OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • QUARANTE-QUATRIEME CONFERENCE DONNEE LE 12 FEVRIER 1871
    DE L'EUCHARISTIE
  • L'Eucharistie, lumière de vie. Bar-le-Duc, Imprimerie Saint Paul, 1953, p. 47-69. (Cahiers d'Alzon, II.)
  • Canevas: CV 33; Texte: DA 46; CN 8.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ACTION DE GRACES
    1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 ADORATION
    1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 AME SUJET DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DIVIN
    1 ANEANTISSEMENT
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 APOSTOLAT
    1 BIEN SUPREME
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHRETIEN
    1 CIEL
    1 COMMUNAUTE RELIGIEUSE
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CORPS DE JESUS-CHRIST
    1 CORRUPTION
    1 CREATEUR
    1 CREATURES
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 CRUCIFIEMENT DE L'AME
    1 DECADENCE
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DIEU
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 DIEU LE FILS
    1 DIEU LE PERE
    1 DISTRACTION
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 DROITS DE DIEU
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 ETERNITE
    1 EUCHARISTIE
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FECONDITE APOSTOLIQUE
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 GRACE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 INCARNATION MYSTIQUE
    1 INGRATITUDE ENVERS DIEU
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
    1 JESUS-CHRIST CHEF DE L'EGLISE
    1 JESUS-CHRIST MEDIATEUR
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 ORAISON DOMINICALE
    1 PECHEUR
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 PRETRE
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PRIERE DE JESUS-CHRIST
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 PURIFICATION
    1 RECHERCHE DE DIEU
    1 RECHERCHE INTERIEURE
    1 REGULARITE
    1 SACRIFICE DE LA CROIX
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SILENCE DE JESUS-CHRIST
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SPIRITUALITE TRINITAIRE
    1 TABERNACLE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTUS DE L'APOTRE
    1 VICTOIRE SUR SOI-MEME
    1 VIE CONTEMPLATIVE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 ZELE POUR LE ROYAUME
    2 CATHERINE DE SIENNE, SAINTE
    2 ELIE, PROPHETE
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 JACOB
    2 JOSEPH DE CUPERTINO, SAINT
    2 MARIE-MADELEINE DE PAZZI, SAINTE
    2 PIE IX
    2 THERESE, SAINTE
    3 ROME
  • Religieuses de l'Assomption
  • 12 février 1871
  • Nîmes
La lettre

[Plan de l’Auteur.]

Pater, meus usquemodo operetur, et ego operor.

La manifestation de la vie, c’est l’action. Plus la vie est parfaite, plus l’action l’est aussi, et il n’y a plénitude d’action que là où il y a plénitude de vie. C’est pourquoi Dieu, vie éternelle, est appelé un acte pur.

Or cette vie, cette action, Dieu est jaloux de la communiquer par Jésus-Christ. Mihi vivere Christus est. Où cela se fait-il mieux que dans l’Eucharistie?

Ce n’est pas la vie de Jésus-Christ, son action eucharistique que je veux étudier, c’est son principe d’action dans le chrétien.

Le chrétien a une action triple à exercer: 1° Envers Dieu; 2° vis-à-vis de lui-même; 3° par rapport aux âmes. Examinons comment l’Eucharistie l’y aide.

1° Ce que la créature doit à son créateur c’est l’adoration.

Incapable.

Jésus-Christ.

Première adoration de la croix, ensuite Jésus-Christ adorant du fond du tabernacle.

Jésus-Christ adoré dans le coeur du chrétien.

Jésus-Christ adorant au fond du coeur du chrétien.

Le chrétien unissant son adoration. Voilà l’action du chrétien, l’adoration.

Mais aussitôt la demande. Puissance de la demande. Si quid petieritis Patrem in nomine meo, dabit vobis.

Jésus-Christ, chef du choeur de l’Eglise. Venite, exultemus. Venite, adoremus.

2° Vis-à-vis de nous-même.

Notre adoration consiste à nous purifier, à nous sanctifier, à nous unir.

Purification. –Calicem salutaris accipiam.

Sanctification. -Modèle, je l’ai en moi.

Union: Unus mediator.

Le chrétien vivant dans cette lutte avec Jésus-Christ finit toujours par être vainqueur, et le chrétien, au terme, est devenu un autre Jésus-Christ.

