Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 297

1877-aug- PROPAGANDE Congrégation

Quelques idées destinées à servir de base à un plan de campagne apostolique en 15 points, dans le Nord de l’Europe.

Informations générales
  • PM_XV_297
  • 5998 a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 297
  • Orig. ms. ACR AP 266. Ce texte, qui a été copié sous l'inspiration du P. d'Alzon, présente quelques variations et ajouts qui sont de sa main et que nous avons reproduits en italiques. Il a été trouvé dans les papiers de la postulation conservés par le P. Aubain Colette, à sa mort en 1970. Sa datation est donnée par rapprochement avec le texte du même sujet, du 14 août 1877, publié dans le tome XII, pp. 165-168. Autres copies contemporaines: ACR BE 196,197, BY 5-6.
Informations détaillées
  • A LA CONGREGATION DE LA PROPAGANDE
  • PROPAGANDE Congrégation
  • [vers août 1877] (1)
  • 1877-aug-
La lettre

Mémoire sur l’évangélisation de la Russie.

Je demande la permission de dire tout d’abord comment j’ai été amené à m’occuper de cette question.

Préoccupé de consacrer ma vie à la défense de l’Eglise et du S[aint]-Siège qui en est le centre, je crus devoir me dévouer à la conversion des protestants. Outre que je n’y réussis que très peu, je m’aperçus bientôt que le protestantisme comme doctrine n’est plus rien et que dans notre pays de France, ce n’est qu’un parti politique (1); mais je vis très clairement qu’en Occident Rome est attaquée par la révolution, la libre pensée et les sociétés secrètes, à l’Orient par le schisme, et que la forme la plus redouta-ble du schisme est le schisme russe.

Invité par le Souverain Pontife, le 6 juin 1862, à m’occuper de la Bulgarie, je cherchais ce qu’il y avait à faire en ce sens. Bientôt derrière la Bulgarie, je vis les Russes et je crus apercevoir des indications providentielles d’étudier les moyens d’arriver à leur conversion.

Voici les conclusions que je crus pouvoir tirer de la situation des esprits.

1° Difficulté que les Polonais, après leur dernière guerre (2), puis-sent de longtemps reconquérir leur action sur la Russie.

2° Nécessité d’aborder la Russie par le Sud puisqu’à l’Occident les Polonais seraient plutôt un obstacle qu’un moyen.

3° Possibilité d’envoyer à Odessa de jeunes religieux français en habit séculier apprendre le russe sous la direction d’un prêtre religieux.

4°Avantage immense de relever l’ordre monastique sous la règle de St Basile pour y préparer des missionnaires.

5° Possibilité de préparer un noyau de ces religieux gréco-slaves et catholiques en se servant d’un couvent de Basiliens établi à peu de distance d’Andrinople et dont le supérieur est tout dévoué aux Augustins de l’Assomption.

6° Les Augustins de l’Assomption n’exerceraient aucune juridiction sur les Basiliens et leur donneraient seulement des conseils et des secours matériels reçus de la Propagation de la Foi.

7° Les propriétés au couvent reposent sur la tête d’une Oblate de l’Assomption. On aurait là un grand moyen d’influence.

8° Le pope Stéphan Nikita ou Nicétas supérieur de ce couvent était marié avant de se faire religieux. Il a un fils élevé chez les Augustins en France et il pourra, un jour, même sans remplacer son père, être d’un grand secours au milieu des religieux à la tête desquels son père se trouve placé.

9° Parmi les religieux de l’Assomption, trois sont bulgares de Philippopoli, c’est-à-dire Pauliciens, mais on peut les faire passer au rite gréco-slave; ils aideraient puissamment à relever les études chez les Basiliens d’Andrinople. Deux ont enseigné en France et quoique peu développés, ils le sont bien assez pour servir de professeurs à leurs compatriotes. Le troisième a été placé à dessein en France à la tête d’une ferme agricole pour apprendre l’agriculture et rendrait des services très grands aux religieux orientaux, si, comme les Trappistes, ils voulaient se perfectionner sous ce rapport. Tous les trois sont prêtres, n’ont pas de très grands moyens intellectuels, mais sont très vertueux, très obéissants, très laborieux.

10°Les Basiliens ont une école de 20 à 25 enfants, mais leur maître est peu instruit. Au contraire les jeunes gens que je propose pour le moment convenable pourraient être très utiles pour préparer cette réunion d’enfants à la vie religieuse ou sacerdotale.

11 °Si jamais nous étions à même d’avoir une maison d’Augustins à Odessa, il faudrait prévoir à l’avance quelle dépendance nous aurions par rapport à l’évêque latin de Mohilev et si les religieux latins de ces pays ne pourraient pas être placés sous la juridiction du délégat de Constantinople, pour éviter toute rivalité entre Polonais et Français.

12° J’ai dit qu’il serait possible d’aller à Odessa. Je parle pour les religieux du rite latin, car pour les religieux Basiliens, ils auraient des terres offertes par une Dame russe catholique, au sud de la Russie, si jamais la Russie permettait l’entrée de ses domaines. On sait que le second fils d’Alexandre II un an avant la guerre a fait venir trois religieux du Mont S[aint]-Bernard pour secourir les soldats dans les passages du Caucase à travers les neiges.

13° Si le plan était adopté, on ferait avancer les religieux Basiliens d’étape en étape à travers les campagnes et les forêts. Les Augustins se contenteraient de rester à Odessa ou toute autre ville de la Russie méridionale pour donner leurs bons offices aux Basiliens qui les demanderaient. Or ce serait facile si la Propagation de la Foi faisait parvenir des secours aux moines de St Basile par les religieux de St Augustin.

14° En résumé: évangéliser la Russie par des Basiliens gréco-slaves et communiquer aux Basiliens la sève romaine par des religieux qui étant leurs bienfaiteurs au point de vue de la science, de la formation religieuse et des ressources matérielles, ne s’imposeraient pas à eux, leur laisseraient l’honneur du travail et seraient le lien entre Rome et eux tant que cela cela serait nécessaire.

15° Etant bien entendu que la Congrégation des Oblate s de l’Assomption, destinée aux missions étrangères et qui compte à Andrinople une colonie de plus de vingt membres, pourrait s’il était convenable, être utilement employée en Russie aux hôpitaux, dispensaires, écoles et cetera sous la direction des Augustins de l’Assomption.

[E. D'ALZON].
Notes et post-scriptum
(1) Cette compréhension réductrice du protestantisme comme force politique est inspirée au P. d'Alzon par l'évolution du milieu réformé du Midi qui, à partir du Second Empire, s'est effectivement et majoritairement tourné du côté des idées républicaines radicales.
(2) Sans doute est-elle évoquée ici la grande révolte de 1863-1864 qui fit plus de 20.000 morts et de 40.000 exilés en Sibérie. L'état de siège en Pologne russe ne sera levé qu'en 1914.