- Aux Religieuses de l'Assomption
- Retraite aux Religieuses de l'Assomption d'Auteuil en août 1861
Douzième instruction - La tentation - Cahiers d'Alzon, XI, pp. 178-198
- CZ 95, pp. 53-60 (Cop. dactyl. des notes de Soeur M.-Antoinette d'Altenheim).
- 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
1 ADORATION
1 AMBITION
1 AME EPOUSE DE JESUS CHRIST
1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
1 ANGE GARDIEN
1 CIEL
1 CORRECTION FRATERNELLE
1 DEFIANCE DE SOI-MEME
1 DEMONS
1 DOMINATION DE DIEU
1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
1 ENVIE
1 EPREUVES SPIRITUELLES
1 ESPERANCE
1 EUCHARISTIE
1 FOI
1 HABITUDE DU PECHE VENIEL
1 HAINE CONTRE DIEU
1 HAINE CONTRE JESUS-CHRIST
1 HUMILITE
1 IMITATION DE JESUS CHRIST
1 JESUS-CHRIST NOURRITURE DES AMES
1 LACHETE
1 LIVRES
1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
1 LUTTE CONTRE LE MONDE
1 LUTTE CONTRE LE PECHE
1 LUTTE CONTRE SATAN
1 MAJESTE DE DIEU
1 MANQUEMENTS A LA REGLE
1 MORT
1 ORGUEIL
1 PARESSE
1 PECHE ORIGINEL
1 PECHES CAPITAUX
1 PERSEVERANCE
1 PRIERE AU SAINT-ESPRIT
1 PUISSANCE DE DIEU
1 PURETE D'INTENTION
1 RECHUTE
1 REDEMPTION
1 RENDEMENT DE COMPTE
1 SAINT-ESPRIT SOURCE DE LA CHARITE
1 SATAN
1 SPIRITUALITE TRINITAIRE
1 SUFFISANCE
1 TENTATION
1 TIEDEUR
1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
1 TRAVAIL DE L'ETUDE
1 TRIPLE CONCUPISCENCE
1 UNION A JESUS-CHRIST
1 VICTOIRE SUR SOI-MEME
1 VIE DE PRIERE
1 VIGILANCE
1 VOEUX DE RELIGION
2 ALTENHEIM, MARIE-ANTOINETTE D'
2 ANTOINE, SAINT
2 BOSSUET
2 BRIGITTE, SAINTE
2 FRANCOIS XAVIER, SAINT
2 GREGOIRE XVI
2 LUTHER, MARTIN
2 MAISTRE, JOSEPH DE
2 MICARA, LODOVICO
2 MICHEL, SAINT
2 PAUL, SAINT
2 PIE VIII
2 RODRIGUEZ, ALPHONSE
2 ROHAN, CARDINAL DE
2 VOLTAIRE
3 FRANCE
3 SAVOIE - Religieuses de l'Assomption
- RA
- Du 17 au 23 août 1861
- AUG 1861
- Auteuil
Alors Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert pour être tenté par le diable(1). »
La question de la tentation est une question nécessaire. Le Saint-Esprit ne nous dit-il pas: « Mon fils, si tu prétends servir le Seigneur, prépare-toi à l’épreuve(2). » Or, puisque les saints ont accoutumé d’être tentés, si vous êtes sans tentation, je vous plains. Vous n’êtes pas une bonne religieuse, si vous n’êtes pas tentée. Nous ne pouvons pas y échapper; notre divin Maître a voulu l’être plusieurs fois. Nous examinerons: 1° Quel est le tentateur? – 2° Quel est le sujet tenté? – 3° Quel est le remède que nous devons opposer à la tentation?
I. Le tentateur.
1° Réalité et puissance du diable.
