Expérience vécue d’un enterrement.

Mille circonstances viennent fortifier en moi ces pensées. Ainsi, par exemple, l’autre jour, fut enterré au séminaire un vieux prêtre qui dans le temps en avait été le supérieur. C’était vraiment un homme du bon vieux temps, peu au fait des questions du jour, mais laissant toute liberté sur les points controversés, consumant sa vie dans les études théologiques, les bonnes oeuvres et la prière. J’étais à son enterrement chargé de porter la croix, et je me trouvais au bout de la fosse quand on l’y déposa; son cercueil mal fermé me permit d’entrevoir sur ses vêtements sacerdotaux sa main qui souvent avait touché Celui qui alors était sa nourriture et maintenant son juge, qui s’était si souvent levée pour absoudre et peut-être pour condamner. Et lorsque, me repliant sur moi-même, je pensais qu’un jour, après avoir offert bien des sacrifices, prononcé bien des absolutions, on me descendrait ainsi dans la terre, et que mon jugement serait plus pesant de tout le sang divin que j’aurai répandu, de toutes les absolutions que j’aurai données, de toutes les âmes qui m’auront été confiées, de tous les combats que j’aurai à soutenir pour la défense de la vérité, de tout le poids du sacerdoce, je me surpris serrant de toutes mes forces la croix que je portais. Et ce n’étaient pas seulement mes doigts qui pressaient un métal glacé, c’était bien mon coeur qui sentait dans ce moment la nécessité d’un crucifiement absolu, et acceptait avec transport tout ce qui lui est préparé d’amertumes et de dégoûts.

Lettre à Charles de Montalembert (Lettres, t. XIV, p. 13).

<br>