MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0538
  • MEDITATIONS
  • VINGT-SEPTIEME MEDITATION
    EXCELLENCE DE L'OBEISSANCE
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 ADORATION
    1 BIEN SUPREME
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CRITIQUES
    1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
    1 IMITATION DE DIEU
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 LIBERTE
    1 LUTTE CONTRE SATAN
    1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 SPIRITUALITE TRINITAIRE
    1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VOEU D'OBEISSANCE
    1 VOEUX DE RELIGION
    2 TERTULLIEN
La lettre

[[Ordinavit in me caritatem; Il a mis l’ordre dans l’amour.]]

(Cantic. II, 4).

Nous l’avons déjà dit : il y a trois sacrifices que nous offrons à Dieu dans la vie religieuse: nos biens, par le voeu de pauvreté; nos corps, par celui de chasteté; nos volontés, par celui d’obéissance, et autant le ciel est au- dessus de la terre, autant l’âme est au-dessus et du corps et de tous les biens du monde.

D’où je puis conclure, tout d’abord, que l’excellence de l’esprit sur la matière constitue l’excellence du voeu d’obéissance sur les autres voeux ; toutefois, il faut que je mette de ma volonté pour vouer à Dieu mes biens et mon corps dans l’obéissance. C’est même là ce qui constitue le prix des autres dons; ils deviennent ainsi la matière même de ce don supérieur. Après avoir tout sacrifié, la volonté se sacrifie elle-même. Quoi de plus parfait! Quoi de plus excellent!

Nous pourrions nous arrêter là, mais j’ai à montrer l’excellence du voeu d’obéissance à divers autres points de vue.

I. — Ce qu’il y a d’essentiel dans l’obéissance pour la vie religieuse

A proprement parler, l’essence de la vie religieuse consiste à obéir. Obéissez, et vous sacrifierez vos biens et vos sens dès qu’on vous le commandera. L’obéissance saisit la vie tout entière.

Quel est, en effet, le principal moteur de la vie humaine? N’est-ce pas la volonté? Et si vous mettez cette volonté entre les mains d’une autorité, qui la commande et la fasse agir en sens divers, la vie tout entière ne sera-t-elle pas saisie? Et qu’aurez-vous autre chose à faire qu’à vous appliquer à connaître et à accomplir ce que cette autorité vous commande? Dès lors, il n’y a plus qu’à se former d’après la règle que l’on a embrassée, avec la conviction que les ordres donnés par vos supérieurs s’engrèneront dans le même esprit et tendront vers le même but.

Mais alors, direz-vous, je n’ai plus la possession de moi-même? Oui et non. Non, parce que vous êtes lié par un voeu. Oui, car ce voeu, vous l’avez fait très librement, et de plus, comme on vous l’a dit, vous ne vous êtes engagé que pour vous obliger à mieux faire.

C’est le propre de l’être intelligent de devenir plus libre à mesure qu’il devient plus parfait; dire le contraire, c’est dire que les êtres incapables de s’engager, comme les insensés et les enfants, sont plus libres que les êtres dans le plein usage de leur raison; ou bien, si vous aimez mieux, que Dieu n’est pas libre parce que, à cause de son infinie perfection, il est incapable de faire le mal. L’heureux privilège qui me met dans l’impossibilité morale de mal faire me fait ressembler davantage à Dieu. Peut-on dire qu’il y ait apparence même d’imperfection à ressembler davantage à l’être infiniment parfait et source de toute perfection pour les créatures sorties de ses mains? Disons donc: plus je ressemble à Dieu, plus je suis parfait. Plus par l’obéissance je suis dans l’impossibilité morale de pécher, plus je ressemble à Dieu.

Je sais bien qu’il y a deux manières d’envisager l’obéissance : par le côté lourd, fatigant, et ce côté,il faut bien le dire, est celui où se placent les religieux fatigués d’obéir. Est-ce le bon côté? Il suffit de poser la question pour la résoudre. Mais le côté véritable est celui qui va au fond de la cause pour laquelle on s’est engagé. Eh bien! pourquoi vous êtes-vous lié par l’obéissance?