Le tentateur est plus puissant que nous. Et d’abord le diable existe-t-il? On me disait il y a quelque temps, qu’un Monsieur qu’on me nommait, renoncerait au catholicisme plutôt que de croire aux tentations exercées contre les saints. On est tellement persuadé dans le monde que le diable n’existe pas qu’un très saint évêque expliquait les tentations par des causes naturelles. Etablissons donc d’abord qu’il y a un diable, et même plusieurs diables. Je ne vous dirai pas comme Luther, c’est Bossuet qui cite cette parole de Luther: Le pape a tant de diables qu’il en crache, qu’il en mouche… je ne finis pas… vous le trouverez dans l’Histoire des variations. Et saint Paul nous avertit, disant: « Ce n’est pas contre des adversaires de chair et de sang que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, les Puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les Esprits du mal qui habitent les espaces célestes(3). » Vous êtes ici cinquante ou soixante personnes, il y a sans doute autant d’anges gardiens, mais peut-être qu’il y a aussi cinquante ou soixante diables… Ecoutez, vous avez toutes lu cette histoire dans Rodriguez… il vaut mieux qu’il y ait beaucoup de diables ici que s’il y en avait peu. Rodriguez raconte l’histoire des deux diables: l’un à la porte de la ville s’y tenait les bras croisés; l’autre chargé de tenter un monastère avait été obligé d’appeler d’autres diables à son secours, et encore, ils n’en pouvaient venir à bout. Eh bien! c’est honorable pour un couvent d’avoir beaucoup de diables. Nous avons affaire au diable: il est plus vieux que nous, il a plus d’esprit que nous, plus d’expérience et avec les facultés naturelles qui lui ont été conservées et qui font son supplice, comme dit Bossuet, il a pour vous séduire des moyens et des habiletés dont nous ne nous doutons pas. Nous devrions être plus préoccupés du diable…
2° Utilité du diable.
M. de Maistre dit que le pivot de la société, c’est le bourreau. Et Voltaire a eu grandement raison quand il a dit: point de diable, point de christianisme. En effet, s’il n’y a point de diable, il n’y a pas eu de chute, par conséquent point de péché originel, point de rédemption; et sans la rédemption il n’y a pas de christianisme… c’est tout clair. Le diable donc, par un côté, est très utile. Le cardinal M…, vieux Capucin, me racontait il y a vingt-sept ou vingt-huit ans qu’au conclave qui fut tenu à la mort de Pie VIII pour l’élection de Grégoire XVI, un Samedi Saint pendant le chant de l’Exultet, en entendant ce passage: O felix culpa… le cardinal de C. (ce cardinal n’était pas bien fort en théologie) s’écria: mais, c’est impossible!… – Chut, chut, quand nous sortirons, je vous l’expliquerai. – S’il lui expliqua ou non, je n’en sais rien. Toujours est-il que par un côté, nous pouvons dire: ô heureuse faute! Le diable est utile, s’il était inutile, Dieu le laisserait avec son inutilité dans l’enfer sans lui permettre d’en sortir. Les tentations sont désagréables, mais elles sont dans les desseins de Dieu. Les grands saints ont tous été tentés et toute âme juste devant préparer son âme à la tentation, le diable est utile. C’est une petite justice à lui rendre en passant; ce qui ne fait pas que nous ne devions nous en défier. Dans les révélations de sainte Brigitte, on voit des choses extraordinaires dont Dieu se sert pour sanctifier ses élus… Les tentations sont bonnes, puisque Notre-Seigneur les a subies; le tentateur est utile en ce sens qu’il nous procure les tentations permises et voulues de Dieu pour notre sanctification: « Parce que tu étais agréable à Dieu il a fallu que la tentation t’éprouvât(4). »
a) il nous humilie
Les tentations sont nécessaires pour nous humilier, pour nous forcer au combat, pour nous donner des occasions de remporter des victoires. Si utile que soit le tentateur, il faut s’en défier. L’Eglise nous force à réciter tous les jours: « Frères, soyez sobres et veillez; votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde autour de vous, cherchant qui dévorer. Résistez-lui fermes dans la foi(5). »
b) il nous force à la lutte, à la vigilance
Comme un lion rugissant… représentez-vous que l’on vienne à vous apprendre qu’un individu propriétaire d’une ménagerie ambulante, est venu s’établir tout près de vous, rue de l’Assomption, que les cages sont brisées et que toutes les bêtes courent à droite et à gauche… les peurs que vous auriez!… vous seriez dans une vigilance constante pour ne pas être avalées à tous moments par un lion, par une hyène… Voilà l’état de surveillance, de vigilance dans lequel vous devez être par rapport au tentateur; et là est encore l’utilité du diable, de nous tenir par la foi dans un état de vigilance continuelle. Si nous n’avions à faire qu’à nous-mêmes, nous pourrions dire: j’ai une nature corrompue, je la tiendrai en bride, et nous verrons; mais en dehors de cette nature corrompue, de ce foyer de péché que nous avons au fond du coeur, nous avons affaire à une autre nature, à une nature extérieure qui est le monde et le prince de ce monde, aux esprits de malice, aux diables qui rôdent autour de nous comme des lions rugissants.
