Sermons divers

29 mar 1861 Nîmes
Informations générales
  • Sermons divers
  • Carême prêché en 1861 à St-Charles de Nîmes
    Vendredi 29 mars - Passion
  • GO 2, p.407-449 (notes du P. Galabert).
Informations détaillées
  • 1 AGONIE DE JESUS-CHRIST
    1 AMBITION
    1 CHATIMENT
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 DESESPOIR
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 EGOISME
    1 EMPIRE DE SATAN
    1 ENFER ADVERSAIRE
    1 ENNEMIS DE JESUS-CHRIST
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 EPREUVES DE L'EGLISE
    1 EUCHARISTIE
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 GLORIFICATION DE JESUS-CHRIST
    1 HAINE CONTRE JESUS-CHRIST
    1 HAINE DE SATAN CONTRE JESUS-CHRIST
    1 HERESIE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 IDEES DU MONDE
    1 INSTITUTIONS POLITIQUES
    1 JEUDI SAINT
    1 JUIFS
    1 LACHETE
    1 LAVEMENT DES PIEDS
    1 LEGERETE
    1 LIBERTE
    1 MAGNIFICAT
    1 MARIE
    1 MAUVAIS CHRETIENS
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 POUVOIR
    1 PROVIDENCE
    1 REDEMPTION
    1 REGNE
    1 RESURRECTION DE JESUS-CHRIST
    1 ROI DIVIN
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SCHISME
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 SOUVERAIN PROFANE
    1 TRAHISON
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 VERITE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 CAIPHE
    2 DAVID, BIBLE
    2 ELISABETH, SAINTE
    2 HERODE AGRIPPA I
    2 JEAN, SAINT
    2 JUDAS
    2 PIERRE, SAINT
    2 PILATE
    3 JERUSALEM
  • 29 mar 1861
  • 29 mar 1861
  • Nîmes
  • Eglise St-Charles
La lettre

Videbunt in quem transfixerunt – Ils verront celui qu’ils ont percé (Joan. cap. 19, 37 – Zach. 12, 10).

Telles sont , mes frères, les paroles empruntées à l’ancien testament et par lesquelles l’apôtre St Jean finit le récit de la Passion. Ils verront celui qu’ils ont percé. Videbunt in quem transfixerunt. En effet après toutes les humiliations, après toutes les souffrances du Sauveur, après ces étonnants abaissements, après cette inique condamnation, Dieu qui s’était réservé tous se droits voulut les manifester aux hommes précisément dans l’acte de l’humiliation imposée à son fils. – Chrétiens que le récit des souffrances du Fils de Dieu réunit ici, c’est là le scandale et la folie de la croix; et c’est en même temps la sagesse de Dieu. Au milieu des événements divers amenés par la suite des temps, à côté des humiliations et des opprobres, c’est ainsi qu’apparaissent toujours les gloires de son Eglise. Voyons cette Eglise insultée, bafouée avec son divin époux; considérons-la flagellée, revêtue d’un manteau de pourpre dérisoire, couronnée d’épines, les pieds et les mains liés sur la croix où elle est crucifiée; et disons avec l’évangéliste à la vue ce cette Eglise: voilà celle que nous avons crucifiée en crucifiant avec elle J.-C. son divin époux.

Aujourd’hui, mes frères, laissant de côté pour ainsi dire, afin de parler le langage du jour, les préjugés anciens, m’attachant à ce qu’il y a de plus immuable et de plus impérissable dans la Providence de Dieu, je m’appliquerai à vous comparer l’histoire des humiliations de J.-C. à celle des humiliations de son Eglise. Ce sujet pourra peut-être paraître restreint à quelques-uns; mais outre que l’on ne peut pas tout dire, il me semble adapté aux circonstances et aux épreuves de l’Eglise.

Les dispositions de la Providence divine, s’accomplissant dans la mort du Sauveur, tout en laissant à ses ennemis aveuglés leur liberté d’action, voilà certes un sujet digne de votre attention; mais si nous y voyons en même temps un grand enseignement, de même que le chrétien se console en suivant le Sauveur dans les circonstances diverses de sa douloureuse passion par l’espérance de sa résurrection, gage de notre salut et de notre bonheur, de même nous aussi, après un témoignage de 18 siècles, en voyant cette Eglise percée des traits de la haine et de la perfidie, revenant à son divin époux sur le calvaire, nous la reconnaîtrons comme notre mère et notre reine. Voilà le point de vue sur lequel nous considérerons l’histoire des souffrances de notre Sauveur. Nous demanderons à cette croix, au divin Sauveur de mettre sur nos lèvres des paroles qui atteignent les intelligences et les convainquent, des paroles qui touchent les coeurs et les convertissent.

