Rêver à un ami dans l’allée des soupirs.

Si vous venez me voir, prenez le printemps ou l’automne, à présent, par exemple. Dans le jardin, nous avons appelé une allée de vieux marronniers l’allée des soupirs. Elle est encaissée, aux deux extrémités, par deux petits tertres; d’un côté, sur sa longueur, par une vieille muraille presque toute rongée de mousse et de lierre; de l’autre, par un bosquet. Rien n’est agréable comme de s’y promener, ou seul, ou avec quelqu’un qui vous comprenne. C’est une allée de secrets. Ah! si vous nous voyiez, depuis une quinzaine de jours, avec nos lilas en fleurs, nos rosiers chargés de boutons, et nos vieux marronniers avec leurs feuilles si fraîches et leurs grappes blanchissantes! Vous ne connaissez pas le plaisir de voir le cerisier ressemblant, avec ses fleurs blanches, à une beauté chiffonnée; de découvrir sous des broussailles une couvée de poule ou de pintade, ou, dans un jeune cyprès, un nid de serins. Je jouis de toutes ces choses; elles me dilatent prodigieusement. Peut-être trouvez-vous qu’elles me restreignent? Bref, je vous aime toujours, toujours.

Lettre à Luglien de Jouenne d’Esgrigny (Lettres, t. A, p. 198).

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