Itinéraires augustiniens n°44 – L’espérance

Voir le cœur de l’Ecriture avec les yeux du cœur, c’est y voir le Christ. Dans la forêt de l’Ecriture, on peut déceler des sens multiples. Mais si plusieurs sens sont légitimes, le Christ en est le critère ultime pour évaluer la diversité des interprétations. « Quand le Christ lui aura été révélé dans les paroles de l’Ecriture, qu’il (le lecteur) sache qu’il en a l’intelligence, mais tant qu’il n’aura pas compris le Christ dans ces mêmes paroles, qu’il n’ait pas la présomption de croire qu’il les a comprises » (in Ps 96, 2).

Editorial
Découverte tardivement, l’Ecriture, qui ne lui inspira autrefois que dédain, ne l’a plus jamais quitté. Ce qu’il y lisait n’était pas une parole quelconque. C’était Parole de Dieu, enveloppée dans l’humble parole humaine. Pourtant, c’est bien Dieu lui-même qui s’y exprime. Augustin lui prête cette exclamation : « O homme, il est clair que ce que dit mon Ecriture, c’est moi qui le dis » (Confessions XIII, 29, 44). Mais comment discerner dans l’obscurité de la parole humaine la Parole de Dieu ?

L’espérance ne trompe pas ! par Marcel NEUSCH

Lire avec les yeux du cœur

Découverte tardivement, l’Ecriture, qui ne lui inspira autrefois que dédain, ne l’a plus jamais quitté. Ce qu’il y lisait n’était pas une parole quelconque. C’était Parole de Dieu, enveloppée dans l’humble parole humaine. Pourtant, c’est bien Dieu lui-même qui s’y exprime. Augustin lui prête cette exclamation : « O homme, il  est clair que ce que dit mon Ecriture, c’est moi  qui le dis » (Confessions XIII, 29, 44). Mais comment discerner dans l’obscurité de la parole humaine la Parole de Dieu ?
En raison de son opacité humaine, l’Ecriture ne livre son sens à un regard superficiel. Comme tout langage humain, la Parole de Dieu s’offre d’abord à l’écoute. Elle ne livre son sens qu’à celui qui  se convertit à elle. « Comprendre, c’est interpréter ». Augustin ne croit pas qu’il suffit de lire pour comprendre, ni même de s’en tenir à une exégèse littérale. Il ne suffit pas même d’interpréter correctement. L’Ecriture se donne comme un livre de vie. La comprennent ceux qui consentent à en vivre. Voici comment Augustin s’exprime (De doctrina christiana IV, V, 7) :

« Or, l’homme parle avec d’autant plus ou d’autant moins de sagesse qu’il fait plus ou moins de progrès dans les saintes Ecritures ; je ne dis pas en les lisant beaucoup et en les confiant à sa mémoire, mais en les lisant bien et en cherchant le sens avec un grand soin. Il en est, en effet, qui les lisent et les négligent ; ils les lisent pour les retenir ; ils les négligent pour ne pas les comprendre. A ces gens-là il faut sans aucun doute préférer ceux qui en retiennent moins fidèlement les paroles, mais qui en voient  le cœur avec les yeux de leur cœur. Mais l’emporte sur les uns et les autres celui qui les cite quand il veut et qui les comprend comme il faut. »
Voir le cœur de l’Ecriture avec les yeux du cœur, c’est y voir le Christ. Dans la forêt de l’Ecriture, on peut déceler des sens multiples. Mais si plusieurs sens sont légitimes, le Christ en est le critère ultime pour évaluer la diversité des interprétations. « Quand le Christ lui aura été révélé dans les paroles de l’Ecriture, qu’il (le lecteur) sache qu’il en a l’intelligence, mais tant qu’il n’aura pas compris le Christ dans ces mêmes paroles, qu’il n’ait pas la présomption de croire qu’il les a comprises » (in Ps 96, 2).
L’exégèse d’Augustin est de part en part christologique, ouvrant la voie à ce que dira le concile de Vatican II. Pour le concile, comme pour Augustin, le Christ est la seule clé qui permet de saisir « le contenu et  l’unité de toute l’Ecriture » (DV n° 13). Si d’autres lectures sont possibles, seule l’interprétation christologique en  révèle le sens plénier. Cela suppose de lire avec les yeux du cœur. , deux titres qu’il applique aussi à l’Église. Marie par sa foi est une préfiguration de l’Église. C’est par son total consentement à la grâce qu’elle est la toute sainte.

Marcel NEUSCH
Augustin de l’Assomption

Deux excès à conjurer : le désespoir et la fausse espérance.

Texte de saint Augustin

Si Dieu avait marqué à chacun le jour de sa mort, cette assurance aurait multiplié les péchés des hommes. Il nous a donc fait espérer le pardon, de peur que le désespoir ne nous  rendît plus pécheurs ; or, dans le péché, nous devons redouter et l’espérance et le désespoir. Voyez d’une part ce que le désespoir fait dire à l’homme sur des fautes à commettre, et ce que l’espérance lui fait dire dans le même sens, et comme Dieu répond à l’un ou à l’autre dans sa sagesse ou sa miséricorde.

Ecoute le langage du désespoir : Puisque je dois être damné, pourquoi ne point faire ce qu’il me plaît ? Ecoute le langage de l’espérance : La divine miséricorde est grande ; quand je me convertirai, Dieu me pardonnera mes fautes ; pourquoi ne point faire ce  qu’il me plaît ? L’un désespère et pèche ; l’autre espère et pèche encore. Ces deux excès sont à craindre, tous deux sont dangereux. Malheur à l’homme qui désespère ! Malheur à l’homme qui n’a qu’une fausse espérance !

Quel remède apporte donc la divine miséricorde  à ce double péril, à ce double mal ? Que dis-tu, ô toi que le désespoir excite au péché ? Puisque je dois être damné, pourquoi ne pas faire comme il me plaît ? Ecoute l’Ecriture : « Je ne veux pas la mort de l’impie, seulement qu’il revienne et qu’il vive. » Cette parole de Dieu nous ramène à l’espérance ; mais il  faut craindre un autre  piège qui  est de trop  espérer. Quel était donc ton langage, quand l’espérance te poussait  au péché ? Au jour de ma conversion Dieu me remettra tous mes péchés, je ferai donc tout ce qui  me plaira. Ecoute encore la sainte Ecriture : « Ne tarde pas  de te retourner vers le Seigneur, ne diffère pas de jour en jour, car la colère de Dieu éclatera subitement,  et il te perdra au jour des vengeances » (Si 5,7).

Ne dis donc pas : demain je me convertirai, demain je chercherai à plaire à Dieu ; et tous mes péchés d’hier et d’aujourd’hui me seront pardonnés. Il est vrai que Dieu t’a promis le pardon au jour où tu te convertiras ; mais il n’a promis aucun lendemain à tes retards.

Commentaire du Psaume 144, 11
Discours sur les Psaumes II. Cerf, 2007

Augustin en son temps

N’espère rien d’autre que ton Dieu, par Jean-François PETIT

Plus que tout autre, Augustin accorde une grande place à l’espérance. Théologien de l’histoire, pasteur attentif aux besoins de son peuple, il développe des vues très suggestives, comme toujours, à partir de son expérience personnelle. L’espérance est d’abord une expérience existentielle, intellectuelle et intime. Elle se concrétise dans ses activités pastorales, quand il met en relief son importance dans la catéchèse, dans la prédication à l’occasion de certaines fêtes, comme celle des martyrs, quand il doit aussi consoler ses correspondants déprimés ou qu’il doit méditer sur le sens des événements historiques, en premier lieu la chute de Rome, qui le pousse à développer un propos sur l’espérance des biens éternels (Sermon 81). Nous nous limiterons à quelques traits dans les pages qui suivent.

1. Au fondement de l’espérance. Dieu  à la rencontre de l’homme

Si l’espérance est un trait de la nature profonde de l’homme, tourné vers l’avenir, et qui le rend capable de discerner ce qui le rapproche de Dieu et ce qui l’en éloigne, elle est, aux yeux d’Augustin, sous le signe du mystère de Pâques.

Et d’abord, il est clair pour Augustin, que l’espérance s’enracine en l’homme. A la différence de l’animal, limité dans son horizon, l’homme est un être d’espérance, ouvert sur un ailleurs. Il est en tension jusqu’à son unité définitive en Dieu. Cette orientation vers Dieu l’aide à vivre sans peur ni impatience, sans récrimination vis-à-vis du monde actuel. L’espérance est le signe de la non-clôture du monde présent : elle est expectatio, attente d’un monde autre. Augustin illustre cette attente au moyen de nombreuses métaphores, telles que la voie et la patrie, la navigation à travers la tempête vers un port tranquille, la nostalgie de la cité éternelle… Toutes ces métaphores invitent à distinguer entre la promesse et l’accomplissement, entre le monde présent  et le monde à venir.

Si l’espérance est un trait de la nature profonde de l’homme, tourné vers l’avenir, et qui le rend capable de discerner ce qui le rapproche de Dieu et ce qui l’en éloigne, elle est, aux yeux d’Augustin, sous le signe du mystère de Pâques. Elle s’appuie sur la foi en la résurrection, c’est-à-dire sur le Christ passé de la mort à la vie. Ainsi, il y a une conjonction entre le désir de la nature humaine de posséder Dieu et l’espérance en la gloire finale qui a fait  irruption dans l’histoire avec la résurrection du Christ. Pourtant la route de l’espérance continue à être parsemée d’embûches : celle de la misère humaine ou du mal, imputable non à Dieu mais à la liberté pervertie de l’homme. Dès lors s’impose la distinction entre le « déjà là » et le « pas encore », distinction qu’Augustin développe notamment  dans ses essais philosophiques, le De Ordine ou le De libero arbitrio jusqu’à sa grandiose apologie de la Cité de Dieu. L’Eglise est le lieu où, forts de leur foi en la résurrection, les chrétiens vivent leur espérance en la réalisation définitive de la cité de Dieu.

C’est dans l’écart entre l’espérance et  la possession de ce qui est espéré que se déploie la temporalité humaine. Il en va du salut comme du bonheur : « nous ne le possédons pas comme présent, nous l’attendons à venir et cela par la patience (…). Parce qu’ils ne la voient pas, ces philosophes refusent de croire à cette béatitude et dès lors s’efforcent ici-bas de s’en fabriquer une, absolument chimérique, au moyen d’une vertu d’autant plus mensongère qu’elle est plus orgueilleuse » (CD, 19, 4-5). L’espérance d’un monde sauvé anime l’homme, et donne son sens à la temporalité. La perspective d’une libération radicale et définitive a cependant un coût moral : l’espoir d’une paix éternelle  invite à combattre tous les vices. Augustin précise : « Mais si (qu’à Dieu ne plaise !) il n’y avait  nul espoir d’obtenir un si grand bien, nous devrions quand même préférer demeurer dans les difficultés de ce conflit plutôt que d’admettre en nous l’empire des vices en ne leur résistant pas » (CD, 21, 15).

Une authentique vie morale ne consiste pas dans une stérilisation des passions, mais elle est une dynamique offerte par la force de l’espérance. Nul fatalisme, nul anthropocentrisme, dans cette vertu paradoxale de l’espérance, vertu à la fois intérieure et communautaire, fruit de la grâce et d’un habitus moral. A un niveau plus communautaire, « l’expérience d’ici-bas qui exclurait l’espérance de l’au-delà n’est que fausse béatitude et grande misère : elle ne dispose pas des vrais biens de l’âme, car elle n’est pas la vraie sagesse, celle qui dans les biens d’ici-bas, qu’elle discerne avec prudence, gère avec fermeté, emploie avec tempérance et distribue avec justice, ne dirige pas son intention vers le bien suprême où Dieu sera tout en tous dans une éternité assurée et une paix parfaite » (CD, 19, 20). Ce passage montre le rapport entre les vertus théologales et les vertus cardinales, mais surtout justifie amplement le caractère actif de l’espérance, sa singulière capacité d’alimenter le dynamisme vital de l’homme. Ce dynamisme est le fruit de la dialectique de l’espérance.

2. L’espérance entre tristesse et joie

D’où vient l’angoisse d’un cœur chrétien ? De ce qu’il ne vit pas encore avec le Christ, de ce qu’il est en exil et soupire après sa patrie » (Ps 122,2)

L’expérience d’Augustin l’aide à comprendre que l’espérance est une dialectique entre joie et tristesse dans un parcours humain parsemé d’embûches. En effet le bonheur auquel l’homme est promis ne s’atteint qu’au terme d’un voyage qui, par certains aspects, est pénible et périlleux, mais qui lui en réserve aussi un avant-goût.

Heureuse tristesse. Celle-ci vient du constat que nous ne pouvons atteindre le bonheur en ce monde. En voyant la distance qui nous sépare du but, nous pourrions être saisis de découragement. C’est en  réalité une « heureuse tristesse » née du constat que nous vivons ici-bas en terre étrangère, en quête de bonheurs fugitifs. Si cette tristesse refermait sur elle-même, elle serait stérile. Elle est une souffrance, mais qui ne conduit pas nécessairement au désespoir ou à la révolte. Elle conduit à une prise de position vis-à-vis de l’homme, en rappelant sa finitude, sa « bienheureuse incomplétude », et vis-à-vis du monde, marqué par la promesse de fausses sécurités. Il y a donc une angoisse de l’espérance, un « envers » nécessaire, une « inguérissable blessure » : « d’où vient l’angoisse d’un cœur chrétien ? De ce qu’il ne vit pas encore avec le Christ, de ce qu’il est en exil et soupire après sa patrie » (Ps 122,2) Cette angoisse permet aussi le jaillissement d’un « oui » à Dieu, y compris dans la solitude de l’absence et la nuit de la foi.

