MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0372
  • MEDITATIONS
  • HUITIEME MEDITATION DE LA PURETE D'INTENTION
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTES HUMAINS
    1 AFFECTIONS DESORDONNEES
    1 AMBITION
    1 AMOUR DES AISES
    1 AMOUR-PROPRE
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 AVARICE
    1 BON EXEMPLE
    1 BONHEUR
    1 BUT DE LA VIE
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CORPS MYSTIQUE
    1 DEVOIR
    1 EFFORT
    1 EGOISME
    1 ENERGIE
    1 ERREUR
    1 ESPRIT FAUX
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FRANCHISE
    1 IDEES DU MONDE
    1 INSENSIBILITE
    1 LACHETE
    1 LUXURE
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PARESSE
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PURETE D'INTENTION
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 RELIGIEUX
    1 ROUTINE
    1 SUFFISANCE
    1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
    1 TRIPLE CONCUPISCENCE
    1 VANITE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOLONTE PROPRE
    2 ABEL
    2 ADAM
    2 CAIN
    2 PAUL, SAINT
    2 THOMAS APOTRE, SAINT
La lettre

Rien de plus délicat que le sujet que j’aborde, non pas tant les principes sur lesquels repose la pureté d’intention que les applications à en faire. Examinons toutefois ces principes dans leur largeur, afin d’en tirer les conséquences pratiques d’où dépend la sainteté de la vie religieuse.

I. — Principes de la pureté d’intention

La pureté d’intention est un acte de la volonté qui tend vers un but: intendere. L’homme seul est capable d’une intention réfléchie. L’animal a bien l’intention de courir vers sa proie pour la dévorer, vers le ruisseau pour se désaltérer, mais il n’agit pas avec réflexion et raison; car, lorsque je tends vers un but, c’est parce que j’y trouve mon bien, mon avantage, et, si je réfléchis, je puis considérer mon but à deux points de vue: le but final et le but intermédiaire.

Le but final, c’est le terme dernier que je me propose et qui ne peut être autre que le bonheur. A ce but, tous les êtres y tendent; Bonum est id quod omnes appetunt. Seulement, plusieurs se trompent; ils saisissent, comme on l’a dit si souvent, l’ombre pour la réalité, et c’est pourquoi, quand vient le désenchantement, leurs regrets sont grands, et ils sont forcés de répéter avec les impies dont parle l’Ecriture Sainte : [[ Ergo erravimus; nous nous sommes donc trompés ]]. (Sap. V, 6).

Rien d’effrayant comme le nombre de ceux qui se trompent ainsi : telle est l’histoire de tous ceux qui placent leur bonheur en eux-mêmes, comme les égoïstes, ou au-dessous d’eux-mêmes, comme les avares, les impudiques, les ambitieux, les hommes de la vaine gloire. C’est Dieu seul qui doit être notre but final, et je ne pense pas que, parmi vous, il y en ait un seul qui le place ailleurs. Comme le Prophète, vous avez dit : Dominus pars hæreditatis meæ, et calicis mei, tu es qui restitues hæreditatem meam mihi. (Ps. XV, 5).

Mais on se trompe sur le moyen de parvenir à ce but désiré, et c’est là où la pureté d’intention fait quelquefois défaut. Remarquez que Dieu n’appelle pas tout le monde par la même voie. Dans le corps mystique de Jésus-Christ, les uns, dit saint Paul, sont les yeux, la bouche, les autres sont les pieds, les mains. De même il y a divers services à rendre à la volonté divine qui règle très sagement l’ensemble des choses. Ce n’est pas sur ce point qu’il convient d’insister. Mais tandis que les uns disent en toute sincérité : [[ Notum fac mihi, Domine, finem meum, et numerum dierum meorum quis est, ut sciam quid desit mihi? Seigneur, faites-moi connaître mon but et le nombre de mes jours; qu’est-il donc, pour que je sache ce qui me manque?]] (Ps. XXXVIII, 5). D’autres, sans consulter Dieu, font leur choix et se trompent. Leur intention n’est pas pure.

Expliquons-nous par des exemples. Voilà un jeune homme qui se croit appelé à se donner à Dieu; mais Dieu le veut dans une vie active; lui, au contraire, mû par je ne sais quelle paresse, se réfugie dans un Ordre contemplatif. Dirons-nous que son intention est pure? Hélas! non.

Un autre est appelé aux travaux apostoliques mais dans la retraite du cloître. Il lui est nécessaire de se retremper, aux pieds de Notre-Seigneur, dans le silence de sa cellule, après avoir fait retentir des accents évangéliques la chaire chrétienne; mais, il aime à cueillir lui-même, à chaque moment, les fruits de ses travaux, il aime à se mêler aux choses du monde. Au lieu de se faire religieux, il se fait prêtre séculier. Son intention est-elle pure? pas davantage.

