MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0472
  • MEDITATIONS
  • DIX-NEUVIEME MEDITATION L'ENSEIGNEMENT
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE LA VERITE A L'ASSOMPTION
    1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 APOSTOLAT DES RELIGIEUX
    1 AUGUSTIN
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CORPS ENSEIGNANT
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 EDUCATION EN FAMILLE
    1 ELEVES
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ESPRIT DE FOI A L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT FAUX
    1 IDEES DU MONDE
    1 INSTRUCTION RELIGIEUSE
    1 LAICISME
    1 LECTURE DE LA VIE DES SAINTS
    1 MAGISTERE
    1 MAITRES
    1 MISSION DES LAICS
    1 MORALE INDEPENDANTE
    1 PAPE DOCTEUR
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 PERSEVERANCE
    1 PUBLICATIONS
    1 RESPECT
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 VACANCES
    2 CICERON
    2 CLAUDE, EMPEREUR
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 JEROME, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 VIRGILE
La lettre

[[Euntes ergo, docete omnes gentes; Allez donc, enseignez toutes les nations.]] (Matth. XXVIII, 19).

Lorsque Jésus-Christ dit à ses apôtres: Euntes docete, allez et enseignez, il le dit aussi à leurs successeurs, et dans leur personne à tous ceux que les évêques prendraient pour auxiliaires, prêtres, religieux, pieux laïques, de telle façon que, l’enseignement chrétien appartenant à l’épiscopat, il fût confié sous la responsabilité des pontifes, à tous ceux que les évêques en jugeraient capables.

L’unité de l’enseignement se fait dans les diocèses sous l’inspection des évêques, comme l’unité de l’enseignement se fait dans l’Eglise par les évêques, sous la juridiction du Pape; l’Eglise est une dans sa doctrine parce qu’elle a un Docteur universel, et, à travers les peuples, des docteurs qui se soumettent au Chef suprême des docteurs.

Je ne veux pas prendre la question de l’enseignement par ce côté si élevé; je descends au contraire dans les derniers rangs de ceux qui enseignent, je prends les religieux voués à enseigner, et je pose ces trois questions :

l° Que doivent-ils désapprendre?

2° Que doivent-ils enseigner?

3° Comment doivent-ils enseigner?

I. — Que doivent-ils désapprendre aux enfants ?

L’enseignement est comme la culture d’un jardin. Avant de semer les bonnes graines, il importe d’arracher du sol les mauvaises herbes. Et aujourd’hui l’ivraie est répandue à telle profusion, qu’on frémit du travail à faire pour l’extirper entièrement des jeunes âmes en qui l’on veut semer la vérité.

Que faut-il donc commencer par désapprendre aux enfants confiés à notre enseignement?

Examinez les familles et rendez-vous compte, si vous le pouvez, de toutes les idées fausses émises au foyer domestique. Quels ne sont pas les débris d’idées voltairiennes chez un père élevé dans l’Université, même s’il n’a pas tiré les conséquences que l’on n’a pas osé émettre devant lui, et quand il n’est pas entièrement libre-penseur. La mère est pieuse peut-être, mais quelle influence peut-elle avoir? Et si elle en a eu assez pour faire mettre son fils dans une maison chrétienne, tenez pour sûr qu’on se hâtera d’émanciper le fils du joug clérical, par l’affirmation des théories les plus décevantes et les plus dangereuses, pendant les vacances. C’est alors que, dans les jours de divertissement, le père détruit tous les efforts des maîtres pour planter la foi dans des âmes encore pures, et grâce au penchant antichrétien, il ne réussit que trop souvent! Que si la mère est faible, quelle action préservatrice peut-elle avoir? Et comme tout ce qu’elle peut dire est pris par le fils en sens inverse!

