MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0499
  • MEDITATIONS
  • VINGT-DEUXIEME MEDITATION PAUVRETE
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 AFFRANCHISSEMENT SPIRITUEL
    1 AMOUR DES AISES
    1 AVARICE
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 DECADENCE
    1 DETACHEMENT
    1 EGLISE
    1 ESPERANCE BASE DE LA PAUVRETE
    1 FORTUNE
    1 IDEES DU MONDE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS CHRIST VIE DU RELIGIEUX
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 JOUISSANCE DE DIEU
    1 LIBERTE
    1 PAUVRETE
    1 PAUVRETE DE JESUS-CHRIST
    1 PAUVRETE DE MARIE
    1 PECULE
    1 PRATIQUE DE LA PAUVRETE
    1 RENONCEMENT
    1 REVOLUTION
    1 VERTU DE PAUVRETE
    1 VOEU DE PAUVRETE
    2 DAVID, BIBLE
    2 SAUL, ROI
    3 NAZARETH
La lettre

[[Quaerite primum regnum Dei et justitiam ejus, et haec omnia adjicientur vobis; cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera ajouté.]] (Matth. VI, 33).

Le voeu de pauvreté implique certaines obligations strictes, rigoureuses, fixées nettement par les lois de l’Eglise quand elle approuve les Congrégations religieuses. Je n’ai pas à en parler ici. Ceci est plus particulièrement enseigné au noviciat, dans des entretiens spéciaux, et je ne veux rien en dire en ce moment.

J’ai aujourd’hui un autre but. Je veux traiter des effets de la pauvreté dans l’âme religieuse. J’en indiquerai quatre principaux:

1° L’affranchissement des obligations du monde; 2° La liberté de l’âme; 3° La joie; 4° L’imitation plus parfaite de Notre-Seigneur.

I. — Affranchissement des obligations du monde

[[ Ubi enim est thesaurus tuus, ibi est et cor tuum : là où est votre trésor, là est votre coeur. ]] (Matth. VI, 21). Or, si vous aimez les choses du monde, ses biens et les plaisirs que le monde procure, il est impossible que votre coeur n’y plonge pas certaines racines.

[[ Nemo potest duobus dominis servire : il est impossible de servir deux maîtres. ]] (Matth. VI, 24). Il faut faire son choix. [[ Non potestis servire Deo et Mammonoe : vous ne pouvez servir à la fois Dieu et Mammon ]]. Alternative terrible et sur laquelle il est impossible de revenir après la sentence du divin Maître. Terrible obligation de faire son choix!

Voyez en effet, d’une part, en combien d’injustices tombent les amis de l’or et de l’argent, en quelle décadence se précipitent les prêtres, les religieux, que l’amour de l’or possède. Déjà c’est affreux d’aimer la fortune pour elle- même. Il est bien plus affreux, quand on l’a, de s’en servir pour se jeter dans tant de désordres dont nous avons le spectacle tous les jours.

Je ne parle pas ici des chrétiens que la Providence a fait naître entourés des biens de ce monde, qui s’en servent sans doute pour soutenir leur rang, mais de qui on peut dire, comme du juste loué par le Psalmiste : [[ Dispersit, dedit pauperibus, justitia ejus manet in sæculum sæculi; il a tout dispersé, il a tout donné aux pauvres, sa justice demeure dans les siècles des siècles ]] (Ps. CXI, 9).

Mais laissons ces hommes à qui on ne demande qu’une vertu ordinaire et qui, ayant l’abondance des richesses, n’y attachent pas leur coeur, selon le conseil du Saint-Esprit: [[ Divitiæ, si affluant, nolite cor apponere; si les richesses abondent, n’y mettez pas votre coeur ]] (Ps. LXI, 11).

Parlons de ceux qui, d’autre part, se sont engagés dans le voeu de pauvreté et s’appliquent à en conserver l’esprit. Rien ne donne la liberté du coeur vis-à-vis du monde, comme ce renoncement aux richesses. Tous ici-bas veulent être riches, et comme les limites entre ceux qui ont sont souvent incertaines et les titres douteux, il y a souvent contestation. Or, si vous renoncez à tout, à quoi tenez-vous et sur quoi pouvez-vous disputer? Je ne dis pas que votre communauté n’ait à défendre certains droits, mais évidemment ce n’est pas vous qui êtes pris à partie.