O Crux ave.

Je dis donc que Dieu dans la Passion de son Fils se propose de montrer aux hommes comment en respectant leur liberté, il n’en arrive pas moins à ses desseins. De toute éternité il a été décidé que le Fils de Dieu, la seconde personne de la Très Sainte Trinité(1), le Verbe Incréé, se ferait homme, pour mourir sur la croix afin de racheter par son sang les hommes de l’esclavage du démon. Le Fils incarné obéissant à l’ordre de son Père, par un acte d’une liberté très pure et très aimante, le Fils se donnera, mais il se donnera en Dieu. Comme homme il montrera toutes les faiblesses de l’humanité, et comme Dieu il montrera la puissance de la divinité.

[1er point]. – Je prends mon récit un peu plus [haut] que ne le font ordinairement les prédicateurs de la Passion; je me transporte au moment où la dernière cène est terminée: Coena facta, cum diabolus jam misisset in cor ut traderet eum Judas Simonis Iscariotae (Joan. 13, v.2). A ce moment précis où Satan persuade à Judas de trahir son divin maître, voilà que J.-C. se prépare à son tour au combat. Je n’examine pas la manière dont il a voulu être trahi, je m’arrête à ce point pour vous montrer la lutte qui commence entre J.-C. et Satan. Cum diabolus jam misisset, Satan sent que son empire va être ébranlé; pour lutter avec plus d’avantages, il établit pour ainsi dire des intelligences dans le propre camp de son ennemi. Voilà Judas qui accepte les perfides desseins de l’ennemi de son maître. Néanmoins volà dans cette trahison de Judas une pensée de miséricorde de Dieu à l’égard de ces misérables qui persécutent l’Eglise, ils ne savent pas ce qu’ils font, et c’est là la puissance de Satan qui agit en eux et par eux; il a mis dans leur coeur la haine de l’Eglise et l’espérance de la renverser même par les plus noires perfidies.

Mais en même temps que Satan s’empare du coeur de Judas, sciens Jesus quia omnia dedit ei Pater in manus et quia a Deo exivit et ad Deum vadit. Voilà donc Jésus instruit des perfides desseins de son ennemi; il peut les détruire, les anéantir. Or que va-t-il faire? Il se lève, surgit a coena, se dépouille de ses vêtements, et ponit vestimenta sua, et il lave les pieds de ses apôtres et coepit lavare pedes discipulorum. Quel rapport entre cette déclaration magnifique de la Puissance de Jésus et cet acte d’humilité incompréhensible – quel rapport vous demandez, chrétiens? Qu’est ce Satan? C’est un rebelle, un orgueilleux révolté qui va être confondu par cet acte surprenant qui inaugure le sacrifice de Jésus, le sacrifice de l’humilité. Par cette humilité divine, le Sauveur a voulu nous donner des leçons, nous montrer comment il sait tourner à l’accomplissement de ses desseins les perfides entreprises de son ennemi. En effet, comme l’observe St Augustin, est-ce que J.-C. lorsqu’il choisit Judas ne l’aimait pas? Certes il l’aimait, autrement il ne l’aurait pas mis au nombre de ses apôtres. Mais voilà Judas qui, devenu traître, servira entre les mains de Jésus à l’accomplissement de ses desseins. Oui, Jésus aime tous les hommes; et comme il s’est servi de Judas, de même il se sert de ceux qui méprisent son amour, il se sert de ces traîtres qui trahissent et insultent son Eglise, pour accomplir ses desseins de miséricorde.