Il faut désapprendre les idées des livres et des journaux. Que d’enfants perdus par la lecture de livres trouvés par eux dans la bibliothèque du père de famille, et par les romans dont la mère sature son imagination et ses sens! On sait ce que sont certains livres aujourd’hui. Combien il faut réagir sans cesse contre ces productions impures qui font perdre la foi, parce qu’elles ont détruit l’innocence! Quant aux journaux, on sait le mal qu’ils font, et combien c’est aux plus ignorants surtout qu’ils s’adressent pour exciter leur curiosité. Hélas! comme la lecture des romans pieux a préparé la lecture des mauvais romans, et comme la lecture de certains journaux, qu’on a l’intention de rendre amusants, dispose à la lecture des journaux empoisonnés !

On ne se fait pas une idée du mal causé par les livres et les journaux qui, sous prétexte d’être bons à tout le monde, ne parlent jamais de Dieu et de Notre-Seigneur, de la Sainte Vierge, des Saints, en un mot, de tout ce qui peuple d’une façon chrétienne l’imagination des enfants. On écarte avec soin ces pensées, ces tableaux, et l’enfant est disposé à croire que l’on peut vivre en étant seulement honnête.

Quels efforts ne faut-il pas faire pour aider un enfant qui passe d’une maison peu chrétienne dans une autre qui fait profession de l’être entièrement! Quels efforts pour lui ôter les idées indépendantes, impures, sceptiques, qu’il a eu le temps de recevoir, et quelles absurdités, pour ne pas dire quels blasphèmes, ne faut-il pas s’attendre à lui entendre prononcer? Il faut au moins lui imposer le silence auprès de ses camarades, si l’on a quelque espoir de le ramener à d’autres dispositions; mais si l’espérance en est vite perdue, il est urgent de le rendre au plus tôt à ceux qui ont si mal présidé à ses premières années et l’ont laissé ainsi se perdre dès le réveil de sa raison. Maintenant, il faut l’avouer, l’air est comme empesté; l’atmosphère morale est aussi malade que certains médecins accusent l’atmosphère physique de l’être, d’où il résulte que bien des idées malsaines arrivent aux enfants, sans que la surveillance la plus précautionneuse puisse s’en apercevoir.

Enfermer ces pauvres enfants dans une boîte de coton est bien difficile. Que faire? Fortifier le tempérament intellectuel. Je vais m’occuper de vous en indiquer les moyens.

II. — Ce qu’il faut enseigner

Avant toutes choses, la vérité catholique tout entière avec toute sa majesté, son immensité, si j’ose dire, ses horizons infinis, son affirmation puissante des droits du Dieu tout-puissant, l’explication des mystères, grandissant à mesure que les petites intelligences auxquelles on s’adresse grandissent.

La doctrine catholique est une. Il est nécessaire de faire sentir cette unité, soit dans sa base qui est la vérité première, la parole de Dieu, soit dans l’ensemble de ses dogmes, qui viennent se résumer, pour ce qu’il faut croire, en ce grand fait de l’unité de Dieu dans la distinction des personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit: le Père créateur, le Fils rédempteur, le Saint-Esprit sanctificateur; comme tout ce qu’il faut faire se réduit à trois vertus: la foi, l’espérance et la charité, la charité après tout étant, comme dit saint Augustin, la vie des deux autres.

Il faut enseigner ces grandes vérités et celles qui en découlent : la puissance de Dieu et son autorité sur nous, son droit de nous récompenser et de nous punir. On trouve plus tolérant de moins parler de 1’enfer. Quelle faiblesse! Et que d’âmes ont besoin d’être effrayées par la menace des jugements éternels!

Il faut enseigner la vérité catholique avec des exemples. Que l’on a tort de ne plus parler des saints, de ne plus raconter leur vie, leurs pénitences, leur zèle, leur amour pour Dieu et pour les âmes! Il est extrêmement important de revenir sur les grands faits de nos aïeux, car l’Eglise a ses annales; elle a sa gloire, qui consiste dans les triomphes de ses enfants, dans sa guerre contre le monde.

Rien n’excite à faire de même que les saints, comme de connaître leur vie; rien n’est magnifique comme la contemplation de toutes leurs vertus. On est encouragé, on se dit comme saint Augustin : [[ Tu non poteris quod isti, quod istae? ne peux-tu pas ce qu’ont pu ceux-ci et celles-là? ]] Excellent moyen de ramener l’enfant qui a besoin de conversion, que de lui montrer ce que peut un serviteur de Dieu embrasé de bonne volonté.

