MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0411
  • MEDITATIONS
  • TREIZIEME MEDITATION LA CHARITE
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 AME SUJET DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR DIVIN
    1 AUGUSTIN
    1 BIEN SUPREME
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CONNAISSANCE DE DIEU
    1 DEMARCHE DE L'AME VERS DIEU
    1 DEPASSEMENT DE SOI
    1 DIEU
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 EFFORT
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 JOUISSANCE DE DIEU
    1 LIBERTE
    1 PECHE MORTEL
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PURIFICATION
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 RECHERCHE DE DIEU
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 RECONNAISSANCE
    1 RENOUVELLEMENT
    1 SAINT-ESPRIT SOURCE DE LA CHARITE
    1 SATAN
    1 SENSIBILITE
    1 SPIRITUALITE TRINITAIRE
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TIEDEUR
    1 TRINITE
    1 VERTUS
    1 VERTUS THEOLOGALES
    1 VOIE UNITIVE
    1 VOLONTE
    2 MOISE
    3 JERUSALEM
La lettre

[[Major autem horum est charitas. Mais la plus grande des trois, c’est la charité.]] (I Cor. XIII,3).

Parlons de la charité, qui est la vertu des vertus, et examinons quels en sont: l’excellence, le sanctuaire et l’objet.

I. — Excellence de la charité

La charité est une très spéciale amitié de l’homme pour Dieu, et cette amitié doit être réciproque et accompagnée de bienveillance, amor cum benevolentia, dit saint Thomas.

La charité prend sa source en Dieu, qui d’une part nous a donné la puissance d’aimer, et de l’autre nous a aimés de toute éternité : in caritate perpetua dilexi te (Jer. XXXI, 3), et nous a prouvé son amour par la manière dont il nous a attirés sur son sein paternel, ideo attraxi te, miserans tui. (Ibid.)

Mais l’homme, à qui Dieu s’est révélé par la foi comme la vérité infinie, principe de toute vérité, par l’espérance comme Bien suprême, l’homme qui trouve son bonheur à posséder Dieu désire, à cause de sa beauté et de ses charmes, s’unir à Lui sans que rien ne puisse le séparer de Lui, et se prend à aimer Dieu pour Dieu; il cherche à lui offrir tout ce que la créature peut de son néant, il souhaite à Dieu toute adoration, toute gloire, toute domination sur l’univers, tout amour de la part des créatures intelligentes.

Or, admirez la manière dont se forme, croît, se développe, fructifie la charité.

La charité, c’est un bel arbre dont la semence est à la disposition du Saint-Esprit. Son souffle créateur la pousse comme il l’entend sur cette terre qu’on appelle le coeur de l’homme. Elle y tombe et, selon que la terre est préparée, elle se manifeste; mais le Saint-Esprit l’aide encore; l’amour divin, tout en respectant la volonté humaine et sa liberté, l’excite comme le soleil excite de ses rayons les plantes à grandir; peu à peu l’action devient plus puissante, si elle est écoutée; et c’est ainsi que l’amour de Dieu est répandu dans nos âmes par le Saint-Esprit qui nous a été donné: Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum qui datus est nobis. (Rom. V, 5).

Saint Augustin ne craint pas d’appeler la charité: [[ un mouvement de l’âme qui tend à jouir de Dieu pour lui-même: Caritatem voco motum animi ad fruendum Deo propter ipsum ]]. Ce mouvement est imprimé par Dieu, mais c’est un mouvement très volontaire du coeur humain, et c’est, comme remarque saint Thomas, ce qui en constitue la beauté. Si tout venait de Dieu, quelle merveille qu’Il s’aimât lui-même en nous? Mais ce n’est pas ainsi qu’il l’entend. Il veut sans doute, comme auteur de tout bien, provoquer l’homme à s’élancer vers lui, comme l’aigle provoque ses petits à voler; mais ce sont les aiglons qui volent, et c’est nous qui, par notre amour, nous élançons vers Dieu.

Et ce mouvement pousse l’âme qui aime à acquérir toutes les vertus pour posséder Dieu; il n’y a pas de vertu surnaturelle sans amour divin; mais quand une âme s’est éprise du désir d’aimer tous les jours davantage, elle a surtout un immense besoin de prouver à Dieu son amour, et comment le peut-elle, sinon par le fréquent renouvellement de ces actes qui la rendent en quelque sorte divine?

D’autre part, si la charité jaillit de la volonté de l’homme, elle est évidemment une vertu par l’effort qu’elle exige de la nature corrompue, comme aussi par ce qu’elle est, en tant que vertu conforme à la raison; or, comme il n’y a rien de plus conforme à la raison que de vivre en tendant à ce qu’il y a de plus parfait, et qu’il n’y a rien de plus parfait que d’aimer Dieu, il s’ensuit que nous n’avons en nous aucune vertu plus parfaite que la charité.