Joie de l’espérance. Au milieu des épreuves de cette vie, l’espérance du siècle futur est déjà une consolation, et donc aussi source de joie. Bien que sauvés (seulement) en espérance, nous sommes déjà consolés par la prière et la Parole de Dieu : « Si l’espérance du siècle futur ne nous consolait pas de la tribulation du siècle présent, nous péririons » (Ps 23,5). Cette espérance est née d’un « heureux événement », d’une visitation de Dieu. La joie de l’espérance est fondée sur la certitude de jouir par avance, « en espérance et dans le cœur », (spe et corde) du bonheur de Dieu. Cette certitude nous permet de vivre le présent non dans l’angoisse mais dans la confiance : «  c’est parce que nous attendons avec certitude que nous connaissons la joie de l’espérance » (Sermon 157,6). Augustin s’appuie ici largement sur l’expérience des psaumes : leur cantique joyeux est la marque de ceux qui espèrent au sein même des tribulations (Ps 35, 14). Une large place est faite au témoignage des martyrs, sans exagération toutefois, car ceux-ci ne font que radicaliser l’expérience commune. « Un jour nous cesserons d’être allaités par l’espérance pour être nourris de la réalité » (Sermon 21,1). Nous retrouvons ici la distinction fondamentale entre l’espérance (spes) et la réalité (res). La distance qui nous sépare du but ne conduit pas à entretenir l’amertume mais à centrer l’espérance sur ce qui est essentiel.

3. Le chemin de l’espérance chrétienne

 L’espérance se vit avec toute l’Eglise dont le Christ est la tête. Ce lien avec le Christ est évidemment d’abord celui du baptême qui nous lave, nous purifie mais surtout nous incorpore à l’Eglise, corps du Christ.

L’espérance ne doit pas se disperser dans les multiples espoirs humains: l’homme doit espérer en Dieu, dans l’Eglise, sans s’attacher au monde. L’argumentation ici se fait apologétique mais avec finesse. Pour Augustin, l’espérance orientée vers Dieu (tu nous as faits orientés vers toi !), est concrètement vécue en Eglise, et au cœur du monde dans lequel les deux cités sont mêlées jusqu’à la fin des temps.

Fondamentalement, l’espérance oriente vers Dieu. C’est la donnée de base. Elle est fortement centrée sur le Christ dont l’homme est assuré de la recevoir (in Ps 131,27). Le docteur d’Hippone insiste sur son abaissement : il nous a sauvés par son incarnation, il a apporté la loi d’amour et de miséricorde, prenant notre condition pour nous donner la sienne : « Il est ici-bas et nous sommes déjà en-haut » (in Ps 122,1). Source et motif de notre espérance, le Christ  est le Témoin fidèle, véridique, de Dieu son Père. L’espérance en Jésus Christ nous révèle son Père : le Christ est la puissance de Dieu, il est la garantie de la miséricorde du Père. Dieu s’est fait notre débiteur : il nous a promis son salut, depuis ses premières alliances. Il a réalisé ses promesses, en particulier avec Abraham. Plus précisément, Dieu nous donne dans l’Esprit ses arrhes, plus que de simples promesses. L’espérance est donc le don de l’Esprit en vue de notre délivrance. Ce secours de l’Esprit allume en nous d’autres désirs que ceux d’une vaine gloire ou de bonheurs purement terrestres. Sauvés en espérance, l’Esprit nous précède sur le chemin du salut.

En deuxième lieu, l’espérance se vit avec toute l’Eglise dont le Christ est la tête. Ce lien avec le Christ est évidemment d’abord celui du baptême qui nous lave, nous purifie mais surtout nous incorpore à l’Eglise, corps du Christ. L’Esprit rend ainsi témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (Sermon 156,16). L’Eglise insère l’espérance de Dieu dans le monde, en restant solidaire d’un monde où elle a mission d’annoncer le salut. Il serait vain de vouloir suivre le monde présent. Le chrétien doit « user » des choses, tout en restant ouvert sur un au-delà du temps. Nous retrouvons ici la distinction « uti » et « frui » : il faut user des choses, non vouloir en jouir éperdument, dès lors que nous reconnaissons que l’Eglise a pour mission de nous conduire vers la cité céleste.

Enfin, en troisième lieu, sans être du monde, l’espérance se vit au cœur du monde. Le monde est-il considéré pour autant comme radicalement mauvais ? Augustin ne va pas jusque là : il faut s’affranchir du monde, de ses jeux troubles et mensongers. Ayant été lui-même passablement entraîné par les séductions du monde, il reconnaît toute l’énergie nécessaire pour s’en dégager. L’unique nécessaire reste à ses yeux l’amour des biens éternels. Il existe donc dans ce monde une « vaine espérance » (vana spes), décevante in fine. Au salut temporel par les moyens humains, Augustin presse de préférer la gloire de la cité céleste. L’arrachement à ce monde d’apparences peut être douloureux mais il est salutaire. Dans  ce monde, l’espérance doit donc rester constructrice des vrais biens.

4. L’espérance doit s’armer de patience

« Maintenant, hommes de l’espérance, ils sont comme des Pères mais lorsqu’ils auront  atteint ce qu’ils espèrent, leurs  joies seront comme celles des enfants car ils auront effectivement enfanté et produit par leurs œuvres ce qu’ils auront acquis ! » (in Ps 131,19)

L’espérance pousse ainsi à œuvrer efficacement en ce monde, sans s’enfoncer dans la quiétude démobilisatrice du monde à venir. La tension entre l’attrait du monde et Dieu qui peut seul combler le cœur de l’homme, exige une capacité de résistance dans l’épreuve et un déploiement d’énergies positives pour la réalisation des promesses de l’espérance.

L’endurance dans l’épreuve : c’est l’aspect le plus évident. Espérer réclame tout un travail intérieur de redressement, de retournement, de libération spirituelle. L’espérance suppose une certaine endurance. Augustin le montre en méditant le psaume 26 : « espère le Seigneur ! » (in Ps 26,14). Cela est notamment nécessaire quand les combats intérieurs et extérieurs pour la foi deviennent inévitables. C’est ainsi que vécurent les martyrs, dont l’endurance fut à toute épreuve. A leur exemple, « pour nous qui espérons sans voir, notre espérance doit s’armer de patience » (Sermon 78,6). Ce dépassement est sans aucun doute celui de la charité qui fait que ceux qui souffrent attendent avec confiance leur libération, au point de se demander ici si espérer et aimer ne reviennent pas au même. Le cantique joyeux de ceux qui espéraient au sein même des tribulations (in Ps 35,14) n’était il pas  marqué par la miséricorde plus puissante que la haine de leurs persécuteurs ?

La mobilisation de toutes les énergies : c’est l’autre face de l’engagement exigé par une espérance active. L’espérance n’est pas simplement une vertu défensive. Elle conduit à la mobilisation des énergies. Elle est une participation active à l’avènement de la Jérusalem d’en-haut. Il s’agit d’abord ici de se libérer de la carapace d’égoïsme qui nous empêche d’agir pour le bien de tous. Celle-ci ne peut s’opérer que dans le souvenir de la miséricorde de Dieu à notre égard et dans une fidélité profonde et vivante. Augustin interpelle parfois ses auditeurs : « que chacun s’interroge, qu’il se demande ce qu’il a  fait ! » (in Ps 121,11). Cette mobilisation doit aussi être collective pour qu’ensemble, nous entamions la route vers le Royaume dont nous possédons les arrhes : « Maintenant, hommes de l’espérance, ils sont comme des Pères mais lorsqu’ils auront  atteint ce qu’ils espèrent, leurs  joies seront comme celles des enfants car ils auront effectivement enfanté et produit par leurs œuvres ce qu’ils auront acquis ! » (in Ps 131,19)

L’espérance est donc une force motrice, à condition d’être étroitement liée à la charité, qui est la plus grande, et à la foi, qui lui montre le chemin. Elle est un élan vers la source pour celui qui a soif : « le voyageur qui peine en marchant supporte son travail parce qu’il espère arriver. Enlevez lui cet espoir, vous détruiriez son élan » (Sermon 158,8). Plus qu’une vertu, c’est la « charité de l’exil » (Sermon 255), le désir ardent de posséder Dieu  en nous détachant de la terre. La vraie joie du chrétien c’est son espérance.

5. L’espérance ne veut pas être sans la foi et la charité

Assez volontiers, Augustin affirme que les vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité ne sont que trois  formes de l’amour de Dieu. En cela, il reste proche de saint Paul : « Nous avons maintenant la foi, l’espérance, la charité : ce sont trois vertus mais la plus grande est la charité » (1 Co 13, 13). C’est ce qu’illustre Augustin en montrant comment ces trois vertus sont en co-relation. Il n’oublie pas en outre que, dans la vie concrète, les vertus morales  restent importantes. Sans une vie vertueuse, pas de préparation à l’amour de Dieu. La droite raison, la prudence, la rectitude sont des qualités nécessaires. Mais les vertus théologales sont les plus décisives. L’originalité de la pensée d’Augustin est de ne pas les disjoindre, si bien que les situations humaines se mesurent toujours à l’aune de la charité : Aime et fais ce que tu veux !

Des trois, la charité est la plus grande. Elle couronne la foi et l’espérance. Toutes les trois ont leur importance car elles ont Dieu pour fin, alors que les vertus morales  ne visent pas Dieu mais la conduite à tenir. Ces vertus théologales ont pour but de fortifier la vie spirituelle, et de favoriser la participation à la vie intime de Dieu. Vivre de la charité, c’est vivre de l’amour dont  Dieu s’aime et nous aime. Augustin distingue deux amours : « l’un saint, l’autre impur ; l’un est un amour social, l’autre est un amour privé, l’un veille à la commune utilité en vue de la société céleste, l’autre ramène le bien commun lui-même à sa propriété privée en vue d’un pouvoir arrogant ; le premier est celui qui bâtit la Cité céleste, et le second la cité terrestre[1] ». On le sait par ailleurs, pour Augustin, la mesure de la charité n’est pas uniforme :

«  Espérez fermement ce que vous ne voyez pas ; attendez patiemment ce que vous n’avez pas encore, parce que vous gardez une entière confiance en celui qui vous l’a promis en toute vérité, le Christ »  (Sermon 157, 6, 6)

« Nous devons à tous la même charité mais ce n’est pas une raison d’appliquer à tous la même méthode. La charité enfante les uns, se fait faible avec les autres, elle a le souci d’édifier les uns et de ne pas offenser les autres. Elle se penche sur les uns, se dresse contre les autres. Pour les uns, elle est caressante, pour les autres sévère ; pour aucun elle n’est ennemie, pour tous, elle est une mère[2] ».

Qu’en est-il maintenant de la foi ? Son lien avec l’espérance est évident. La foi est la substance de ce qu’on espère. Disant cela, saint Augustin suit de près l’Ecriture : « La foi est comme la substance des choses qu’on espère, l’adhésion convaincue aux choses que l’on ne voit pas »  (He 11, 1). Il existe des cas exceptionnels où la compréhension des mystères de la foi s’opère rapidement, à l’issue d’un miracle par exemple. Mais le plus souvent, c’est en cherchant obscurément, avec la confiance de l’espérance, que s’illumine le cœur du croyant. En ce sens l’espérance anticipe sur la vision : «  Espérez fermement ce que vous ne voyez pas ; attendez patiemment ce que vous n’avez pas encore, parce que vous gardez une entière confiance en celui qui vous l’a promis en toute vérité, le Christ »  (Sermon 157, 6, 6). Pourtant, l’espérance n’est jamais naïve, elle pousse à faire preuve d’intelligence  dans l’acte de foi. Mais les motifs de crédibilité peuvent être déficients. Une foi aimante, mue par l’espérance, suffit pour participer à la vie même de Dieu.

Tout comme l’espérance est vaine sans la foi, elle est  vaine sans la charité. Augustin le répète : « celui qui aime comme il faut, croit et espère comme il faut. Mais celui qui n’aime pas croit en vain, alors même que ce qu’il croit est vrai ; il espère en vain, alors même que ce qu’il espère nous est donné par la foi comme un élément de vrai bonheur[3] ». Il ne s’agit donc pas simplement de croire de façon juste et sincère. Il faut aussi « espérer comme il faut ». Cela signifie pour Augustin que Dieu doit avant tout rester l’unique quête de l’homme : « Pour toi que le Seigneur ton Dieu soit ton espérance : n’espère rien d’autre que ton Dieu[4] ». Certes, Augustin ne désavoue pas la recherche d’autres biens, à commencer par les demandes de guérison ou les faveurs temporelles, mais il semble se limiter aux demandes du Notre Père : « De tout ce que la foi nous ordonne de croire, il n’y a pour appartenir à l’espérance que ce qui est contenu dans l’Oraison dominicale ». Il fait d’ailleurs remarquer que si les trois premières demandes concernent les biens éternels, les quatre dernières suffisent à la vie présente et à ses besoins.

Si la foi est vaine sans la charité, l’espérance est tout aussi vaine pour  qui n’aime pas. On peut se demander si, en agissant contrairement à la charité, l’espérance et la foi subsistent encore. La question est loin d’être tranchée. Dans son Manuel, Augustin déclare : « Pour  celui qui n’aime pas, vaine est l’espérance ». Il pourra bien savoir  par la foi que ce qu’il espère concerne le vrai bonheur, il n’en sera pas quitte pour autant. Une porte de sortie cependant demeure : il pourra demander par la prière d’obtenir la charité. On ne peut espérer en vérité sans aimer. Dès lors  que l’on n’aime pas, on ne dispose plus des moyens indispensables pour atteindre ce qu’on espère, Dieu lui-même. Augustin prend l’exemple de la justice : comment parvenir à la vie éternelle sans justice ?  Comment espérer la vie éternelle si l’on n’aime pas adéquatement cette vie[5] ?

Si l’espérance ne peut pas tenir sans la charité, par contre, on pourrait dire qu’il en va autrement de sa relation à la foi. Pour celui dont la foi est difficile ou vacillante, l’espérance ne se perd pas pour autant. Elle semble se tenir sur la réserve, attendant d’être mieux éclairée. De là l’importance d’une présentation correcte du mystère chrétien, tel que l’explique Augustin dans la lettre à Consentius : «  La vraie foi chrétienne, en nous présentant d’une façon voilée les mystères divins, n’a d’autre rôle que de nous en faire espérer l’acquisition, de nous la faire désirer et aimer. Elle ne veut pas être sans la foi et la charité. Le fidèle doit croire ce qu’il ne voit pas de telle sorte qu’il en espère et en aime la vision » (Lettre  120, 2, 8). Il ne s’agit pas d’une fuite. L’espérance n’est pas une évasion. La terre peut être ingrate, mais soutenu par l’espérance, le croyant ne plonge pas dans la rêverie ou l’utopie d’un monde autre. Il cherche plutôt à faire grandir la semence, sûr que le royaume espéré se construit ici bas.

