MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0523
  • MEDITATIONS
  • VINGT-CINQUIEME MEDITATION L'AUSTERITE
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 AUSTERITE
    1 AVARICE
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DONS EN ARGENT
    1 ECONOMIES
    1 GRANDEUR MORALE
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 LUTTE CONTRE LE CORPS
    1 OUBLI DE SOI
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PETITES SOEURS DE L'ASSOMPTION
    1 PURIFICATION
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VERTU DE PAUVRETE
    2 AMAN, BIBLE
    2 ANTOINE, SAINT
    2 BASILE, SAINT
    2 BENOIT, SAINT
    2 DOMINIQUE, SAINT
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 TIBERE
La lettre

[[ Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam, quoniam ipsi saturabuntur; bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés. ]] (Matth. V, 6).

Quelles que soient les diverses interprétations données à mon texte, il en est une sur laquelle je veux insister aujourd’hui. On a faim et soif de plaisirs, de gloire, d’honneurs, de renommée, d’emplois, de fortune. Qui a soif de justice, dans son vrai sens, j’entends de la justice de Dieu? Qui se rend compte de ce qui lui est dû? Qui s’occupe des torts qui lui sont faits tous les jours?

Et, laissant encore de côté les droits de la justice de Dieu sur les autres, quels droits n’a-t-elle pas sur nous, à cause de nos ingratitudes, de nos péchés, de nos révoltes de toute espèce?

Or, la vraie faim et la vraie soif de la justice, c’est la faim et la soif que nous devons avoir de payer nos dettes envers Dieu, et nous pouvons prévenir les rigueurs de sa justice au delà du tombeau, par l’austérité de la vie dès ce monde.

C’est ce que je me propose de vous développer dans cet entretien, où je m’appliquerai, après vous avoir dit un mot de l’austérité chrétienne, à vous en montrer les admirables rassasiements, selon la promesse du Sauveur, pour tous ceux qui veulent, en effet, se laisser éprendre de la faim et de la soif de la justice divine. I. — Quels sont les droits de la justice ? Ce qu’est l’austérité

Pour se faire une idée des droits de la justice, il faut se rappeler seulement comment un seul acte de révolte a précipité les anges des hauteurs célestes dans les abîmes infernaux; il faut se rappeler comment un fruit, mangé au mépris d’une défense divine, a chassé nos parents du jardin de délices, les a condamnés aux hontes de la concupiscence, au travail, à la mort sur la terre, à l’enfer au sortir de la vie. Et cela est très juste, alors même que nous ne le comprendrions pas.

Mais Dieu, qui n’a pas pardonné aux anges, a voulu pardonner aux hommes, à condition que sa justice serait satisfaite. C’est pourquoi il a envoyé son Fils pour nous racheter, nous ressusciter et nous vivifier: [[ Ego sum resurrectio et vita. Si quis crediderit in me, etiam si mortuus fuerit vivet… Credis hoc? ]] (Joan. XI, 25).

Toutefois, cette résurrection et cette vie, qui est la réparation de l’ordre, ne doit pas seulement se faire par Jésus-Christ; il veut bien payer à la justice la dette dans son fond, mais il veut que nous y mettions du nôtre par la satisfaction, si faible qu’elle soit, que nous ajouterons à la sienne. Nous prendrons donc les intérêts de la justice divine, nous en ferons, selon la comparaison du Sauveur, notre aliment et notre breuvage, nous en aurons faim et soif, et nous y trouverons un bonheur inconnu des hommes livrés aux plaisirs de la terre, nous comprendrons les joies de la justice satisfaite. Beati qui sitiunt et esuriunt justitiam.

Comment arriverons-nous à ces jouissances d’une autre espèce? Ecoutez bien, car je vais vous épouvanter: par l’austérité de la vie. Qui veut aujourd’hui d’une vie austère? Personne. L’austérité, qui se compose de retranchements, de privations, d’humiliations, de souffrances, ou acceptées ou recherchées, qui en veut? On s’est précipité dans l’amour du bien-être et on y reste stupidement.

La vie d’austérité rend à l’âme l’empire sur le corps, en l’affranchissant des exigences de la chair, de la tyrannie des sens: et c’est ce que je me suis principalement proposé de vous montrer, ce que je veux étudier attentivement avec vous.

II. — Avantages de l’austérité

Que la vie austère épouvante la nature corrompue, c’est un fait plus évident que le soleil; mais pourquoi? Parce qu’il en coûte de supprimer la corruption. On voudrait n’avoir pas une plaie honteuse, mais si, pour la guérir, il faut y porter le fer et le feu, on recule, on préfère garder le mal plutôt que de le supprimer par un procédé douloureux.