3° Par rapport aux âmes.

Voilà un travail qui n’est que l’épanouissement du premier.

Dieu est généreux: il se communique, il se donne. Cela se fait dans l’Eucharistie.

Le chrétien se donne, comme Jésus-Christ s’est donné, de là les dévouements.

[Texte stenographié de la conférence.]

Mes chères Soeurs,

On demandait un jour à saint Joseph Cupertin ce qu’il fallait faire pour être un bon religieux. Il répondit: « Commencez par bien réciter votre office et par bien dire votre messe. » A vous aussi je dirai: « Si vous voulez être religieuses ferventes, dites bien votre office, qui est obligatoire pour vous, assistez à la messe avec toutes les dispositions nécessaires. »

En se donnant à nous dans l’Eucharistie, Jésus-Christ nous communique, avec la plénitude de sa vie, la puissance même de son incessante action. « Et ego operor. »

Je vais donc encore vous parler de l’Eucharistie en la considérant comme principe d’action dans les âmes. Je voudrais vous montrer comment l’Eucharistie agit en nous et nous donne la puissance d’agir nous-mêmes. Remarquez bien, mes chères filles, Notre-Seigneur disait aux Juifs: « Pater meus usque modo operatur, et ego operor: Mon Père ne cesse d’agir, et moi aussi j’agis(1). » Et en effet, Dieu en tant que Dieu, est appelé par les théologiens acte pur. Il n’est pas seulement agissant comme l’ange et l’homme; non, il est acte pur, aussi infiniment parfait dans son action, qu’il est infiniment parfait dans sa sagesse, dans sa puissance, dans son amour. La manifestation de la vie, c’est l’action. Plus la vie est parfaite, plus l’action l’est aussi, et il n’y a plénitude d’action que là où il y a plénitude de vie. C’est pourquoi Dieu, vie éternelle, est appelé acte pur. Or c’est ce Dieu que nous recevons dans la sainte communion. Nous recevons la second personne de la Sainte Trinité. La divinité même réside en nous, l’acte pur, la perfection de l’action.

Comment se fait-il alors que moi qui reçois la vie, l’action par excellence, dans la sainte communion, comment se fait-il que je sois dans un état comme négatif, dans une sorte de néant de l’action surnaturelle, et que cette vie active et divine ne se communique pas à mon âme? -Mais, me direz- vous, vous voudriez que j’eusse quelque chose de l’action permanente de Dieu? C’est impossible. -Oui, je dis que la religieuse qui communie doit, pour imiter Notre-Seigneur, être toujours sous l’action de Dieu et que constamment, sans relâche, il faut qu’elle fasse effort pour arriver à la pratique de toutes les perfections dans toute la mesure dont elle est capable. Sans doute, la faiblesse de l’homme l’oblige à un certain repos. « Venite seorsum in desertum locum, et requiescite pusillum: Venez, vous seuls, à l’écart, dans un lieu désert, vous reposer un peu(2). » Il nous est nécessaire, mais pusillum, un peu. Autrement toute la vie doit être une action, un effort, une imitation de la plénitude de vie et d’action qui est en Jésus eucharistique et qui passe en nous. Entendez bien que, lorsque je parle d’action par l’Eucharistie, je ne veux pas examiner la vie de Jésus-Christ, son action eucharistique, mais bien son principe d’action dans le chrétien, non pas Dieu agissant en nous, mais la puissance d’action qu’il nous communique. Pater meus usque modo operatur, et ego operor. Et c’est en ce sens d’action propre et personnelle que l’âme, dans la communion, peut répéter ces paroles de Jésus-Christ -car la vie du Christ est passée en elle: « Mihi enim vivere Christus est: Car le Christ est ma vie(3). »

Je veux donc aujourd’hui, étudier avec vous comment, avec la grâce de Dieu, nous pouvons retirer de la communion ce fruit de l’action, comment nous sortons du banquet céleste revêtus en quelque sorte d’une puissance divine. Je veux que vous sachiez quelle est notre force par la grâce, afin que devant les difficultés de la vie spirituelle, les tentations, les efforts de la vertu, vous ne puissiez plus dire: « Je ne puis pas. » Oui, de vous-mêmes vous ne pouvez pas, vous ne pouvez rien; mais vous avez reçu l’action par excellence, le Dieu qui agit sans cesse, et comment ne vous donnerait-il pas la puissance d’action nécessaire pour vous conduire à la perfection? Examinons donc quel est ce don de Dieu dans la communion, quelle est cette sainteté d’action par laquelle j’imite Dieu qui agit sans cesse.