Or, pour enseigner la religion d’une manière fructueuse, l’enseignement doit prendre deux formes: il doit être direct et indirect en même temps.

Il doit être direct, c’est-à-dire qu’il faut lui consacrer certaines heures où les élèves soient obligés à faire de véritables devoirs; ce sont les cours d’instruction religieuse qui ne sauraient être trop bien préparés. Grave responsabilité pour le maître, qui prépare d’une manière insuffisante l’aliment qu’il doit fournir. Hélas! en combien de circonstances la négligence de cette préparation ne donne-t-elle pas le droit de répéter les paroles de Jérémie : [[ Parvuli petierunt panem et non erat qui frangeret eis; les enfants ont demandé du pain et il n’y avait personne pour le leur rompre ]]. (Jér. IV, 4).

L’enseignement doit être indirect. Je m’explique : on ne peut pas faire de toutes les classes un cours d’enseignement religieux, mais on peut, dans toutes les classes, faire venir quelque considération chrétienne; voilà ce qu’il faut enseigner et ce qui, de la part des maîtres, exige la plus attentive préparation.

Cet enseignement indirect poursuit partout les âmes, les forme ou les redresse à tous les instants, leur présente Dieu partout, son action, sa loi, sa justice à côté de sa miséricorde; mais qu’il faut d’obstination chrétienne pour continuer cette prédication! Il faut enseigner la sainteté, le repentir de ses fautes, les excuses quand elles sont dues, les prévenances telles que saint Paul les demande. Tout veut être enseigné. Et il faut l’enseigner constamment, car pour peu que votre enseignement se relâche, vous serez surpris de voir comme tout l’édifice, préparé par vous à grand-peine, croulera.

Dirai-je que cette constance doit être universelle? Hélas! que de maîtres qui semblent s’appliquer, par légèreté, par opposition, par dédain, à détruire l’action de leurs confrères! Que cela malheureusement se rencontre souvent! Et comme ces maîtres, bien coupables, semblent trouver leur joie à renverser ce qui a été édifié! Que j’en ai connu, et que leur passage dans des établissements chrétiens a été funeste à tous : aux maîtres dont ils paralysaient l’action, aux élèves chez qui ils semblaient prendre plaisir à réduire une foi naissante aux débris de la leur, ce qui est dire bien peu!

III. — Comment faut-il enseigner ?

Quelques conditions sont indispensables. Il faut enseigner avec respect. Malheur au maître qui fait de son enseignement une mauvaise plaisanterie ! Non pas que l’on ne puisse mettre dans l’enseignement un certain entrain, une certaine allégresse qui le fasse aimer des élèves; à cet égard, il faut bien distinguer les plaisanteries irrespectueuses d’un trait ménagé pour donner un peu plus de vie à la parole du maître.

Il faut avoir non moins de respect pour les élèves, en ne leur imposant pas des idées absurdes sous prétexte que ce sont des mystères. Il importe d’imposer la foi là où l’Eglise la commande; il est très bon d’aller même aussi loin que ce qu’elle désire, mais il est indispensable de laisser la liberté là où elle n’a pas prétendu imposer un joug. Cette liberté, laissée dans certaines questions, prédispose à une obéissance plus prompte toutes les fois qu’il s’agit d’un sujet majeur. Sans forcer personne à croire, pourquoi ne pas indiquer les solutions que l’Eglise prendra probablement en certaines circonstances, comme lorsqu’il s’est agi de la définition, soit du dogme de l’Immaculée Conception, soit du dogme de l’infaillibilité pontificale? Etait-il si difficile de prévoir les solutions que le Saint-Esprit a données? Evidemment non. On n’était pas encore obligé de faire un acte de foi; mais on pouvait prévoir le moment où l’Eglise l’imposerait.

Il faut enseigner avec conviction. Le maître que les élèves sentent n’être pas convaincu est le plus désolant de tous les maîtres. Les ravages de sa parole sont incalculables; c’est à peu près comme ces maîtres, dont parle Notre-Seigneur, assis sur la chaire de Moïse, prêchant et n’agissant pas selon leur prédication.