3° Raisons de la haine de Satan: a) contre toute créature
Remarquez-le bien: le tentateur est un être avec des forces supérieures aux nôtres, si vous restez dans l’ordre naturel; il vous en veut à mort; il a pour vous une haine terrible, pour trois raisons. La première parce que c’est vous, parce que vous êtes du nombre des élus, s’il est vrai d’après la tradition adoptée par l’Eglise que les élus sont destinés à combler les places vides des anges; 2° parce que vous êtes les créatures de Dieu…; 3° parce qu’il est l’ennemi de Dieu et que par ce côté, vous êtes ses ennemies. Si vous vivez sous la loi de Dieu, sous le sceptre de Dieu, vous n’êtes pas de son empire. Or il cherche à étendre cet empire et à restreindre les limites de l’empire de Dieu; il vous en veut à ce titre.
b) contre le Christ, ses épouses et les Saints
Il est l’ennemi particulier de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est venu pour détruire l’empire du démon dans ce monde, l’ennemi des sujets de Jésus-Christ. S’il est déjà l’ennemi des chrétiens, quelle haine ne doit-il pas avoir pour les épouses de Jésus-Christ? Donc, en tant que religieuses ayant fait les trois voeux qui attaquent la triple concupiscence sur laquelle le démon s’appuie pour triompher des hommes, vous êtes l’objet d’une haine particulière de la part du diable… Vous devez être fières de cette haine qui prouve combien vous êtes chères à Jésus-Christ, qui prouve l’amour que Notre-Seigneur vous porte: ce sont ces relations plus intimes avec Notre-Seigneur qui forment la haine du diable. Si le démon ne vous tente pas, c’est que vous êtes de pauvres petits êtres qui n’en valent pas la peine… si vous en valiez la peine, il vous tenterait. Les grands saints ont été tentés… Aujourd’hui, on dit qu’on ne voit plus les attaques du diable… je dis qu’on les voit tout aussi bien. Sans doute, il y a un plan général de Satan. Il est très probable, pour ne pas dire certain, qu’aujourd’hui nous n’attaquons pas Satan avec la même vigilance que les saints autrefois; nos concessions, nos accommodements font dire au diable: pourquoi tant me gêner? Je les laisserai dans leur engourdissement… elles tomberont du sommeil de l’enfer… c’est là dans bien des circonstances, le plan du démon. Il y a beaucoup moins de saints aujourd’hui… Satan se manifeste encore quelquefois. Je vous ai déjà parlé de ces enfants possédés en Savoie, et il y a des grandes personnes aussi… Si Dieu permet qu’il y ait moins d’attaques contre les saints, il y a là une marque d’affaiblissement de ceux qu’on voudrait appeler saints… où sont les saints Antoine, les saints François-Xavier d’autrefois?… Dieu ne permet pas que nous soyons tentés comme saint Antoine, c’est un effet de sa grande miséricorde, nous ne serions pas en état de soutenir la lutte.
II. Le sujet tenté.
Nous, mais préservés par l’Eucharistie.
Quel est le sujet tenté? C’est nous. Que sommes-nous par rapport au diable? Nous sommes des personnes baptisées, douées d’une force surnaturelle pour résister au démon. Il est donc incontestable que tant que nous nous tenons dans l’ordre de la grâce, nous pouvons le vaincre; incontestable, que si nous ne nous exposons pas par notre témérité, par notre imprudence, Dieu nous assistera.
