- ES-0531
- MEDITATIONS
- VINGT-SIXIEME MEDITATION L'OBEISSANCE
- Sage, ECRITS SPIRITUELS
- 1 ANIMATION PAR LE SUPERIEUR
1 AUTORITE RELIGIEUSE
1 CORRECTION FRATERNELLE
1 DESOBEISSANCE DE RELIGIEUX
1 DON DE SOI A DIEU
1 FORMATION DES NOVICES
1 LOI HUMAINE
1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
1 REFORME DE LA VOLONTE
1 SUPERIEUR
1 VERTU D'OBEISSANCE
1 VIE RELIGIEUSE
1 VOEU D'OBEISSANCE
[[Factus est pro nobis obediens usque ad mortem, mortem autem crucis; il s’est fait pour nous obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix.]](Phil. II, 8).
Tel est le modèle de la perfection : attaché par l’obéissance à la Croix, ainsi qu’il est sans cesse présenté à nos regards, pour nous rappeler que, si la révolte du péché a perdu les hommes, l’obéissance de l’Homme parfait les a sauvés.
Et cette obéissance, le prophète avait annoncé qu’elle était le motif de la descente d’un Dieu du ciel en terre. [[ Scriptum est de me ut facerem, Deus, voluntatem tuam ]]. (Ps. XXXIX, 8, 9).
Donc les deux extrémités de la vie de Jésus-Christ sont saisies par l’obéissance et, vers le milieu, l’évangéliste a soin de nous avertir que, pendant les dix-huit ans de sa vie cachée, [[ il était obéissant à ses parents; et erat subditus illis ]].
(Luc. II, 5).
L’obéissance semble donc être une des vertus fondamentales de la vie chrétienne; elle est bien incontestablement la base de la vie religieuse. Elle s’adresse à ce qu’on peut y trouver de plus excellent: la volonté. La pauvreté s’adresse à ce qui nous entoure; la chasteté à l’enveloppe de notre âme; l’obéissance, à notre âme dans ce qu’elle a de plus intime: la volonté.
Parlons donc de l’obéissance et étudions :
1° La nature de l’obéissance religieuse.
2° Son excellence [1]. Nature de l’obéissance religieuse
La vie religieuse est un exercice perpétuel de perfection, et les religieux, pour devenir parfaits, ont besoin d’être: 1° instruits;2° dirigés; 3° commandés; 4° corrigés.
1° Ils ont besoin d’être instruits. Un jeune homme, attiré par le désir de se consacrer à Dieu, se présente à nous. Que sait-il? Bien peu de chose, ou pour mieux dire: rien! Il faut qu’on le jette, en quelque sorte, dans un moule, et qu’on l’y forme, mais comme la volonté n’est pas une masse de cire ou de métal qu’on ramollit au feu et que l’on coule ensuite, comme c’est une faculté de notre âme intimement unie à l’intelligence, c’est par l’illumination de l’intelligence que l’on forme la volonté, grâce à l’instruction.
Ainsi faut-il établir que la première chose qu’ait à faire un novice, c’est de se dépouiller des notions antérieures de la vie chrétienne, pour les refaire par l’instruction qu’on lui donnera. De là vient trop souvent qu’un novice formé dans une Congrégation, passant dans une Congrégation nouvelle, prend très difficilement le pli de la seconde, parce qu’il garde celui de la première: les deux plis sont bons, mais ne sont pas les mêmes.
2° Le novice a besoin d’être dirigé. L’instruction, je l’ai dit, s’adresse plus particulièrement à l’intelligence, et elle est nécessaire pour épurer les actes de la volonté. Que d’efforts, en effet, ne doivent pas être rigoureusement exigés pour supprimer certaines habitudes, en imposer de nouvelles, faire pénétrer dans tous les détails de la vie l’esprit surnaturel, l’esprit de perfection. Que cela est difficile, que cela demande de temps!
Mais aussi combien il est indispensable que le religieux apprenne à s’assouplir à la direction qu’on lui donne! Qu’il lui est nécessaire de prendre cette direction au sérieux! Car, s’il ne l’accepte pas, à quoi peut-elle lui servir? Et tel est le malheur de certains novices qui veulent bien faire partie d’une communauté, à la condition qu’ils y conserveront leurs idées et leurs habitudes.