6. L’espérance est associée à la crainte de Dieu

Augustin, dans cette dynamique de l’espérance, accorde une place importante à la crainte de Dieu, à savoir cette disposition intérieure qui éloigne de ce qui déplait à Dieu, le péché. Toute remise en cause de cette amitié fondamentale est jugée dangereuse. Espérer se détourner du mal est souvent le premier degré de l’ascension vers Dieu. Le don de crainte est ainsi associé dans la pensée d’Augustin à la vertu d’espérance. L’horreur du péché  permet de maintenir l’élan positif vers Dieu. En d’autres termes, dans la vie spirituelle, l’espérance soutient la laborieuse ascension de l’âme : « elle est notre force, notre nourriture, notre consolation » (Sermon 256, 5). Le versant positif, la joie de l’espérance, ne doit pas faire oublier le versant négatif, la peur de la damnation. Il s’agit donc d’opérer une double conversion.

« Jamais la miséricorde divine ne privera de ce bien ceux qui le demandent avec persévérance »  (in Jo Ev, 102,2).

L’espérance doit d’abord se convertir de la crainte servile à la crainte amoureuse[6]. Alors que la première vit dans la peur de la sanction du maitre, dont elle redoute la venue, la seconde est inspirée  par la crainte d’être séparé de l’être aimé. C’est moins la crainte de la chute ou du châtiment que l’amour de Dieu qui doit soutenir l’espérance de l’âme. L’atmosphère de l’une est la peur, de l’autre c’est l’amour et la confiance. Augustin ne fait ici que commenter le psaume 146 : «  Judas le traitre a craint le Seigneur car il s’est repenti de l’avoir livré ; mais il n’a pas espéré en sa miséricorde et il est allé se pendre. C’est bien, certes, que tu craignes, mais si tu espères en la miséricorde de celui que tu crains. Crains donc Dieu de telle sorte que tu espères en sa miséricorde ». L’espérance invite à placer sa confiance en Dieu plutôt qu’à douter de sa bonté ou redouter son châtiment. Augustin donne ici l’image de l’Epouse et de l’Epoux : « plus elle l’aime avec ardeur, plus elle évite avec soin de l’offenser » (in Ps  118, s. 1, 10). La crainte est une dimension de l’espérance.

L’espérance exige ensuite de passer des biens terrestres aux biens célestes, autrement dit de l’utilité à la gratuité. Une telle conversion suppose de reconnaître que tout est donné. Dieu ne couronne jamais en effet que ses propres dons quand il couronne nos mérites. Espérer une récompense serait faire preuve d’une mentalité mercantile où le souci serait d’amasser des mérites, à la manière de biens de ce monde. Or Jésus recommande d’amasser des biens qui ne périssent pas. Augustin s’en explique à l’occasion de l’anniversaire de son ordination épiscopale : « Que puis-je rendre à Dieu quand sa grâce me prévient de toute part ? ». L’âme doit donc aimer Dieu pour lui-même, de tout l’élan de son espérance, qui soutient ses efforts et ses progrès en ce sens. Elle doit espérer être plus comme Marie que comme Marthe, comme Jean, dans la vision, plus que comme Pierre, dans la foi. De façon pédagogique, Augustin oppose les deux vies, terrestre et céleste, en invitant à passer graduellement de l’une à l’autre.

L’ignorance et la faiblesse sont inhérentes à la vie spirituelle. Mais ces obstacles ne sont pas insurmontables : « Comme il y a partout présent un Maître divin qui de tant de manières se sert des créatures pour rappeler à lui son serviteur détourné de lui, pour l’instruire, s’il croit ; le consoler, s’il espère ; l’encourager, s’il aime ; l’aider, s’il fait effort, et l’exaucer, s’il prie ; ce n’est pas d’ignorer malgré toi que l’on te fait grief mais de négliger de chercher ce que tu ignores ; ce n’est pas non plus d’avoir une nature faible et blessée, c’est de mépriser celui qui la guérit[7] ». Dans la faiblesse, la force de la vertu trouve sa perfection ( 2 Co 12, 9), Augustin ne l’oublie pas. Il ne fait pas l’éloge de la faiblesse, elle reste pour lui un moyen d’éviter l’orgueil.

A ses yeux, tous les hommes ont été mis en mouvement par l’espérance. Les uns négligent de rester dans la course, les autres sont attirés par des lumières trompeuses, l’espérance, elle, fait rester pleinement dans la crainte de Dieu et prévient des erreurs : elle n’écoute pas les hérétiques, et reste fidèle à la foi de l’Eglise, répète Augustin en parlant du combat chrétien. Aux premiers pas de la vie spirituelle, Dieu ne demande pas l’impossible mais nous nourrit de son lait. L’erreur serait de vouloir tout de suite les aliments des plus grands. Augustin lui-même sur des questions parfois controversées d’exégèse ou de doctrine avouait son ignorance. Le plus condamnable n’est pas l’ignorance, mais d’affirmer des choses que l’on ignore ou de présenter comme vraies des choses qui sont fausses.

On ne saurait trop dire qu’il existe une profonde relation entre ce que nous apprend la foi, ce vers quoi tend l’espérance et ce que nous commençons à posséder par la charité : croire, désirer et aimer sont un seul et même mouvement qu’il convient de favoriser par la vie de prière. L’espérance qui la traverse ne peut être trompée : « celui qui demande recevra, celui qui cherche trouvera, à celui qui frappe on ouvrira » (Mt 7, 8). La prière chrétienne est pour Augustin marquée par l’espérance et la confiance en Dieu, elle invite à l’humilité en s’en remettant à Dieu : « Jamais la miséricorde divine ne privera de ce bien ceux qui le demandent avec persévérance »  (in Jo Ev, 102,2).

Jean-François PETIT
Augustin de l’Assomption

Augustin maître sirituel

Pèlerin de la cité céleste, par Isabelle BOCHET

Etre pèlerin de la cité céleste : sans doute est-ce un des aspects de la spiritualité augustinienne qui paraît le plus étranger à nos con­temporains. À l’école de Marx, de Nietzsche ou de Freud, nous y soupçonnons une forme d’aliénation et d’illusion qui détourne l’homme d’un engagement véritable en ce monde. L’insistance d’Augustin sur ce thème ne laisse pourtant place à aucun doute : c’est une dimension essentielle de toute existence chrétienne. Peut-être importe-t-il alors de remettre en cause nos évidences trop immédiates et de redécouvrir, à l’école d’Augustin, la dimension eschatologique du christianisme.

La joie de parler de la cité céleste

« J’éprouve une joie à vous parler encore de cette douce cité[1]. » La cité céleste est bien, de fait, un leitmotiv de la prédication d’Augustin. Cette cité, l’Écriture la nomme Jérusalem, c’est-à-dire « vision de paix », ou encore Sion, ce qui veut dire « vision et contemplation ». Ces noms servent le plus souvent de point de départ à la description augustinienne de la cité céleste : sa caractéristique majeure est la paix, non pas la paix temporelle, toujours menacée et imparfaite, mais la paix éternelle, c’est-à-dire « une paix pleine et parfaite » (in Ps 84, 10), qui nous sera donnée dans la vision de Dieu, dans la participation à « Celui qui est » (in Ps 121, 5). Cette paix sera repos et unité de tout notre être, enfin réconcilié, en Dieu (in Ps 64, 4), mais aussi unité sans failles de tous les enfants de Dieu qui tous s’entr’aimeront, se voyant remplis de Dieu, lorsque Dieu sera tout en tous (in Ps 84, 10).

Si la force de cette cité est dans la charité (in Ps 121, 12), il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on en devienne citoyen par la charité : « c’est l’amour de Dieu qui fait Jérusalem, l’amour du monde Babylone. » (in Ps 64, 2) Nous commençons donc à marcher vers Jérusalem à la mesure de notre charité. C’est là le seul critère qui ne trompe pas. C’est pourquoi Augustin, lorsqu’il évoque la cité céleste, invite souvent ses auditeurs à s’interroger sur l’objet de leur amour (in Ps 121, 11). Aiment-ils le monde ? Les convoitises les maintiennent alors dans la captivité de Babylone. Aiment-ils au contraire Dieu et le prochain ? La charité aussitôt commence à les faire sortir de Babylone et à les entraîner vers Jérusalem. Pour permettre à chacun de savoir s’il est réellement en marche vers la cité céleste, Augustin n’hésite pas à décrire les manifestations concrètes  de ce double amour.

Déjà par le désir nous y sommes

Le pèlerin de la Jérusalem céleste se reconnaît d’abord à l’intensité de son amour de Dieu : il aime, non le monde, mais le Créateur de ce monde (Cf. in Ps 121, 1). Il se sait ici-bas un étranger de passage, un résident temporaire, avec tout ce que ce terme connote de précarité, de nostalgie, d’absence[2] ; il sait qu’il est  en route, et non dans la patrie : c’est pourquoi il ne peut que « gémir de sa captivité » et « soupirer après la Jérusalem éternelle » (in Ps 125, 2). Ce gémissement, toutefois, ne signifie nullement un quelconque mal d’être ou une insatisfaction face à la vie ; il n’est pas lié à l’expérience du malheur temporel et n’est en rien une réaction naturelle. Il est le sens aigu qu’en Dieu seul est la « fin », c’est-à-dire le but ultime de l’existence, et qu’on ne doit pas s’attacher à la route sous peine de ne parvenir à la « fin »[3] : ce qui relativise le bonheur de cette vie, tout autant que le malheur ; « les ténèbres de cette nuit et la lumière de cette nuit sont devenues indifférentes » à celui qui « soupire vers cette autre lumière : la Jérusalem céleste » (in Ps 138, 18 ; 83, 5). Si le chrétien gémit, c’est donc parce qu’il se sait encore loin de la paix de la cité éternelle, quel que soit son bonheur terrestre : en lui et hors de lui, il expérimente la lutte ; en lui, car sa justice est encore imparfaite et sa santé défaillante ; hors de lui, car il est en butte aux contradictions des païens ou des faux-frères (in Ps 122, 12 ; 127, 16). Mais ce gémissement est l’œuvre de l’Esprit (in Ps 125, 2, citant Rm 8, 20-25) : ce sont « comme des douleurs d’enfantement » ( in Ps 122, 6), que chacun vit certes pour soi-même, mais aussi pour le corps tout entier de l’Église qui souffre de l’infidélité de tel ou tel membre et qui ne cesse d’enfanter à la foi de nouveaux membres du Christ. Le gémissement ne fait donc qu’un avec l’expérience de l’inachèvement qui est inhérente à l’Église de ce temps.

Mais ce désir qui soupire après la cité céleste est aussi espérance de la plénitude à venir (in Ps 125, 2) et certitude d’y parvenir : « déjà par le désir nous y sommes » (in Ps 64, 3, , cf. 121, 3). La « cité pèlerine sur terre » est en effet « fondée dans le ciel »[4] : son fondement n’est autre que le Christ lui-même. C’est pourquoi, « comme tout élément qui tend vers son lieu, l’Église qui a dans le Christ tête son fondement tend irrésistiblement vers le ciel, tout en étant placée ici-bas » (in Ps 29, 10). Ainsi le désir de la Jérusalem céleste, loin d’être l’expression d’un dépit devant la vie, tire sa force du lien de charité qui unit le Christ tête à ses membres.

Un seul cœur et une seule âme

L’amour du prochain est un signe peut-être plus manifeste encore de notre marche vers la Jérusalem céleste. Etre un pèlerin de la cité céleste, c’est en effet désirer la cité où Dieu sera tout en tous, la cité où Dieu sera « notre spectacle commun, notre possession commune, notre paix commune » (in Ps 84, 10). Ce désir n’est alors authentique que s’il se manifeste dès à présent par la recherche du bien commun et par le renoncement à ses intérêts propres. Augustin le dit expressément dans l’Enarratio in Psalmum 105, 34 : « Quiconque dans l’exil où nous sommes désire avec fidélité et avec ardeur cette communauté s’accoutume à préférer le bien commun au bien privé, en cherchant non ses propres intérêts mais ceux de Jésus-Christ. » De fait, le souci de ses propres intérêts est le principe des divisions, des inimitiés, des guerres (in Ps 131, 5), car ce que chacun possède pour soi ne peut en même temps être possédé par autrui. À l’inverse, la recherche du bien immuable et commun à tous, c’est-à-dire de Dieu, est le fondement de l’unité : elle seule peut faire des croyants « un seul cœur et une seule âme[5] ».

Concrètement, un tel idéal, qui fut celui de la communauté primitive, implique la mise en commun de tous les biens. Augustin n’hésite pas à le proposer à tous : si tous ne peuvent renoncer à la possession de tout bien propre, que tous, du moins, renoncent à l’amour de ces biens,  car on ne peut devenir tous ensemble le temple du Seigneur qu’à cette condition (in Ps 131, 5-6). La com­munauté monastique vit déjà pour sa part l’idéal de la communauté primitive dans sa radicalité. La caractéristique des moines est en effet, comme le dit le Psaume 132, 1, « d’habiter comme frères en un », ce qu’Augustin commente ainsi :

« Ceux-là qui vivent en un de telle manière qu’ils fassent un seul homme, de telle manière que soit vrai pour eux ce qui est écrit ‘une seule âme et un seul cœur’ – de nombreux corps, mais non de nombreuses âmes, de nombreux corps, mais non de nombreux cœurs –, ceux-là sont à bon droit appelés ‘monos’, c’est-à-dire un seul[6]. »

Cette unité communautaire est inséparable de la mise en commun de tous les biens : des biens matériels, certes, mais aussi des liens de parenté les plus intimes et même de sa propre âme. C’est ce qu’Augustin explique à un jeune religieux, tenté de quitter le monastère à cause des résistances de sa mère : qu’il la voie désormais non comme sa mère – ce qu’elle n’est que pour lui seul et pour la vie temporelle seulement -, mais comme sa sœur dans le Christ – ce qu’elle est « pour tous ceux à qui est promis l’unique héritage céleste, Dieu pour père et le Christ pour frère dans la même société de charité » ; l’aimant ainsi d’une charité non plus « privée », mais « publique », il ne renoncera pas à cause d’elle à sa vocation monastique. « Qu’il fasse aussi le même raisonnement à propos de sa propre âme » et découvre que son âme, loin de lui appartenir en propre est aussi celle de tous ses frères, ou plutôt que « leurs âmes et la sienne sont, non pas des âmes, mais une seule âme, l’âme unique du Christ[7] ». Ainsi comprise, la vie monastique apparaît comme une participation à la vie de la cité céleste[8] : elle témoigne déjà de ce que sera l’unité de cette cité quand nous aurons tous ensemble Dieu pour seul bien commun et elle constitue de la sorte un modèle pour la vie de l’Église tout entière.