Permettez-moi ici une remarque. Il y a dans le récit de l’évangéliste deux cènes; la cène mystique dont il parle longuement et la cène eucharistique qu’il tient en quelque sorte dans l’ombre pour se conformer à la loi du secret. Mais néanmoins elle est indiquée par une parole que comprennent tous ceux qui connaissent un peu la discipline de l’Eglise à cette époque: post bucellam, voilà le pain eucharistique. Eh bien! c’est à ce moment même que Satan entre dans le coeur de Judas et post bucellam introivit in eum Satanas (ibid. v.27). C’est ainsi que tandis que ce pain eucharistique est le principe de la puissance apostolique, de la force des martyrs, de la constance et de la générosité des confesseurs et des vierges, il est pour Judas le sceau de sa condamnation. Satan pénètre le coeur de Judas, il s’empare de lui, le maîtrise, de telle sorte que lorsque l’évangéliste nous montre Jésus adressant à l’apôtre apostat ces paroles: quod facis, fac citius (ibid.), l’on peut se demander si Jésus adresse ces paroles à Judas ou à Satan; l’on peut dire que Judas n’était plus à lui, il était déjà possédé par son remords, bouleversé par le désespoir qui s’emparait de son âme, dominé par Satan qui se croyait sûr de son triomphe; et c’est à ce moment même que J.-C. déclare que la gloire de son Père éclate: Nunc clarificatus est Filius hominis, et Deus clarificatus est in eo (Joan. cap. 13, v.31), parce que Satan va être pris dans ses propres filets et sa victoire sur son ennemi est le signe de sa honteuse défaite. Il en est toujours ainsi; dans les moments où la haine de Satan contre l’Eglise semble redoubler et sur le point de triompher, l’homme quel qu’il soit semble disparaître, c’est Satan seul qui le dirige, le gouverne: Sed haec est hora vestra et potestas tenebrarum (S. Luc 22, v.53).

Jésus se rend au jardin des Olives; je ne parle pas de son agonie, je ne veux vous indiquer que le moment solennel où Jésus recommence son combat. – Mais Jésus se lève, s’avance vers ceux qui viennent le chercher; Jesus itaque sciens quae ventura erant (Joan. cap. 18, v.4). – Comment le savait-il? Est-ce qu’il n’avait pas connu la trahison de Judas, et ne l’avait-il pas révélée à Jean le disciple bien-aimé? – N’avait-il pas prédit à Pierre son triple reniement, n’avait-il pas dit: montons à Jérusalem où le fils de l’homme sera méprisé, conspué, flagellé, couronné d’épines, crucifié.

Alors donc, comme une victime volontaire il s’avance vers ceux qui viennent le saisir. Quem quaeritis?, leur dit-il, et la tourbe ignorante répond avec son aveugle brutalité: Jesum Nazarenum. Jésus leur répond: Ego sum et aussitôt abierunt retrorsum et ceciderunt in terram. Pourquoi donc ayant cette puissance sur ses ennemis, il se laisse lier, garotter? – Pourquoi? Jésus lui-même va nous l’apprendre: Cum quotidie fuerim vobiscum in templo non extendistis manum in me; sed haec est hora vestra et potestas tenebrarum (S.Luc 22, 53). Voyez-vous comment le maître du temps fixe le moment de son sacrifice, quand l’heure n’est pas venue, il déjoue tous les desseins de ses ennemis; lorsque l’heure choisie est arrivée, il se livre entre leurs mains, mais il faut auparavant qu’ils reconnaissent son pouvoir divin. Une fois que son pouvoir divin s’est manifesté, ils se relèvent; si c’est moi que vous cherchez, leur dit-il, me voici, mais auparavant reconnaissez mon autorité et ma puissance, et laissez les autres se retirer en paix. Et après avoir ainsi pourvu à la sûreté des siens, il s’abandonne à la fureur de cette soldatesque. C’est précisément là où je veux arrêter votre attention. De même que dans la vie du Sauveur, il y a un moment, une heure où les puissances de l’enfer triomphent, de même dans l’histoire de l’Eglise il y a des moments où les puissances des ténèbres semblent dominer. Mais tout cela se fait par un dessein secret de Dieu.

Que Judas se livre bientôt au désespoir, peu importe; que la haine des Pharisiens soit satisfaite, peu importe. J.-C. a voulu souffrir. Mais comme les Ecritures avaient tout annoncé, tout s’accomplit. Laissons donc le Sauveur garotté, enchaîné, traîné de tribunal en tribunal, c’est la volonté de Dieu.