1° L’austérité dompte la bête. Pourtant l’homme courbé sous le poids des passions vit à l’état de bête. Ecoutez le Saint-Esprit lui crier : [[ Nolite fieri sicut equus et mulus; ne devenez pas semblable à un cheval ou à un mulet ]] (Ps. XXXI). Sans doute, mais en restant brute, on en a les voluptés. Eh bien! l’austérité vient et dit : Arrière les impressions coupables! Qu’un frein salutaire dompte ces êtres avilis et les ramène sous la loi de Dieu.

Le chrétien pécheur se débat, mais si la trompette de la justice retentit à son oreille, il est saisi d’une crainte victorieuse, il repousse la passion, il écarte l’occasion, il fuit le danger; si la passion le poursuit, il peut la combattre, il la dompte même par l’austérité des privations. Toutes les théories de la morale indépendante sont jugées à leur valeur. La privation offerte à la justice supprime les causes du mal, encore une fois la passion est vaincue, la justice commence à reprendre ses droits.

2° L’austérité purifie l’âme. Les passions l’avaient souillée. Qui peut dire tout ce que les péchés, fruits des passions, n’importe lesquelles, apportent d’horreurs dans une âme qui en subit les abominables exigences?

Que, le sentiment de la justice divine allumant les flammes de l’austérité, elles descendent dans le coeur, temple profané, et le purifient, comme il redeviendra beau, resplendissant de son innocence réparée! Ah! sans doute, rien d’admirable comme le lis de la pureté toujours conservée, mais n’y a-t-il pas quelque chose de bien admirable aussi dans la réparation volontaire? Heureux qui conserve l’innocence du baptême versée sur l’âme dans un sommeil d’ignorance! Heureux qui, ayant perdu son premier éclat, cherche à le retrouver dans l’austérité de la vie, d’autant que cette austérité va bien à l’âme pure! L’austérité, qui rend la pureté à qui a eu le malheur de la perdre, la conserve et l’accroît dans l’âme qui n’a pas besoin de réparation.

3° En effet, l’austérité écarte les plaisirs mauvais, et, par cela même, préserve des chutes. Qu’il est beau de voir le chrétien austère autant qu’il est pur, et se conservant pur autant qu’il est austère! Aussi je ne crains pas de poser ces deux principes: impossible d’être saint, si l’on n’est pur; impossible d’être pur, si l’on n’est austère.

Maintenant, jusqu’où doit aller l’austérité? Aussi loin que les tentations, et aussi loin que l’amour de la pureté. La crainte du péril et l’amour de la pureté du coeur, voilà les deux points d’appui de l’austérité. Mais quoi! où s’arrêtera-t-elle? Là où il n’y aura plus de crainte que les chutes aient lieu. Tant que les souillures seront à redouter, il sera indispensable d’appeler l’austérité en aide, et comme les menaces subsisteront toujours, il sera urgent d’appeler toujours le grand préservatif à notre secours.

Ainsi, êtes-vous pécheur? Soyez austère pour faire pénitence et solder les droits de la justice. Quel privilège d’obtenir la réconciliation avec Dieu à si bon marché!

Avez-vous eu le bonheur de maintenir votre âme dans l’innocence baptismale? Ah! soyez austère pour conserver, par les précautions salutaires, un si précieux trésor.

Mais les avantages de l’austérité ne s’arrêtent pas là. L’âme qui a pris en main les intérêts de la justice divine, dans un transport de confiance, s’oublie elle-même et ne songe qu’à sa mission; elle veut recourir aux moyens nécessaires pour s’en acquitter comme Dieu le lui demande.

4° L’austérité, par les plaisirs dont elle se prive, par les sacrifices qu’elle s’impose, se crée des ressources. Que ne dépense-t-on pas quand la richesse abonde? Si les ressources manquent, on fait des économies.

Eh bien! si la charité austère s’impose ces économies, ne les a-t-elle pas pour les bonnes oeuvres, dont la nécessité est si peu comprise dans ces temps-ci? Quelle merveilleuse transformation s’opérera! Que ne donnera-t-on pour le bien des âmes, quand on aura refusé à son corps ce qu’il demande quelquefois avec trop d’importunité! Voyez donc quel champ s’ouvre devant vous. Quand y entrerez-vous avec la vigueur d’un vrai chrétien?