Porter les fardeaux les uns des autres

Si nous marchons vers la Jérusalem céleste à la mesure de notre capacité à renoncer dès aujourd’hui à nos intérêts propres pour chercher le bien commun, nous nous en approchons aussi à la mesure de notre patience : c’est une autre façon de vivre la charité. Comment prétendre, en effet, désirer la paix éternelle de la cité céleste où tous ne feront plus qu’un en Dieu, si, aujourd’hui, nous sommes incapables de supporter nos frères ? On sera tenté d’objecter : il y a de mauvais frères et c’est de ceux-là qu’il faut nous séparer… L’objection peut surgir, de façon générale, dans l’Église, mais aussi, de façon plus particulière, dans un monastère (in Ps 99, 9-11). Mais au nom de quoi opérer le discernement ? Qui recevra-t-on alors dans la communauté ? Prétendre exclure les mauvais dès aujourd’hui, c’est d’abord méconnaître sa propre condition : qui peut se dire, dès maintenant, à l’abri de tout combat ? Quel cœur est imprenable au point de ne laisser entrer aucune suggestion mauvaise ? C’est aussi méconnaître ce qu’est l’Église de ce temps : « un pont de miséricorde » qu’on ne peut vouloir couper sous prétexte qu’on l’a soi-même déjà passé. Car « comment l’Église rassemblerait-elle tous ses enfants, si elle ne devait durer longtemps ici-bas, si son existence ne s’étendait jusqu’à la fin des siècles ? » (in Ps 60, 6 ; 99, 9) Le mélange est donc la condition de l’Église du temps ; en quelque état que ce soit, que l’on soit religieux ou laïc, il y a de bons et de mauvais chrétiens. On ne peut donc demeurer dans l’Église sans se supporter mutuellement dans la patience et l’espérance : il nous faut « porter les fardeaux les uns des autres », non certes en donnant notre assentiment au péché d’autrui – ce qui serait pécher avec lui –, mais en pardonnant son péché et en soulageant ainsi sa faiblesse[9]. C’est la condition pour arriver ensemble au but désiré. La charité qui supporte tout s’avère ainsi une marque très sûre de notre marche vers la paix définitive de la Jérusalem céleste.

C’est donc avant tout par la charité que nous sommes des pèlerins de la cité céleste. C’est elle qui nous fait désirer ardemment la patrie éternelle et qui nous fait vivre dans l’espérance l’inachèvement de notre condition actuelle, en nous permettant d’y reconnaître un long travail d’enfantement. C’est elle aussi qui nous unit les uns aux autres au point de ne plus faire qu’« une seule âme et un seul cœur », poursuivant ensemble le même bien commun et portant les fardeaux les uns des autres. Elle est don de Dieu, œuvre de l’Esprit. Mais elle n’est pas pour autant évasion hors de ce monde. Bien au contraire, son authenti­cité se manifeste dans le plus quotidien de nos existences : par la patience, le partage de nos biens et le souci de l’unité. Elle est donc une force qui, en nous arrachant à toute forme de fermeture sur nous-mêmes, transforme dès maintenant notre relation au monde et aux autres. Mais elle n’en demeure pas moins aspiration à un au-delà de ce monde, car la paix de la cité éternelle ne saurait être confondue avec la paix temporelle.

Isabelle BOCHET
Communauté Saint-François-Xavier

 

Aie conscience de ton pèlerinage !

(Saint Augustin, en in Ps 103, 4, 4)

 Pasquale Borgomeo consacre une partie significative de sa recherche à « L’Eglise, mystère d’espérance : le pèlerinage »

Dans son ouvrage : L’Eglise de ce temps dans la prédication de saint Augustin (Etudes augustiniennes, 1972, Pasquale Borgomeo consacre une partie significative de sa recherche à « L’Eglise, mystère d’espérance : le pèlerinage » (p. 117). L’un des chapitres (VII) s’intitule paradoxalement : L’Eglise catholica et peregrina (p. 137), deux aspects qui semblent contradictoires. Comment en effet concilier la réalité d’une  Eglise établie dans l’espace et le temps  avec celle d’une Eglise en pèlerinage ? En parlant de la catholica, Augustin pense d’abord à sa diffusion géographique : « Eglise répandue sur toute la surface de la terre », selon une formule qui lui  est familière. Mais cette Eglise est  en même temps Ecclesia peregrina, Eglise en pèlerinage, aspirant à la patrie céleste. Borgomeo fait le commentaire suivant :

« Les deux concepts qui tout naturellement se mettent en rapport dialectique, ce sont, chez lui, celui d’Eglise diffusa et celui d’Eglise peregrina. Il pourrait  apparaître surprenant qu’après avoir tant insisté sur l’expansion victorieuse de l’Eglise, après  avoir maintes fois affirmé que désormais les chrétiens constituent eux-mêmes le monde, Augustin ne cesse d’inculquer l’Eglise ici-bas n’est que provisoire, nostalgique et, finalement, étrangère. Il n’existe pas en français un mot qui traduise de façon satisfaisante la peregrinatio, à savoir la condition historique de l’Eglise du temps en marche vers son accomplissement. Mais les différentes nuances (absence, nostalgie, précarité, dépaysement) qui contribuent à esquisser le tableau de cette intuition d’Augustin, sont toutes diamétralement opposées à celles qu’une logique humaine pourrait attendre d’une Eglise qui s’empare du monde. On conçoit mal la nostalgie de la patrie chez une Eglise qui  couvre le monde de sa présence. De même, il n’est pas aisé d’expliquer comment une Eglise qui s’établit officiellement au  sein des institutions et des structures sociales, peut se concevoir comme transitoire. Enfin, pourquoi se sentir étrangère dans un monde qu’elle cherche incessamment à sanctifier jusqu’aux racines ?

 Augustin ne cesse d’inculquer l’Eglise ici-bas n’est que provisoire, nostalgique et, finalement, étrangère.

Pourtant cette Eglise du temps est dite peregrina,  avec toutes les conséquences que ce mot implique. Il apparaît même que, pour Augustin, l’Eglise ne conquiert le monde que pour y expérimenter son propre dépaysement foncier, et que la poussée de son expansion sur terre  est à la mesure de sa nostalgie du ciel.
Prendre conscience de cette condition de pèlerinage de l’Eglise du temps et aspirer à la patrie céleste, ne font qu’une même chose,  et si les difficultés présentes alimentent le désir du ciel, la conscience d’être des pèlerins aide à les surmonter avec sérénité. C’est ce qu’exprime une formule lapidaire d’Augustin : «Ne crains pas, ne t’effraie pas : garde la nostalgie de la patrie, aie conscience de ton pèlerinage (Noli timere, noli terreri, desidera patriam, intellege peregrinationem » (p. 146-147).

Citons le contexte de ce passage qui précède ces lignes extraites de son commentaire du psaume 103, 4, 4. Augustin observe d’une part que « la terre est remplie de chrétiens », mais d’autre part que, établie dans le monde entier,  « la nostalgie de la patrie » risque de s’affaiblir ou même de s’éteindre.  C’est ce risque contre lequel il met en garde. Voici son commentaire :

 Cette voie aura un terme qui nous donnera la joie de la patrie.

« Le vieil homme abondait, alors est venu celui qui devait renouveler son œuvre, il est venu jeter  son  argent à la refonte, y graver son effigie, et nous voyons la terre  remplie de chrétiens qui croient en Dieu, qui ont en horreur leurs anciennes impuretés, leur idolâtrie, qui renoncent aux espérances du passé pour espérer une vie à venir ; ces biens ne se réalisent point encore, nous les tenons néanmoins en espérance, et cette espérance nous fait chanter et dire : « La terre est remplie de vos créatures. »
« Ce n’est point  encore là le chant de la patrie, ni de ce repos qui nous est promis alors que seront affermies les portes de Jérusalem (Ps 147, 13). Mais dans notre pèlerinage, à la vue de ce monde entier, de ces hommes qui de toutes parts accourent embrasser la foi, qui craignent l’enfer, qui méprisent la mort, qui aspirent à la vie éternelle, qui dédaignent celle-ci, transportés de joie à la vue d’un tel spectacle, nous chantons : « Ô Dieu, la terre est remplie de vos créatures. »

« Car elle est douce, notre patrie, et vraiment patrie unique et seule patrie ; et tout ce que nous pouvons avoir en dehors d’elle n’est qu’un exil (in Ps 61, 7) ».

« Cette vie, toutefois, est encore battue par les flots des tentations, elle est troublée par les tempêtes et par les orages de la tribulation et de l’orgueil ; telle est néanmoins la voie. Que la mer nous menace, que ses flots s’amoncellent, que ses tempêtes grondent, c’est là qu’il faut aller ; nous avons pour naviguer le bois sacré (…). Cette voie aura un terme qui nous donnera la joie de la patrie (…).
« Mais nous, par où donc pourrons-nous aller à la patrie ? En traversant la mer, mais appuyés sur le bois. Ne crains aucun danger, le poids qui te porte soutient le monde entier. Redoublez donc d’attention : « Cette mer est vaste  et s’étend au loin, là se meuvent des reptiles sans nombre, grands et petits. » Ne crains pas, ne t’effraie pas : garde la nostalgie de la patrie, aie conscience de ton pèlerinage ».

Borgomeo poursuit alors son commentaire (p. 147) :

« L’Eglise  qui  s’empare du monde jusqu’à ses dernières frontières est une Eglise inquiète, comme quelqu’un qui est loin de sa maison. Et qui mieux que le mystique de l’inquietum cor nostrum pouvait exprimer cette inquiétude ? « Maintenant soumis à cette condition de pèlerins, nous  avons un terme vers lequel nous tendons ? Où tendons-nous ? Vers notre patrie. Quelle est notre patrie ? Jérusalem, mère des justes, mère des vivants. C’est là que nous tendons, c’est là notre terme même » (Sermon 16 A 9). Souvent cette nostalgie (…) suggère à Augustin un langage empreint de tendresse : « J’aime à vous parler encore un peu de cette douce cité » (in Ps 61, 7) ; et après avoir répété le cri d’exaltation et de fidélité à Jérusalem (in Ps 86, 3), il en chaîne sur le même adjectif pour redire avec une affectueuse insistance le mot patria : « Car elle est douce, notre patrie, et vraiment patrie unique et seule patrie ; et tout ce que nous pouvons avoir en dehors d’elle n’est qu’un exil (in Ps 61, 7) ».

M.N

Augustin dans l'histoire

La théologie de l’espérance, de Jürgen Moltmann, par Mihai-Julian DANCA

«Dans la vie chrétienne, la foi a la priorité, mais l’espérance la primauté.
Sans la connaissance du Christ par la foi,
l’espérance devient une utopie  s’élançant  dans le vide. Mais sans l’espérance, la foi dépérit,
devenant un « peu-de-foi » et finalement une foi morte » (p. 17).

Les témoignages bibliques, loin d’expulser l’espérance dans l’au-delà ou dans l’éternité, sont pleins d’une espérance messianique d’avenir pour la terre. Le Dieu de la Bible  venant à nous comme promesse d’une nouveauté et comme espérance d’avenir n’est pas un Dieu intramondain ni extramondain[2] : il est le « Dieu de l’espérance » (Rm 15,13), un Dieu qui a « le futur comme propriété ontologique[3] ». Dans le Dieu qui se révèle en Jésus-Christ, l’eschatologie chrétienne trouve un solide fondement qui la distingue des théories utopiques. Elle trouve son assurance dans la personne de Jésus-Christ et  son avenir.

Cette espérance d’un avenir pour l’homme et pour la terre n’est pas à confondre avec une réalité expérimentale, objet d’expérience. Bien plus, elle la contredit et la conteste. Car, si l’espérance correspondait à l’expérience, il n’y aurait plus rien à espérer. L’espérance dans le Nouveau Testament est un « déjà-là » tendu vers un « pas encore » visible, et elle consiste ainsi à « espérer contre toute espérance ». Cette foi-espérance n’apporte pas le repos, mais l’inquiétude, elle ne rend pas patient mais impatient, elle n’apaise pas le cor inquietum, car elle-même est le cor inquietum en l’homme.

L’espérance ne se réduit pas à la subjectivité

Comment fonder aujourd’hui un discours eschatologique tout en sachant que l’expérience de deux mille ans d’une parousie qui ne vient pas  rend un tel discours presque impossible et même dérisoire[4] ? Comment défendre une révélation qui se conjugue sur le mode de la promesse[5] ?

Selon Hermann, auquel Moltmann va s’opposer, la révélation de Dieu ne se laisse pas expliquer objectivement, mais l’homme peut en revanche en faire l’expérience dans son propre soi, c’est-à-dire dans sa subjectivité non objectivable, dans l’obscurité dépouillée où est vécu l’instant du saisissement[6]. Hermann acceptait comme allant de soi l’impossibilité objective pour la raison théorique de fonder la révélation, de la démontrer : on ne peut dire de Dieu ce qu’il est objectivement en soi, mais seulement ce que produit son action sur nous-mêmes[7].

Dans la même ligne, Bultmann[8] défend la thèse selon laquelle les affirmations de l’Ecriture sont un discours puisé dans l’existence et plongeant dans l’existence. Elles n’ont pas à se justifier devant la science objectivante, parce que l’existence non objectivable de l’homme n’entre absolument pas dans le domaine d’une telle science. Bultmann se livre dès lors à l’interprétation existentiale et à la démythologisation des Ecritures, en vue d’une appropriation, individuelle à chaque fois, effectuée dans la spontanéité de la subjectivité. Pour lui, il existe une corrélation cachée entre Dieu et le soi.