N’était-ce pas parce que vous y avez vu, d’une part, le plus puissant moyen de dompter vos imperfections, vos défauts, vos vices même, et, d’autre part, parce que vous n’avez pas pu voir, dans toute votre vie et dans toutes vos facultés, un moyen plus admirable de les incliner à une vie sainte; enfin, parce que vous avez eu beau chercher, vous n’avez pas pu trouver une invention plus énergique pour montrer à Dieu l’intensité de votre amour. Pour nous prouver combien il nous aimait, un Dieu s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la Croix. Que pouvons-nous faire de mieux, pour lui montrer notre reconnaissance, que de nous faire pour lui obéissants jusqu’à notre dernier soupir!

II. — Trois conséquences

Je puis tirer immédiatement trois conséquences.

Voyez-vous un religieux argumenter contre l’obéissance avec des preuves plus ou moins théologiques, discuter les points de la règle, l’esprit de la Congrégation, les ordres des supérieurs et leurs mesures d’administration, dites: voilà un religieux tenté dans sa vocation, et qui, s’il ne résiste pas avec la plus grande énergie, ne sera bientôt qu’une ruine déplorable, qu’un honteux débris de sa beauté passée.

Voyez-vous encore un religieux se traîner, sans blâme ni zèle pour la règle, en prenant les prescriptions par routine, obéissant par habitude, soumis à l’autorité machinalement, comme la locomotive au mécanicien; si vous êtes chargé de juger ce pauvre homme, dites qu’il s’enfonce dans la tiédeur, dans la léthargie,que peut-être il ne fera pas grand mal, mais qu’à coup sûr il est incapable de faire le bien avec la ferveur que suppose la règle; il ne fera pas obstacle aux supérieurs parce qu’il se tiendra par côté, mais quant à les aider, à leur rendre le commandement agréable, oh! non, ces sentiments délicats sont à mille lieues de sa nature et des idées vulgaires qu’il sait faites de l’obéissance.

Au contraire, voyez-vous un religieux ardent comme un cheval de combat,ayant même quelque peine à se courber, mais trouvant je ne sais quel charme à lutter contre lui-même pour s’assouplir, ayant pris ses engagements au sérieux, sachant qu’il s’est imposé des liens, mais que ces liens sont très précieux et que son héritage ne l’est pas moins : [[ Funes ceciderunt mihi in praeclaris, etenim hoereditas mea præclara est mihi ]]. (Ps. XV, 6). Dites: voilà un homme de Dieu à qui même tout sacrifice est possible, parce que chez lui l’obéissance a pour principe de prouver à Dieu combien il l’aime, et que l’amour est fort comme la mort et comme tous les sacrifices qui en sont, pour ainsi dire, le divin prélude pour les amis de Dieu, fortis ut mors dilectio.

Sans doute, il faut toujours indiquer les règles de l’obéissance, mais c’est du religieux obéissant avec perfection qu’on peut dire ces paroles du Saint-Esprit : [[ Lex justo non est posita ; la loi n’est pas portée pour le juste ]]. (l Tim. I, 9). Pourquoi? Parce qu’il a un tel désir d’obéir qu’il n’a plus à s’inquiéter si ses Constitutions l’obligent dans tel ou tel détail. Il sait qu’il obéit, et s’il a recours aux lois particulières de sa famille religieuse, c’est uniquement pour savoir s’il ne sort pas de leur esprit à force d’obéissance religieuse, car, il importe de le remarquer, une foule d’actes d’obéissance sont bons sous une règle, ne sont pas acceptés sous une autre, et il ne faut pas, sous prétexte de perfection, sortir de l’esprit spécial dans lequel on a été formé.

C’est le propre de l’infirmité humaine de ne pouvoir prendre la forme de toutes les vertus : il faut les disposer en soi de façon à former un ensemble, une harmonie, une beauté.

C’est ce que l’Epouse exprime dans le Cantique des cantiques quand elle dit que son Epoux a ordonné, harmonisé en elle la charité : Ordinavit in me caritatem. (Cantic. II, 4).

