MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0327
  • MEDITATIONS
  • TROISIEME MEDITATION LES ABUS DES GRACES
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 AFFRANCHISSEMENT SPIRITUEL
    1 APPRECIATION DES DONS DE DIEU
    1 BAPTEME
    1 BIEN SUPREME
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CONTRITION
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CRITIQUES
    1 DECADENCE
    1 DEGOUTS
    1 DETACHEMENT
    1 ENFANTS DE DIEU
    1 ENNUI SPIRITUEL
    1 FAIBLESSES
    1 FAUTE D'HABITUDE
    1 FOI BASE DE L'OBEISSANCE
    1 GRACE
    1 IDEES DU MONDE
    1 INGRATITUDE ENVERS DIEU
    1 JEUNES RELIGIEUX
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 LACHETE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MANQUEMENTS A LA REGLE
    1 MANQUEMENTS A LA VIE RELIGIEUSE
    1 MORT
    1 MORT DE L'AME
    1 NOVICIAT
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 PARDON
    1 PARESSE
    1 PEUR
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 PROFESSION PERPETUELLE
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 RECHUTE
    1 REFORME DU COEUR
    1 RENOUVELLEMENT
    1 REVOLTE
    1 SCANDALE
    1 SERVICE DU ROYAUME
    1 SOLITUDE
    1 SOUVERAIN JUGE
    1 TENTATION
    1 TIEDEUR
    1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
    1 VERTUS RELIGIEUSES
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOEUX DE RELIGION
    2 DANIEL, PROPHETE
    2 HELI, GRAND-PRETRE
    3 BABYLONE
    3 CHALDEE
    3 JERUSALEM
La lettre

[[Expandi manus meas tota die ad populum incredulum, qui graditur in via non bona, post cogitationes suas. J’ai tendu les mains tout le jour vers un peuple incrédule qui marche dans un chemin détestable, au gré de ses passions.]] (Is. LX, 2).

Voilà le Sauveur qui nous appelle, et nous refusons d’aller vers Lui. Il fait entendre ses plaintes et nous n’y prêtons aucune attention. Où en sommes-nous? Sommes-nous sur le point de lasser sa patiente bonté? Examinons attentivement les abus de la grâce dont nous sommes coupables; qu’Il ne nous reproche pas, à l’heure du jugement, d’avoir eu tout le long du jour les mains étendues vers nous sans que nous ayons cessé de marcher dans des voies perverses au gré de nos pensées et de nos caprices. Prenons par ordre les principales grâces dont nous avons abusé, et voyons à quelle réparation nous sommes tenus.

I. — Grâce du baptême

Elle est commune à tous les chrétiens, mais, par elle, que d’autres grâces ne nous ont pas été offertes! Plus de souillures, le péché effacé, l’innocence recouvrée, la robe blanche rendue. Quel bonheur! Et qu’est-ce, pourtant, comparé à l’adoption par laquelle Dieu m’a fait entrer dans sa famille et m’a déclaré son fils? Comme à la seconde personne de la Sainte Trinité, le jour de mon baptême, Dieu, en m’adoptant, m’a dit: [[ Dominus dixit ad me : Filius meus es tu, ego hodie genui te; vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui. ]] (Ps. II, 7.)

II. — Grâce de la vocation

Mais de même que Dieu m’a choisi, entre tant de fils d’Adam, pour m’arracher à la masse du péché, de même il m’a pris, parmi les chrétiens, pour m’élever à une plus haute dignité. Quand il m’a appelé à la vie religieuse, il m’a dit: [[ Egredere de domo tua et de cognatione tua; sors de ta maison et quitte ta famille. ]] (Gen. XII, 1.) Sans entrer dans le détail, je sentais bien que j’avais à rompre une foule de liens : les ai-je bien entièrement rompus? Ce qu’ils avaient de légitime n’a-t-il pas été un prétexte pour les conserver bien plus intenses qu’il ne convenait? J’ai quitté ma famille : n’ai-je pas souvent jeté les yeux de ce côté; et, si j’avais rompu plus catégoriquement, n’aurais-je pas pu espérer avancer plus rapidement dans les vertus de mon état?

De combien de liens le religieux ne doit-il pas sans cesse s’affranchir! Travail à recommencer à chaque instant, parce qu’à chaque instant le coeur se sent pressé de pousser ses racines vers la terre. Or, si le religieux n’a pas encore atteint le ciel, du moins est-il au-dessus des choses terrestres. Où en sommes-nous? Quelle liberté avons-nous conquise? Dieu a-t-il vu exécuter exactement l’ordre qu’il nous a donné comme à Abraham:

[[ Egredere de domo tua et de cognatione tua; sors de ta demeure et laisse ta famille? ]]

Dieu avait ajouté : [[ Et veni in terram quam monstrabo tibi; viens dans la terre que je vais te montrer. ]] Oui, il y a une autre terre, pour le religieux, que celle des autres hommes: il y a la terre des saints. Il y a la solitude, et là l’occupation d’un ordre de devoirs tout différent, parce que le principe des actions est tout autre que celui des hommes de la terre vulgaire. Dans cette terre, il y a un royaume nouveau, des espérances contraires à celles que l’on entretient ici-bas; il y a le désir du bonheur, le sentiment qu’il sera réalisé bien autrement; en un mot, il y a des horizons ouverts du côté de l’éternité, du côté de Dieu possédé dans des proportions incomparablement plus grandes que pour les hommes ordinaires, parce qu’on va à lui bien plus parfaitement. Où en sommes-nous de cette vocation et qu’en ai-je fait? Retentit-elle toujours au fond de mon coeur, et ne l’ai-je pas laissée s’endormir dans un silence coupable?