Il s’agit en fin de compte de la preuve de Dieu élaborée à partir de l’existence. Cette tendance a marqué profondément la pensée occidentale depuis Augustin jusqu’au rationalisme du siècle des Lumières. Dieu ne se laisse pas prouver objectivement, son action et sa révélation non plus, mais il se prouve au « soi » croyant : c’est une preuve de Dieu par le fait d’exister avec authenticité, même si elle ne peut être prouvée objectivement, mais seulement vécue subjectivement dans l’expérience de la certitude.

Moltmann rejettera ces conclusions. D’abord, il conteste la possibilité d’imaginer une compréhension-de-soi qui ne serait pas déterminée par le rapport au monde, à l’histoire, à la société. Comment par  ailleurs la vie humaine peut-elle acquérir consistance et durée sans « extériorisation[9] » et sans objectivation ? Selon Moltmann, la théologie doit développer une connaissance de Dieu qui maintient en corrélation la compréhension-de-soi et la compréhension du monde. Autrement dit, une conscience de soi immédiate et une identité non-dialectique avec soi-même deviennent impossibles étant donné que la compréhension de soi est toujours socialement, objectivement et historiquement médiatisée.

L’espérance comme critique de l’histoire

Entrer dans l’histoire d’une promesse signifie alors ne pas accepter la réalité comme un cosmos divinement stabilisé, mais comme une histoire au sein de laquelle il faut progresser, laisser le passé derrière soi et partir vers des horizons nouveaux et inconnus.

Pour la foi chrétienne, le Ressuscité est la promesse de son propre avenir. La promesse contenue dans la Résurrection de Jésus demeure cependant encore en suspens pour nous[10]. Elle introduit une tension entre un déjà-là, manifesté dans la résurrection du Christ, et un pas-encore, car la promesse de la résurrection ouvre un avenir encore à venir. La révélation qu’apporte le Ressuscité et qui est au fondement de l’espérance chrétienne ne peut pas recevoir figure historique[11] dans l’histoire qui s’écoule irréversiblement, mais en revanche, elle doit prendre la tête du processus historique comme primum movens : elle fait devenir historique la réalité de l’homme et du monde. Selon Moltmann, le croyant «est en avance sur lui-même par l’espérance en la promesse de Dieu. L’événement de la promesse ne le fait pas encore entrer dans une patrie de l’identité, mais l’introduit dans les tensions et les différences de l’espérance, de l’envoi et de l’extériorisation[12] ».

Entrer dans l’histoire d’une promesse signifie alors ne pas accepter la réalité comme un cosmos divinement stabilisé, mais comme une histoire au sein de laquelle il faut progresser, laisser le passé derrière soi et partir vers des horizons nouveaux et inconnus. Moltmann interprète cette idée à partir de l’exode du peuple élu vers la terre promise.  Le Dieu de l’Exode qui a « le futur pour propriété ontologique » n’est pas celui de la conception grecque : il n’est pas l’ « éternel présent » de l’Etre de Parménide, ni l’Idée suprême de Platon ni le Moteur immobile d’Aristote. S’il doit se révéler comme « le même » c’est par rapport à sa fidélité au cours de l’histoire de la promesse[13].

En Jésus-Christ la promesse du Dieu de l’Exode devient universelle. Sa Résurrection, sans parallèle dans l’histoire, devient l’« évènement instituant une histoire » qui éclaire, transforme et conteste le reste de l’histoire. Moltmann fait une lecture eschatologique des récits de la Résurrection pour répondre à la question kantienne : « que m’est-il permis d’espérer ?[14] ». Nous espérons l’avenir du Christ qui apportera la manifestation de l’homme et du monde, sans pour autant être capables de dater son avenir et son retour du moment où c’est lui qui donne son jour aux temps.

Le « déjà-là » et le « pas encore » de la promesse

Comment comprendre alors la Résurrection qui n’est pas un retour à la vie en général ? En langage hégélien, Moltmann parle d’une « victoire sur l’abandon de Dieu, victoire sur le jugement et la malédiction, début de l’accomplissement de la vie promise, donc victoire sur ce qui, dans la mort, est mort, c’est-à-dire négation du négatif (Hegel), négation de la négation de Dieu[15] ». La Résurrection est ainsi au cœur du langage des promesses et de l’avenir non encore réalisé mais toujours en suspens. Le « temps » est valorisé théologiquement par l’attente de la venue de l’avenir promis de Dieu.

 Le péché d’incrédulité réside moins dans la négation de Dieu que dans l’absence de toute espérance, dans la résignation, l’inertie et l’abattement.

Le problème que pose aujourd’hui la sécularisation, n’est pas un abandon des traditions chrétiennes, mais bel et bien une réalisation des attentes chrétiennes dans l’histoire universelle. D’après Moltmann, cette nouvelle situation devrait permettre aux chrétiens de se demander à nouveau pourquoi ils sont là et à quoi ils aspirent ? Comment la communauté chrétienne peut-elle ouvrir le monde à l’horizon de l’avenir du Christ mort et ressuscité ? Nous vivons dans un monde inachevé, encore en histoire. Et dans ce monde du possible, la tâche du chrétien est d’être au service de la vérité, de la justice et de la paix promises.

Pour Moltmann le péché d’incrédulité réside moins dans la négation de Dieu que dans l’absence de toute espérance, dans la résignation, l’inertie et l’abattement. Il devient présomption lorsqu’il y a une anticipation prématurée et volontaire de l’accomplissement de ce que l’on doit espérer de Dieu. Il est désespoir lorsqu’il y a une anticipation prématurée et arbitraire du non-accomplissement de ce que l’on doit espérer de Dieu.

Au terme de cette brève présentation de la théologie de l’espérance, où la résurrection du Christ tient une place centrale, on comprend mieux l’insistance de Moltmann sur sa « réalité ». C’est en effet la réalité de la résurrection du Christ qui fait tenir ou tomber l’espérance chrétienne. L’enjeu est de taille. C’est l’avenir de l’histoire qui s’y joue : « Lorsqu’on lutte pour cette énigmatique réalité (de la résurrection), en confrontation avec les conceptions historiques modernes de la réalité – et en désagrégeant ces conceptions -, on est loin de se battre simplement sur un détail d’un lointain passé : au contraire, on va jusqu’à mettre en question, au contact de cette réalité-là, les moyens historiques de s’assurer de l’histoire. On lutte pour l’avenir de l’histoire et pour la manière de connaître, d’espérer et de travailler à cet avenir[16] ».

 

Mihai Iulian DANCA
Augustin de l’Assomption
Strasbourg

Une espérance sans transcendance, chez Ernst Bloch, par Cezar ANDREI

Le principe espérance de Ernst BLOCH

« Je suis, nous sommes. Il n’en faut pas davantage. A nous de commencer. C’est entre nos mains qu’est la vie »

Comment penser l’homme après Auschwitz ? Comment lui éviter de sombrer dans le désespoir ? En France, la philosophie s’est cherché un nouveau départ notamment dans l’existentialisme de type sartrien. Ernst Bloch écrit au même moment : L’esprit de l’utopie, et ce livre apparaît très vite comme une protestation de la vie, dans des circonstances particulièrement difficiles. En faisant de l’espérance une « utopie-concrète », puis le concept central de sa trilogie : Le principe espérance (3vol., traduits en français entre 1954-1959)[1], il décrit à sa manière les mésaventures de la reconquête de l’homme par lui-même : « Je suis, nous sommes. Il n’en faut pas davantage. A nous de commencer. C’est entre nos mains qu’est la vie »[2]. L’avenir est, pour Ernst Bloch,  une anticipation pour le présent.  Il développe une espérance sans transcendance. Nous avons devant nous un monde à transformer et non pas à transgresser. Parmi ce qui détourne l’homme de l’espérance concrète, il y a, entre autres, le christianisme.

« Pour Ernst Bloch, le christianisme est resté à mi–chemin. Il a entrevu le but à atteindre – l’utopie du Royaume de Dieu – mais il a trahi ce but en le transposant dans un autre monde. L’espérance chrétienne exile l’homme au lieu de l’aider à transformer l’ici-bas pour en faire un monde autre »[3].

Un nom qui appartient à l’homme

L’être dans sa totalité devient insaisissable dans le temps présent car il ne cesse de se déployer, donc d’aller vers son accomplissement.

Dans le célèbre épisode du buisson ardent, Dieu demande à Moïse de faire sortir son peuple d’Egypte, pour le conduire vers la Terre promise. A Moïse qui l’interroge sur son nom, Dieu répond : « Ehyeh asher ehyeh » (Exode 3, 1-15). Certains traduisent : « Je suis qui je suis » ou « Je suis ce que je suis » ou « Je suis celui que je suis », ou encore « Je suis celui qui est ». La Traduction œcuménique de la Bible (TOB) propose: « Je suis qui je serai ». La difficulté de cette dernière formulation provient du verbe employé car pour nous il est au futur, mais en hébreu ce temps n’existe pas. Ernst Bloch reprend cette réflexion sur l’être de Dieu, mais pour l’appliquer à l’être de l’homme et du monde. Selon Bloch le discours sur l’être qui se cache derrière la phrase « Je suis qui je serai », est valable pour tout être et non seulement pour l’être de Dieu.

Essayons un instant de penser l’homme à partir de ce nom. Ma conscience dont la fonction est anticipante, ne fait que me projeter vers l’être du moi et l’être du monde. L’être dans sa totalité devient insaisissable dans le temps présent car il ne cesse de se déployer, donc d’aller vers son accomplissement. Ce qui m’échappe le plus n’est plus l’être de Dieu mais d’abord et surtout mon propre être et puis celui du monde, en tant que cet être est toujours en train de s’accomplir, donc de devenir à chaque instant quelque chose d’autre que lui-même. D’un seul coup le monde et le sujet deviennent problématiques dans la mesure où ni l’un ni l’autre ne sont plus atteignables par la pensée dans leur totalité.

L’homme, un « futur non encore réalisé »

L’homme est à la fois désir et puissance, conscience et action, affirmation de soi et auto-développement naturel.

L’essence de l’homme est d’être conscient de son désir. Comme toute chose naturelle, il tend à persévérer dans son être. Mais à la différence des choses de la nature, il est conscient de ses désirs et ainsi il agit par volonté et non par réflexe ou par automatisme. Le principe espérance trouve son fondement dans cette anthropologie qui s’ouvre sur « un vaste champ de pulsions » (t. I, p. 64). Cette « fuite-en-avant » fait que l’instant présent est la chose qui nous échappe le plus. Nous ne sommes maîtres de l’instant présent que très rarement. Seuls les grands hommes peuvent y arriver. A chaque instant je suis ce que ma conscience anticipe, je suis sans cesse en train de devenir et mon existence m’échappe.

L’homme est à la fois désir et puissance, conscience et action, affirmation de soi et auto-développement naturel. Notre conscience anticipe ainsi sur l’avenir. La philosophie de Bloch n’est pas une philosophie de l’être mais du devenir. Le sujet comme l’objet, le moi comme le monde doivent être pensés comme processus, déroulement, possibilité d’advenir. Mon existence comme déploiement dans l’être, à la différence de celle des choses, devient problématique à partir de son origine qui est le futur. Cette poussée vers l’avant qui est la source de l’espérance, doit nous porter vers quelque chose de nouveau (novum) qui n’est pas encore présent parce que toutes les conditions de possibilité d’être ne sont pas encore réunies.

Espérer qu’il y a du nouveau sous le soleil

Ernst Bloch n’a qu’une volonté : changer la société de son temps

Quelles seront donc les conditions de possibilité pour que quelque chose de nouveau puisse « ad-venir », en sachant que tout ce qui peut « ad-venir », comme la productivité intellectuelle, la création, l’art, la musique, sont pleins de « non –encore –conscient » ? Pour Bloch, le nouveau ne vient pas d’en haut car aucune réalité transcendante n’est acceptée, aucun Etre supérieur à nous ne peut nous faire espérer réellement. Dès lors la nouveauté ne peut surgir que dans l’histoire. Les conditions pour faire ad-venir le « non–encore–conscient » sont toujours de nature économique, sociale et, pour utiliser le mot d’Ernst Bloch, progressistes.

Dans le processus que décrit le Principe Espérance nous remarquons l’attachement de l’auteur au temps de l’histoire. Témoin de la violence qui déferle sur tous les continents au début du XXe siècle, Ernst Bloch n’a qu’une volonté : changer la société de son temps. Ainsi chacun doit espérer pour son époque seulement et l’espérance devient illusoire quand elle transgresse le temps de l’histoire. Je ne peux espérer que pour moi et mon peuple, et l’homme n’est visionnaire que pour son époque.

Le principe espérance est un affect d’attente dans le « rêve–vers–l’avant »: « ce qui s’y dessine (dans le rêve), sort du cadre, c’est l’esquisse d’une image de grande envergure, fruit du souhait et de la réflexion » (t. 2, p. 523). La conscience en tant que puissance d’être « pro–jet » est anticipante : nous sommes du possible qui peut tout devenir. Cette dynamique qui surgit de ma propre conscience va rencontrer bientôt une autre dynamique du même type qui cette fois-ci va surgir du monde ou de la chose. Cette anthropologie se situe dans la logique du mythe de Prométhée.

A l’horizon : l’utopie–concrète du Royaume

L’homme doit être un visionnaire comme le prophète dans la Bible qui cherche à prédire la possibilité d’être quelque chose dans un monde en devenir.

Que devient la religion dans cette perspective ? Bloch poursuit son approche critique de la religion, dans le but avoué de réduire la transcendance religieuse à sa signification anthropologique. Cette façon de critiquer la religion est caractéristique de l’approche athée d’un Ludwig Feuerbach  (1804-1872) ou d’un Friedrich Nietzsche (1844-1900). C’est ainsi que l’utopie du Royaume de Dieu sera l’œuvre de la raison humaine dans ce monde. Ernst Bloch instaure une proximité du Royaume qui devient une présence qu’il s’agit d’intensifier. L’homme doit être un visionnaire comme le prophète dans la Bible qui cherche à prédire la possibilité d’être quelque chose dans un monde en devenir. L’espérance n’est pas une problématique du futur simplement mais du futur qui touche déjà le présent. L’espérance est cette fine pointe où le présent touche à l’avenir et réciproquement… et la science de ce moment précis est pour Bloch le marxisme.