Remarquez que je ne dis pas que ces habitudes et ces idées ne soient point excellentes; je dis seulement qu’elles ne sont pas bonnes là où ils veulent les conserver, absolument comme dans un monument d’architecture on ferait une chose fort laide si, au milieu d’un ornement d’un certain style, on voulait placer un ornement d’un style tout différent.
Cela dit,je ne crains pas d’affirmer que la résistance à la direction est un des plus mauvais symptômes. Que sera plus tard le novice qui, dès les premiers pas, refuse de se laisser diriger, et qui surtout, par ses conversations autant que par ses exemples, oppose à tout ce qui lui est dit une insurrection comme perpétuelle?
3° Le novice a besoin, de plus, d’être commandé. En effet, il faut en venir à la pratique; on aura beau former par les paroles, l’essentiel est de passer aux actes, et il importe que ces actes soient ceux qui montrent si l’on est capable d’être religieux ou si on ne l’est pas.
On a beau dire, ce sont les actes qui sont la manifestation la plus claire des dispositions de la volonté. Donc, il faut faire pratiquer ces actes; donc il faut les commander, comme au soldat qui, sur le champ de manoeuvre, est formé à tous les exercices, de façon à ce qu’on puisse se rendre compte de son aptitude à exécuter tous les mouvements. A bien plus forte raison, le religieux a-t-il besoin de cette discipline, car le soldat en bien des circonstances n’est qu’une machine, tandis que le religieux doit, à chaque instant, se rappeler qu’il est formé pour les actes les plus admirables, puisque c’est par l’obéissance qu’il ressemble plus à l’Homme-Dieu. 4° Enfin le religieux a besoin d’être corrigé. Toute loi a une sanction, et de même que, dans la loi civile, c’est la mort, c’est-à-dire l’expulsion de la société du monde de la façon la plus terrible, qui est la dernière sanction, c’est l’expulsion qui est aussi la sanction suprême des Ordres religieux.
Toutefois, il ne faut pas se faire illusion. Bien des sujets ont besoin d’être châtiés avant d’être expulsés; et ceci s’explique à merveille. Ce sont des natures faibles, incapables de grandes fautes, n’ayant pas assez d’énergie pour les commettre, et pourtant ce sont des natures incapables aussi d’une grande vertu. Il faut les faire marcher par une certaine crainte, afin de les tenir sans cesse en haleine, par rapport à l’accomplissement de leurs devoirs.
Fait sans doute bien humiliant, mais fait incontestable : nous avons besoin d’être tenus en bride et de sentir sans cesse le fouet ou l’éperon, si l’on veut obtenir quelque chose de nous. L’ensemble des hommes en est là, et il est nécessaire d’agir, non pas avec les exceptions, mais avec les dispositions de l’ensemble des personnes auxquelles on s’adresse.
Je vais plus loin: ce qui est en général utile à tous est plus spécialement indispensable aux religieux. Point de société civile, point d’association privée sans un certain lien d’obéissance. Otez l’obéissance de l’armée et vous avez aussitôt l’anarchie. Otez l’obéissance d’une usine et toutes les matières mises en oeuvre seront gaspillées.
Mais dans les sociétés, de toutes les plus parfaites, l’obéissance est tout ce qui fait la vie même du corps moral; et il est parfait en proportion de ce qu’on y obéit. Mettez l’obéissance, vous obtenez les plus beaux résultats, parce que, à la différence des autres sociétés, la volonté tout entière doit y être mise avec toute sa puissance d’aimer. [[ Deus meus volui et legem tuam in medio cordis mei. ]] (Ps. XXXIX, 9). Si l’obéissance a de si grands avantages partout, et si l’obéissance religieuse se tire de la perfection même avec laquelle la volonté obéit, voyez comme il est utile de fortifier cette volonté contre ses propres défaillances, et de l’enchaîner en quelque sorte à ces nouveaux et plus parfaits devoirs qu’elle se propose d’accomplir. Qu’est-ce autre chose que l’obéissance élevée à la sainteté du voeu? L’obéissance considérée ainsi, qu’est-elle, sinon l’obligation que la volonté s’impose très librement d’être toujours parfaite, autant que peut le permettre la nature humaine.
De là, l’immense utilité pour un religieux de vouer son obéissance à ses supérieurs sous le joug d’une règle à laquelle on s’est exercé pendant un certain temps.
