MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS, Méditations

Informations générales
  • ES-0427
  • MEDITATIONS
  • QUINZIEME MEDITATION L'ORAISON (Version française (1))
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS, Méditations
Informations détaillées
  • 1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 AFFECTIONS DESORDONNEES
    1 AFFRANCHISSEMENT SPIRITUEL
    1 AMITIE
    1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR DIVIN
    1 ANGES
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 AUGUSTIN
    1 AUTORITE DIVINE
    1 BIEN SUPREME
    1 BONHEUR
    1 CHARITE DE JESUS-CHRIST
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CONCUPISCENCE DE LA CHAIR
    1 CONCUPISCENCE DES YEUX
    1 CONTRITION
    1 CORPS
    1 CREATEUR
    1 CREATURES
    1 DESSEIN DE SALUT DE DIEU
    1 DETACHEMENT
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 EFFORT
    1 ENFER
    1 EPREUVES
    1 ETERNITE DE DIEU
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 HUMILITE FONDEMENT DE VIE SPIRITUELLE
    1 ILLUSIONS
    1 IMMOLATION DE LA CHAIR
    1 INCONSTANCE
    1 INTELLIGENCE
    1 JOUISSANCE DE DIEU
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LOUANGE
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 ORAISON
    1 ORGUEIL
    1 PAIX DE L'AME
    1 PATIENCE
    1 PERE SOURCE DE LA FOI
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 PERFECTIONS DIVINES DE JESUS-CHRIST
    1 PERSEVERANCE
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 PREDESTINATION
    1 PRESOMPTION ENVERS DIEU
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PROVIDENCE
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 PUISSANCES DE L'AME
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 REPOS SPIRITUEL
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SAINT-ESPRIT SOURCE DE LA CHARITE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 SPIRITUALITE TRINITAIRE
    1 TRINITE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VERITE
    1 VIE CONTEMPLATIVE
    2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT
La lettre

L’oraison est l’effort pour posséder Dieu ici-bas, autant que nous en sommes capables, avec les voiles de la foi.

Le moyen de posséder Dieu, c’est la pureté du coeur, c’est- à-dire la destruction du péché, l’acquisition de la vertu, de la sainteté qui est l’ensemble des vertus. L’oraison nous donne ce moyen en nous détachant des créatures.

Le terme de l’oraison est la préparation au ciel, où nous serons éternellement unis à l’adorable Trinité.

Examinons ces trois propositions.

l. — L’oraison est l’effort pour s’unir à Dieu ici-bas

Mais comment s’unir à Celui que rien ne peut contenir? [[ An ubique totus es, et res nulla te totum capit? N’êtes-vous pas tout entier partout, s’écrie saint Augustin, et nulle part contenu tout entier? ]] Et poursuivant son idée: [[ Qu’êtes-vous donc, mon Dieu, qu’êtes-vous? Quid es ergo, Deus meus?]]

IV. – [[ Qu’êtes-vous donc, mon Dieu? Qu’êtes-vous, je le demande, sinon le Seigneur Dieu? ]] [[ Qui est seigneur en dehors du Seigneur? Ou qui est dieu en dehors de notre Dieu? ]]

[[ O très haut, très bon, très puissant, très omnipotent, très miséricordieux et très juste, très caché et très présent, très beau et très fort, stable et impossible à saisir, immuable et changeant tout, jamais nouveau, jamais ancien, renouvelant tout,

[[amenant à leur insu les orgueilleux à la décrépitude]]; toujours actif, toujours en repos ; amassant sans avoir besoin de rien ; portant, remplissant, protégeant, créant et nourrissant, parachevant, cherchant, bien que rien ne vous manque! Vous aimez, mais sans emportement; votre jalousie est sans inquiétude, votre repentir sans douleur; votre colère reste paisible ; vous modifiez vos oeuvres, non vos desseins. Vous recouvrez ce que vous trouvez sans l’avoir perdu; vous n’êtes jamais pauvre et vous aimez le gain; jamais avare et vous exigez des usures.On vous donne plus qu’on ne vous doit, afin que vous deveniez débiteur. Et qui, pourtant, possède quelque chose qui ne soit à vous? Vous payez vos dettes sans devoir à personne; vous les remettez sans en rien perdre.

[[ Et qu’avons-nous dit, mon Dieu, ma vie, ma sainte douceur, que peut-on dire, quand c’est de vous qu’on parle? Et pourtant malheur à ceux qui taisent sur vous, car leur parlage n’est alors que mutisme!