Notre rapport au monde est de type herméneutique. Il faut interroger la nature et interpréter les signes que celle-ci laisse entrevoir lorsqu’on se porte au « front » du changement. Nous avons la possibilité de saisir dans quelle direction pourrait aller l’histoire dont on peut lire, déjà, l’amorce de développements possibles : « La conscience utopique veut voir très loin, mais en fin de compte, ce n’est que pour mieux pénétrer l’obscurité toute proche du vécu-dans-l’instant, au sein duquel tout ce qui existe est un mouvement tout en étant encore caché à soi-même. » (t. 1, p. 21).

Une sécularisation des utopies religieuses

Bloch consacre une grande partie de son œuvre à la sécularisation des utopies religieuses comme celle du « Royaume de Dieu » ou encore celle du « Fils de l’Homme ». La sécularisation n’est pas simplement un discours qui change parce que la pensée va maintenant du ciel vers la terre. Plus qu’un simple constat, la sécularisation est un processus historique et un projet porté par chaque époque. Elle n’est « pas encore » arrêtée, chaque époque doit en reprendre le processus et le poursuivre plus loin.

La perspective du Royaume élargit indéfiniment l’espérance humaine du croyant

Bloch fait la même réflexion à propos du Royaume. Il met une différence entre attendre le Royaume et préparer l’avenir de l’humanité, de la nature, ou encore chercher une amélioration de son existence personnelle et de sa famille. La perspective du Royaume élargit indéfiniment l’espérance humaine du croyant en réunissant la diversité des « images-souhaits » concernant la société, l’histoire, le rapport à la nature, le travail… pour en faire un ensemble cohérent (t. 3, p. 414). Le « Royaume de Dieu » est détourné de son sens théologique habituel, mais Bloch ne peut le supprimer car il porte une charge utopique importante qu’il pense utiliser dans une autre perspective.

On voit que la critique que fait Ernst Bloch aux religions est la même que celle de Marx. Les religions (en particulier le courant judéo-chrétien) détournent l’homme de la réalité terrestre qui seule a une existence réelle. Toute espérance projetée vers un monde autre que celui-ci manque de réalité concrète. Nous sommes là pour espérer ce qui est à notre portée d’homme naturel dans le temps de l’histoire : la paix dans la société, des institutions justes, une répartition équitable des richesses, l’expression artistique.

Mais l’œuvre de Marx étant ainsi révisée, il en résulte une définition plus large du marxisme en tant que science des tendances, définition qui dépasse le cadre de l’économie et le champ du politique si l’on pense que le marxisme est compris comme la « science médiatisée de l’avenir » (t. 1, p., 342). La réalité c’est-à-dire la matière, est puissance de devenir et le but de cette science nouvelle est de se saisir de propriétés de la réalité qui portent déjà l’à-venir. Il naît de cette compréhension une autre dialectique matérialiste qui met en rapport des lois objectives et des possibilités réelles pour une transformation du monde. Parce qu’il n’y a plus rien à contempler dans le monde à venir, alors tout se résumera à l’action, (praxis).

L’espérance d’un monde nouveau

L’espérance tracée par Ernst Bloch pourrait se résumer en ces termes : « toujours nouveau ». Les possibilités réelles du « devenir-monde-nouveau » préexistent dans la matière en tant que puissance ou pouvoir-être. Il appartient à chacun et à chaque collectivité d’inventer ou de créer le monde dans lequel ils veulent vivre : « Tout projet et toute création poussés jusqu’aux limites de leur perfection sont déjà entrés en contact avec l’utopie (…), c’est bel et bien le substrat lui-même de l’héritage culturel ». Une fois encore, nous sommes invités à rejoindre le « front » de la réalité. Là se joue notre « a-venir », là se réalisent les possibles, là demeure actif tout ce qui aspire encore à voir le jour. Le rêve d’un monde nouveau (novum) devient possible (réel) par la dialectique de l’anticipation humaine et du déploiement des potentialités inscrites dans la nature.

Si le judaïsme et ensuite le christianisme ont abandonné l’espérance humaine à un autre monde (celui de l’au-delà), le marxisme ne suffit pas non plus pour rendre compte de l’espérance humaine à cause de sa vision réductrice de l’homme à sa condition socio-économique.

Avant de conclure ces quelques réflexions autour du Principe Espérance, retenons cette synthèse que Bloch[4] opère en grande partie à partir de l’œuvre de Hegel. Il y a comme une toile de fond commune à notre réalité et à celle du monde. Notre « conscience-anticipante » rencontre le monde en tant que « pouvoir-être » et c’est à cette jonction qui ne forme qu’une seule réalité, celle de « l’utopie-concrète », qu’un principe espérance prend son origine. En d’autres termes notre espérance s’enracine dans l’ « à-venir » qui est un futur déjà-là, sans l’être encore totalement.

Nous comprenons maintenant pourquoi un théologien comme Jürgen Moltmann a pu s’interroger sur la notion de l’avenir trop oubliée dans le discours théologique. En construisant son discours théologique à partir de la notion de l’a-venir (la théologie de l’espérance) on a pu lui reprocher d’avoir minimisé les événements historiques qui en théologie chrétienne sont essentiels.

Pour Bloch la conscience et, plus largement encore, tout élément anticipatif, est une composante de la réalité elle-même. Si le judaïsme et ensuite le christianisme ont abandonné l’espérance humaine à un autre monde (celui de l’au-delà), le marxisme ne suffit pas non plus pour rendre compte de l’espérance humaine à cause de sa vision réductrice de l’homme à sa condition socio-économique. Il reste alors le monde de l’esthétique : les artistes représentent aux yeux de Bloch les meilleurs visionnaires pour le monde. Ce sont eux qui arrivent à s’échapper assez loin dans un « futur-présent » c’est-à-dire dans la réalité même.

La philosophie de Bloch puise ses données dans un avenir qui en partie est déjà-là. Le présent est cet élan interrompu, cette anticipation du « non-encore-devenu ». Même quand il étudie les personnages ou courants de pensées qui ont marqué l’histoire, c’est toujours sous l’angle de l’utopie. Bloch regarde en effet ce que chaque époque a porté comme charge utopique et comme désir d’un monde meilleur. L’humanité est ainsi caractérisée par sa capacité d’inventer à chaque fois des nouveaux modes d’êtres. Ce qui intéresse le philosophe, c’est le « pas encore », ce qui n’est pas encore ad-venu.

En conclusion : un regard critique

Parce que la philosophie de l’avenir de Bloch est jusqu’à la fin une dialectique–matérialiste du « non-encore conscient » et du « non-encore devenu », elle ne peut pas être pensée comme formant un système. Cette ouverture peut créer une dynamique de la pensée (car penser, ce peut être aussi transgresser au sens où l’on entend ouvrir un espace par-delà les obstacles), mais la véritable nouveauté qui anime toute espérance doit être cherchée ailleurs, et j’entends par là ailleurs que dans l’esthétique. L’art au sens large représente un maximum de manifestations poussées jusqu’à leur expression ultime dans les symboles de perfection. L’art prétend arriver jusqu’à une fin utopique où la manifestation est conforme à l’essence. Mais qu’est-ce qui peut donner sa consistance à l’utopie esthétique ? Pour Bloch, sa consistance lui vient uniquement de l’homme et de son engagement dans l’histoire. Tout ce qui prétend transgresser l’histoire est inconsistant.

L’œuvre de Bloch a inspiré aussi un renouveau de la théologie de l’espérance et en particulier chez Jürgen Moltmann, dont  tout le problème consiste à montrer que seul le christianisme donne consistance à l’espérance à partir justement d’un événement historique : la résurrection du Christ. A la différence de la Renaissance avec ses utopies inscrites géographiquement (Thomas More, L’utopie ; Campanella, La Cité du Soleil), Bloch introduit la dimension temporelle de l’utopie. En cela Le Principe Espérance, ne peut qu’intéresser le théologien. Sauf que pour Bloch toute possibilité d’eschatologie sera humaine et sécularisée, car l’histoire humaine a déjà été détachée de l’Histoire du Salut. Tout le problème sera pour le théologien d’intégrer dans son discours sur l’espérance (même en ses aspects positifs), une doctrine comme celle de Bloch, athée et centrée sur l’homme. Cette difficulté réelle s’explique en partie parce que le passage d’un humanisme anthropocentrique athée (de type marxiste) à un humanisme théocentrique chrétien, représente de fait un changement substantiel.

 

Cezar ANDREI
Augustin de l’Assomption
(Strasbourg)

Augustin aujourd'hui

L’espérance à Lourdes, par Daniel OLIVIER

A deux reprises, en 1995 et 1996, le Pèlerinage National a eu pour thème l’espérance. Spécialiste internationalement reconnu de Luther, Daniel Olivier (1927-2005) avait aidé à sa préparation. C’est le texte inédit de sa conférence du 28 février 1995 que nous proposons ici.

 L’espérance est aussi le miracle le plus abondant que l’on trouve à Lourdes.

Je trouve très difficile de parler de l’espérance sans verser dans les abstractions. La visée de votre effort est de sensibiliser le public des pèlerinages – pèlerins, malades, accompagnateurs – à l’espérance chrétienne qui est en tout baptisé. Le croyant n’invente pas son espérance, elle lui est donnée. Tout chrétien reçoit la grâce de l’espérance. Mais cette grâce, on n’a jamais fini de la cultiver. L’espérance est le premier remède du malade de Lourdes. L’être humain a besoin d’espérance pour vivre. L’espérance est une fonction de la vie. Elle est de ces énergies de l’âme qui sont sources de vitalité corporelle. Nous voulons assurer le service de l’espérance auprès du malade, appelés que nous sommes à rendre compte de notre espérance (1 P 3,15), à être le reflet du salut que Dieu opère. Ce que Dieu fait pour nous éveille notre espérance pour les autres. Dans ma relation au malade il y a le sentiment: « Dieu fait tellement pour moi … Je donne à mon frère de mon espérance», ne serait-ce qu’en attendant quelque chose de lui. L’espérance est aussi le miracle le plus abondant que l’on trouve à Lourdes. Lourdes, c’est l’énorme vague de l’espérance des pèlerins malades, de celles et ceux qui les entourent. Les foules de Lourdes n’ont pas forcément la foi, mais elles viennent toutes pour la guérison de l’espérance.

1. Le Christ  est mon espérance

 L’espérance chrétienne se fonde sur un événement passé, la Résurrection du Christ, et en réalité sur son efficacité présente.

Les “Propositions pastorales”[1] disent tout ce qu’il faut pour une pastorale de l’espérance. Ce qu’il faut dire en premier me parait être ce qui se trouve au milieu de la deuxième page. Il s’agit de  Marie Madeleine au matin de la Résurrection et du chant de la liturgie de Pâques: « Il est ressuscité, le Christ mon espérance, Surrexit Christus spes mea … » L’espérance chrétienne se fonde sur un événement passé, la Résurrection du Christ, et en réalité sur son efficacité présente. Conformément à la promesse: « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps» (Mt 28,28). En Jésus, les temps sont accomplis, le Royaume de Dieu s’est approché: il n’est plus hors de portée. Maintenant c’est Dieu qui agit. L’espérance ne vise pas exactement l’avenir mais le surgissement d’un monde, le monde du salut que Dieu crée jour après jour. Etre dans ce monde, c’est déjà être sauvé en espérance.

Espérer, c’est compter sur le monde de la Résurrection, comme le lieu où Dieu intervient en force pour faire triompher l’humain contre les forces mauvaises qui s’en prennent au corps et à l’âme. Par la Résurrection, Dieu donne raison à un condamné qu’on voulait faire taire et dont on voulait étouffer le message. Pour marquer son intervention contre les forces du mal, Dieu commence par ressusciter un mort. L’espérance table sur cette volonté affirmée de Dieu d’être à l’œuvre pour susciter et ressusciter la réalité (pour lui, sans prix) de l’humain. Ce qu’il y a de neuf, dans le monde, c’est le surgissement, envers et contre tout, du meilleur de l’humain: le courage, l’amour et la liberté, l’espérance contre toute espérance. « Le témoin fidèle de l’espérance humaine en Dieu, c’est Jésus Christ ». Il est notre chemin. Tout au long de sa vie, totalement obéissant à Dieu le Père, il s’est identifié à ceux que la société méprisait. Il a prêché le message du Royaume de Dieu à venir, message qui nous réconforte par la vision d’un lendemain dont on ne peut douter. Arrêté, torturé, tué. Ses dernières paroles ont été : « Je remets mon esprit entre tes mains ». Sur la croix, Jésus s’endort avec cette seule espérance: Dieu va me ressusciter.

2. Notre Dieu est un Dieu Sauveur

 Le Sauveur, c’est comme l’arrivée du médecin. C’est l’espoir et le commencement de la guérison.

Il existe un autre trait majeur du discours chrétien de l’espérance, à savoir : Notre Dieu est le Dieu Sauveur. Marie dit encore mieux dans le Magnificat : « Mon esprit s’est rempli d’allégresse à cause de Dieu mon Sauveur» (Luc 1.47). Cette formulation mariale « Dieu, mon Sauveur», doit toujours être sauvegardée dans les adaptations en français du Magnificat. Marie définit par ces mots son espérance, une espérance qui tient dans le fait qu’elle a en Dieu son Sauveur, ce qui la comble d’allégresse, malgré son inquiétude de jeune fille enceinte avant d’avoir habité avec son mari… Marie donne en cela la vraie forme du message chrétien: ce message est annonce du Sauveur, plus encore que du « salut ». Les anges de Noël annonçaient aux bergers le Sauveur et non abstraitement « le salut » : Il vous est né un Sauveur.

Le Sauveur, c’est comme l’arrivée du médecin. C’est l’espoir et le commencement de la guérison. On se sent déjà guéri en espérance. Espérer en Dieu comme « mon Sauveur» est une forme privilégiée et typiquement chrétienne de la connaissance de Dieu. Cela distingue le christianisme entre toutes les religions qui ignorent Dieu connu comme « événement», comme quelque chose qui m’arrive à moi personnellement. Dieu événement de ma vie. Événement unique de salut dans la situation où je me trouve.