Le chrétien a une action triple. Elle s’exerce: 1° vis-à-vis de Dieu; 2° sur lui-même; 3° par rapport aux âmes.

Dieu me donne l’action. Il faut savoir quoi je dois l’employer par rapport à mon Créateur. Quel est mon premier devoir envers lui? Ce premier devoir -Notre-Seigneur nous le répète, comme sous l’ancienne Loi Dieu l’avait proclamé sur le mont Sinaï -c’est l’adoration. « Dominum Deum tuum adorabis, et illi soli servies: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne serviras que lui(4). » C’est là l’acte de mon intelligence que j’exerce pour rendre hommage à Dieu, mon Maître et mon Seigneur. Voyez-vous comment dans vos communions vous devez unir l’adoration à l’action de grâces, comment, lorsque vous avez le bonheur de venir aux pieds de Notre-Seigneur au Saint Sacrement, vous devez prendre dans votre coeur cette adoration suprême que Jésus-Christ y rend à son Père, vous l’approprier et l’offrir avec la vôtre: Aucune créature n’est capable de rendre à Dieu un culte digne de lui, mais vous avez Jésus-Christ, vous avez ses adorations parfaites et sublimes, depuis celle qui est partie de la croix du Sauveur jusqu’à cette adoration secrète et silencieuse qui s’élève jour et nuit du tabernacle. Contemplez alors la religieuse prosternée devant l’autel; du fond de son coeur elle adore Jésus-Christ, et Jésus-Christ qui habite sans son âme, qui y est attiré par l’ardeur de son amour et de ses désirs, adore à son tour du fond de son coeur, et de l’adoration de la religieuse et de l’adoration de Jésus-Christ il se forme comme un encens brûlant dont l’agréable odeur monte vers le trône du Très-Haut, et la prière de cette pauvre créature, transformée en la prière de Jésus, devient digne de Dieu, et l’amour de Jésus consume son coeur et en fait une victime que Dieu agrée.

Voilà la grande action du chrétien, l’adoration, l’acte par lequel il reconnaît le suprême domaine de Dieu sur toutes les créatures. Quelle est immense la désolation de la terre! Et pourquoi? Jérémie nous le dit par ces mots: « Desolatione desolata est omnis terra: quia nullus est qui recogitet corde. La terre est couverte de tristesse et de deuil, parce que personne ne rentre dans le sanctuaire de son coeur pour réfléchir, pour adorer(5). » C’est aujourd’hui dimanche. Eh! bien: Jetez un coup d’oeil sur le monde. Qui qui a entendu la messe, qui l’a bien entendue, qui l’a entendue avec le sentiment de l’adoration? Qui a seulement songé à rendre un culte à Dieu? Voyez à quel petit nombre se réduisent les vrais adorateurs en esprit et en vérité! C’est effrayant, et je comprends que le prophète soit saisi d’une sainte tristesse. Et cependant y a-t-il un acte plus parfait que celui de l’adoration? Si Dieu nous a faits pour lui, notre action suprême n’est-elle pas de tendre à ce but pour lequel nous sommes créés? « Fecisti nos ad te, Deus, et inquietum est cor nostrum, donec requiescat in te: O Dieu, vous nous avez faits pour vous et notre coeur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en vous(6). » Comprenez-vous alors la magnifique situation de la religieuse adoratrice? Mais aussi comprenez-vous comment il faut qu’elle agisse dans son adoration, comment elle doit faire effort, souffrir, et comment cette action pourra devenir profondément douloureuse?

La religieuse va au pied du Très Saint Sacrement: elle est pleine d’élan, d’amour et de tendresse parfois; parfois aussi le coeur est froid, l’esprit lassé, les distractions l’assaillent. Elle souffre, le temps lui paraît long. A quoi pense-t-elle? Quels efforts fait-elle? Prenez garde, ce n’est peut-être pas une adoration. Votre esprit, votre coeur sont vides. Voyez, depuis le temps que vous allez prier aux pieds de Notre-Seigneur, quelle a été votre adoration, votre action dans la prière? L’action de Dieu ne cesse pas sur vous. Vous êtes sorties de ses mains comme sa créature, et il ne cesse d’agir pour vous conserver la vie matérielle et la vie de l’âme. Et vous, quelle est votre reconnaissance, quel est l’usage que vous faites de cette vie sans cesse infuse en vous par la toute-puissance du Créateur?