Et remarquez que sa perfection consiste dans ce que j’appellerai son désintéressement: elle cherche Dieu pour lui-même; elle est tellement éprise de sa beauté, de sa nature même, qu’elle oublie tout ce qui peut lui en revenir; elle aime Dieu pour Dieu et pas pour un autre motif.

La foi cherche Dieu comme vérité suprême qui l’illumine; l’espérance s’attache à lui comme Bien infini, la charité aime Dieu pour Dieu et non pour aucun autre motif.

Elle est la forme des vertus, comme je l’ai dit, et c’est pourquoi les autres vertus dépendent d’elle et n’ont de valeur aux yeux de Dieu qu’autant qu’elles lui sont offertes par l’amour, et si je puis dire, qu’autant qu’elles se transforment dans les flammes de la charité. Donnez une charité attiédie, les autres vertus seront languissantes; donnez une charité pleine d’ardeur, les autres vertus en reproduiront les flammes.

En sorte que la charité, la plus excellente de toutes les vertus, par son essence même, communique cette excellence à toutes les autres vertus qui, cessant d’être humaines, par elle, s’élèvent jusqu’à Dieu.

II. — Sanctuaire de la charité

Si la charité, dans son principe, dans sa source, est l’amour de Dieu même, de telle sorte que nous ne puissions aimer Dieu que parce qu’il nous a aimés le premier, Dieu a mis dans l’homme un sanctuaire pour recevoir un si précieux trésor, et ce sanctuaire n’est autre que la volonté dans laquelle se trouve la puissance d’aimer à son tour.

La volonté n’est pas cette impression sensible par laquelle nous nous précipitons, comme par instinct, vers tel ou tel objet extérieur; la volonté et l’amour qui en découle sont des puissances de l’âme dans ce qu’elle a de plus noble et de plus élevé; il est, dès lors, facile de comprendre la différence des deux sortes d’affections, lorsqu’on entend, d’une part, certaines personnes dire: [[ Je ne puis aimer Dieu parce que je ne le vois pas ]], et, d’autre part, Jésus-Christ déclarer que personne n’a vu Dieu, Deum nemo vidit unquam, et pourtant nous déclarer, en prenant les expressions de Moïse, qu’il faut l’aimer de tout notre coeur, de toute notre âme, de toutes nos forces. Jugez par là des deux amours et constatez que, si l’un ressemble à celui des animaux défendant leurs petits, l’autre est une introduction dans un monde supérieur où l’âme seule doit agir.

C’est, si je puis le dire, quelque chose de semblable à ce qui se passait dans le temple de Jérusalem; la foule n’allait pas au-delà d’une certaine enceinte; le grand-prêtre, après des purifications commandées, pénétrait seul dans le Saint des saints. Ainsi, nous avons en nous une foule d’affections qui s’approchent de Dieu, mais ne pénètrent pas jusqu’à lui; la volonté seule, purifiée par le Saint-Esprit, peut aller jusqu’à l’autel de Dieu, et Dieu vient avec joie habiter et se promener, selon l’expression du Prophète, dans ce sanctuaire de l’âme où l’amour de Dieu et l’amour de l’homme se donnent rendez-vous.

Mais si la volonté seule, dans son principe le plus pur, est capable d’aimer Dieu, l’être humain tout entier peut en recevoir les précieux transports. David n’a-t-il pas dit : [[ Cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum; mon coeur et ma chair ont exulté dans l’amour du Dieu vivant? ]] (Ps. LXXXIII, 3).

Si parfaite que soit cette volonté, n’oublions pas que c’est toujours Dieu qui la met en branle et qui lui donne la puissance de s’élancer vers l’objet de son amour. Ecoutez saint Thomas: [[Caritas est amicitia quædam hominis ad Deum, fundata super communicationem beatitudinis æternæ; la charité est une amitié de l’homme pour Dieu, fondée sur la communication de la béatitude éternelle ]]. Le bonheur éternel, c’est l’espérance qui nous le montre en Dieu. Mais, si Dieu est généreux, l’âme veut l’être à son tour, et c’est ainsi qu’elle se met, dans sa reconnaissance, à aimer Dieu pour lui-même.

Aussi, l’on comprend que la charité, comme dans son germe au sein de l’espérance, soit imparfaite, mais puisse s’accroître indéfiniment, ibunt de virtute in virtutem. Ce sont comme les divers degrés que l’âme dispose au- dedans d’elle-même, ascensiones in corde suo disposuit, pour s’élever toujours plus haut, jusqu’à ce qu’elle puisse contempler [[ le vrai Dieu, au-dessus de tous les dieux inférieurs, dans la véritable Sion: Videbitur Deus deorum in Sion ]].

Oui, la charité peut croître sans cesse, et nul ne peut dire, parmi ceux qui ont le bonheur de croire : en voilà assez! Nemo fidelium, etsi multum profecerit, dicat : sufficit mihi, s’écrie saint Augustin. Quoi! Dieu nous aime mille et mille fois plus que nous ne serons jamais capables de l’aimer; sous l’action du Saint-Esprit notre coeur peut s’élargir dans des proportions inconnues pour l’aimer toujours davantage, et nous n’en profiterions pas, dans un effort de reconnaissance, pour rendre, quoique de loin, à Dieu quelque chose de ses bienfaits! Quelle ingratitude ne serait pas la nôtre!