V. — [[ Qui me donnera de me reposer en vous ? Qui me donnera de vous voir entrer dans mon coeur pour l’enivrer, pour que j’oublie mes maux et que je vous étreigne, vous, mon unique bien?

[[ Qu’êtes-vous pour moi? Ayez pitié de moi, que je puisse parler. Mais que suis-je moi-même à vos yeux, pour que vous me commandiez de vous aimer, et, qu’à défaut de cet amour, vous vous irritiez contre moi et me menaciez de terribles misères? N’est-ce donc déjà qu’une médiocre misère de ne vous aimer point? Ah! dites-moi dans votre miséricorde, Seigneur mon Dieu, ce que vous êtes pour moi. Dites à mon âme : [[ C’est moi qui suis ton salut ]]. Dites cela, que je l’entende. Voici que l’oreille de mon coeur est devant vous, Seigneur. Ouvrez-la et dites à mon âme : [[ C’est moi qui suis ton salut ]]. Je veux courir après cette voix et vous saisir enfin. Ne me dérobez pas votre face; que je meure — pour ne pas mourir — mais que je la voie.

[[ Trop étroit est l’habitacle de mon âme pour que vous y puissiez entrer : élargissez-le. Il est tout délabré : réparez-le. Certaines choses y pourraient choquer vos yeux: je l’avoue, je le sais. Mais qui le purifiera? A qui, si ce n’est a vous, crierai-je : [[ Purifiez-moi, Seigneur, de mes défauts cachés, épargnez à votre serviteur ceux dont l’occasion lui viendrait d’autrui. Je crois, et c’est aussi pourquoi je parle]]. Seigneur, vous le savez. Ne vous ai-je pas, contre moi-même, raconté mes péchés, et n’avez-vous pas [[ amnistié l’impiété de mon coeur? Je ne conteste pas en jugement avec vous ]], qui êtes la vérité; et pour moi, je ne veux pas me tromper moi même [[ de peur que mon iniquité ne mente contre elle même ]]. Non, je ne conteste pas en jugement avec vous, car, [[ si vous observez de près nos iniquités, Seigneur, Seigneur, qui pourra soutenir l’épreuve? ]] (Traduction de P. de Labriolle).

Quel langage et quelles ardeurs! Saint Augustin est consumé du désir de s’unir à Dieu et il sent combien son infirmité l’en éloigne; pourtant, il voit bien ce qu’il a à faire et, n’en doutez pas, il le fera; il tendra vers Dieu avec une ardeur incessante. Ah! il sait bien que Dieu est le Bien suprême, celui à qui seul il est bon de s’attacher; il sait que la foi seule peut le conduire à Dieu ici-bas, et sa foi s’embrase en quelque sorte par un immense amour pour celui qu’il ne voit pas encore, mais à qui il veut adhérer par le plus intime de son être.

Cependant cet effort veut être humble, et chaque page des écrits de saint Augustin nous montre le sentiment profond de sa misère, la conviction qu’il ne peut rien sans Dieu. Mais le chrétien qui veut arriver à l’oraison ne doit pas se contenter d’un effort passager; il faut une constance qui triomphe de tous les obstacles, que les difficultés viennent de notre nature corrompue, de la tentation, des créatures, des séductions de l’esprit de ténèbres. Commencer et s’arrêter, c’est ne rien faire, il faut poursuivre. Nous marchons encore dans le pays de l’épreuve, dans les lueurs de la foi, non pas que la foi ne soit très certaine, mais la pleine intelligence des choses de la foi n’est pas de ce monde; il faut attendre l’heure de Dieu, et l’attendre dans une grande patience.

II. — Moyen de s’élever à Dieu par l’oraison

Il est impossible à l’âme de s’élever vers Dieu dans l’oraison, si elle ne se sépare pas des créatures. Ecoutons encore saint Augustin : [[ O dementiam homines humaniter nescientem diligere! O démence qui ne sait point aimer les hommes selon l’homme!]]

IX. — [[ C’est cela qu’on aime dans les amis, et on l’aime à ce point que notre conscience se sent coupable, quand on n’aime pas qui vous aime et qu’on ne rend pas amour pour amour, sans rien demander à l’être aimé que les gages de son affection. De là ce deuil à la mort d’un ami, ces ténèbres de douleurs, cette douceur qui se change en amertume pour le coeur tout noyé de larmes, et la perte de la vie de ceux qui meurent devenant la mort de ceux qui survivent.