Mais pour adorer, pour agir, il faut penser et donner son attention. Ma prière doit être une tension de mon esprit vers Dieu qui chasse toutes les distractions. Puis-je employer les facultés de mon âme à quelque chose de plus parfait que de penser à Dieu? A cet égard, donnez-vous à Dieu tout ce que vous pourriez, soit que vous fassiez votre action de grâces, soit que vous alliez à l’adoration?

La théologie nous enseigne qu’un jour dans le ciel nous pourrons, selon le degré de béatitude que nous aurons mérité, être associés aux rangs les plus élevés des hiérarchies angéliques et jusqu’au choeur des séraphins. Eh bien! pourquoi ne commencerions-nous pas sur la terre ce qui nous est réservé pour le ciel? Voilà une religieuse ordinaire: elle est bonne fille, mais elle ne se donne pas trop de peine; elle est dans le tout premier choeur des anges. Par l’effort de sa prière, par le secours de la grâce elle peut monter plus haut, elle peut arriver au choeur des séraphins; son âme peut s’embraser, son amour devenir une flamme, pareille à celle qui consume ces esprits célestes au pied du trône de Dieu. Et cela se fera par le développement qu’elle donne à la puissance d’action que Dieu lui communique par l’Eucharistie. Ainsi cette âme appelée à adorer Dieu pendant toute l’éternité dans l’activité de sa nature glorifiée, commence dès ici-bas et elle fait comme un noviciat de son éternité dans l’adoration.

Vous devez donc vous dire, quand vous allez à la chapelle; cette heure d’adoration qui m’est donnée, c’est un temps où je puis recevoir une puissance d’action découlant de celle de Dieu qui me la communique, et par cette action que j’ai dans mon âme, je puis arriver, si je le veux, dans l’ardeur toujours croissante de mon amour et de la vie surnaturelle, au rang des chérubins.

Ayez donc une haute estime de l’adoration; voyez comment vous pouvez vous élever chaque jour, puisant l’adoration dans l’amour, et l’amour dans l’adoration; aimez à adorer, à rendre votre prière agissante en l’approchant de Jésus, principe éternel de toute vie et de toute action.

Mais d’autres devoirs découlent de l’adoration. Je ne dois pas seulement adorer quand je suis agenouillée au pied du Saint Sacrement, toute ma vie doit être une adoration. Et comment se manifestera-t-elle? Par l’obéissance: « Non omnis qui dicit mihi: Domine, Domine, ille intrabit in regnum coelorum: Ce n’est pas celui qui m’aura dit: Seigneur, Seigneur, qui entrera dans le royaume des cieux(7). » Il faut agir dans la prière, mais il faut agir dans l’obéissance, qui est le vrai culte rendu à la souveraine majesté de Dieu. Et remarquez bien que cette action par laquelle j’accomplirai la volonté de Dieu part du même principe que celle qui m’est communiquée par la communion. Vous voyez donc à quelles hauteurs vraiment sublimes je puis m’élever dans mes rapports avec Dieu, à la condition de laisser Dieu agir en moi.

J’arrive à une autre considération. La religieuse adoratrice prie et elle demande. Comprenez vous sa puissance? « Si quid petieritis patrem in nomine meo, dabit vobis: Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous le donnera(8). » A quel moment pensez-vous qu’elle est revêtue de cette puissance dont parle Notre-Seigneur, sinon quand elle porte Jésus-Christ dans son Coeur par la communion, ou bien quand elle adore Jésus-Christ au tabernacle? Elle dit à Dieu avec une sainte hardiesse: « Seigneur, vous avez promis que tout ce qui serait demandé au nom de votre Fils, vous l’accorderiez; c’est lui qui vous prie en moi, c’est lui qui vous adore sous les voiles eucharistiques. N’exaucerez-vous pas ma prière qui est la sienne? Ne verrez-vous pas votre Fils en moi? Seigneur, vous avez engagé votre parole divine; accordez-moi ce que je vous demande. »

Ici nous avons à considérer trois sortes de demandes que doit faire la religieuse adoratrice. Il y a la prière pour Dieu, pour soi et pour le prochain.