Sans doute il se fait un grand travail en ce moment dans l’Eglise. Elle a été dépouillée de ses biens, et elle travaille à se procurer des ressources. Peut-être la passion d’acquérir est-elle trop vive chez quelques-uns, mais pour le moment, la Révolution se charge de faire les épurations nécessaires, et l’on peut dire que, de quelque temps, au point de vue de l’excès des richesses, le péril ne sera pas trop grand. Pourtant quelle puissance morale ne donne pas le droit de dire : j’ai commencé avec rien, et si j’ai eu quelque chose, je m’en suis dépouillé.

Ah! qu’il importe de conserver sa liberté envers tous, et de déclarer qu’on est affranchi de toute obligation, excepté pour ce que l’on a reçu en aumône. Gardons cette liberté envers le monde; prouvons-lui combien nous lui sommes supérieurs, précisément parce que nous ne touchons pas même ses fanges du bout du pied.

II. — La liberté de l’âme

La liberté envers le monde part d’un principe supérieur : la liberté de l’âme. Cette liberté consiste à n’être l’esclave d’aucun désir terrestre, et à pratiquer le plus possible à la lettre la parole de l’Oraison dominicale: [[ Panem nostrum quotidianum da nobis hodie; donnez-nous aujourd’hui notre pain ]].

La confiance absolue en Dieu n’est jamais trompée, et si Dieu semble quelquefois se complaire à la mettre à l’épreuve, on peut dire que c’est pour faire mieux éclater sa sollicitude de Père envers nous.

La liberté de l’âme est le fruit de la pauvreté. Comment voulez-vous faire oraison en rêvant aux écus? Mais il faut en faire l’expérience. Supposé que vous teniez à quoi que ce soit, examinez si vous avez le même recueillement, si les préoccupations ne viennent pas vous assaillir quand vous devriez être le plus obligé de penser aux intérêts de Dieu.

Je ne veux certes pas parler ici de ces âmes qui conservent leur pécule et prétendent en jouir. Hélas! en combien de circonstances ne sent-on pas chez elles la chaîne qui les lie et les empêche de prendre leur vol vers le ciel! Puis, quel scandale ne donnent pas les religieux intéressés, et avec quelle joie maligne ne se complaît-on pas à les montrer comme des pierres de scandale!

Le Saint-Esprit a dit : [[ Avaro nihil scelestius; il n’y a rien de plus scélérat qu’un avare ]]. (Eccl. X,9). Sans examiner, à la rigueur, la portée de cette sentence, je ne crains pas de dire que la conversation du religieux ne sera jamais dans le ciel, tant que l’amour des richesses l’aura, malgré ses voeux, enchaîné à la terre.

Voyez, au contraire, de quelle estime est entouré, dans le monde, l’homme désintéressé. Je ne dis pas, certes, que les jugements du monde sur ce point soient plus infaillibles que sur les autres. J’avouerai même, tant que vous le voudrez, que le monde se trompe à propos de tel ou tel homme. Ce sur quoi il ne se trompe pas, c’est sur le principe de son jugement, qui consiste à établir que rien n’est noble comme le caractère désintéressé, et que nul n’a autant d’indépendance que celui qu’on sait ne vouloir rien.

III. — La joie

Un fait incontestable, c’est que la joie règne surtout dans les Ordres les plus pauvres. Pourquoi cela? Ne serait-ce pas parce que Dieu leur rend ce qu’ils font pour lui?

On veut des richesses pour jouir sur la terre; or, l’on renonce à jouir sur la terre quand on pratique sérieusement la pauvreté. Où se trouve alors la jouissance, ou plutôt l’espoir de jouir! Si ce n’est pas ici-bas, c’est évidemment là-haut. Mais dans ce cas, qui peut ôter cet espoir? Le religieux vraiment pauvre peut dire sans crainte: [[ In te, Domine, speravi, non confundar in aeternum; en vous, Seigneur, j’ai espéré, je ne serai point confondu éternellement ]]. (Ps. XXX, 1).

Ah! je le sais bien, on a vu des mondains se faire clercs, se faire couper les cheveux par le Pontife et dire: [[ Dominus pars hæreditatis meæ et calicis mei, le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice ]], et cette part de l’héritage de Dieu, c’était quelque gros bénéfice.

Mais, dans le fait que j’établis nous sommes à mille lieues de cette supposition, et je ne crains pas de dire que la source de la joie vient d’un épanouissement de l’espérance : [[ Cum invocarem exaudivit me Deus justitiæ meæ, in tribulatione dilatasti mihi : Dieu, défenseur de ma justice, m’a exaucé dans le temps que je l’invoquais. O Dieu, dans la tribulation vous avez dilaté mon coeur ]]. (Ps. IV, 2).