Ce qui m’étonne, c’est qu’avec nos faiblesses, nos lâchetés, le peu de courage avec lequel nous combattons, nous ne tombions pas plus souvent. Je l’attribue à une action très réelle des sacrements et du sacrement de l’Eucharistie en particulier (il pourrait y avoir différents sens dans mes paroles, mais prenez-les dans le sens vrai) qui agit en nous, non pas malgré nous, mais sans nous. Oui, ce sacrement agit en nous-mêmes de telle façon que Satan est repoussé comme sans que nous nous en mêlions. Dans la vie plus parfaite où nous sommes, que d’occasions auxquelles nous nous exposons, que de facilités données à Satan, quel entraînement auquel nous nous laissons aller; nous tombons dans ses lacets dans une foule de circonstances. Etant donné la nature humaine, la lâcheté de la nature chrétienne, l’engourdissement de ce que j’appellerai la nature religieuse, je me demande comment Satan ne fait pas plus de mal… Il a fait beaucoup de mal dans le temps. Sans parler des chutes épouvantables dont les couvents de France sont préservés, en dehors de ces grands scandales, que de petites chutes! Réfléchissez… chutes d’orgueil, de paresse, toutes ces idées humaines, ces susceptibilités, cette mollesse, cette indifférence, ces jugements humains, est-ce conforme à l’esprit de Dieu? C’est la nature humaine qui succombe… une couche, un vernis extérieur que Satan laisse.
III. Remède aux tentations.
Jésus-Christ et l’Esprit-Saint.
Le remède à opposer aux tentations? Il est tout trouvé: Notre-Seigneur Jésus-Christ. Remarquez que, en dehors de l’esprit qui vient le tenter, il y avait un esprit en Notre-Seigneur. « Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit. » « Il a triomphé des puissances du mal par la croix(6). »
Il faut établir que le Saint-Esprit dans notre coeur est l’ennemi de Satan. Le premier remède contre la tentation, est la dévotion à l’Esprit-Saint. Qu’est-ce que l’Esprit-Saint? C’est le Don de Dieu, la troisième personne de la Trinité, obéissant au point de se faire don. Et l’Esprit-Saint est à la disposition des hommes: il est en eux, la vie, la force, le principe de la grâce.
Il est le principe de la charité. « L’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné(7). » Il est la charité même. Le Saint-Esprit est le prince de l’amour, le diable est le prince de la haine. Le diable est la haine non incarnée, mais angélisée si le mot est français, en face de l’amour de Dieu, de l’amour par excellence, de l’amour infini. Le Christ qui subit la tentations doit permettre le combat entre la haine personnifiée dans Satan et l’amour personne dans le Saint-Esprit. Voilà la lutte… De là, la nécessité qui ressort pour nous d’avoir une grande dévotion au Saint-Esprit. Qu’est-ce que Satan? c’est le prince du monde, le prince de la corruption. Le Saint-Esprit c’est le principe de la pureté. Voilà Satan en opposition avec le principe de la pureté. Si vous voulez triompher, il faut vous appuyer sur l’esprit de Dieu, sur l’amour, la pureté de Dieu, là est votre force.
La prière, les bonnes lectures, les occupations.
Il y a différentes occupations qu’on peut opposer aux tentations: les prières, les bonnes lectures, les occupations religieuses; elles sont proposées par Jésus…
1° Les prières.
Nous ne savons pas comment prier? et voilà le Saint-Esprit qui prie avec nous avec « des gémissements inénarrables ». Les paroles sorties de la bouche de Dieu, la prière en union avec la troisième personne de la Trinité sont une arme contre Satan.
« Le tentateur s’approchant, lui dit: si vous êtes fils de Dieu, dites que ces pierres deviennent des pains(8). »
« Jésus lui répondit: Il est écrit: l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Nous devons faire notre nourriture de cette parole qui prie.
2° Les bonnes lectures.
La parole de Dieu, à proprement parler, ce sont les lectures pieuses, les lectures réfléchies… Bossuet dit que nous devons ruminer cette parole, la méditer, nous en nourrir; alors elle agit en nous, nous fortifie, nous rend aptes au combat. Les études sont encore un moyen excellent contre les tentations, car elles nous occupent; mais ici, il y a quelquefois une tentation qui se présente: J’ai assez d’esprit, il me semble que j’ai assez bien traité tel sujet… débrouillé ce point d’histoire… Vous répondrez sur la géographie étonnamment bien. En écoutant le récit des succès des autres n’avez-vous jamais pensé ou dit: je serais capable d’en faire autant. La parole religieuse, si elle n’est pas sanctifiée par les bonnes intentions, peut devenir une parole humaine et même diabolique… il faut se surveiller… Il y a une parole par excellence: celle du Verbe de Dieu…
la parole de Dieu
« Le Seigneur m’a dit: Tu es mon Fils, moi-même, aujourd’hui, je t’ai engendré(9) » et cette autre parole: » De mon sein, avant l’aurore, je t’ai engendré(10). » Par ce côté-là, Notre-Seigneur est un grand moyen de combattre Satan.
