Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.550

31 may 1855 [Rome, DONEY Mgr

Récit de l’audience que lui a accordée le Pape. – Eloge de Mgr Doney. – Exposé de l’état religieux en France. – Recul du mouvement ultramontain. – L’infaillibilité pontificale assurée par la proclamation du dogme de l’Immaculée-Conception. – Faut-il porter la controverse sur le terrain du droit canon? – Faut-il traiter la question des Congrégations romaines? – L’épiscopat sera renouvelé par les nominations à venir.

Informations générales
  • T1-550
  • 510
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.550
  • Orig. ms. ACR, AN 235; D'A., T.D. 39, p. 3, p. 177.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU PAPE
    1 ARCHEVEQUE
    1 AUTORITE PAPALE
    1 BON PRETRE
    1 CHANOINES
    1 CLERGE FRANCAIS
    1 CONGREGATION DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 CONGREGATIONS ROMAINES
    1 CURE
    1 DROIT CANON
    1 EGLISE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 EVEQUE
    1 EXAMEN DES JEUNES PRETRES
    1 GALLICANISME
    1 GOUVERNEMENTS ADVERSAIRES
    1 GRADES UNIVERSITAIRES
    1 GRAVITE
    1 HYPOCRISIE
    1 IMMACULEE CONCEPTION
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 LOI ECCLESIASTIQUE
    1 MINISTRES DU CULTE
    1 NONCE
    1 PAPE DOCTEUR
    1 PAPE GUIDE
    1 PRIMAUTE DU PAPE
    1 PRINCIPES SOCIAUX DE L'EGLISE
    1 PROTECTION DE LA SAINTE VIERGE
    1 PRUDENCE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SAINT-SIEGE
    1 SEMINAIRES
    1 THEOLOGIE
    1 ULTRAMONTANISME
    1 VENERATION DE RELIQUES
    2 BESSON, LOUIS
    2 BOUIX, MARIE-DOMINIQUE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 CHAILLOT, LUDOVIC
    2 CLAUSEL DE MONTALS, CLAUDE-HIPPOLYTE
    2 DONEY, JEAN-MARIE
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 FIORAMONTI, DOMENICO
    2 FORNARI, RAFFAELE
    2 FORTOUL, HIPPOLYTE
    2 GUIBERT, JOSEPH-HIPPOLYTE
    2 MARTINA, GIACOMO
    2 MATHIEU, JACQUES-MARIE
    2 MERODE, XAVIER DE
    2 MIOLAND, JEAN-MARIE
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 PIE IX
    2 REGNAULT, LOUIS-EUGENE
    2 SACCONI, CARLO
    2 SEGUR, GASTON DE
    2 SIBOUR, MARIE-DOMINIQUE
    2 THIBAULT, ABBE
    3 BESANCON
    3 CHARTRES
    3 FRANCE
    3 MONTAUBAN
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 TOULOUSE
    3 VIVIERS
  • A MONSEIGNEUR DONEY, EVEQUE DE MONTAUBAN
  • DONEY Mgr
  • le 31 mai 1855].
  • 31 may 1855
  • [Rome,
La lettre

Monseigneur,

J’ai eu, hier soir, une longue audience du Pape. Je pense vous faire plaisir en vous la racontant. Seulement, je tiens à ce que vous me renvoyiez à Nîmes cette lettre; je ne suis pas bien vigoureux et je ne veux pas écrire deux fois la relation de ce qui s’est passé.

Je fus reçu à 9 h du soir. Le Pape avait sur son bureau une demande que je lui avais fait porter, la veille, par Mgr de Ségur au sujet des Religieuses de l’Assomption. J’en substituai une autre à la première, et le Pape, en la lisant, vit votre nom parmi ceux des évêques qui avaient écrit en faveur de ces Dames: [[Ah! l’évêque de Montauban, dit-il; c’est un très bon évêque]]. Je me permis de lui dire aussitôt que vous étiez l’évêque de France que j’estimais le plus: [[Oui, dit le Pape, quand il est venu ici, j’ai admiré sa gravité, sa prudence; j’ai été très content de lui]]. Je dus lui parler un instant après d’une affaire de reliques, où se trouve mêlé l’archevêque de Toulouse[2]: [[Ah! pour celui là, dit-il, je ne l’aime pas autant que l’évêque de Montauban]]. L’évêque de Nîmes voulait que le Pape écrivit à Mgr Mioland. (Mille excuses du pâté d’encre, je ne recommencerai pas)[3], le Pape n’a pas voulu. Du reste, Fioramonti, à qui j’en avais parlé, m’avait dit en effet qu’ils n’étaient point bien ensemble.