Pierre frappe un serviteur du grand-prêtre et pour montrer sa puissance, Jésus le guérit aussitôt, et il dit à Pierre: Mitte gladium tuum in vaginam. Calicem quem dedit mihi Pater, non bibam illum? (Joan., ibid, v.11). Il pourrait s’échapper, mais il a un sacrifice à offrir et il boit le calice offert par son Père. Mais en même temps le Tout puissant saisit le calice de sa fureur: Sume calicem vini furoris hujus de manu mea; et propinabis de illo cunctis gentibus ad quas ego mittam te, et bibent et turbabuntur et insanient a facie gladii, quem ego mittam inter eos (Jérém. 25, 15 sq). Voilà le calice de l’obéissance accepté par le fils de Dieu, voilà le calice de la fureur divine contre ce peuple déicide. Ceux qui veulent être sauvés doivent accepter ce calice d’obéissance, de patience, de résignation. Ceux qui refusent auront contre eux le calice de la fureur divine. – Chrétiens, quel calice voulez-vous choisir? Voulez-vous le calice de Jésus qui vous sauvera, ou bien celui de la fureur éternelle qui embrase et échauffe les feux de l’enfer? Choisissez. J’espère que vous accepterez le calice de votre Sauveur, et vous retournant vers les lois de la rédemption, vous vous écrierez avec l’Eglise:

O Crux ave, spes unica.

[2e point]. – Considérons Jésus devant les tribunaux. – Depuis que les ministres maladroits du gouvernement ont déféré au conseil d’Etat le mandement d’un évêque pour avoir parlé de Pilate, tous les prédicateurs de Carême sont très embarrassés le Vendredi saint. S’ils parlent de Pilate, on leur reproche de faire des allusions politiques, s’ils taisent le nom, l’allusion est encore plus forte. Dans cet embarras, j’aborderai franchement la question et laissant de côté toutes les allusions, je parlerai de Pilate en prêtre dévoué aux seuls intérêts de la vérité et de la foi, laissant à ceux qui voudront faire les applications(2). Pour mon compte j’ai à montrer le crime des pouvoirs humains condamnant la plus juste des causes, et dans leur liberté d’acteur servant à l’accomplissement des desseins de Dieu.

Ce qu’il y a de plus étonnant c’est que Jésus avant de paraître devant le tribunal politique veut être devant deux tribunaux, l’un religieux et savant chez Caïphe, l’autre mondain et léger chez Hérode. –

– Il paraît d’abord devant Caïphe, ce prêtre de cette année qui avait déclaré qu’il était convenable qu’un homme mourût pour le peuple. – Cet homme est embarrassant, il faut l’écarter, mais sa mort peut amener des troubles, nous y mettrons de la science, des formes, nous ferons parler les avocats et les légistes; nous étudierons les vieux décrets du Sanhédrin, et nous y trouverons des précédents qui nous défendent de condamner quelqu’un à mort; mais en même temps nous y verrons que le Prophète nous déclare que s’il est fils de Dieu comme il le dit, il doit mourir pour le salut de la nation.

– Cependant Jésus est devant Caïphe; après avoir donné diverses réponses, adjuré de dire s’il est le fils de Dieu, il le déclare; oui je le suis, et non seulement je le suis, mais encore vous verrez le fils de l’homme, assis à droite de la vertu du Père, et venant sur les nuées du ciel pour juger les vivants et les hommes. Ego sum; et videbitis filium hominis sedentem a dextris virtutis Dei, et venientem cum nubibus caeli (Marc, 14, 62)(3). Aussitôt les vêtements du grand Prêtre sont déchirés et sans s’en douter il accomplit la prophétie qui annonçait l’abolition du sacerdoce légal. – Il a blasphémé, s’écrie-t-il, il est digne de mort; et voilà Jésus traité comme un vil criminel. C’est ainsi que les choses se passent lorsque Dieu se manifeste aux hommes, et c’est ainsi que les desseins pervers de ses ennemis conduisent le Sauveur à son but: il est fils de Dieu, et c’est ainsi qu’il s’est présenté à ceux qui devaient le reconnaître. En le condamnant ils montrent la honte de la science, orgueilleuse, menteuse, jalouse, envieuse. Jésus a manifesté ses droits; il a dit ce qu’il était. Voyez comment est admirable cette disposition de la Divine Providence; il fournit à tous les hommes l’occasion de connaître la vérité, mais ce qui devait ouvrir les yeux de ses ennemis les ferme, et voilà comment en restant dans leur liberté douteuse, ils accomplissent les desseins de Dieu. – Les chrétiens dans ce monde sont souvent exposés comme Jésus; adjurés de dire la vérité, s’ils la disent ils sont traités de blasphémateurs, de révoltés, de rebelles; s’ils la taisent, ils trahissent leur devoir; telle est l’alternative du mensonge ou de la mort, laissée encore de nos jours aux vrais chrétiens défenseurs courageux des droits de la vérité. Cependant ils la disent, leurs ennemis ne veulent pas la reconnaître, et dans leur fureur aveugle ils servent les desseins de Dieu qui veut purifier son Eglise et séparer la paille du bon grain. Voilà comment la volonté divine s’accomplit tous les jours par les hommes.