[[ Heureux celui qui vous aime, qui aime son ami en vous et son ennemi pour l’amour de vous! Celui-là seul ne perd aucun être cher, à qui tous sont chers en Celui qu’on ne peut perdre. Et qui est celui-là, sinon notre Dieu qui a créé le ciel et la terre, et qui les remplit parce qu’il les a créés en les remplissant. Pour vous perdre, il faut vous abandonner, et celui qui vous abandonne, où va-t-il, où fuit-il, sinon de votre bienveillance vers votre colère? Car où ne rencontre-t-il pas dans son châtiment votre loi? Or votre loi, c’est la vérité, et la vérité, c’est vous.

X. — [[ Dieu des vertus, [[ tournez-nous vers vous, montrez-nous votre face et nous serons sauvés. ]] Oui, de quelque côté que s’oriente l’âme de l’homme, c’est pour sa douleur qu’elle se fixe partout ailleurs qu’en vous, se fixât-elle sur les plus belles choses en dehors de vous, en dehors de soi. Encore ces belles choses elles mêmes n’existeraient-elles pas, si elles ne procédaient de vous. Elles naissent et elles meurent; en naissant elles commencent d’être, pour ainsi dire; elles croissent pour arriver à leur perfection, et une fois cette perfection atteinte, elles vieillissent et meurent. Tout n’arrive pas à la vieillesse, mais tout arrive à la mort. Donc lorsqu’elles naissent et s’efforcent vers l’être, plus rapidement elles croissent pour être, plus vite elles se précipitent vers le non-être. Telle est leur condition; voilà tout le rôle que vous leur avez assigné, parce qu’elles sont les parties de choses qui ne coexistent jamais simultanément et qui, par les vicissitudes de leur disparition et de leur apparition, composent le tout dont elles sont les parties. C’est pareillement que se déroule jusqu’au bout notre conversation, grâce à une suite de mots articulés. Elle n’arriverait pas à se formuler tout entière, si chaque mot, une fois son office sonore rempli, ne s’évanouissait pour céder la place à un autre mot.

[[ Que mon âme vous loue pour ces beautés, O^ Dieu, créateur de l’univers, mais qu’elle ne s’y laisse point prendre à la glu d’un amour tout sensuel! Car elles vont où elles allaient pour cesser d’être, et elles déchirent l’âme de désirs pestilentiels, parce qu’elle-même veut être et aime à se reposer dans les choses qu’elle aime. Or, dans ces choses, elle ne trouve pas où se reposer, elles n’ont point de stabilité, elles sont dans un flux perpétuel; qui peut les atteindre avec le sens de la chair? Qui peut mettre sur elles son emprise, même quand elles sont là présentes? C’est qu’il est lent, le sens de la chair, justement parce qu’il est le sens de la chair; il est limité par son caractère propre. Il suffit à autre chose, pour quoi il est fait; il ne suffit pas à retenir les choses qui passent si vite, du commencement qui leur est assigné à la fin qui leur est assignée. Car en votre verbe qui les a créées, elles entendent ce décret: [[ D’ici, jusque là ]].

XI. – [[ Ne sois pas vaine, ô mon âme, ne laisse pas l’oreille de ton coeur s’assourdir au tumulte de ta vanité. Ecoute, toi aussi: le Verbe lui-même te crie de revenir; le lieu du repos que rien ne saurait troubler est là où l’amour ne souffre pas d’abandon, s’il n’abandonne lui-même. Vois, ces choses s’en vont pour faire place à d’autres, et pour que, de toutes ses parties, se forme le tout, si chétif soit-il: [[ Et moi, est-ce que je m’en vais ailleurs? ]] demande le Verbe de Dieu. Fixe en lui ta demeure; confie-lui tout ce que tu tiens de lui, O^ mon âme, pour le moins fatiguée de déceptions. Confie à la Vérité tout ce que tu tiens de la vérité, tu ne perdras rien. Ce qu’il y a en toi de corrompu reprendra sa fraîcheur, toutes tes langueurs seront guéries, tes éléments périssables seront restaurés, rénovés, étroitement unis à toi; ils ne t’entraîneront plus là où ils descendent eux-mêmes; ils resteront avec toi d’une façon permanente, auprès du Dieu éternellement stable et permanent.