Voyez l’habileté des réponses de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Satan voulait savoir ce qu’était Jésus, et Notre-Seigneur répond: « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Son humanité qui vient de passer quarante jours vivant avec les bêtes a faim, c’est naturel, mais elle est servie par les anges, elle a quelque chose pour la soutenir: la parole de Dieu. Voyez-vous l’importance pour nous de nous nourrir de cette parole? l’union avec la parole de Dieu, avec la volonté de Dieu. Il nous faut chercher la manifestation des intentions de Dieu… cherchons la volonté de Dieu: « La terre est pleine de ta bonté, Seigneur, enseigne-moi tes prescriptions(11). » Tout le psaume 118 est plein de textes semblables… Vous vous unissez à cette parole qui est le Verbe incarné en Jésus-Christ, par les Saintes Ecritures, les prédications, les bons livres, les décisions de l’Eglise.
Eviter les petits manquements.
Satan n’est pas content de cette manière par laquelle Notre-Seigneur lutte contre lui, puisqu’il est battu. Il porte Notre-Seigneur sur le pinacle du temple, et là: « Si vous êtes fils de Dieu, jetez-vous en bas, car il est écrit: « Il donnera pour vous des ordres à ses anges et ils vous prendront sur leurs mains(12) » et le reste. Une religieuse a le bonheur de vivre au milieu de saintes âmes, elle vit dans la société des anges, elle a la sainte liberté des enfants de Dieu… un léger manquement à la règle… ce n’est pas conséquent pour elle… les épouses de Notre-Seigneur sont des séraphins… elle peut se permettre quelque faute légère… que d’autres gens ne peuvent pas se permettre… elle saura se relever… non, il n’est pas possible qu’il en soit autrement. Dans une très sainte maison, au milieu des anges, des séraphins, du choeur des vierges épouses du Seigneur, si je venais à tomber… si je me permettais certaines licences, certaines fautes… mes soeurs m’aideraient à me relever… elles sont si bonnes, si édifiantes, si mortifiées, si obéissantes… ce serait sans conséquence. Voyez la finesse de la tentation… vous ne l’avez pas éprouvée?… un petit rien, cela ne sera pas vu dans une communauté si fervente… et vous ne voyez pas le danger que vous acceptez… c’est une chute insensible d’abord… vous n’irez pas vous jeter du haut de la maison… voilà un livre qu’il ne m’est pas permis de lire: je le lirai; cette question sans permission: je la ferai; ce petit mot: je puis bien le dire, ce n’est qu’une plaisanterie… elle peut blesser telle Soeur… mais ma Soeur est si bonne, elle ne s’en fâchera pas… Tous les jours, je me lève très exactement, mais, pour une fois, ce n’est qu’une petite infraction, ce n’est pas grand-chose… j’écornerai un peu ma méditation, bah! demain, je ferai plus… et puis, mes compagnes prient si bien. « Ils vous prendront sur leurs mains. » C’est charmant, ravissant ce prétexte de la sainteté des autres. On ne sera pas méchant tout à fait, mais il y aura affaiblissement… C’est si bon de cesser de ramer quand le bateau va après qu’on a suspendu le mouvement, on ne se fatigue pas… mais si le vaisseau de la maison n’est ramé que d’un côté, il va de travers, et si tout le monde cesse de ramer, il s’arrête tout à fait… alors s’il y a un courant à remonter, on le descend… ça passera tout doucement… j’aurai un petit caprice, ma maîtresse des novices restera plus longtemps avec moi, elle empêchera les pierres du chemin de me heurter. Hélas! hélas! vous ne vous doutiez pas que ce verset de Complies qui est dit de Notre-Seigneur, était le détail des histoires de vos tentations. Il s’applique à Notre-Seigneur et il peut s’appliquer à une religieuse… Notre-Seigneur est le remède, répondez comme lui. Mon infraction n’est pas grand-chose… je vois encore un cardinal avec qui je causais, et qui grattait le mur d’une église. Ce n’est qu’un rien; mais on enlève d’abord un éclat du badigeon, puis le plâtre… alors si l’on veut ôter une pierre, on peut la prendre avec la main, il n’y a pas besoin de marteau… et la muraille est renversée!… comment ce n’est qu’un rien?…
Vous n’écornerez en rien le règlement; vous ne compterez pas sur l’appui, sur l’édification des Soeurs… et le temps passé et souvent perdu avec la maîtresse des novices?… Ah! vous ne regarderez pas le rendement de compte comme un épanchement; vous ne voudrez pas que le confesseur ait une ou deux oreilles entièrement à vous, pendant que celle qui attend à côté se plaint que vous restez trop longtemps…
Se défier de soi-même.