La première c’est pour Dieu, Etrange chose! Dieu a-t-il besoin qu’on lui demande à lui-même sa propre gloire? Oui, c’est vrai, il le veut ainsi. Jésus-Christ lui-même a placé sur nos lèvres cette première invocation du Pater: « Sanctificetur nomen tuum: que votre nom soit sanctifié. » Avant toute chose, nous avons à demander la glorification de son nom et à traiter les affaires du Père céleste. Remarquez que trois demandes du Pater y sont consacrées. Comme Dieu dans sa bonté toujours agissante est constamment penché vers ses créatures pour leur conserver l’être et déverser sur le monde la surabondance de son amour, aussi veut-il que l’homme prenne à coeur les intérêts divins et que son action soit employée à tout ce qui regarde la gloire de son Père qui est aux cieux. Oui, nous devons être très préoccupés des choses de Dieu. C’est là notre mission: étendre son règne, faire connaître son nom, procurer l’accomplissement de sa volonté. Ce sont les trois premières demandes qui doivent s’échapper de notre coeur en désirs violents, lorsque nous adorons Jésus-Christ. Quelle grandeur, et quelle prière! Dieu nous charge de ses propres intérêts. Il nous dit: « Ma fille, tu est toute-puissante sur moi, parce que mon Fils qui est ton Epoux t’a communiqué sa puissance d’agir; prends donc ma cause en main, je veux en quelque sorte de voir l’extension de ma gloire à l’ardeur de ton amour. Demande donc ce que ton coeur t’inspire. Regarde d’un côté les ingratitudes et l’aveuglement des hommes, plonge aussi dans l’océan de mes perfections et de mes souveraines grandeurs, et puis demande-moi de laisser tomber sur la terre un nouveau rayon de cette gloire qui est mon vêtement et ma demeure. Parle avec la voix de mon Fils et je me révélerai un peu plus aux hommes, je ferai jaillir de leurs coeurs endurcis un nouvel hymne d’adoration et d’amour et je le ferai, parce que tu l’as demandé.

Ah! peut-être que jusqu’à ce jour vous n’avez pas compris ce que c’est qu’une vie d’action. Vous ne vous êtes pas rendu compte de votre puissance. « Si quid petieritis Patrem in nomine meo, dabit vobis: tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous le donnera(9). »

Mais il faut en être digne. Quand Dieu élève des âmes à ces relations admirables, quand il les admet dans l’intimité de la Très Sainte Trinité, il faut que ces âmes soient à la hauteur des grâces de choix que Dieu leur a réservées. Car, contemplez encore ce mystère de l’adoration. Regardez Jésus-Christ et la religieuse. Voyez cette adoration à deux, si je puis parler ainsi, ou pour mieux dire, cette prière confondue et s’échappant du coeur de Jésus. D’un côté Jésus-Christ, chef du choeur de l’Eglise, demande sans cesse à son Père, du fond du tabernacle: « Pater meus usque modo operatur, et ego operor: Mon Père ne cesse d’agir et moi aussi j’agis(10). » C’est l’acte parfait de Jésus-Christ. De l’autre côté, la religieuse adoratrice prosternée au pied de l’autel de Jésus-Christ unit sa demande à celle de son divin époux. C’est l’acte par excellence de sa puissance. Quoi de plus silencieux que Jésus-Christ caché sous les voiles eucharistiques? Mais quoi de plus agissant aussi? Quoi de plus immobile que la religieuse qui adore, mais quoi de plus puissant? C’est alors dans cette union intime de la religieuse avec Jésus-Christ qui se fait dans la communion et l’adoration, que retentit dans toute sa force l’appel que l’église met chaque soir sur vos lèvres, à l’office: « Venite, exultemus Domino; venite, adoremus, jubilemus Deo, salutari nostro: Venez acclamons joyeusement le Seigneur; venez adorons Dieu, crions notre allégresse au Dieu notre Sauveur(11). » Oui, éclatez dans de saints transports d’allégresse, car Dieu a trouvé une adoration digne de lui. Venez et adorez, livrez-vous à cette action par laquelle vous exercez sur Dieu une pression divine. Venez et adorez, car c’est le moment par excellence de la louange et de la joie; et tout ce que vous demanderez à Dieu, vous l’obtiendrez.