[[ Pourquoi, hors de la droite voie, suis-tu ta propre chair? Fais volte-face, que ce soit ta chair qui te suive! Tout ce que tu sens par son intermédiaire n’est qu’élément partiel; le tout auquel ces parties se rattachent, tu ne le connais pas, et ce sont elles qui te charment pourtant. Mais si le sens de ta chair était capable d’embrasser le tout; si, pour ton châtiment, il n’avait pas été strictement limité à une partie seulement du tout, tu souhaiterais que passât tout ce qui existe dans le présent, pour mieux goûter l’ensemble. Les mots que nous articulons, c’est avec ce même sens de la chair que tu les entends, et, naturellement, tu ne veux pas que les syllabes restent en plan, mais qu’elles s’enfuient bien vite pour laisser la place à d’autres, de telle façon que tu entendes l’ensemble. Il en va toujours de même des parties qui conspirent à former un tout, sans qu’il y ait simultanéité dans l’être de ces parties, dont le tout est formé: le tout charme davantage que chaque partie considérée séparément, quand on peut le percevoir en sa totalité. Mais bien meilleur que tout cela est Celui qui a tout créé, et c’est notre Dieu, et il ne passe pas, car rien ne lui succède.

III. — Le terme est l’union à la Trinité

Le terme est l’union à la Trinité dans le ciel : [[ Vita contemplativa calcatis curis omnibus ad videndam faciem sui Creatoris inardescit; la vie contemplative, dit saint Grégoire, après avoir foulé aux pieds tous les appétits terrestres, s’embrase d’un ardent désir de voir le visage de son divin Créateur ]]. Tel est le terme de l’oraison. C’est, en quelque sorte, le noviciat du ciel. Ici l’effort, là-haut la jouissance.

XII. – [[ Si les corps te plaisent, mon âme, loue Dieu à leur propos, fais remonter ton amour jusqu’à Celui qui en est l’artisan, de peur de lui déplaire dans les choses qui te plaisent. ]] (Traduction de P. de Labriolle.)

XII. [[ Chercher Dieu, c’est donc désirer le bonheur; trouver Dieu, c’est le bonheur même. Nous cherchons Dieu en l’aimant, et nous le trouvons en devenant non pas absolument tels qu’il est, mais semblables à lui, le saisissant selon un mode extraordinaire et intellectuel, pénétrés entièrement et enveloppés de sa vérité et de sa sainteté. Car il est la lumière même, et il nous est donné d’être illuminés par elle. Donc ce qui conduit à la vie heureuse, c’est [[ le plus grand, le premier commandement : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, et de toute ton âme, et de tout ton esprit. En effet, pour ceux qui aiment Dieu tout tourne à bien ]] (Deut. VI, 5; Matth. XXII, 37; Rom. VIII, 28). C’est pourquoi Paul ajoute un peu plus loin : [[ Je suis certain que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni la vertu, ni le présent, ni le futur, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de la charité de Dieu, qui est dans le Christ Jésus Notre Seigneur ]] (Rom. VIII, 38-39).

[[ Si donc pour ceux qui aiment Dieu toutes choses tournent à bien, personne ne doute qu’on doive non seule ment aimer le souverain bien, qu’on appelle aussi le bien par excellence, mais encore l’aimer de telle sorte que nous ne devions rien aimer davantage, ce que signifient et expriment les paroles énoncées : [[ de toute son âme, et de tout son coeur, et de tout son esprit]]. Ces choses établies et très fermement crues, qui mettra en doute, je le demande, qu’il n’y ait pour nous rien d’excellent que Dieu, et que nous devions nous hâter de l’atteindre avant tout le reste? De plus, si rien ne nous sépare de sa charité, que peut-il y avoir non seulement de meilleur mais de plus sûr que ce bien?

[[ Mais examinons brièvement chaque parole de l’Apôtre. Personne ne nous sépare de Dieu en nous menaçant de la mort. En effet, ce par quoi nous aimons Dieu ne peut mourir qu’en n’aimant pas Dieu, puisque la mort réelle est de ne pas aimer Dieu, ce qui n’est rien d’autre que d’aimer et de suivre quelque chose de préférence à Dieu. Personne ne nous sépare de lui en nous promettant la vie. Car personne ne sépare de la source en promettant l’eau. Aucun ange ne nous sépare de lui: car il n’y a pas d’ange plus puissant que notre esprit, quand nous adhérons à Dieu.