Voilà un homme trop paresseux pour tenir le manche d’une charrue, trop lâche pour prendre un fusil; il frappe à la porte d’un Séminaire. Son intention est- elle pure? Comment pourrait-on le supposer?

Et que dire enfin de ces jeunes gens que Dieu pousse vers le sanctuaire, mais que l’ambition, la vie commode, les plaisirs, certains attachements de coeur, retiennent dans le monde, où ils se perdront peut-être, où, dans tous les cas, Dieu leur fera sentir la dureté de son aiguillon, malgré tout. Vont-ils où la voix du ciel les appelle? Ils suivent la voie commune, et, loin de se sanctifier par une vie plus parfaite, ils s’exposent, privés qu’ils seront d’une foule de grâces, à entendre la sentence du Seigneur: [[ Amen, dico vobis, quia non novi vos; en vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas! ]]

Etrange situation que celle d’un homme qui pouvait arriver aux sommets du bonheur dans la patrie, et qui s’expose, pour n’avoir pas choisi les vrais moyens d’atteindre son but, à un malheur éternel!

Eh bien! il y a une situation non moins funeste et sur laquelle il est indispensable de vous forcer à réfléchir; c’est celle du religieux qui connaît sa vocation et qui ne prend pas tous les moyens d’y répondre d’une manière digne de l’appel de Dieu. Or, c’est sur quoi il importe surtout de vous faire réfléchir. Vous êtes au service de Dieu, engagé dans la voie de la perfection; vous n’avez qu’à avancer avec une ardeur digne de la fin que vous voulez atteindre. Où allez-vous, et quelle est votre sincérité?

Examinez quelles sont vos dispositions habituelles. A qui rapportez-vous le terme de vos actions? A Dieu ou à vous? Ah! quelles effrayantes questions que celles-là! Et qu’elles sont propres à nous faire réfléchir! Je suis entré dans la vie religieuse pour Dieu. Puis-je dire que je m’y maintiens pour Dieu? Quels sentiments humains ne viennent pas m’assaillir sans cesse dans l’accomplissement de la règle que je ne pratique qu’avec tiédeur; dans l’obéissance au joug de mes supérieurs que je cherche à secouer autant qu’il dépend de moi; dans mes relations avec mes frères que je me préoccupe peu d’édifier; dans les oeuvres de zèle où mon amour-propre est mille fois plus en jeu que la gloire de Notre-Seigneur? En tout cela, qu’est-ce que ma conscience, si elle s’examine sincèrement, peut trouver de pur? Hélas! rien, rien. Tel est le douloureux aveu que je suis contraint de faire.

L’homme, dès le commencement, en a été là. A peine Adam, chassé du paradis de délices, a-t-il donné le jour à deux fils, que l’un et l’autre offrent leurs sacrifices, et voilà que Dieu accepte l’un et repousse l’autre. Pourtant, tous les deux avaient sacrifié sur l’autel du Très-Haut. Pourquoi cette différence? C’est que l’intention de l’un était pure et que celle de l’autre ne l’était pas. L’un cherchait Dieu, l’autre se recherchait lui-même. En soi, les deux sacrifices étaient excellents; mais de ceux qui les offraient, l’un était agréable à cause de sa droiture, l’autre était repoussé à cause de ses sentiments intéressés.

Voilà, dans une même maison, deux religieux sous le même joug, pratiquant les mêmes exercices, les mêmes travaux, les mêmes austérités, et Dieu traite l’un avec amour et l’autre avec colère. Pourquoi? Parce que le Seigneur regarde le fond du coeur : Dominus autem intuetur cor (l Reg. XVI, 7), et que, si le coeur de l’un est pur dans son intention, le coeur de l’autre ne l’est pas.

Seigneur, je tremble à ces pensées. Mon coeur est-il assez droit devant vous? Est-ce que je vous recherche assez sincèrement dans tout ce que je fais, et n’ai-je aucun reproche à m’adresser sur cet épouvantable sujet? Ne permettez pas que jamais je m’éloigne de votre volonté, et faites que, conformant mon intention à vos intentions divines sur moi, ce soit vous que je cherche et ce soit vous que je trouve au terme de ma vie.

II. — Conditions de la pureté d’intention

Je n’en connais pas de plus nécessaires que celles que je vous propose : la sincérité, l’obéissance, l’énergie.