« La plus haute perfection de l’homme est de ne pouvoir se passer de Dieu » Kierkegaard

« La plus haute perfection de l’homme est de ne pouvoir se passer de Dieu » disait déjà S. Kierkegaard. C’est là l’espérance de Lourdes. « Seigneur, faites que je marche ! » Ce que chacune ou chacun expérimente dans sa foi à la résurrection de Jésus, c’est l’engagement de Dieu à son égard d’être son Sauveur. Fût-on le malheureux ou le malade le plus abandonné de tous. Dieu atteste son engagement à la conscience par un acte saisissant: il ressuscite un mort !

Voilà le Dieu que le public croyant de Lourdes vient rencontrer. Le Dieu qui sauve, qui ressuscite les morts, qui n’abandonne pas les siens à leur sort. Notre salut n’est pas en notre pouvoir. Il est le projet de Dieu. Marie nous dit : Ta vie est une entreprise de Dieu. C’est d’abord Dieu qui espère en toi et pour toi. Marie est le modèle de l’espérance qui entre dans le projet de Dieu sur elle. Une espérance qui met dans le cœur la force d’affronter ce projet lorsqu’il est en termes de maladie ou d’épreuves, à l’exemple de la jeune mère à laquelle fut annoncé le glaive qui lui transpercerait l’âme. « Rassure-nous devant les épreuves », nous fait dire la liturgie, « en cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus Christ notre Sauveur. »

3. Dieu aide à voir ce qui naît

 On ne se fabrique pas l’espérance, on ne peut que la cultiver comme elle vient. Elle vient avec puissance.

A ces deux temps forts du discours de l’espérance il faut en ajouter un troisième, qui perce çà et là dans les “Propositions pastorales”. A la fin du développement sur le Dieu Sauveur, où je relève la remarque: « Dieu nous aide à voir ce qui naît, les bourgeons plutôt que les tombeaux». Le Royaume de Dieu nous vient comme la vie à l’enfant. Il est donné sans qu’on y soit pour rien, comme le don de la générosité de la mère qui donne vie à un être nouveau, sans mérite évidemment de la part de l’enfant. Le Royaume de Dieu est poussée de vie, comme le germe qui bourgeonne dans le sein maternel, ou dans le sillon. On ne se fabrique pas l’espérance, on ne peut que la cultiver comme elle vient. Elle vient avec puissance. Le monde nouveau du Royaume de Dieu, le royaume du salut, a la dynamique de la vie qui s’observe partout dans le monde: la végétation toujours renaissante, le brin d’herbe qui perce le bitume, les espèces vivantes au plus profond des mers ou les myriades d’hôtes microscopiques des cellules de notre corps.

Cette puissance de la vie est la même dans le brin d’herbe et dans le chêne. Elle est dans la moindre lueur d’espérance. Elle motive l’acharnement thérapeutique et elle fait bien des miracles.

La réflexion sur l’espérance ne part pas des idées noires, des « tombeaux». L’important est de renouer avec la source. On se met en route non parce qu’on a peur mais parce qu’on a confiance dans le bout du chemin. Les “Propositions pastorales” commencent par le côté sombre: «  Quelle espérance ? Au cœur de ce monde désenchanté plein d’incertitudes et d’insécurité, etc. » Ce côté sombre des choses fait certes partie du tableau, mais comme les ombres d’une toile de Rembrandt, par exemple les Pèlerins d’Emmaüs, sur laquelle ce qui attire l’œil, c’est la tache de lumière, tache qui tend à s’élargir dans les zones d’ombre lorsqu’on s’attarde à contempler la scène jusqu’à ce que tous les détails soient en lumière, bien que l’ensemble soit tellement obscur à première vue. Le discours de l’espérance se veut lumière. Ce n’est pas la bonne méthode de le démarrer dans le noir: on risque … de ne rien voir !

4. L’espérance  est comme une ancre de l’âme

Deux précisions encore. La première est une citation biblique, He 6, 19-20. La TOB propose la traduction suivante de ces versets de l’Epître aux Hébreux. L’espérance, « est pour nous comme une ancre de l’âme bien fermement fixée, qui pénètre au-delà du voile, là où est entré pour nous en précurseur, Jésus devenu grand-prêtre pour l’éternité à la manière de Melchisedek ».  Ce texte nous dit que le symbole de l’espérance est l’ancre, l’ancre du navigateur. Ce puissant symbole de l’ancre, qui remonte au Nouveau Testament et aux origines chrétiennes, s’impose dans tout discours sur l’espérance. Il faut savoir en profiter pour la catéchèse, par exemple aux pèlerinages de marins et de parents de marins. Les émissions sportives à la télé sur les courses en mer maintiennent bien vivante l’image de l’ancre dans le public, alors que tant d’autres symboles chrétiens importants ne disent plus rien à personne (par exemple, la fleur de lis, pour la « pureté »…).

5. Le signe de Lourdes, c’est l’eau vive

 Ce qu’on a saisi de Lourdes d’abord, c’est la source, c’est le « Va te laver à la fontaine ». C’est par cette entrée que passe chez le pèlerin tout le message de Lourdes.

L’espérance, c’est être ancré avec Jésus, « au-delà du voile», c’est-à-dire fixé en Dieu quoi qu’il puisse arriver. Le cœur cesse alors de dériver sur les vagues du doute, de l’incertitude, du découragement, du désespoir. Cesser d’errer n’est encore la solution d’aucun problème. Mais grâce à l’ancre je suis retenu par Dieu, mon Sauveur. J’ai pour moi Jésus ressuscité, mon espérance. Et voici la deuxième précision. L’ancre du navigateur nous parle de l’eau. L’eau, à Lourdes. Cela ne vous rappelle rien? L’eau vive, la source, la vie, la guérison. Le signe de Lourdes, c’est l’eau vive.

J’ai chez moi un mémoire universitaire d’une jeune femme de mes amis, sur les pèlerinages aux sources en France au Moyen Age sur « l’eau et le sacré». Dans notre histoire pour nos populations, l’eau est depuis toujours un symbole irrésistible. Parlez d’eau et de miracle, de source miraculeuse, d’eau qui fait des miracles et vous attirez les foules pendant des générations. L’eau est un constituant fondamental de la vie, du corps humain : nous sommes eau. Ce qu’on a saisi de Lourdes d’abord, c’est la source, c’est le « Va te laver à la fontaine ». C’est par cette entrée que passe chez le pèlerin tout le message de Lourdes.

Je crains qu’en accrochant à Lourdes toutes les activités et les valeurs du catholicisme français jusqu’au pèlerinage militaire et aux réunions de la conférence épiscopale, on n’ait trop chargé la barque au point de ne plus voir ce qui est l’essentiel à Lourdes, ce qu’il faut toujours maintenir en premier, je veux dire l’eau.

Les “Propositions pastorales” insistent sur le Rocher de la grotte: il peut devenir, nous dit-on, « pour les pèlerins signe du Dieu fidèle sur lequel on s’appuie: « Dieu mon Rocher» (Ps. 31…). Toute une catéchèse de l’espérance peut être faite à partir de ce geste si populaire de baiser le rocher». Le thème du Dieu Rocher est effectivement un élément solide d’une catéchèse de l’espérance. Mais pourquoi monter en épingle « le geste si populaire de baiser le rocher », comme si à Lourdes le geste important n’était pas celui, non moins populaire, de boire l’eau de Lourdes et d’en ramener chez soi dans le monde entier?

Les “Propositions pastorales” ne font aucune mention de l’eau. C’est étonnant. Il n’est pas normal de majorer une dévotion pieuse: baiser le rocher, en taisant l’eau qui sort du rocher. Le message de Marie n’est pas Massabielle, mais « Va te laver». La scène des apparitions ne doit pas faire oublier l’événement des apparitions, l’irruption de la grâce de Dieu. Le signe du Dieu fidèle, à Lourdes, c’est la source miraculeuse qui coule sans discontinuer, comme un sacrement intarissable de la promesse de Dieu. Promesse sur laquelle se fonde toute espérance, sacrement dont la Vierge de Lourdes fait cadeau au pèlerin et qui abreuve son espérance. Promesse du Royaume de Dieu qui germe en toute situation, baptême d’une promesse dans laquelle on se plonge, de corps et d’esprit. Jésus donnait déjà ce symbole de l’eau vive à la pécheresse de Samarie (Jean 4).

6. L’espérance est un  exode hors du connu

 Le monde de la Résurrection est un monde dans lequel il peut toujours sortir quelque chose du rien comme un vivant du tombeau.

L’espérance rachète le temps, qui est une dimension de la réalité humaine. Parmi les fibres dont notre être est tissé, il y a la fibre « temps ». L’espérance agit sur le temps. Elle ouvre le temps de la nouveauté, du jamais vu, de l’inattendu. Nous sommes trop souvent incapables de voir au-delà des évidences présentes. Les choses ne sont jamais totalement ce qu’elles paraissent être, ce qu’on nous en dit. Un diagnostic médical n’est jamais d’une évidence définitive. Les miracles de Lourdes sont là pour attester que les choses ne sont jamais entièrement ce qu’elles paraissent être. L’espérance nous fait vivre d’une anticipation confiante d’une suite qui sera création de Dieu. La création c’est l’inattendu. L’idée de création nous ouvre à la discontinuité de l’histoire.

Il ne faut pas s’enfermer dans la persuasion que « les jeux sont faits», que tout est dit. Mais croire au contraire à chaque instant que tout est possible. Le monde de la Résurrection est un monde dans lequel il peut toujours sortir quelque chose du rien comme un vivant du tombeau. Pour oser espérer il faut savoir prendre le présent sous l’horizon de l’avenir de Dieu, savoir discerner dans la réalité le caractère inachevé de toute chose, de toute situation. « L’espérance fait l’histoire en accueillant et en inventant un avenir autre que celui qui était prévu. » Elle est la force de contester le présent au nom de l’avenir qu’elle atteste: elle sait que le meilleur de Dieu est encore à venir. Elle nous engage sur des chemins inconnus et nous invite à découvrir Dieu comme la nouveauté des choses et des événements. L’espérance est exode hors de ce que je connais, des idées toutes faites. Le « réel » a ses possibles, comme les trous dans le gruyère. L’abbé Pierre pouvait-il calculer qu’Emmaüs tiendrait des dizaines d’années? Coluche a-t-il vu la possibilité que les restaurants du cœur seraient continués après sa mort ?

***

Avec le Notre Père, Jésus nous met dans la bouche la prière quotidienne: Que ton Règne vienne, Donne-nous le pain de ce jour, Délivre-nous du mal…

La demande du Règne cultive en nous l’attitude de voir que le Royaume de Dieu vient. Une attitude de toute la vie, une disposition à être attentif à la poussée de la vie. La prière quotidienne en fait une structure de notre vision spirituelle. Les demandes du Notre Père répondent à la question: Pourquoi sommes-nous incapables de réaliser le salut? Elles nous ancrent dans la conviction que le salut est l’affaire exclusivement de Dieu. Elles nous renouvellent de jour en jour dans la confiance en la force de l’Evangile.

En donnant son Fils, non pas pour condamner le monde mais afin que le monde soit sauvé par lui (Jean 3,17), le Père a affirmé que le monde des hommes était son œuvre, et il s’est déclaré inébranlablement fidèle à son projet.

 

Daniel OLIVIER
Augustin de l’Assomption

In memoriam. Goulven Madec, par Isabelle BOCHET

Gouven Madec[1] est décédé le 20 avril 2008. Il a enseigné, trente années durant, de 1965 à 1995, dans la Faculté de philosophie de l’Institut Catholique. Il a mis toutes ses compétences au service de l’Institut d’Études Augustiniennes, dont il a fait partie dès 1958 et où il a été présent jusqu’en octobre 2007 : depuis des années, il en était « l’âme » ; sa seule présence suffisait à y faire régner un climat tout augustinien d’amitié et de service. Depuis 1967, il était également membre du CNRS, où il a été promu directeur de recherche au milieu des années 80 : il fréquentait régulièrement son laboratoire de rattachement. Devenu l’un des plus grands spécialistes d’Augustin à l’échelle internationale, il faisait partie depuis 1976 du comité d’édition de l’Augustinus-Lexikon, dirigé par le professeur C. Mayer : il en a rédigé plusieurs articles et avait la charge de réviser les notices à teneur philosophique, ainsi que toutes les notices rédigées en langue française ; il avait aussi été invité à collaborer au Handbuch der Lateinischen Literatur der Antike, édité par les professeurs R. Herzog et P. L. Schmidt ; il avait enfin participé avec grande émotion au colloque international Alger-Annaba, du 1er au 7 avril 2001 et il avait alors donné une conférence dans le théâtre municipal de Souk-Ahras (c’est-à-dire de l’ancienne Thagaste) : « Augustin en famille[2] ».

Goulven est devenu religieux de la Congrégation des Augustins de l’Assomp­tion en 1948. Après un parcours de théologie à l’Angelicum de Rome, il poursuit des études de lettres classiques à la Sorbonne et de philosophie à l’Institut Catholique. Il soutient une thèse de doctorat ès Lettres à la Sorbonne en 1972 : Saint Ambroise et la philosophie. En 1977, il obtient un doctorat de philosophie sur titres et travaux, à l’Institut Catholique de Paris : les membres du jury étaient Pierre Colin, Jean Châtillon, Dominique Dubarle et Aimé Solignac.