III. — Grâce du Noviciat

J’ai écouté la voix divine. Il y a eu un moment de ma vie où j’ai éprouvé les émotions du Psalmiste quand il chantait: [[ Laetatus sum in his quæ dicta sunt mihi, in domum Domini ibimus; je suis joyeux de ce qui m’a été dit: nous irons dans la maison du Seigneur! ]] (Ps. CXXI, 1.) Oui, c’est avec joie que j’avais pensé à l’entrée au noviciat. Il me semblait que je mettais le pied dans le vestibule de la maison de mon père, de la maison de Dieu. Que pouvais-je espérer davantage? Habiter dans un commerce plus intime avec Dieu, quel privilège!

Mais si, dans la cour des rois de Chaldée, on préparait par de longues épreuves les jeunes gens, comme Daniel et ses compagnons, à paraître devant le roi, quelle préparation n’est pas nécessaire à celui qui doit entrer dans les rapports les plus intimes et les plus ineffables avec le Roi des rois? Or, voilà le but du noviciat religieux. Le novice fait son apprentissage du service tout spécial de Dieu.

Dans un royaume, tous sont sujets du souverain, mais il y a des sujets de choix auxquels sont confiées les fonctions les plus délicates. Pour en être digne, il faut s’y être exercé. Telle est la vie du noviciat: un exercice perpétuel pour se rendre digne de servir Dieu selon la perfection qu’il veut lui-même nous communiquer. Or, de même que le roi de Babylone faisait donner à Daniel et aux autres exilés de Jérusalem, choisis parmi les captifs, tout ce qu’ils pouvaient demander, de même, pendant le noviciat, Dieu verse dans une âme tous les secours dont elle a besoin pour s’élever jusqu’à Lui.

Heureuse générosité qui, par sa nouveauté même, donne à l’âme qui en est l’objet des transports inconnus si elle s’applique à en profiter, mais qui la rend bien coupable si elle ne répond à d’aussi précieuses avances que par la torpeur, l’ennui, l’indifférence, l’ingratitude. On peut demander à certains novices tièdes et lâches, comme le demandait le père de famille entrant dans la salle des noces de son fils: [[ Amice, ad quid venisti? Mon ami, qu’êtes-vous venu faire ici? ]] (Matth. XXVI, 50.) Qu’est-il venu faire, en effet, sinon être une pierre d’achoppement pour nombre de jeunes âmes faibles encore, et qui, devant le scandale de sa lâcheté, s’arrêteront, et peut-être rebrousseront chemin?

Pourtant, on était bien appelé, on était entré avec de bonnes dispositions, mais on n’a pas su se vaincre aux premières épreuves: ou l’on a déposé les armes, ou on ne les a portées que par une sorte de parti pris, sans aucune réflexion sur le but que l’on devait poursuivre. Et alors, qu’a été le noviciat? Une série de défaites, de mauvais exemples, de dégoûts, de tentations, de remords étouffés. Le noviciat, par une série de chutes, a été le prélude de chutes plus terribles qui auront lieu quand les grands engagements seront pris. Pourtant, Jésus-Christ avait fait les avances les plus tendres, les plus pressantes, mais on avait pris Jésus-Christ à dégoût, et la vie religieuse ne s’était présentée que comme un pis-aller qu’on acceptait parce qu’on n’avait pas d’autre refuge, pour cacher son incapacité ou sa paresse. Et pourtant, le noviciat s’est écoulé; on arrive à la profession, avec quelles dispositions, je vous le demande; on a abusé des grâces, on en abusera encore, et jusqu’à ce que la grâce de la persévérance finale soit devenue comme impossible.

IV. — Grâce de la Profession

Mais je suppose un noviciat fervent. Le moment de s’engager pour toujours est venu; on a prononcé les voeux perpétuels. Heureux celui qui peut, comme David, s’écrier : [[ Funes ceciderunt mihi in præclaris, etenim hæreditas mea præclara est mihi; mes chaînes sont devenues ma gloire et m’ont acquis un héritage admirable. ]] (Ps. XV, 6.) C’est avec transport que ce jeune religieux s’est lui-même chargé de ces chaînes précieuses; l’amour de Jésus-Christ l’a conduit à l’autel pour s’y immoler avec Lui. Il n’a que la pensée de marcher, de courir à la suite de ces grands religieux, ses Pères, qui lui ont laissé de si beaux exemples de la manière dont la grâce triomphe de la nature.