1° La sincérité. — En effet, il y a une question de bonne foi, et il semble au premier abord que rien n’est facile comme d’être sincère, quand il s’agit d’intérêts aussi importants. Erreur très grave! On se fait illusion comme à plaisir, soit par un sentiment d’enthousiasme mal raisonné, soit par un mouvement de présomption peu raisonnable, soit par un retour personnel et égoïste sur soi, soit par des influences étrangères et subies comme à notre insu. Or, avec ces conditions, comment être sincère, d’autant plus que, dans une foule de circonstances, la sincérité exige un effort. Après une communion fervente, vous êtes dans un transport admirable; comme saint Thomas, vous dites à vos frères: [[ Eamus et nos et moriamur cum illo; allons, nous aussi, et mourons avec lui ! ]] (Joan. XI, 16). Mais ce beau feu ne dure pas longtemps, et si l’heure de l’épreuve arrive, on peut bien s’attendre que, comme saint Thomas et les apôtres, vous prendrez la fuite : cette ferveur n’était pas sincère. Ou bien vous avez accepté une vie relativement pénible, sans enthousiasme, mais aussi sans aucun des sentiments élevés qu’elle exige pour être une source de vrai bonheur pour vous.

Vous avez fait vos combinaisons humaines, et de ces combinaisons il est résulté que, ne cherchant pas uniquement Dieu, entré dans la vie religieuse par calcul, vous y persévérez sans ferveur et vous finissez par y mourir sans espérance et sans consolation. Vous y avez vécu machinalement et vous savez bien ce que Dieu vous réserve au-delà du tombeau. Vous n’étiez pas sincère en y entrant, vous étiez sans zèle en y vivant et vous êtes endurci en y mourant. Quel horizon que celui-là!

Mais pourquoi s’arrêter à ces tristes pensées? N’est-il pas préférable d’étudier, afin de l’imiter, le religieux sincère qui demande à Dieu du fond du coeur la lumière, qui dit à Notre-Seigneur, comme l’aveugle de l’Evangile : [[ Domine, fac ut videam ! Seigneur, faites que je voie! ]] (Luc, XVIII, 41). Il n’a qu’un désir, c’est de suivre toujours la voie droite. Ah! si ce désir est persévérant, qu’il se rassure, il sera réalisé.

2° Intention dirigée par l’obéissance. — Une des consolations de la vie chrétienne, c’est que nous n’avons pas besoin, pour arriver au ciel, d’avoir toujours raison. Qui peut se vanter d’être infaillible? Mais ce à quoi nous sommes obligés, c’est d’être de bonne foi dans l’effort pour être dans le vrai. Eh bien! Dieu nous donne un moyen assuré : c’est l’obéissance. Pourvu que le mal positif ne nous soit pas commandé, restons en paix et rapportons-nous en à Dieu, en faisant la volonté de nos supérieurs. Purifions notre intention par le sacrifice de notre volonté propre; peut- être notre sagesse pencherait-elle vers une direction autre que celle qui nous est indiquée : ne nous effrayons pas. Nous savons que nous allons selon la volonté de Dieu, manifestée par ceux que Dieu a mis au-dessus de nous. Que cela nous suffise pour marcher en repos.

3° L’énergie.– Mais il ne suffit pas de connaître clairement le moyen d’atteindre le but de toute créature raisonnable, il faut l’énergie pour mettre la main à l’oeuvre; et ce qui arrête bien souvent la pureté d’intention, c’est l’obligation d’agir conformément à ce que l’on sait devoir faire. Le Saint-Esprit a dit de l’impie : [[ Noluit intelligere, ut bene ageret; il n’a pas voulu comprendre, de peur d’avoir à bien agir ]]. (Ps. XXXV, 4). Bien faire est trop dur, et pour s’excuser on s’efforce de ne pas comprendre; effrayant état qui s’applique sans doute aux grands pécheurs, qui s’applique aussi à une foule de circonstances de la vie; absence d’énergie pour envisager et connaître son devoir, absence d’énergie pour mettre ce que l’on sait bien en pratique. Qu’arrive-t-il? C’est que peu à peu l’on s’exerce à mal voir, et qu’à la fin on ne peut plus voir bien. Tel n’est-il pas l’état d’une foule d’âmes pieuses que je vois autour de moi? Et cet état n’est-il pas le mien? Je vois ce que j’ai à faire, mais l’énergie me manque pour mettre la main à l’oeuvre, et je me réfugie dans une foule de mauvaises raisons que, à force de me les répéter, je finis par supposer bonnes.

Conclusion. Seigneur, donnez-moi la pureté la plus grande dans mes intentions, et l’énergie plus grande encore pour les mettre en pratique. Faites-moi voir tout ce que j’ai à faire et donnez-moi le courage de le réaliser. Ce que vous demandez est dur peut-être, mais qu’importe, pourvu que j’arrive à mon véritable terme qui n’est autre que vous. Ah! Seigneur, je vous dirai : [[ Illumina oculos meos ne unquam obdormiam in morte; illuminez mes yeux pour que jamais ils ne s’appesantissent dans la mort]]. (Ps. XII, 4). Que mon oeil soit sincère et que, quand j’aurai connu mon devoir, j’aie le courage de l’accomplir!

Notes et post-scriptum