Après ces petits préliminaires réglés, je lui demandai la permission de lui ouvrir mon coeur sur l’état de la France. Très volontiers, reprit-il; parlez tout à votre aise]]. Je commençai à lui dire ce que vous et moi nous savons[4]:

1° Que les gallicans se mettent à lever la tête;

2° Que le gouvernement les y encourageait;

3° Que la belle position créée par Fornari[5] au nonce en France se perdait tous les jours.

Il fut entièrement de cet avis. [[Mais pourtant, reprit-il, il me semble que ce qui s’est fait dernièrement, ici, a bien prouvé que le Pape est au-dessus du concile. J’ai bien prouvé que le Pape, à lui seul, peut définir un dogme, et cela, sans qu’aucun, je pense, voulût protester, pas même l’archevêque de Paris[6]. Ils étaient là, omnibus testibus et plaudentibus. Sans doute, il faut espérer que ce qui a été fait attirera une plus grande protection de la Sainte Vierge sur l’Eglise. C’est là une grande consolation, et nous en avons besoin. Mais ce qui est plus important encore peut-être, c’est la manière dont la puissance du Saint-Siège s’est définie en quelque sorte aux yeux de tous. Il y avait dans Saint-Pierre, poursuivit-il, le jour de la cérémonie, trois ministres anglais qui furent stupéfaits qu’aucun évêque ne protestât contre l’acte de puissance souveraine que je venais d’accomplir. Vous voyez bien que j’ai fait tout ce que je pouvais. Quelles sont donc les autres causes que vous pouvez indiquer?

— Saint-Père, mais les tendances du ministre des Cultes[7].

— Oui, sans doute, mais on va le changer.

— Saint-Père, le clergé n’a plus, peut-être, cette direction qu’il avait sous Fornari.

— Ah! cela est possible. Ce pauvre Sacconi est un peu faible[8], me dit-il, en levant les épaules.

— Saint-Père, il y a aussi des évêques qui se vantent que vous les approuvez autant que les ultramontains. Ainsi l’évêque de Viviers nous a assuré qu’on lui avait écrit de Rome que sa lettre sur l’Univers avait été très approuvée[9].

— Ah! pour cela, reprit le Pape, quelque personne particulière lui a écrit cela; mais ce n’est certainement pas moi qui ai fait une pareille réponse]]. Et il le répéta deux fois assez énergiquement. [[Du reste, ajouta-t-il, quand les évêques sont venus à Rome, j’ai écrit à trois cardinaux français que ce n’était pas assez de prendre le romain, mais que je verrais avec plaisir qu’un certain nombre d’évêques me proposât de condamner les quatre articles[10], et qu’alors je verrais ce que j’avais à faire]].

J’eus l’air de n’avoir pas compris, tant j’étais stupéfait, et il me répéta qu’en effet il était tout disposé à condamner les quatre articles, si de quarante à soixante évêques lui en faisaient la demande.

Il y a là quelque chose qui m’échappe; mais ce fut en continuant de me parler de ces choses qu’il me dit: [[Il y a des évêques dont je ne suis pas content. Ainsi, je le suis très peu de l’archevêque de Besançon[11]. J’aime encore mieux celui de Chartres, qui crut me faire un cadeau en m’envoyant son livre contre le Pape[12]. Au moins il y va franchement. On peut lui dire: [[Vous êtes un insensé]]; mais au moins il y a là de la bonne foi, tandis que cet archevêque de Besançon, qui vient de faire les plus belles protestations d’obéissance et de dévouement, et qui, chez lui, tient un langage (ou une conduite) tout opposés, cela je ne l’aime pas et j’en suis très mécontent]].