Combien sa ferveur durera-t-elle? Voilà quelques années que sa profession est faite. Où en est-il? Qu’est devenue son oraison, sa règle, son esprit de recueillement, son silence, son travail? Où est cet homme apostolique qu’on croyait apercevoir, et qui, hélas! a trompé tant d’espérances? Il s’est complu en lui-même; il s’est détourné de Dieu; il a murmuré contre ses supérieurs; il a pris sa cellule à dégoût, ses frères en antipathie; il a regardé du côté du monde, et son coeur s’est trouvé plein de regrets. Pourtant, il est engagé, il continuera, il ira, traînant sa chaîne dans le murmure, dans ce qu’il appelle le désenchantement.

Le malheureux! Il devait être un séraphin, ce n’est plus qu’un homme vulgaire;toutes les suppositions indélicates sur les autres lui sont chères. Il est content s’il se justifie à lui-même la honte de son affaissement, en pensant qu’autour de lui on ne vaut pas mieux. Triste consolation, pour le pestiféré, de penser que, s’il meurt, c’est sur un tas de victimes de la peste. Ainsi s’en vont les derniers souffles de la vie parfaite; on n’en veut plus; et un reste d’honneur force à la subir du moins par certains côtés extérieurs. Mais au-dessous, dans l’intérieur, que verrait-on s’il était permis de pénétrer au fond? La grâce s’est retirée, et ce religieux, semblable à ces fruits gâtés qui pourrissent tous les fruits qui les touchent, semble n’avoir d’autre mission que de porter la désorganisation autour de lui.

Que s’est-il passé? Il a abusé de la grâce. Sa régularité est nulle, ses murmures constants, son oraison une prolongation du sommeil de la nuit, sinon une divagation insultante pour Dieu, en face de qui il a dû se placer; son office est prononcé du bout des lèvres; les sacrements qu’il reçoit ou qu’il distribue, il en fait trop souvent des sources fangeuses sinon empoisonnées: tout l’ordre surnaturel s’en est allé, et dès lors il ne saurait plus être question de vocation religieuse.

Et les voeux? Ah! oui, ce sont des chaînes, et on peut lui dire: [[ Vae qui trahitis iniquitatem in funiculis vanitatis, et quasi vinculum plaustri peccatum; malheur à vous qui traînez l’iniquité avec les chaînes de la vanité et qui êtes attelés au péché comme à une charrette. ]] (Is. V, 18.) Quelles chaînes, en effet, qui font son malheur parce qu’elles font de lui un esclave révolté! Son couvent est une prison, sa règle un joug insupportable, ses supérieurs des geôliers, Dieu un despote et un tyran.

Laissons les scandales que donne cette vie sans esprit surnaturel, cette vie source de chutes autour de lui. Il fait comme les fils d’Héli dont le péché consistait à faire fuir le Tabernacle et l’autel du sacrifice : [[ Erat ergo peccatum puerorum grande nimis coram Domino, quia retrahebant homines a sacrificio Domini; leur péché était énorme aux yeux du Seigneur, parce qu’ils détournaient le peuple du sacrifice du Seigneur. ]]

(I Reg. II, 17.)

Pourtant, il faut mourir, il faut paraître devant Dieu. Avec quels sentiments? Peut-être y aura-t-il une certaine terreur, parce que l’abus des grâces n’a pas entièrement étouffé un reste de foi : ce qui, pourtant, serait parfaitement logique. Peut- être, par un suprême effort, secouera-t-on ce sommeil de l’âme, symptôme sinistre de la mort éternelle; peut-être y aura-t-il du trouble et du remords à la vue d’une existence longue où l’on aurait pu tant faire et où l’on n’a rien fait; où l’on aurait pu livrer de vaillants combats, tandis qu’on est resté sous la tente. Ce qui se passe dans une âme religieuse qui a abusé constamment des grâces quand elle arrive en face de Dieu, qui le dira?

[[ Domine, ne in furore tuo arguas me, neque in ira tua corripias me; Seigneur, ne me reprenez pas dans votre fureur et ne me châtiez pas dans votre courroux! ]] (Ps. XI, 6.) O Dieu! ma dernière heure viendra peut-être bientôt. En quel état me trouverai-je? Quels talents, mis à profit, pourrai-je vous présenter? Quelles vertus agrandies, quels sacrifices héroïques, quelles bonnes oeuvres accumulées? Voilà ce que vous attendiez de moi; et, parce que j’ai abusé de vos grâces, hélas! mes mains sont vides!

Pardonnez-moi, Seigneur, et donnez-moi de profiter des jours qui me restent, et, par un redoublement de ferveur, de profiter d’autant plus des dernières grâces que vous m’offrez encore, que j’en ai plus abusé jusqu’à ce jour : [[Je commence, je le dis fermement; et dixi: nunc coepi. Que ce soit le changement de votre droite, haec mutatio dexteræ Excelsi. ]] (Ps. LXXVI, 11.) Que ce soit le gage du secours que vous accorderez à ma volonté qui va commencer, bien tard peut-être, mais qui, en face de l’éternité, veut réparer le temps perdu.

Notes et post-scriptum