en garantit la possession permanente. Second principe, la loi oblige chacun à veiller sur sa propriété, sous peine de la perdre, et c’est de là que vient la prescription. Troisième principe, le possesseur de bonne foi prescrit. Un quatrième principe, nul n’est obligé d’avertir à son détriment le possesseur de bonne foi qu’il possède illégitimement; c’est au propriétaire à veiller sur ses droits. D’après ces principes, la solution de la question est claire.

Chab[and]. Je désirerais quelques explications sur l’usure.

Ol[ivieri]. Rien de plus simple. Il y a vingt ans que je m’occupe de cette question-là; ce n’est qu’une discussion de mots, dont vous ne vous tirerez jamais si vous employez le mot usure, parce que l’usure est certainement et bien évidemment défendue. Il ne s’agit que de savoir ce qui est usure et ce qui ne l’est pas. Prenez donc d’autres expressions, et la question prendra une forme toute différente. Parlez de justice commutative et tout est dit. J’ai fait un travail pour prouver que tous les théologiens les plus sévères sont au fond de mon avis.

Je pense que l’on a grand tort d’être d’un système exagéré dans ces principes, parce que c’est une des grandes raisons pour lesquelles tant d’hommes sont détournés du sacrement, et d’un autre côté c’est un moyen de livrer toute la richesse du commerce à des Juifs, des protestants ou des impies; ce qui est un très grand mal.

Notes et post-scriptum