Pour eux, enseigner est un métier. Ils sont payé pour dire telle chose, mais peut-être ce qu’ils disent n’est-il pas vrai. On sent le mercenaire et on l’estime comme mercenaire. Hélas! les enfants s’y trompent peu. Ils ont comme un instinct infaillible qui les avertit s’ils ont affaire à un maître croyant ou douteur. J’estime que les maîtres sans conviction doivent être écartés comme de vrais fléaux.

Qu’ils sont différents, ces hommes dont la conviction ressort et éclate par leurs paroles, leurs actes, leur tenue, leur vie tout entière! Comme on les sent préoccupés du dépôt qui leur est confié! C’est le plus riche des trésors, et ils le savent bien, et leurs élèves en sont convaincus autant qu’eux; c’est pourquoi leur jeune intelligence s’épanouit devant la conviction très sincère jaillissant de lèvres sanctifiées par la vérité qui en tombe. Alors l’élève n’a aucune peine à croire ce qu’il voit son maître croire si fortement. Alors l’âme est réellement préparée à recevoir la bonne semence, et si elle ne la reçoit pas, cette semence divine, ce n’est plus la faute du semeur.

Il faut enseigner avec amour. Qu’un maître éprouve cet amour, comme saint Jérôme pour Cicéron, ou comme saint Augustin pour Virgile et les platoniciens, cela se comprend. Saint Jérôme fut flagellé, nous dit-il, par un ange, à cause de son amour pour la belle latinité païenne. Saint Augustin déplora, dans ses Confessions, sa passion pour d’autres livres que les Livres inspirés. Disons qu’il ne faut rien exagérer, que sans doute il y a là à admirer, mais qu’aussi, par les temps présents, il y a des admirations ridicules et qui rendent ridicule.

Mais de là à se passionner pour le Vrai, le Bon, le Beau divin, il y a loin et très loin. Or, il est bien permis de dire qu’il n’y a rien de digne d’amour comme la perfection divine et les manifestations de cette perfection dans les grands actes de Dieu envers ses créatures. Quoi de plus magnifique qu’un Dieu créateur, rédempteur et sanctificateur? Pour quoi donc l’âme s’éprendra-t-elle d’enthousiasme, si des vues pareilles ne l’enthousiasment pas?

Il faut aimer la vérité, les âmes à qui on la communique, les formes inventives sous lesquelles on la communique. Quand les élèves sentiront ces flammes dans le coeur du maître, ils iront s’y réchauffer.

Enfin, il faut enseigner dans l’esprit du divin Précurseur,dans l’esprit des apôtres et celui des martyrs. Il faut être les témoins de la vérité; il faut en respecter le dépôt et prier Dieu que, partout où nous serons les échos de son enseignement, nous ne soyons pas trop indignes d’une si admirable mission.

Tout est là, et l’enfer le sait bien quand il s’efforce de détruire l’enseignement chrétien, et de fermer les écoles ouvertes par l’Eglise. Le mal devient grand; raison de plus pour combattre, pour prêcher, enseigner à temps et à contretemps. Il y aura une époque où la saine doctrine ne pourra être supportée: les esprits amoindris n’en auront plus la force. Erit enim tempus ubi sanam doctrinam non substinebunt. (II Tim. IV, 3).

Pour nous, ne nous décourageons pas. Si les écoles en plein jour nous sont fermées, tenons-nous prêts à aller aux catacombes. La parole de Dieu n’est jamais captive quand on le veut bien. Verbum Dei non est alligatum.

Je me rappelle avoir visité, il y a un peu plus d’un an, la crypte où baptisait saint Pierre. Que c’était étroit! Et pourtant c’est là que fut le berceau de la foi romaine. Combien c’est obscur! Aujourd’hui la vérité est sortie de toutes ces tombes, la lumière de la profondeur de cette nuit; et de ces allées resserrées, où s’entassaient les dépouilles des premiers chrétiens, surtout des affranchis de Claude, sont parties les voies par où la prédication évangélique s’est élancée jusqu’aux extrémités du monde.

Notes et post-scriptum