Après l’action pour Dieu, vient l’action pour nous-mêmes. J’en dirai peu de chose. Cela embrasse tout notre être, toute notre vie. Disons seulement que notre action consiste à nous purifier,, à nous sanctifier, à nous unir.

La religieuse qui communie, qui adore Jésus-Christ, la pureté infinie, comprend la nécessité de se purifier.

Je vous parlais hier de ce charbon ardent déposé sur les lèvres du prophète, le voici qui vient à vous: « Ecce hoc tetigit labia tua: Vois, ceci a touché tes lèvres(12). » Ce charbon purifiant, cette flamme brûlante portée par le séraphin, c’est l’hostie sainte que le prêtre met sur les lèvres de la religieuse; c’est quelque chose de plus que le feu envoyé à Isaïe; c’est la flamme par excellence, céleste et divine; c’est la chair virginale et toute pure; c’est le corps de Jésus-Christ, foyer de pureté, braiser d’amour qui consume tout ce qu’il touche et le revêt d’incorruptibilité. Corpus domini nostri Jesu Christi custodiat animam tuam in vitam aeternam: « Que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ garde ton âme pour la vie éternelle. » Oui, vous pouvez le dire: Ecce hoc tetigit labia tua. « Quelque chose de vraiment céleste a reposé sur mes lèvres, j’ai senti l’ardeur d’un feu purifiant. Peu importe que le prêtre soit un saint ou un misérable! Il remplit auprès de moi une fonction plus haute que celle d’un séraphin, quand il me donne Jésus caché sous les voiles eucharistiques. Ecce hoc tetigit labia tua. »

Mais aussi, voyez l’action de purification que vous devez exercer sur vous-mêmes par un travail constant. Un rien souille l’âme; fuyez cette souillure. Un rien lui rend sa pureté; recourez-y sans cesse. La communion demande la pureté, mais elle-même vient purifier votre coeur par son effet divin à travers la longueur des jours, pourvu que vous reveniez souvent à Jésus que vous avez reçu le matin et qui s’est fait une demeure dans votre âme par la grâce. Admirable mystère de purification! Je plonge mon âme dans le sang rédempteur de Jésus avant de recevoir sa chair sacrée; puis, ce corps divin vient s’incorporer en moi et consumer la poussière des imperfections qui s’attache à mon âme, comme une flamme ardente dévore la paille. Livrez-vous donc, sans réserve,à l’action purifiante de Jésus eucharistique et rappelez-vous ses paroles: « Ignem veni mittere in terram, et quid volo, nisi ut accendatur: Je suis venu mettre le feu sur la terre et combien je désire qu’il soit déjà allumé(13). »

Sans doute, aurais-je ici trop à dire. D’ailleurs tout ce que nous avons médité ensemble jusqu’ici regarde votre sanctification et s’y rapporte. C’est le travail de votre vie tout entière, et le modèle qui vous est donné c’est le Saint des saints. Par la communion vous faites plus que le contempler, vous le portez en vous.

Evidemment la communion c’est l’union avec Jésus-Christ la plus étroite qu’on puisse rêver sur terre. Jésus-Christ habite corporellement en moi pendant le temps que les saintes espèces subsistent, mais ce n’est qu’un instant et tout ne finit pas alors. Si vous me demandez combien de temps dure cette union ineffable, je vous répondrai: l’éternité. Oui, l’union réelle qui s’opère quand je reçois Notre-Seigneur est le gage de celle qui m’est promise pendant toute l’éternité. La béatitude là-haut, c’est l’union avec Dieu. Dès ici-bas il nous appelle à essayer de cette vie céleste, et nulle part son action n’est plus forte et plus intime que dans l’Eucharistie. C’est dans ce commerce sacré que les liens entre Dieu et l’âme se resserrent, que Dieu s’abaisse vers sa créature et que la créature monte vers Dieu. Soyez saintement jalouses de ces moments précieux. N’oubliez pas que si toute votre vie doit être un effort d’union, c’est dans l’action de grâces et dans l’adoration que vous devez développer le principe d’union qui a été déposé dans votre coeur.