5° L’austérité donne une légitime indépendance. L’homme austère se contente de peu; il n’a donc pas à solliciter. Il sait attendre. Or, où est la source de la perte de toute dignité? Dans la fureur de se courber pour se mettre à l’aise. O déplorable abaissement qui apparaît de tous les côtés! [[ O homines ad servitutem natos! O hommes nés pour la servitude! ]] s’écriait Tibère. O homines ad pecuniam natos! O hommes nés pour l’argent! pouvons-nous dire avec tout autant de raison. Nous sommes bien nés pour l’esclavage; seulement nous nous forgeons nous-mêmes des chaînes d’or ou d’argent.

Qu’il vaut bien mieux se contenter de peu et savoir se tenir le front haut comme Mardochée devant Aman! Ah! quand comprendrons-nous que le monde ne se relèvera que quand les caractères se relèveront?

6° L’austérité forme de beaux caractères. C’est que, en effet, nous n’avons plus de beaux caractères. Ils disparaissent tous les jours. On en a peur, et quand ils se montrent on les traite d’importuns.

Eh bien! je dirai toute ma pensée : les beaux, les grands caractères ne sortiront plus que des maisons chrétiennes. On les repoussera partout ailleurs ou, pour mieux dire, on les écrasera dans leur germe. Que voulez-vous que fasse un caractère sans l’esprit de foi? Il tombera là où sont tombés les peuples dont la religion s’est éteinte, là où vous voyez les générations présentes.

Ah! c’est que la notion de la grandeur morale s’est perdue; elle s’est perdue le jour où, grâce à l’oubli de se vaincre par l’austérité, les hommes ont été placés entre le plaisir et le devoir, et ce n’est pas le devoir qu’ils ont choisi.

Regardez votre avenir et dites de quel côté vous voulez aller, et tremblez si l’habitude de déserter le devoir vous entraîne. Or, pourquoi aurez-vous trahi les grandes lois morales? Parce que vous n’aurez pas compris qu’au-dessus des jouissances, il y a Dieu qui nous dit: Faites pénitence, c’est-à-dire: soyez austères.

7° L’austérité, école de dévouement. La société ne vit pas seulement par le devoir accompli: il y a parfois dans le devoir quelque chose de raide, comme une volonté janséniste ou protestante, quelque chose de grand dans l’orgueil ou la vanité de son accomplissement, comme chez les sages d’autrefois. Cela ne suffit pas. Il faut autre chose, il faut le dévouement.

Autrefois, il y avait des écoles de dévouement, c’étaient les cloîtres. Les cloîtres ont vu, je le reconnais, des décadences, mais que de grands exemples n’ont-ils pas présentés au monde! Quelles figures que celles d’un Antoine, d’un Basile, d’un Benoît, d’un Dominique, d’un François d’Assise! Ces hommes et leurs disciples avaient bien faim et soif de la justice; ils la poursuivaient à l’exemple de leur Maître. Ils allaient à toutes les immolations de la chair, à toutes les souffrances du coeur, à tous les sacrifices, humbles, persévérants, aimants. Ils étaient austères, ils cherchaient Dieu pour s’immoler avec son Fils dans le sacrifice perpétuel.

Cette race forte, parce qu’elle était austère, a-t-elle entièrement disparu? Non, non; ou ce serait la fin du monde. De toutes parts, des sacrifices nouveaux sont demandés; ils sont accomplis.

Voyez tant de familles religieuses se dévouant à toutes les douleurs. Les Petites-Soeurs de l’Assomption vont partout où on leur promet du pain pour les premières vingt-quatre heures de leur établissement. Elles se donnent parce qu’elles sont joyeusement austères.

8° Enfin, et c’est le plus important, l’austérité fait les saints. On vous a souvent cité la parole du poète païen:

[[Fecunda virum egestas; la pauvreté est féconde en hommes]].

La pauvreté et l’austérité sont soeurs, et l’austérité a ce privilège qu’elle est volontaire, tandis que la pauvreté ne l’est pas toujours. Elle aussi, elle est féconde en hommes complets, et pour être saint il faut être complet. Sans doute, il faut la grâce, mais les victoires de l’austérité, et la provoquent, et la développent. Vous comprenez pourquoi, à certaines époques, la notion de la sainteté semble perdue: les peuples se sont précipités dans les plaisirs. Que sortira-t-il de là? Point de saints, à coup sûr, mais pas même des hommes!

Et pourtant, il serait si bon d’avoir des types de saints. Quoi! pas un de vous ne dira: je serai austère pour devenir un saint! J’espère mieux de vous; j’espère que, l’austérité telle qu’elle convient à votre âge gouvernant désormais vos moeurs, la sainteté donnera des fruits abondants dans notre chère Assomption!

Notes et post-scriptum