Vous marcherez simplement, droitement, dans la défiance de vous-même… vous n’êtes pas assez forte, dites-vous, pour chercher à vous relever et vous comptez sur vos soeurs, sur vos Supérieures, et vous comptez beaucoup trop sur vous-même, voilà le fond. Notre-Seigneur, en ne se jetant pas du haut de la montagne, vous prêchait la défiance de vous-même, c’est là un grand moyen. La défiance des pièges que Satan veut nous tendre: Satan montre à Notre-Seigneur les royaumes de la terre: « Je vous donnerai tout cela, si, tombant à mes pieds, vous vous prosternez devant moi(13). » Vous n’avez jamais eu l’idée d’adorer Satan? Un jeune homme vint me dire: on me parle de gens qui voient le diable et font des traités avec lui; moi, j’ai promis au diable de lui faire un traité, il ne m’a pas répondu… Le diable lui répondit: il mourut deux mois après, avec les sacrements il est vrai; mais le Bon Dieu le faisait paraître devant lui et là il traitait ses affaires avec le diable… et il les vidait probablement…
Prévoir et redouter les retours offensifs du tentateur.
Bossuet fait observer que tout chrétien en qui le diable est chassé par le baptême est exposé à le voir revenir « avec sept esprits plus méchants que lui(14) » et moi, je suis convaincu que si le diable chassé par le baptême du coeur du chrétien y revient avec sept esprits, chacun des sept en prend sept autres lorsqu’il s’agit d’une religieuse qui a fait les saints voeux… sinon, c’est que le diable trouve qu’il y en a assez de sept… c’est de la logique pure, il n’y a pas d’imagination, là… Le diable multiplie ses forces à mesure que ses ennemis sont plus forts. Le chrétien est déjà plus fort que lui par le baptême, il prend sept esprits avec lui; la religieuse, par les grâces reçues, par les voeux qu’elle a faits, est rendue plus forte, il prend sept autres diables… Parmi les sept diables, vous ne comptez pas les sept péchés capitaux?… Quand je suis paresseuse, n’est-ce pas un grain d’encens que j’offre au diable de la paresse? quand je suis susceptible, ne fais-je pas une génuflexion devant le démon de l’envie? quand l’imagination m’entraîne… je m’arrête… Sans vous en douter, vous avez peut-être un petit culte pour le diable… Examinez… En effet, le meilleur culte pour lui, ce sont les péchés que vous avez envie de commettre et que vous commettez. Si Notre-Seigneur avait succombé, il se serait mis aux pieds du démon de l’ambition; et le démon, en échange, lui aurait donné tous les royaumes de la terre.
Les petites révérences au diable.
Le diable ne vous demande pas des péchés mortels… non, il se contente de petits péchés… il n’exige pas une génuflexion complète, il se contente d’une inclination de tête, il la prend pour gage… vous ne vous mettrez pas à plat ventre devant le diable, non… vous ne céderez pas à l’ambition… mais, dans une foule de circonstances que de petites fautes! On me parlait d’un saint cardinal, le cardinal de Rohan qui, tous les soirs, avant de se coucher allait faire une génuflexion devant les saints des chapelles de sa cathédrale… Une religieuse qui a, non les sept péchés capitaux, mais trois, quatre, cinq petits péchés, ne fait-elle pas, toutes les fois qu’elle commet ces petits péchés, une génuflexion à la figure diabolique placée dans son coeur?… Il faut détruire toutes les niches, renverser toutes les statues, livrer un combat absolu… « Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu et tu ne serviras que lui seul(15). »
Suprême remède: l’adoration, la confiance en Dieu.