Ce n’est pas tout, assurément. Vous vivez dans la lutte; il se livre en vous un combat continuel entre vos infirmités, vos misères, vos passions, vos penchants mauvais et Jésus- Christ. Si bonnes que vous soyez, cependant, vous êtes encore mauvaises par la corruption de votre nature; vous êtes là luttant dans les ténèbres comme Jacob avec l’ange mystérieux. Dans l’action de grâces, dans l’adoration Jésus-Christ demeure toujours vainqueur, et le résultat de cette victoire c’est de vous transformer. Dites-lui donc comme Jacob à son antagoniste vaincu: « Non dimittam te, nisi benedixeris mihi: Je ne te laisserai point aller que tu ne m’aies béni(14). » Mon Dieu, il y a lutte entre vous et mon orgueil, ma lâcheté, mon indépendance; ne partez pas, avant que vous ne m’ayez touchée et bénie. Alors un mystère se passe dans mon âme. Dans un certain sens je deviens infirme, je suis vaincue selon la nature, mais je me transforme en mon infirmité et je suis puissante dans la grâce. Je puis prendre, moi aussi, le nom d’Israël: fort contre Dieu. Dieu m’a terrassée, mais il m’a communiqué sa puissance, il m’a revêtue de sa force: devenue un autre Jésus-Christ, je puis tout demander et dans cette force nouvelle je sais que je puis tout obtenir.

Considérons en troisième lieu, attentivement notre action par rapport aux âmes. Il faudrait un long développement. Je n’entends pas parler de ce que nous avons déjà dit de notre action dans vos rapports d’éducation avec les âmes dont vous êtes chargées. Je ne veux examiner ici que votre action vis-à-vis des âmes dans votre action de grâces et dans vos adorations.

Mes Soeurs, je vous citerai une parole de Pie IX. Au milieu de ses infortunes et de son délassement, le Souverain Pontife disait l’autre jour: « Il y a une armée qui combat pour moi et à laquelle on ne songe pas assez. » Il parlait des couvents de Rome, et Pie IX a une très grande foi dans la valeur de leurs prières. Avons-nous assez de foi dans la valeur de la prière, dans sa puissance? Croyons-nous, comme Pie IX, qu’une âme qui prie est puissante comme une armée rangée en bataille? A force de nous agiter extérieurement et de nous jeter dans l’ardeur d’une action exagérée, n’avons-nous pas perdu un peu le sens de la foi par rapport à la prière pour les âmes? Puisons donc ce principe surnaturel d’action dans l’Eucharistie; il y est excellemment, et à proprement parler, ce travail n’est que l’épanouissement de celui que je viens de demander.

Après avoir agi sur Dieu et sur nous-mêmes, il s’ensuit que nous devons agir sur les autres. Vous êtes alors dans une magnifique situation pour tout obtenir de Dieu. Voyez votre puissance: vous pouvez en quelque sorte forcer Notre- Seigneur d’ouvrir ses trésors et de les répandre sur le monde. Ce que des saintes ont fait, j’y suis appelée aussi. Il y a eu des Thérèse, des Madeleine de Pazzi, des Catherine de Sienne, qui, par la puissance de leurs prières, ont délivré des âmes du Purgatoire, ont été chercher au fond de leurs forêts des païens sauvages, ou ailleurs des incrédules endurcis pour les ramener à Dieu. Voilà votre rôle, véritable. Après avoir adoré Dieu pour Dieu, après avoir puisé des grâces pour vous-mêmes, vous avez une action suprême sur le coeur de Notre-Seigneur pour le salut des âmes.