– Les Grands Prêtres conduisent Jésus chez Pilate, celui-ci apprend qu’il est Galiléen et il le renvoie à Hérode, roi de Galilée, qui se trouvait à ce moment à Jérusalem. Hérode était un prince débauché, impudique, léger, sarcastique; c’était le roi des gens du monde. Ils ne sont pas précisément mauvais; mais ne savent jamais prendre une bonne résolution pour faire le bien; il est le roi de ces gens qui croient pouvoir se tirer de tout par un trait d’esprit. Du reste ces hommes aiment les miracles; pour satisfaire leur penchant naturel, ils iront(4) au besoin consulter les sorciers. – J.-C. se laisse conduire chez Hérode. Celui-ci heureux d’une pareille aventure pensait être témoin de quelque miracle; il voulait divertir sa cour. Mais Jésus laisse Hérode avec sa légèreté, son impudicité et ses sarcasmes dont il subira les conséquences en consentant à être revêtu d’une robe, enseigne de la folie. Mais il gardera le silence, et la curiosité d’Hérode ne sera pas satisfaite. S’il se trouve quelques-uns de ces esprits légers, je voudrais les mettre en présence d’Hérode, et leur montrer à leur tour comment Jésus répond à leurs sarcasmes et à leurs traits d’esprit. Le divin Sauveur comprenant qu’il n’y avait rien à espérer de ces gens, garde le silence. – C’est peut-être la plus douloureuse épreuve pour l’Eglise de voir cette épouvantable légèreté des esprits qui, contents de se réfugier dans la satisfaction de leurs intérêts et de leurs goûts, laissent tomber les droits les plus respectables, et mépriser les choses les plus saintes et les plus dignes de leurs hommages.

– De chez Hérode Jésus est renvoyé à Pilate. C’est un honnête homme; il n’avait pas fait grand mal, il était arrivé par des moyens honnêtes. Il connaît le fond des choses. Il sait l’innocence de l’accusé, mais il n’a pas le courage d’une résolution conforme à la justice et à l’équité. – Pilate n’avait pas été circoncis, il n’était ni Juif ni disciple de Jésus, et à cause même des ténèbres de sa naissance, Jésus s’arrête, cause avec lui, répond à ses questions et essaie de l’instruire. – Interrogé s’il est véritablement roi des Juifs, Jésus répond: oui je suis roi, mais mon royaume n’est pas de ce monde; ou bien mon royaume n’est pas aujourd’hui, mais si un jour il me plaît d’avoir un pouvoir temporel sur la terre, je saurai bien me le constituer; mais dans ces moments mon pouvoir n’est pas dans ce monde. Si je suis venu dans ce monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité; en face de toutes vos sciences mondaines, en face de vos arguties légales, en face de votre puissance; j’ai un devoir à remplir, j’ai à rendre témoignage à la vérité. C’est pour cela que je suis venu en ce monde. Je suis la vérité et c’est cette vérité qui s’annonce en face de toi, elle se manifeste pour que tu puisses la reconnaître et la confesser; mais non, tu es enfoui dans tous les calculs de ton ambition. Ainsi voilà le pouvoir temporel laïque représenté par Pilate, et Jésus descendu du ciel avec son essence divine; Voilà le Pouvoir spirituel.