Mettez, Monseigneur, que j’aie changé, malgré moi, un ou deux mots; c’est tout au plus. La question de l’infaillibilité et de la réaction gallicane étant épuisée, je passai à une autre.

— [[Saint-Père, évidemment, aujourd’ hui personne en France n’ose plus nier l’infaillibilité du Pape; mais si tout le monde l’accepte comme docteur de la vérité, tout le monde ne l’accepte pas, il s’en faut bien, comme suprême législateur. Et pourtant, il y a une union intime entre les vérités qu’il est chargé d’enseigner, et les lois qui découlent de ces vérités et qu’il est chargé de faire respecter. Ce n’est pas pour rien que Jésus-Christ lui a dit: Pasce oves meas[13]. Or, Saint-Père, serait-ce indiscret de demander à Votre Sainteté si elle verrait avec peine que l’on portât aujourd’hui la controverse avec les gallicans sur le terrain du droit canon?

— Nullement, me répondit-il.

— D’autant plus, ajoutai-je, qu’il y a dans chaque question du droit canon une arme dont Rome peut se servir pour assurer sa puissance. Par exemple, la question des chanoines. Si Rome reconnaît qu’ils ont certains droits, elle peut être assurée qu’avant peu ils seront tous ultramontains.

— C’est précisément ce que j’ai fait, me répondit le Pape. Lorsque j’ai reçu des chanoines, je leur ai parlé de leurs devoirs et de leurs droits, et un évêque m’ayant dernièrement envoyé les statuts de son Chapitre, sans avoir consulté le Chapitre lui-même, je les ai renvoyés, jusqu’à ce que le Chapitre eût été consulté]].

Je lui citai un autre exemple relatif aux curés, qu’il approuva encore, et je poursuivis:

— [[Saint-Père, Votre Sainteté approuve donc que nous traitions les questions de droit canon?

— Très assurément, pourvu qu’en vous en occupant vous ne fassiez comme ce pauvre abbé Bouix, que j’avais chargé de me faire un travail et qui y a mis des choses contre moi. C’est un homme excellent, mais il a fait des sottises[14].

— Saint-Père, encore une question peut-être indiscrète. Votre Sainteté approuverait-elle que nous traitassions la question des Congrégations romaines? Par là, au moment où toutes les bases des gouvernements sont ébranlées, nous pourrions montrer combien est belle la base de l’Eglise, et en montrant les principes sur lesquels repose la plus parfaite des sociétés, on indiquerait le moyen de guérir les sociétés temporelles malades. (Pour mettre cela en italien, il me fallut quelques efforts; le Pape me vint en aide et finit ma phrase en l’approuvant pleinement). Eh bien! Saint-Père, je n’ai plus qu’une observation à soumettre à Votre Sainteté. Sauf les exceptions, ce qui a de 25 à 45 ans dans le clergé français est aujourd’hui tout romain. Or, les évêques ont plus de 45 ans, en général. Il ne faudrait donc pas juger des dispositions du clergé par le langage de certains évêques.

— Sans doute, répliqua le Saint-Père en riant, mais les uns passeront et les autres arriveront.

— Oui, Saint-Père, mais voici le danger. Les diocèses commencent à avoir des sujets en abondance. Si on n’oblige pas les évêques à donner une bonne éducation aux jeunes gens, nous sommes sûrs qu’on leur donnera une éducation gallicane dans bien des diocèses.

— J’y ai pourvu, reprit le Saint-Père, par les grades. On m’a demandé de les conférer en France. J’ai répondu que je permettrais le baccalauréat et la licence, mais que je voulais qu’on vînt prendre le doctorat à Rome.

— Saint-Père, Votre Sainteté m’autorise-t-elle à dire que les évêques qui en feront la demande seront autorisés à faire conférer le baccalauréat et la licence?