Dieu seul a toutes les perfections dans une unité et une simplicité infinies; pour nous, nous ne pouvons en avoir qu’une participation, et c’est pourquoi toutes les règles religieuses ont un but spécial, qu’il serait dangereux de mêler et de confondre.

III. — Conclusion

Donc tendons à l’amour avec toute l’intensité dont nous sommes capables, mais sous la direction de la règle qui doit fixer et déterminer les manifestations de cet amour. Une fois sur ce terrain, ne craignons pas et avançons vers la perfection avec la plus entière confiance, sous l’oeil de l’Eglise qui bénit les lois des familles religieuses, et sous l’oeil de Dieu qui en accepte et consacre les voeux, surtout le plus parfait de tous, en qui les autres viennent se concentrer, l’obéissance.

Je l’ai dit en commençant: obéir c’est marcher à la suite de Jésus-Christ. Quand Dieu eut résolu de sauver le genre humain coupable, l’adorable Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ordonnèrent que la seconde personne, le Fils, se ferait homme, et l’ordre partit également des trois personnes. C’était Dieu qui commandait, mais le Fils, en tant qu’agneau comme immolé dès l’origine du monde, accepta le sacrifice. [[ Agnus tanquam occisus ab origine mundi ]]. Qu’est-ce à dire? Cet agneau ne fut pas immolé, mais comme immolé dès le commencement; c’est-à-dire que le Fils qui est éternel, voulant s’unir personnellement à un homme pour sauver les hommes, accepta, au nom de la volonté humaine à laquelle il voulait s’unir, le décret de la Trinité; comme Dieu, le Fils ne commande pas moins que le Père et le Saint-Esprit; comme homme futur, homo futurus, selon l’expression de Tertullien, le Fils accepte, se soumet, obéit. En ce sens, le premier acte d’obéissance s’accomplit comme au sein de la Trinité elle-même, dès l’origine des temps, et c’est sur cet acte d’obéissance, de tous mille et mille fois le plus parfait, que repose le salut du genre humain.

Concluons à la perfection des effets de l’obéissance des saints dans le monde, et comprenons pourquoi l’enfer avec ses révoltés forme tant de complots contre les religieux obéissants, car c’est surtout à ceux-là qu’il en veut. Ce sont ses vrais ennemis, et parce qu’ils sont les vrais imitateurs de Jésus le juge de Satan, et parce que leur obéissance est la continuation du sacrifice d’obéissance accompli au calvaire, sacrifice par lequel le ciel et la terre ont reçu la réconciliation.

Mais concluons aussi que, si vous me demandez comment il faut obéir, quand je vous aurai répondu : avec les sentiments de Jésus-Christ, hoc sentite in vobis quod et in Christo Jesu, j’aurai bien le droit d’ajouter: de tous les mystères, de tous les détails de la vie du Sauveur, jaillit une double leçon: une leçon d’amour, vrai principe d’obéissance, et une leçon d’obéissance, la plus grande et la plus parfaite manifestation de l’amour.

La plus parfaite des vertus, c’est la charité; et la mort de la charité, c’est la révolte, comme sa vie, c’est la règle dans l’amour. Encore une fois, Dieu par l’obéissance a réglé la charité, les excès de l’amour, si je puis dire, dans l’âme des saints. C’est là qu’il faut aller, c’est à cette vie qu’il faut se porter. Aimer et obéir, c’est là tout le religieux; aimer et obéir en union avec Jésus-Christ et dans ses divines intentions, c’est jusque là qu’il faut aller.

Que le Dieu de la crèche, que le Dieu de la croix, de l’autel et du tabernacle, nous fasse comprendre combien il est parfait d’obéir, et qu’en nous montrant l’obéissance et l’amour des anges et des saints dans le ciel, il nous fasse comprendre qu’il n’y a pas de véritable adoration sans obéissance, et que l’obéissance et l’adoration en esprit et en vérité sur la terre sont le gage le plus assuré qu’un jour, dans le ciel, l’obéissance et l’amour seront pour nous le principe de notre gloire et de notre bonheur éternels.

Notes et post-scriptum