En voyant Jésus et Pilate en présence, qui de nous n’aurait pas cru ce dernier le vainqueur. Et néanmoins Pilate et son empire seront renversés; Pilate meurt dans l’exil; mais quant au peuple roi qui par Pilate a crucifié Jésus, il devra aussi expier son crime; et les Barbares du Nord seront les instruments de Dieu. Voilà la lutte qui a commencé; voilà la lutte qui se poursuit encore aujourd’hui; voilà la lutte qui épouvante tout chrétien timide et craintif; mais nous chrétiens sincères, dévoués, soumis et fidèles, nous savons que Dieu s’est réservé des témoins sur la terre, et que ces témoins ne périront jamais: Ego in hoc natus sum et ad hoc veni in mundum ut testimonium perhibeam veritati; omnis qui est ex veritate audit vocem meam (Jean 18, v.37).

Pilate homme ambitieux et lâche, politique et poltron, entre dans le système des concessions. Il commence par prendre Jésus et le faire flageller. Pilate ne se doutait pas que ce sang divin était la seule huile digne de consacrer le roi des biens célestes et le Pontife des biens futurs. O divin Sauveur de nos âmes, qui aurait jamais pu croire que cette flagellation était le moment solennel de notre sacre, et que ces paroles du prophète: unxit te Deus, Deus tuus oleo laetitiae (Psal.44, v.8)(5). C’est alors que vos désirs se sont accomplis: Baptismo autem habeo baptizari, et quomodo coarctor usquedum perficiatur (S.Luc 12, v.50). Et maintenant que Pilate a accompli cette prophétie, il fait amener Jésus, couvert d’un manteau de pourpre, couronné d’épines, un sceptre dérisoire à la main, et il le présente au peuple en disant: Voilà l’homme, Ecce homo. Oui, voilà l’homme regénéré par excellence, l’homme Dieu qui a invité tous les hommes à sortir de l’abîme où les avait plongés le péché, et à remonter avec lui dans le ciel. Voilà l’homme qui va terrasser Satan; voilà l’homme qui va expier nos convoitises et nos passions. Voilà cet homme que Pilate offre à la dérision des Juifs.

Mais cela ne suffit pas; il rentre une seconde fois dans le prétoire. Pilate s’assied dans son tribunal, qui s’appelle en grec Lithostrotos et Gabbatha dans l’Hébreu, le moment est solennel; mais cette fois il ne se contente pas de dire: voilà l’homme; il dit: voilà votre roi Ecce Rex vester. Si j’interroge la justice de Pilate, il me semble qu’il y a dans ses paroles un sentiment de mépris, d’amère dérision pour les Juifs, il croyait bafouer le dernier rejeton de leurs rois, le dernier représentant d’une royauté temporelle et passagère. Tu te trompes, Pilate, Jésus est le rejeton de David; il prend aujourd’hui possession de sa royauté qui comprend la terre et les cieux; et cette royauté est proclamée par le peuple lui-même. Dans cette insulte, Pilate, tu déclares la prise de possession et toi-même la confirmeras, lorsque tu feras mettre sur le titre de la croix: Jesus Nazarenus, rex Judaeorum. Les Princes des prêtres, les Scribes vainement viendront réclamer: Quod scripsi, scripsi. Oui, c’était peut-être malgré toi, mais Dieu le savait, et il a dirigé lui-même la main du secrétaire qui a gravé ce titre.

Pilate néanmoins veut sauver Jésus; il lui fait des questions. Mais Jésus ne répond pas; il s’aperçoit que l’ambition aveugle Pilate et l’entraîne à sa perte. Pilate étonné du silence de Jésus lui dit: Nescis quia potestatem habeo crucifigere te, et potestatem habeo dimittere te. Dans ce moment, Jésus se pose en Dieu et en roi: Non haberes potestatem adversus me ullam nisi tibi datum esset desuper. Accomplis ton oeuvre(6), use ou abuse de ton pouvoir, peu importe; tu n’aurais aucun pouvoir si tu ne l’avais reçu du ciel; prends garde à la manière dont tu le remplis, tu n’es pas du reste le plus coupable. – Propterea qui me tradidit tibi majus peccatum habet Les plus coupables ce sont les savants, les légistes, ces hommes qui trouvent toujours une loi pour contenter leurs passions et couvrir tout du manteau de la légalité: Nos habemus legem et secundum legem debet mori. Ils plieront cette loi sous toutes les formes, pour servir d’excuse à tous les crimes, de façon à ne pas en avoir la responsabilité officielle.

