Quand frappe le deuil : la mort d’un ami.

Je vous écris le cœur bien triste: mon vieil ami Du Lac est mort, pendant que j’étais à Arras. On va l’enterrer dans un moment. Comme depuis vingt ans il logeait au Bon Lafontaine et qu’on n’aime pas les tentures dans les hôtels, son corps fut porté sans bruit à Saint-Thomas d’Aquin. Je pus l’accompagner avec Veuillot; aujourd’hui, on fait la cérémonie, M. d’Esgrigny voudrait faire porter son corps en Picardie dans son tombeau de famille. Hélas! partir de là ou de là pour le jugement dernier, qu’importe à cette poussière qui a été notre corps? Tout un monde commence à tomber pour moi. Nous étions quatre: Gouraud, d’Esgrigny, Du Lac et moi. Du Lac disparaît. En mourant, il a blessé le pauvre Gouraud, parce que ayant été guéri par un homéopathe, il y a quelque temps, Gouraud n’est venu à son lit de mort que comme ami. Les Veuillot ont été admirables, mais enfin la dégringolade commence.

Lettre à Marie Correnson (Lettres, t. IX, p. 410).

Jean-Melchior comte de Montvert Du Lac et d’Aure (1806-1872) était un ami de jeunesse et de cœur d’Emmanuel d’Alzon, connu à Paris durant le temps des études. Il se fit séminariste et tenta même un essai de vie monastique chez les Bénédictins de Solesmes. Sa vocation ecclésiastique fut contrecarrée par des problèmes familiaux. Il trouva finalement sa voie dans le journalisme à L’Univers, aux côtés de Louis Veuillot dont il partageait l’enthousiasme ultramontain. Homme aux goûts simples, il vécut discrètement, célibataire, dans une certaine austérité de mœurs. Le P. d’Alzon aimait le contacter à propos de toutes les affaires dont bruissait la capitale, notamment à travers les échos de la nonciature. Cette mort inopinée le plongea dans la tristesse, lui faisant pressentir l’échéance des disparitions de son siècle.