Notre-Seigneur dit: « Elias homo erat similis nobis passibilis, et oratione oravit, ut non plueret super terram, et non pluit annos tres et menses sex. Et rursum oravit, et coelum dedit pluviam, et terra dedit fructum suum: Elie était un homme soumis aux mêmes misères que nous: il pria instamment qu’il ne tombât point de pluie et la pluie ne tomba point sur la terre pendant trois ans et six mois; il pria de nouveau et le ciel donna de la pluie et la terre produisit ses fruits(15). » Voilà une religieuse qui adore et qui prie. Que fait-elle? Elle arrête le cours des châtiments de Dieu, elle est comme le paratonnerre qui écarte les foudres de ses vengeances, elle arrache les âmes baignées du sang de Jésus-Christ à la fureur de Satan. N’oubliez donc pas cette mission solennelle que vous avez auprès de Dieu, quand vous le portez dans votre coeur ou que vous êtes admises en sa présence. Entrez dans ce monde nouveau de foi et d’amour, dans lequel il vous faut vivre; ayez de grandes, de nobles aspirations. Dieu est généreux; il cherche à se communiquer, à se donner. Où le fait-il mieux que dans l’Eucharistie? Entrez donc dans ce monde nouveau de sainteté et de grâce. Introibo ad altare Dei, j’irai dans le Saint des saints. Je veux par mon adoration, par ma communion, pénétrer dans le sanctuaire de la divinité: là sont les richesses véritables, et il m’est donné de puiser dans ces trésors. Mon action s’exerce; je prendrai dans cet océan d’amour et de puissance ce qui m’est nécessaire pour sauver les âmes de mes frères. Ce sang qui a empourpré mes lèvres, qui a enivré mon coeur, il est à ma disposition; je l’aspire par la prière et je le répands à flots sur le monde.

Je vous ai déjà parlé de cet ange représenté dans l’Apocalypse, tenant à la main une coupe débordant du sang de ses victimes. C’est l’ange de la colère de Dieu. Mais voici un autre ange qui s’avance dans le sanctuaire, portant aussi une coupe; mais celle-ci est pleine de la clémence de Dieu. C’est le coeur de la religieuse qui, se dilatant par l’amour, se remplit du sang de la victime eucharistique; puis, elle va, ange de miséricorde, répandant le Sang de Notre-Seigneur sur les âmes. C’est une sublime mission, si vous voulez seulement l’embrasser, si vous voulez comprendre la beauté, la fécondité de votre action dans l’adoration et dans l’action de grâces. Réfléchissez-y, je vous en conjure et vous sentirez la merveilleuse, j’allais dire la miraculeuse puissance de votre action puisée dans l’Eucharistie.

J’arrive à une condition très dure, très crucifiante. Qu’adorez-vous dans l’Eucharistie? Un Dieu qui s’est donné et qui s’est donné à l’excès. Et alors quelle doit être mon action vis-à-vis des âmes? Le don de moi-même, le dévouement. C’est douloureux, il y en a qui se prêtent, combien peu qui se donnent. Et se donner comme Jésus-Christ dans l’Eucharistie, c’est vraiment effrayant! Courage donc, et rappelez vous qu’à proportion que vous vous donnerez, Jésus-Christ se donnera à vous. « Christus dilexit me, et tradidit semetipsum pro me*: Le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi(16). » Voilà le modèle; soyez imitatrices fidèles. C’est en aimant que vous arriverez à vous donner, à souffrir, à vous immoler, s’il le faut. C’est en méditant sur le sacrifice de la divine victime que vous apprendez à vous sacrifier aussi. C’est ainsi que vous atteindrez la perfection de l’action qui consiste dans la perfection du sacrifice: de même que Jésus-Christ dans le silence et l’obscurité du tabernacle est le principe fécond de toute vie et de toute action, et son adoration un culte suprême et unique.

Je vous disais hier que les couvents étaient des forteresses de pureté. Ils doivent être aussi des forteresses de dévouement et de sacrifice. L’action que vous pouvez exercer est immense. C’est de votre foyer de prière et d’adoration que s’échappent ces projectiles embrasés qui vont allumer le feu divin dans les âmes. Groupez-vous donc autour de votre adoration du Saint Sacrement pour exercer votre triple action sur Dieu, sur vous-mêmes, sur le monde. Vous comprendrez combien magnifique est la vocation qui vous est faite, et comment, pour remplir votre mission au-dehors, vous devez arriver à la perfection de la vie au pied su Saint Sacrement. Amen.

Notes et post-scriptum
1. Jean V, 17.
2. Marc, VI, 31.
3. Philip., I, 21.
4. Matth., IV, 10.
5. Jérém., XII, 2.
6. Saint AUGUSTIN, Conf. I, 1.
7. Matth., VII, 21.
8. Jean, XVI, 23.
9. Jean, XVI, 23.
10. Jean, V, 17.
11. Ps. 94.
12. Isaïe, VI, 7.
13. Luc, XII, 49.
14. Genèse, XXXII, 26.
15. Saint Jacques, V, 17.
16. Galat., II, 20.