Pilate est effrayé; il n’en continue pas moins ses tentatives pour sauver Jésus: il s’adresse au peuple. Après les savants, les plus coupables ce sont les mauvais chrétiens; aujourd’hui si notre mère l’Eglise est insultée par de vils valets, elle est insultée à cause de nous; si partout règnait la probité, si partout l’on voyait fleurir les vertus chrétiennes; l’Eglise ne serait pas aussi éprouvée.

Pilate ne s’en tient donc pas là; il revient au peuple, et demande(7) ce qu’il faut faire. Ne savait-il pas que ce peuple, qui naguères accompagnait Jésus dans son triomphe, entraîné par les mauvaises passions de quelques hommes, allait le condamner? Les Princes des Prêtres qui devraient prendre la défense de l’innocence, s’abaissant dans l’applatissement le plus honteux, excitent le peuple et ce sont eux qui s’écrient: Nous n’avons d’autre roi que César. Responderunt Pontifices: non habemus regem nisi Caesarem. Les schismes et les hérésies commencent toujours par l’ambition coupable de quelque prêtre égaré. Pour satisfaire leurs ambitieux désirs, ils flattent le pouvoir civil, celui-ci animé par le désir de mettre le Spirituel au-dessous de lui, les favorise dans leurs projets séditieux. Peu importe, l’Eglise n’a rien à craindre de ces efforts conjurés. Néanmoins malheur [aux foules] au milieu desquelles les Prêtres viendront s’écrier: Non habemus regem nisi Caesarem.

Cependant la scène continue. Jésus chargé de sa croix, monte au calvaire. Avant de le contempler sur l’arbre de son triomphe, saluons cette croix glorieuse, signe de notre salut: O Crux Ave.

3ème Point(8). – Jésus prend la route du Calvaire; la Synagogue est satisfaite dans sa vengeance, Hérode continue à régner, la populace continue à rugir; la soldatesque brutale s’est emparée de Jésus et Pilate se lave les mains. Jésus monte au calvaire et dans quelques instants, d’après le droit nouveau, la mort de Jésus sera parfaitement légitime, ce sera un fait accompli. Il est arrivé au sommet du Calvaire; les bourreaux se saisissent de lui, l’étendent sur la croix, enfoncent des clous dans ses mains; je ne m’étendrai pas, mes frères, sur ces souffrances. On le dépouille de ses vêtements; et cela avait été prédit, on lui impose une rude croix; on l’attache sur cette croix et cela avait été prédit; les soldats romains se partagent ses dépouilles, tirent au sort sa tunique sans couture, et cela avait été prédit; et quand tout ce qui aura été annoncé de lui aura été accompli, il poussera un grand cri et il rendra son dernier soupir et la nature bouleversée proclamera la mort de son Créateur. Voilà comment les choses se passeront avec cette ponctualité divine qui fait que les prophéties semblent le récit d’une action déjà accomplie sous les yeux de l’écrivain sacré.

Satan étonné du succès de ses excitations s’approche, afin d’être terrassé dans ce qu’il croit être son triomphe. Les Princes des Prêtres continuent leurs injures et leurs outrages: alios salvos fecit, se salvum faciat si hic est Christus Dei electus (Luc 23, 35), s’écrient-ils, poussés par Satan qui commence à craindre pour son empire. Mais Jésus ne se laisse pas ébranler par leurs clameurs; d’abord parce que l’oeuvre de la réparation ne peut être incomplète et aucune de ces provocations ne l’empêchera pas d’accomplir son but. Voilà comme Dieu se renferme dans son pouvoir divin, il se laisse insulter, il abandonne à ses créatures le soin de sa vengeance. Car à peine aura-t-il rendu le dernier soupir que le terre s’ébranlera, que le ciel s’obscurcira, que le soleil cachera sa lumière, que les rochers s’entrouvriront, que le voile du temple se déchirera. La nature entière bouleversée proclamera la mort de son créateur, à tel point que le Centurion et les soldats romains qui viennnent de le sacrifier s’écrieront. Vere filius Dei erat iste.