Enseignement à l’Institut catholique de Paris

Goulven Madec a commencé son enseignement dans la Faculté de philosophie de l’Institut catholique dès octobre 1965 : il succédait au Père assomptionniste, Jérôme Beckaert, alors titulaire de la chaire d’Histoire de la philosophie patristique. Cette chaire qui avait été fondée par les assomptionnistes existait depuis longtemps, mais, faute d’étudiants, elle n’a connu son premier titulaire qu’en 1945, en la personne d’un assomptionniste, le Père Fulbert Cayré, fondateur de l’Institut d’Études Augustiniennes. Fidèle à cette tradition, Goulven n’hésitait pas à rappeler l’im­por­tance d’un tel enseignement et la pertinence de l’expression « histoire de la philosophie patristique » : « le thème principal de cette discipline, écrivait-il en 1977, me paraît être celui de la christianisation de l’hellénisme, entendue comme un aspect particulier du phénomène historique général de l’hellénisation du christianisme. En renversant la formule accréditée par Harnack, je n’entends pas faire pièce à sa thèse ; mais je veux suggérer que les penseurs chrétiens n’ont pas subi passivement l’influence de l’hellénisme : leurs emprunts littéraires et philosophiques sont des actes doctrinaux[3]. »

Goulven a donné des cours sur « l’hellénisation du christianisme »

Dans les premières années de son enseignement à l’Institut catholique, Goulven a donné des cours sur « l’hellénisation du christianisme », sur les Noms divins du Pseudo-Denys, sur le crede ut intellegas d’Augustin et sur sa postérité chez Anselme, Thomas d’Aquin, Bonaventure et Malebranche, ou encore sur Jean Scot. Ce n’est qu’à partir de l’année universitaire 1976-1977 qu’il con­sacre l’essentiel de son enseignement à la pensée de saint Augustin. Je n’ai pas eu la chance de suivre moi-même ses cours à l’Institut Catholique, mais, chaque année ou presque, je l’ai fait venir dans le cadre de mon séminaire : il excellait dans l’art de répondre aux questions en renouvelant les perspectives et en recentrant sur l’essentiel. Il était toujours prêt à nous faire part de quelque nouveauté parue sur Augustin et qu’il apportait inévitablement, non dans une serviette, mais dans un sac de La Procure ! Et si je le sollicitais comme second lecteur pour tel mémoire, il se laissait faire, quelle que fût sa charge de travail, et accueillait avec bienveillance et simplicité l’étudiant qui débutait dans l’étude d’Augustin.

Un petit ouvrage, Saint Augustin et la philosophie. Notes critiques, résume l’enseignement que Goulven a dispensé durant plusieurs années à la Faculté de Philosophie de l’Institut Catholique de Paris, mais il est également le fruit de sa longue pratique du « Bulletin augustinien » : il a d’abord été publié par l’Association André Robert en 1992, avant de l’être à nouveau par l’Institut d’Études Augustiniennes en 1996. Dans l’introduction, Goulven exprime l’une de ses convictions méthodologiques fortes : notant que le choix des thèmes retenus pour entrer dans l’œuvre d’Augustin est fortement tributaire des modes philosophiques, il opte pour « une autre voie, celle du retour aux œuvres mêmes d’Augustin, pour tâcher de montrer que la lecture attentive des textes dans leur contexte peut et doit jouer comme instance critique à l’encontre de trop d’écarts d’interprétation » (p. 13).

Nombreuses publications

Goulven a publié de nombreux articles et ouvrages sur Augustin que je ne peux énumérer tous ici. Parmi ces ouvrages, je retiendrai en priorité sa contribution essentielle à la collection de la « Bibliothèque Augustinienne » : il a traduit et commenté en 1976 le De magistro et le De libero arbitrio (BA 6), puis, en 1991, le De catechizandis rudibus (BA 11/1) ; mais il a aussi mis au point ou révisé un nombre considérable de volumes de la collection. Sa fréquentation assidue des textes augustiniens lui a permis de proposer des synthèses très précieuses de la doctrine d’Augustin : La patrie et la voie. Le Christ dans la vie et dans la pensée de saint Augustin, publié chez Desclée dans la collection « Jésus et Jésus-Christ » en 1989 ; Le Dieu d’Augustin, publié au Cerf, dans la collection « Philosophie et Théologie », en 1998. À vrai dire, ces ouvrages ne sont nullement des synthèses au sens habituel que l’on donne à ce terme : Goulven se plaît à déconcerter son lecteur, en multipliant les points de vue, afin de respecter la richesse du foisonnement de l’œuvre augustinienne qui est tout, sauf un traité systématique de christologie ou de théologie dogmatique ! Un coup d’œil sur la table des matières du volume, La patrie et la voie, suffit à en convaincre : Goulven n’hésite pas à consacrer toute une partie à la liturgie et une autre aux « problèmes » ; celle-ci lui permet d’examiner la place que tient le Christ dans les lettres d’Augustin et nous vaut des sous-titres évocateurs et inhabituels : « Marcianus, de l’amitié » ; « Laetus, de la charité » ; « Volusianus, du mystère de l’Incarnation » ; « Leporius, ou l’art d’éviter l’hérésie », etc.

Goulven se plaît à déconcerter son lecteur, en multipliant les points de vue, afin de respecter la richesse du foisonnement de l’œuvre augustinienne qui est tout, sauf un traité systématique de christologie ou de théologie dogmatique !

Les Petites études augustiniennes (IEA, 1994) et les Lectures augustiniennes (IEA, 2001) rassemblent des articles divers, toujours suggestifs, qui sont autant de clés pour entrer dans la pensée d’Augustin. Qu’on lise ou relise par exemple le chapitre consacré à la Cité de Dieu : « Le De ciuitate Dei comme De uera religione[4] ; ou encore celui que Goulven intitule « Theologia chez Augustin et Jean Scot » : on y découvre qu’Augustin n’a guère éprouvé le besoin de christianiser le terme, sauf en quelques rares textes de la Cité de Dieu où il parle de vraie théologie et de vrai théologien[5]. Il faut lire aussi les pages consacrées aux « embarras de la citation » : Goulven s’y oppose avec vigueur à une analyse qui « s’obstine dans la recherche des sources » et qui, de ce fait, « réduit automatiquement un discours à un amalgame ou à un mélange » ! Il plaide, avec bon sens, pour ce qu’il appelle « une lecture normale » qui suive « de bout en bout le discours où les emprunts sont désormais la vie, le mouvement et l’être »[6]. L’Introduction aux « Révisions » et à la lecture des Œuvres de saint Augustin a d’abord été publiée en italien en 1994, comme préface des Retractationes dans la collection de la « Nuova Biblioteca Agostiniana » ; on ne peut que se réjouir d’en avoir le texte français (IEA, 1996), car il s’agit là d’une excellente introduction à l’ensemble de l’œuvre augustinienne ; Goulven y présente chaque ouvrage d’Augustin dans son contexte et note avec perspicacité tous les problèmes chronologiques qui demeurent après la lecture des Révisions.

En 1986, à l’occasion du seizième centenaire de la conversion d’Augustin, le Père Georges Folliet, alors directeur de l’Institut d’Études Augustiniennes, avait demandé à divers spécialistes d’Augustin de présenter, dans des émissions de Radio Notre-Dame, tel ou tel aspect de la vie ou de la pensée d’Augustin : Goulven en avait été le premier intervenant ; il fut aussi celui qui transcrivit l’ensemble de ces contributions pour en faire un petit volume, Augustin. Le message de la foi[7]. Dans le même souci de partager à tous la saveur et la force des textes d’Augustin, Goulven a animé un séminaire à l’Institut d’Études Augustiniennes, puis un atelier, dans sa communauté, rue François 1er.

Augustin à la portée de tous

Du « charisme » augustinien : Goulven retient « trois valeurs fondamentales : 1) le sens spirituel des Écritures, 2) l’intériorité, 3) la communauté »

Le Portrait de saint Augustin, qui a été publié cette année par Desclée de Brouwer et que Goulven donnait avec tant de joie en signe d’amitié, parvient, de façon savoureuse, à mettre à la portée de tous la vie et l’œuvre d’Augustin : Goulven confesse en post-scriptum (p. 93) qu’il a « peiné réellement pour évoquer aussi simplement qu’il [lui] a été possible la vie, l’activité, les convictions d’Augustin », mais il ajoute qu’il en a éprouvé « une joie profonde » : joie tout augustinienne, ajouterai-je, quand on sait combien Augustin a toujours cherché à transmettre les vérités les plus difficiles au peuple d’Hippone ! L’occasion de l’ouvrage lui fut donnée par le curé de Plouguerneau, le Père Claude Chapalain : la paroisse organise chaque année « une marche des Petits Saints » ; la statue de saint Augustin s’ajouta en 2000 aux trente-trois saints déjà représentés ; il fallait pour l’occasion présenter « le nouveau-venu » dans le bulletin paroissial ! Goulven y a mis tout son cœur. Les pages qu’il intitule « La vie chrétienne, simplement » sont une merveilleuse synthèse du « charisme » augustinien : Goulven retient « trois valeurs fondamentales : 1) le sens spirituel des Écritures, 2) l’intériorité, 3) la communauté », mais il ajoute aussitôt, et l’on reconnaît là le « christocentrisme » d’Augustin, mais aussi de Goulven : « Ces valeurs ne sont pas disparates ou simplement juxtaposées : elles sont unifiées dans la personne du Christ qui est, 1) le sens plénier des Écritures, 2) le Maître intérieur, 3) le Christ total, l’Église : Tête et Corps, le Roi et le Prêtre de la Cité de Dieu » (p. 87).

Le petit volume, Chez Augustin (IEA, 1998), mérite une mention toute particulière : il est la trace d’un événement marquant, la « Leçon académique » de Goulven à l’Institut Catholique, le 21 novembre 1995, leçon prononcée au terme de ses trente années d’enseignement dans la Faculté de Philosophie. Le volume comporte en outre une version française d’un essai publié en tchèque et en italien : « Le christianisme comme accomplissement du platonisme » ; il s’achève par quelques éléments biographiques et par la liste des travaux publiés de Goulven.

Goulven se refuse à être théologien ! Il se veut philosophe, mais à la manière d’Augustin : « “Philosophia” est un mot noble, chargé de sens affectif : c’est l’amour de la Sagesse… et la Sagesse est le Christ, “Virtus et Sapientia Dei” (1 Co 1, 24) »

Il faut relire cette « Leçon académique » : on y retrouve tout l’humour de Goulven, tout autant que ses convictions profondes ! Il y exprime tout d’abord ses réticences face à la distinction entre philosophie et théologie, distinction aujourd’hui « considérée comme intouchable sous peine de retomber dans le confusionnisme intellectuel » : il en rappelle l’origine – « c’est au XIIIe siècle que se situe l’événement capital : l’institution universitaire, l’organisation du savoir, la division du travail, les manuels… » – et montre qu’une telle distinction ne s’applique pas à Augustin, qui ne distingue pas « deux ordres : naturel et surnaturel », mais « deux économies : 1) de la création et de l’illumination par le Verbe, 2) du salut par le Verbe incarné ». Et Goulven de conclure avec humour à propos de la distinction scolastique entre philosophie et théologie : « Je ne pourrais faire ma demeure ni de l’une ni de l’autre ; et je serais SDF moi aussi. Ce n’est heureusement pas vrai ; j’ai vécu à la Faculté de Philosophie dans un véritable espace de liberté ! » (p. 15). La suite de la « Leçon académique » l’énonce clairement : Goulven se refuse à être théologien ! Il se veut philosophe, mais à la manière d’Augustin : « “Philosophia” est un mot noble, chargé de sens affectif : c’est l’amour de la Sagesse… et la Sagesse est le Christ, “Virtus et Sapientia Dei” (1 Co 1, 24) ». Autrement dit, ce qui importe, c’est de « philosopher selon le Christ » ! Or « pareille opération de recentrage » change tout, ajoute Goulven : on s’aperçoit alors « que la doctrine d’Augustin n’est pas la sienne, qu’il n’a voulu être qu’un fidèle commentateur de la Parole de Dieu comme les autres. […] À partir de ce centre, on voit les œuvres se déployer tout autrement qu’à travers des prismes “scientifiques” ; et l’on est à pied d’œuvre pour les lire comme il faut, pour tâcher de les comprendre avant de les exploiter » (p. 22).

« De mon temps, au Ve siècle… » : Goulven aimait à le dire et à le redire. Ce n’était pas là seulement une boutade, mais une manière de prendre du recul et de garder toute sa liberté face aux préoccupations ou aux pseudo-impératifs d’aujourd’hui ! C’était peut-être plus encore une manière de se mettre à l’écoute d’Augustin et de se laisser former par lui : « Pour moi », concluait-il en réponse à nos questions lors de sa Leçon académique, « Augustin n’est pas un ancêtre. […] Laissez-moi rêver que je suis à Hippone, à l’église dans la foule… j’écoute ! » (p. 40).

Il vivait de l’esprit d’Augustin

partager la vie d’une communauté de frères, « ayant une seule âme et un seul cœur, tournés vers Dieu ».

De fait, si Goulven a su introduire si profondément et si simplement à Augustin, c’est parce qu’il n’était pas seulement un grand savant : il vivait de l’esprit d’Augustin. En devenant assomptionniste, il s’était engagé à vivre selon la Règle de saint Augustin, c’est-à-dire à partager la vie d’une communauté de frères, « ayant une seule âme et un seul cœur, tournés vers Dieu ». Ceux qui ont bien connu Goulven savent combien ses frères comptaient pour lui et combien il comptait pour eux ; ils savent aussi combien Goulven était toujours prêt à se laisser déranger pour accueillir ceux qui le souhaitaient ou qui venaient lui demander quelque service ; ils savent encore combien il vivait à la lettre ce qu’il a appelé, non sans audace, « le communisme spirituel[8] ».

Pour ma part, j’ai eu le privilège de faire la connaissance de Goulven dès 1972, au moment où je rédigeais ma maîtrise. Il m’a accompagnée tout au long de mes travaux sur Augustin, ne ménageant pas son temps, toujours heureux de discuter, d’échanger sur tel ouvrage, de m’encourager ou de me suggérer telle piste de recherche. Il m’a vraiment fait entrer dans sa fréquentation d’Augustin et m’a donné le goût de le lire et de le relire. Pour lui dire un peu de mon immense reconnaissance, je ne peux que transcrire ici, en pensant à lui, la prière que fait Augustin à la fin du livre IX des Confessions, en souvenir de sa mère Monique :

« Inspire, mon Seigneur, mon Dieu,
à tes serviteurs, mes frères, à tes fils, mes seigneurs,
au service de qui je mets et mon cœur et ma voix et mes écrits,
inspire à tous ceux qui liront ces lignes,
de se souvenir à ton autel de Monique ta servante,
et de Patrice qui fut son époux.
Qu’avec piété ils se souviennent d’eux,
mes parents dans cette lumière passagère,
mes frères en Toi, notre père, et en l’Église catholique, notre mère,
mes concitoyens dans la Jérusalem éternelle,
vers laquelle soupire ton peuple en marche
depuis le départ jusqu’à l’arrivée. »

 

Isabelle BOCHET
Communauté Saint-François-Xavier
Faculté de Philosophie de l’ICP