La disposition à obéir est donc une disposition de perfection, et l’engagement d’obéir est un engagement de perfection; d’où je conclus que, pour se disposer à obéir parfaitement, il faut s’exercer à certains actes préparatoires d’obéissance. Et telle est la raison du noviciat où l’on tâte en quelque sorte ses forces, et où l’on se rend compte du point jusqu’où la volonté peut se courber. Mais une fois l’épreuve subie avec avantage, et les engagements sérieusement pris par le voeu, il reste à maintenir la volonté dans sa disposition de souplesse, par des actes d’une obéissance plus énergique; non que l’obéissance se fasse plus souvent sentir, mais elle prend un caractère plus sérieux, parce qu’elle atteint le fond même de la vie religieuse.
On prétend que certains supérieurs n’obéissent pas. On se trompe. Ils obéissent en dehors, dans une certaine mesure, aux évêques, et sans mesure à l’ Evêque des évêques; et dans l’intérieur de la famille religieuse, ils obéissent à la règle et à tous les religieux dans un sens très strict, puisqu’ils sont obligés de leur rendre tous les services auxquels ceux-ci ont droit.
Seulement il y a ici une question de bonne foi. Le supérieur ne s’appartient plus; mais il doit se donner à tous avec ordre et sagesse, de façon qu’il ne soit pas obligé d’accorder toujours à celui qui demande plus, mais à celui à qui, en conscience, il croit le plus devoir. Partout il y a des exigences injustes, et, en se sacrifiant pour chacun, le supérieur est obligé de ne pas tenir compte de cette sorte d’injustices.
Le voeu d’obéissance religieuse s’étend à la vie entière, non seulement quant à la durée, – bien que, dans certaines familles moins parfaites, il puisse se renouveler tous les ans, — mais aussi en ce sens que tous les actes qui en relèvent appartiennent à Dieu et au prochain. C’est au point qu’une foule d’actes, qui semblent indifférents par eux-mêmes, peuvent être sanctifiés par l’obéissance et prendre ainsi un caractère méritoire. C’est qu’ici la volonté, qui est le sujet de l’obéissance, peut atteindre des proportions merveilleuses, comme sainteté d’intention. Qui peut dire l’intensité que peut acquérir la volonté qui se donne? Qui peut dire combien de fois la volonté peut renouveler, par l’obéissance, le don d’elle-même?
Et c’est pour cela que l’obéissance, loin d’enchaîner la volonté, la perfectionne. O merveille de la nature humaine transformée par la grâce! La révolte du péché l’avait en quelque sorte broyée; Jésus-Christ la répare et la fortifie par son sang, appliqué à cette volonté infirme, au baptême. Or, voilà que les engagements du baptême, qui donnent à l’âme baptisée le titre d’enfant de Dieu, l’obligent par un contrat très volontaire à se soumettre à la loi divine; mais ce contrat ne lui suffit pas. Elle éprouve le besoin de faire, non seulement des actes bons, mais encore des actes parfaits; elle s’y oblige par un voeu. Qui la force à faire un voeu? Rien qu’elle-même. C’est donc dans la plénitude de sa propre liberté qu’elle s’impose cette merveilleuse chaîne : [[ Funes ceciderunt mihi in praeclaris ]].
Que fais-je après tout? J’ôte par un engagement à ma volonté la facilité de pécher, je lui en impose comme une impossibilité; mais c’est ma liberté qui l’a voulu, qui s’est engagée. Or, comme le bien perfectionne l’être qui l’accomplit, placé que je suis dans l’obligation de faire un plus grand bien, je donne à ma nature une perfection supérieure et par conséquent à ma volonté et à ma liberté.
Concluons : le voeu d’obéissance, par sa nature, est un acte par lequel ma volonté s’oblige à une plus grande perfection. Considéré ainsi, l’état d’obéissance qui en découle est une sainte habitude qui nous oblige à accomplir toutes les actions, légitimement commandées, pour faire la volonté de Dieu. La vie, encore une fois, est prise dans son ensemble, et plus on la laisse saisir par l’obéissance, plus l’âme religieuse fait de progrès dans la perfection.
Cette première considération sur la nature de l’obéissance a été développée plus longuement que je ne me l’étais proposé d’abord ; l’excellence de l’obéissance formera le sujet d’une seconde instruction.