— Très certainement, dit le Pape, vous le pouvez[15]. Les Français peuvent être inconstants, mais ils sont sincères, et comme les jeunes prêtres devront, pour avoir le grade le plus élevé, venir à Rome, je ne puis me persuader qu’ils viennent pour répondre d’une façon contraire à leurs sentiments. J’en verrais très volontiers plusieurs venir passer un an à Rome]].

Je profitai de ces paroles pour faire l’éloge du Séminaire français, et je terminai en déposant sur le bureau du Pape une note sur ma petite Congrégation[16].

Les réflexions sont inutiles. Ainsi bonjour, Monseigneur, et vous me renverrez ma lettre.

Nota Bene.-[17] Je m’aperçois que j’écris comme un chat. Je suis trop fatigué pour recommencer. Veuillez prier l’abbé Thibault de copier tout ce fatras et de me renvoyer l’original. Mgr de Mérode[18] a ri aux larmes, quand, en lisant le turris eburnea dudit abbé, il a vu qu’il comparaît la Sainte Vierge à un éléphant.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum
4. Cf. lettres et notes sur l'état religieux de la France: 5 novembre 1854, (*Lettres,* 449450); 26 avril 1855 (*Lettre* 499).
14. Confirmation de ce que le P. d'Alzon savait déjà (*Lettre* 443, note 4).
16. *Lettre* 508.1. Le ms. porte *Rome, 30 mai 55,* mais le P. d'Alzon ayant été reçu par le Pape ce jour-là, la lettre est du lendemain, comme il le dit lui-même.
2. Jean-Marie Mioland (1788-1859), nommé évêque d'Amiens le 22 novembre 1837, coadjuteur de l'archevêque de Toulouse le 7 février 1849 et archevêque de Toulouse le 29 septembre 1851.
3. Le ms. porte une grosse tache d'encre qui a provoqué cette réflexion.
5. Le cardinal Fornari était mort à Rome, le 15 juin 1854. <>, écrivait Mère M.-Eugénie au P. d'Alzon, le 27 juin. On a écrit de lui: <>. (G. MARTINA, art. *Fornari, Dict. Hist. Géo. Eccl.*).
6. Mgr Ségour, qui, avec quelques autres évêques, estimait que la doctrine n'était pas définissable, à propos de l'Immaculée-Conception de la Vierge Marie.
7. Fortoul, qui devait mourir le 6 juillet 1856.
8. Mgr Sacconi.
9. Mgr Guibert, dans sa circulaire du 2 février 1853, avait fait sienne la prise de position de Mgr Sibour contre l'*Univers,* dans l'affaire des classiques chrétiens.
10. Les *quatre articles* de la déclaration de l'assemblée générale du clergé de France en 1682, qui devaient rester, jusqu'au XIXe siècle, le symbole du gallicanisme ecclésiastique.
11. Le cardinal Mathieu.
12. Il s'agit non de Mgr Regnault, mais de Mgr Clausel de Montals, son prédécesseur. L'abbé Chaillot écrivait au P. d'Alzon, le 27 janvier: <>. (DZ 586). Démissionnaire en janvier 1853, mais demeurant à Chartres, Mgr Clausel de Montals publiait en 1853: *Effets probables des disputes sur le gallicanisme,* et en 1854: *Portrait fidèle de l'Eglise gallicane,* et: *Coup d'oeil sur la constitution de la religion catholique et sur l'état présent de cette religion dans notre France.*
15. La faculté avait été déjà donnée à quelques évêques, ainsi à Mgr Dupanloup, le 26 janvier 1855.
17. Le *Nota Bene* a été ajouté, une fois la lettre finie, aussitôt après l'en-tête de la lettre.
18. Sur Mgr de Mérode (1820-1874), et son action à Rome, voir: Mgr BESSON, *Frédéric-François-Xavier de Mérode* Paris, 1886. - Les lettres à son beau-frère, Charles de Montalembert, de 1859 à 1868, ont été publiées dans le *livre du centenaire* de la mort de Montalembert - Paris 1970, pp. 203 306.13.Jn 21, 18.