Qu’est-ce qu’avaient demandé les Juifs? Que voulait Hérode? Que désirait Pilate? Tous leurs désirs avaient été accomplis, et c’est à ce moment suprême que se manifeste la Puissance de Dieu: il est mort cet adversaire du Prince des ténèbres, sur une croix, supplice infame réservé aux plus grands criminels. Et d’où vient qu’il n’y a pas de contrée où ce bois infame n’ait été porté; d’où vient que toutes les puissances, tous les hommes ont reconnu son pouvoir et l’ont regardé comme le signe sacré de leur rédemption. Ce contraste entre le Dieu mourant et le triomphe de sa croix est caractéristique, il nous explique la haine qu’excite la croix; et ne comprenez-vous pas mainteant que la rage et la haine de la croix est un sentiment sorti de l’Enfer; ne comprenez-vous que là où le croix est profanée, où il faut la cacher, les puissances de l’Enfer dominent et triomphent? – De même que J.-C. passe par des abaissements, il convient que son Eglise soit abaissée, et le triomphe de la croix continue toujours, à travers des succès divers, des obstacles renversés; elle est l’enseigne des martyrs, l’instrument de la civilisation des barbares, le signe de notre Rédemption. Elle est le sceptre du fils de Dieu, le trône d’où il domine ses ennemis, l’autel sur lequel il a voulu s’immoler. Voilà la cause de son triomphe et de sa gloire.

Mais tandis que les prophéties s’accomplissent, une femme était debout au pied de la Croix de Jésus: Stabat autem juxta crucem Jesus mater ejus (Jean, 19, 25). La voyez-vous cette femme, mère et vierge en même temps; la voyez-vous? S’abandonne-t-telle au désespoir? Nullement. Je me figure cette mère vierge répétant le cantique qui s’échappait de ses lèvres lorsque sa cousine Elisabeth la déclarait la plus heureuse des femmes. Oui elle était heureuse au pied de la croix, malgré l’immensité de sa douleur, et je suis convaincu qu’elle répétait sans cesse « mon âme’ glorifie le Seigneur, mon esprit tressaille de joie à la pensée de Dieu son Sauveur, Dieu a regardé l’abaissement de sa servante, il a fait éclater la puissance de son bras, il a triomphé des superbes, il a renversé les puissants de leurs trônes, il a relevé ceux qu’ils avaient abaissés ».

Jésus sur la croix accomplissait toutes les prophéties; il fallait un prophète au pied de la croix; et c’est Marie qui est ce prophète; dans le cantique que l’Eglise répète tous les jours, elle nous montre les triomphes futurs de son Fils. O Marie, mon coeur s’unit au vôtre dans un amour filial; permettez-moi de contempler un moment cette Vierge qui prend naissance sur la croix, l’Eglise notre mère. Elle est sortie belle et pure de la plaie du coeur de Jésus; à sa vue que mon âme glorifie le Seigneur. Cette épouse chérie se charge de répéter tous les jours le cantique de Marie, au milieu des triomphes et des épreuves, elle redit sans cesse: mon âme glorifie le Seigneur.

J’aperçois bien des épreuves, bien des humiliations et au milieu de ces épreuves, de ces humiliations [elle?] se trouve heureuse d’être l’épouse du Seigneur: beatam me dicent omnes generationes, et pourquoi le Seigneur n’a-t-il pas regardé l’abaissement de sa servante: quia respexit humilitatem ancillae suae. Car bientôt il fera éclater les merveilles de son bras. – Je puis bien être tourmentée, éprouvée, il y a au fond de mon existence un principe divin qui me fait triompher de tous les obstacles et abaisse tous les orgueils. Que maintenant les intérêts humains, que les passions les plus honteuses, que la rage de l’Enfer se coalisent contre moi, que m’importe? Je sais que mon épouse me protège et que ma victoire est assurée.

N’avais-je pas raison, mes bien chers frères, de vous dire qu’il y a dans la passion du, Sauveur, les motifs de nos espérances et de nos joies au milieu des épreuves qui affligent aujourd’hui l’Eglise notre mère.

Notes et post-scriptum
1. Le ms. a *Eternité*.
2. La phrase n'est pas très correcte, mais le sens en est clair. - Le P. d'Alzon fait allusion à Mgr Pie, évêque de Poitiers, et à son mandement de carême du 22 février 1861.
3. Le ms. renvoie par erreur à l'évangile de Jean.
4. Le texte a *auront*
5. Phrase inachevée.
6. Lecture incertaine.
7. Le ms. a *de même*.
8. Avant celle-ci, le P. Galabert n'a pas indiqué d'autre division. En considérant le canevas du P. d'Alzon (D00707) on peut proposer de mettre le 1er point au début du 7e paragraphe et le second au début du 15e.