[[ La vertu ne nous sépare pas de lui: car si la vertu ici nommée est celle qui a une certaine puissance en ce monde, l’esprit qui adhère à Dieu est absolument supérieur au monde tout entier. Si la vertu en question est l’affection parfaitement droite de notre âme, de deux choses l’une : elle est en un autre et elle nous aide à nous unir à Dieu; elle est en nous et elle nous unit à lui.

[[ Les afflictions présentes ne nous séparent pas de lui. En effet, nous les trouvons plus légères par le fait que nous sommes plus étroitement unis à celui dont elles s’efforcent de nous séparer. La promesse des biens à venir ne nous sépare pas de lui, car c’est Dieu qui promet avec le plus de certitude toute espèce de bien futur; et il n’y a rien de meilleur que Dieu lui-même, déjà présent sans nul doute à ceux qui lui sont fermement attachés.

[[ La hauteur ni la profondeur ne nous séparent de lui. Car si ces paroles signifient peut-être la hauteur ou la profondeur de la science, je ne serai pas curieux, de peur d’être séparé de Dieu. Et aucune doctrine ne me sépare de lui, comme pour m’arracher à l’erreur, puisque personne n’erre qu’en se séparant de lui. Mais si par la hauteur et la profondeur on entend le haut et le bas de ce monde, qui pourrait me promettre le ciel pour me séparer du créateur du ciel? Ou quel enfer me terroriserait pour que j’abandonne Dieu, puisque, si je ne l’avais jamais abandonné, Je ne connaîtrais pas l’enfer? Enfin, quel lieu pourrait me séparer de la charité de celui qui ne serait pas partout tout entier, s’il était contenu en un lieu?

XII –! [[ Nulle autre créature ne nous sépare de lui ]], dit l’Apôtre. O homme des plus profonds mystères ! Il ne s’est pas contenté de dire : une créature; mais il dit : aucune autre créature, nous avertissant que cela même par quoi nous aimons Dieu et par quoi nous adhérons à Dieu, entendons l’âme et l’esprit, est une créature. Cette autre créature est donc le corps : et si l’âme est quelque chose d’intelligible, c’est- à-dire qui n’est connu que par l’intelligence, l’autre créature comprend tout ce qui est sensible, c’est-à-dire ce qui donne une espèce de connaissance de soi par les yeux, ou les oreilles, ou l’odorat, ou le goût, ou le toucher. Et il est nécessaire que cela soit de moindre valeur que ce qui est saisi par la seule intelligence.

[[ Dieu pouvant donc être connu des âmes dignes uniquement par l’intelligence, quoique cependant il soit un esprit supérieur à l’esprit qui le saisit, en tant qu’il en est le créateur et le pourvoyeur, il était à craindre que l’esprit humain, du fait d’être au rang des êtres invisibles et intelligibles, ne se crût de la même nature que son Créateur et qu’il ne s’éloignât ainsi par orgueil de celui à qui il doit être lié par la charité. Il devient en effet semblable à Dieu, autant que cela lui a été donné, lorsqu’il se soumet à Dieu pour être éclairé par lui et illuminé. Et s’il approche de Dieu autant que cela est possible par cette soumission, qui le fait semblable à Dieu, il s’éloigne nécessairement de lui par l’audace de vouloir lui être plus semblable encore. Audace qui le détourne d’obéir aux lois de Dieu, en lui donnant le désir d’être maître de soi, comme Dieu.

[[ Plus donc l’esprit s’éloigne de Dieu, non par la distance, mais par l’affection et la cupidité, pour aller à des choses inférieures à Dieu, plus il s’emplit de sottise et de misère. En conséquence, il retourne à Dieu par la dilection, qui le pousse non à s’égaler à Dieu, mais à se soumettre à lui. Plus il y mettra d’ardeur et d’application, plus il sera heureux et élevé, et sous la seule domination de Dieu il sera parfaitement libre. C’est pourquoi l’esprit doit savoir qu’il est une créature. Il doit en effet croire en son Créateur tel qu’il est, subsistant toujours avec la nature inviolable et immuable de la vérité et de la sagesse. Mais il doit confesser que lui-même peut être la proie de la sottise et de l’illusion, engendrées par les erreurs mêmes dont il désire se dépouiller. Il doit encore prendre garde de n’être pas séparé de la charité divine, qui le sanctifie pour qu’il demeure pleinement heureux, par l’amour d’une autre créature, c’est-à-dire de ce monde sensible. Ainsi une autre créature, puisque nous aussi nous sommes créatures, ne nous sépare pas de la charité divine, qui est dans le Christ Jésus Notre Seigneur.