Disons donc avec le Docteur de la charité: [[ Caritas meretur augeri, ut aucta mereatur perfici : la charité mérite d’être augmentée, afin qu’en s’accroissant elle mérite de devenir parfaite ]]. (Saint Augustin). Accroissons-la autant que nous en serons capables; elle ne peut être parfaite que dans le ciel, mais souvenons-nous qu’au ciel même il y a divers degrés de perfection dans la récompense, selon le degré de perfection que l’on aura pu atteindre ici-bas.

Et c’est ainsi que, selon saint Thomas, plus la charité s’accroît, plus elle devient capable de s’accroître. Ainsi la charité ici-bas est parfaite, lorsqu’on aime Dieu non pas autant qu’il est aimable, ce qui est impossible, mais autant que, avec le secours de la grâce, on se rend tous les jours plus capable de l’aimer.

Hélas! elle se refroidit aussi, et c’est ce que le Verbe éternel reproche, dans la primitive Eglise, à cet évêque dont la charité n’était plus la même: [[ Habeo adversum te quod caritatem tuam primam reliquisti; j’ai contre toi que tu es déchu de ta première charité ]]. (Apoc. II,4). Il y a des âmes faibles qui commencent et n’achèvent pas. Craignons pour nous ces fluctuations, et quand nous les sentons venir diminuer les forces de notre âme, hâtons-nous de les repousser.

Si la charité peut être diminuée, elle peut être aussi détruite, et un seul péché mortel suffit à ce malheur.

Gardons-nous donc du péché mortel, et souvenons-nous que Satan a été le plus coupable des êtres; parce que Dieu l’avait fait le plus capable d’aimer. III. — Dieu, objet de la charité

L’objet de la charité, c’est Dieu et le prochain pour l’amour de Dieu. Mais, pour ne parler ici que de Dieu, en qui nous pouvons aimer nos semblables, rappelons-nous que nous devons faire tout pour le posséder.

C’est la pierre précieuse de l’Evangile que l’on ne saurait payer trop cher, vers qui toute notre volonté doit tendre sans cesse; nous n’en jouissons pas ici-bas; mais nous en jouirons dans la patrie, à un inexprimable degré, lorsque nous nous reposerons en Lui; nous nous attacherons à Lui pour lui-même, car, dit saint Augustin : Frui est inhrere alicui propter semetipsum, et Dieu seul a le droit d’exercer sur nous cette exigence, parce que, étant supérieur à tout et même à nous, c’est vers Lui que nous devons tendre, comme la flamme en se consumant tend toujours à s’élever.

C’est dans cette élévation au-dessus de nous-mêmes, pour tendre à Dieu, que s’opère le renouvellement de notre âme. [[ Dilectio, dit saint Augustin, innovat nos ut simus homines novi, hæredes testamenti novi, cantores cantici novi ]]. Ah! soyons des hommes nouveaux par la foi, des héritiers de la nouvelle alliance par l’espérance, des chantres du cantique nouveau par l’amour. Et voyez, en effet, quand je cherche à aimer Dieu, que veux-je, sinon aimer l’amour même:[[ Deus caritas est: Dieu est charité ]]. C’est la troisième personne de l’adorable Trinité qui vient en moi pour m’unir à la Trinité tout entière. Dans quel océan d’amour suis-je donc invité à me plonger, lorsqu’on me propose de m’attacher à Dieu seul! La charité implique une réciprocité mutuelle; cependant, dit saint Thomas, à proprement parler, elle consiste plus à aimer qu’à être aimé, mais quand Dieu, dans son amour qui a commencé, m’invite à l’aimer à mon tour, que ne dois-je pas faire pour lui apporter les transports de la tendresse la plus ardente?

Quand donc aimerai-je comme il convient cette Bonté, cette Beauté, cette Perfection infinie? Quand m’attacherai-je à elle seule? Quand voudrai-je ne jouir que d’elle?

Mais comme en Dieu tout doit être aimé, je dois m’efforcer de le connaître, autant qu’il est permis ici-bas, selon tout ce qu’il est.

Quels horizons nouveaux s’ouvrent devant l’âme qui veut une bonne fois entrer dans cette voie de l’amour! Quelle misère que de s’y arrêter, que d’y reculer! O Seigneur, ne permettez pas qu’il en soit ainsi pour moi! Faites au contraire que mon amour, toujours plus ardent, me rapproche toujours de vous jusqu’à mon dernier soupir, m’unisse pour toujours à vous pendant l’éternité.

[[ La raison d’aimer Dieu, c’est Dieu lui-même, et la mesure de l’amour, c’est de l’aimer sans mesure; Causa diligendi Deum Deus est, modus sine modo diligere: ]] (Saint Bernard).

Notes et post-scriptum