En commençant, j’ai insisté sur la réalité du diable, sur la réalité de son existence, mais quand nous sommes tentés, nous avons un refuge dans le sentiment de la réalité de l’existence de Dieu, de Dieu qui est le maître de tout. Un des malheurs de la vie religieuse, c’est que nous ne sommes pas préoccupés de cette grande et sublime adoration de Dieu: « C’est vous, Maître, qu’il faut adorer(16). » Si nous étions pénétrés des droits de Dieu sur nous, de ses attributs magnifiques, – il se manifeste pour être adoré, – si nous étions davantage préoccupés des honneurs que nous devons lui rendre, combien nous déplorerions la négligence coupable de cet oubli qui a fait que nous ne nous sommes pas placés en face de l’immense majesté de Dieu!… « Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dispersés et que ceux qui le haïssent fuient devant sa face(17). » Que Dieu se lève dans mon coeur et que ses ennemis soient dissipés! Nous avons établi au commencement qu’il y est par le Saint-Esprit avec sa justice, avec sa miséricorde, avec sa puissance… Dans le sentiment de cette présence de Dieu, mon être se renouvelle et est fortifié: « Le Seigneur est ma force et l’objet de mes chants(18). » Il se lèvera si nous le lui demandons… Rendons-le maître de nos facultés, de notre substance… qu’il se lève pour le combat livré entre le Saint-Esprit et le démon. Ici, c’est l’adorable Trinité dans notre coeur qui repousse Satan, si nous lui donnons un sanctuaire digne d’elle. Voyez encore l’utilité de Satan: à mesure que nous tremblerons devant l’ennemi de Dieu, nous nous confierons en Dieu, nous nous réfugierons derrière les rayons de sa majesté infinie. Qu’il se présente en vainqueur de tous les ennemis de mon salut! qu’il me fasse triompher du tentateur, ce ne sera pas moi qui vaincrai. Mon Dieu, en présence de vos intérêts, oubliez-moi. Puisque vous avez choisi mon coeur pour être le théâtre magnifique du combat et de votre victoire sur votre ennemi, je profiterai des bienfaits de la victoire, mais vous seul, vous la remporterez!
Durée des tentations.
Combien de temps dureront ces combats? Dieu le sait. Probablement jusqu’au dernier jour, jusqu’à la dernière heure, puisqu’elle est appelée agonie, c’est-à-dire combat. Par les angoisses de Jésus, par le Verbe que Dieu a prononcé, par la puissance de Dieu, vous combattrez la puissance du prince de ce monde. La grâce de Dieu est en nous, pour nous aider dans nos efforts. Plus vous serez poursuivies par le tentateur, plus vous devrez vous appuyer sur Dieu, vous précipiter dans le sein de Dieu.
« C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être(19). » Soyez toujours du côté de Dieu; dites avec saint Michel: « Qui est comme Dieu? » Ayez l’intelligence de cette parole admirable… Pour la comprendre, il faut « entrer dans les puissances du Seigneur(20) ». Livrons-nous à ces pensées, vivons dans ce sentiment, que Dieu veut nous prendre pour instrument de ce combat, non pas nous, mais Jésus en nous, nous serons sûrs alors d’être victorieux et de remporter la palme éternelle. Ainsi soit-il.
2. Eccl., II, 1.
3. Eph., VI, 12.
4. Tob., XII, 13.
5. I Pet., V, 8.
6. Col., II, 15.
7. Rom., V, 5.
8. Matth., IV, 3.
9. Ps., II, 7.
10. Ps., CIX, 3.
11. Ps., CXVIII, 64.
12. Matth., IV, 6.
13. Matth., IV, 9.
14. Matth., XII, 45.
15. Matth., IV, 10.
16. Baruch, VI, 5.
17. Ps., LXVII, 1.
18. Ps., CXVII, 14.
19. Actes, XVII, 28.
20. Ps., LXX, 16.