Dieu exauce toujours le pauvre. [[ Iste pauper clamavit, et Dominus exaudivit eum ]]. (Ps. XXXIII, 7). Voilà la grande espérance: être exaucé par la miséricorde de Dieu. Et en effet, parce qu’on invoque Dieu, on n’est pas affranchi des atteintes de la pauvreté et de ce que le monde appelle ses tribulations. Mais, incontestablement, Dieu apporte les dédommagements qu’il sait procurer lorsqu’on s’attache à Lui et qu’on le prend pour sa richesse: [[ In tribulatione dilatasti mihi… Oculi omnium in te sperant, Domine, et tu das escam illorum in tempore opportuno. Aperis manum tuam et imples omne animal benedictione; Seigneur, tous ont les yeux tournés vers vous, et vous leur donnez leur nourriture dans le temps opportun; vous ouvrez votre main libérale et vous remplissez tout être vivant des effets de votre bonté ]]. (Ps. CXLIV, 15-16).

Voilà ce que chantait David sous la loi des figures, où souvent les biens de la terre étaient l’image des biens du ciel et de l’espérance divine. Il avait confiance, et cette confiance n’était pas déçue. Que de fois n’en fit-il pas l’expérience pendant les persécutions que lui infligea Saül! Eh bien! espérons comme David, acceptons la pauvreté à laquelle il fut soumis comme figure du pauvre par excellence, Jésus, son descendant, et comme David nous trouverons notre joie à ne compter que sur Dieu, et à dédaigner profondément tout ce qui n’est pas Dieu.

IV. — Imitation plus parfaite de Jésus-Christ

Jésus comme Dieu était riche, et, ne l’oublions pas, il s’est fait pauvre pour nous. Or pourquoi, sinon pour nous montrer le prix de la vraie richesse, qui est la vérité dont il est le principe et que, dans son acception la plus divine, il est lui-même: [[ Ego sum veritas ]]. (Joan. XIV, 16).

Ah! que de fois encore ne nous laissons-nous pas entraîner par le mensonge et la vanité des choses créées! Filii hominum, usquequo gravi corde, ut quid diligitis vanitatem et quæritis mendacium! (Ps. IV, 4). Quoi! Jésus a choisi d’être pauvre, de laisser aux renards leurs tanières, aux oiseaux du ciel leurs nids, pour n’avoir pas où poser la tête ici-bas, et nous chercherions l’illusion de tout ce qui n’est pas la vérité, la vie, le bonheur!

Repassons, repassons souvent dans notre esprit tous les détails de cette vie pauvre, depuis Nazareth où Marie, pauvre ouvrière, travaillait pour gagner sa vie, dans l’atelier de Joseph, quand s’accomplit le mystère de l’Incarnation. Dieu, en effet, ne l’envoya pas saluer par un ange dans un palais, mais dans un humble réduit.

Le Fils de Dieu veut naître et il prend jour, après les rebuts de ses concitoyens, dans une étable, eo quod non erat locus in diversorio. Suivons-le dans tous les détails de son existence; toujours il est pauvre, toujours: ou il gagne son pain à la sueur de son front, ou il reçoit l’aumône de ceux qu’il évangélise. Pour lui, il n’a rien. S’il faut payer l’impôt, il fait un miracle pour trouver la pièce de monnaie nécessaire dans la bouche d’un poisson. Quand il faut préparer la Pâque, il a recours à la charité d’un disciple secret; quand il est sur la Croix, il lui faut confier sa mère, pauvre comme lui, à Jean; quand il a expiré, il est mis dans un sépulcre qui ne lui appartient pas, après avoir été entouré de parfums et lié dans le suaire fourni par la charité de Joseph d’Arimathie et des saintes femmes. Voilà son dénuement!

Mais après cela, il ressuscite, et son corps, victime du dénuement, devient glorieux. Bien plus, après la résurrection, il monte au ciel et va prendre possession d’un royaume tel qu’aucun empereur n’en a pu conquérir un semblable pour une durée qui n’aura pas de fin, et regni ejus non erit finis.

Comprenons que les richesses du ciel s’acquièrent par le mépris, le sacrifice, l’abandon des richesses de la terre; laissons les hommes ordinaires user des richesses malgré leurs dangers; pour nous, jetons les yeux sur Celui par qui tout a été fait, et demandons-lui de nous apprendre à nous séparer de tout ce qui n’est pas Dieu, afin de posséder un jour Dieu sans partage.

Notes et post-scriptum