XIII. – [[ Que le même Paul nous dise qui est ce Christ Jésus Notre-Seigneur. [[ Aux appelés, dit-il, nous prêchons le Christ, Vertu de Dieu et Sagesse de Dieu ]] (I Cor. 1, 2324). Quoi! Le Christ ne dit-il pas lui-même : [[ Je suis la Vérité ]]? Si donc nous cherchons ce que c’est que bien vivre, à savoir tendre au bonheur en vivant bien, ce sera certainement aimer la Vertu, aimer la Sagesse, aimer la Vérité, et aimer de tout notre coeur, et de toute notre âme, et de tout notre esprit, la Vertu qui est inviolable et invaincue, la Sagesse à laquelle ne succède pas la folie, la Vérité qui ne sait être modifiée ni se montrer autrement qu’elle n’est depuis toujours. C’est par elle que le Père lui-même est vu. Il a été dit en effet: [[ Personne ne vient au Père que par moi ]]. (Jean, XIV, 6). Nous adhérons à elle par la sanctification. Car sanctifiés, nous brûlons d’une charité pleine et intégrale qui seule fait que nous ne nous détournions pas de Dieu et que nous nous conformions à lui plutôt qu’à ce monde. [[ Il nous a prédestinés, comme le dit le même Apôtre, à devenir conformes à l’image de son Fils ]] (Rom., VIII, 29).

[[ C’est donc par la charité que nous devenons conformes à Dieu et que, conformes et semblables à lui et séparés de ce monde, nous ne sommes plus confondus avec les choses qui nous doivent être soumises. Or cela est l’oeuvre du Saint-Esprit. [[ L’espérance, dit l’Apôtre, ne confond pas, parce que la charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné ]] (Rom. V, 5). Mais nous ne pourrions d’aucune façon être renouvelés dans l’intégrité par le Saint-Esprit, si lui-même ne conservait pas toujours et l’intégrité et l’immutabilité. Ce qu’assurément il ne pouvait pas, s’il n’était de la nature de Dieu et de la propre substance de Celui à qui seul appartient éternellement l’incommutabilité et, pour ainsi dire, l’irréversibilité. Ce n’est pas moi, c’est le même Paul qui crie : [[ La créature a été assujettie à la vanité ]] (Rom. VIII, 20). Mais ce qui est assujetti à la vanité ne peut nous séparer de la vanité ni nous attacher à la vérité. Ceci nous est donné par l’Esprit-Saint. Il n’est donc pas une créature: car tout ce qui est, ou bien est Dieu, ou bien est créature.

XIV. – [[ Ainsi nous devons aimer Dieu, unité trine, Père et Fils et Esprit-Saint, de qui je ne dirai rien d’autre sinon qu’il est l’être même. En effet, Dieu est véritablement et souverainement; [[ de lui, par lui, en lui sont toutes choses ]] (Rom. XI, 36). Ces paroles sont de Paul. Qu’ajoute-t-il ensuite? [[ A lui la gloire ]]. En toute et parfaite vérité. Car il ne dit pas : à eux, puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu. Mais que signifie : à lui la gloire, sinon la renommée la plus excellente et la plus haute et la plus étendue? En effet, mieux et plus on le fait connaître, mieux on l’aime et plus ardemment on le chérit. Quand cela est, le genre humain ne peut qu’avancer d’un pas certain et constant vers la vie parfaite et bienheureuse.

[[ Lorsqu’il est question des moeurs et de la vie, je ne pense pas qu’il faille chercher davantage ce qu’est le souverain bien de l’homme, auquel tout doit être rapporté. Car il a été montré, et par la raison, autant que nous en avons été capable, et par cette autorité divine qui surpasse notre raison, que ce n’est pas autre chose que Dieu même. Quel peut être, en effet, le meilleur bien de l’homme, sinon celui dont la possession le rend parfaitement heureux? Ce bien est Dieu seul, à qui il est certain que nous ne pouvons être attachés que par la dilection, l’amour, la charité ]]. (Traduction de B. Roland-Gosselin).

Notes et post-scriptum
(1) Dans son manuscrit, le P. d'Alzon avait simplement fait copier les citations latines de saint Augustin (édition des Bénédictins). On a conservé ce texte latin dans la fiche précédente et on a introduit ici la version française empruntées aux traductions de P. de Labriolle et de B. Roland Gosselin.