MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0545
  • MEDITATIONS
  • VINGT-HUITIEME MEDITATION LES SUPERIEURS
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 AMOUR FRATERNEL
    1 AMOUR-PROPRE
    1 AUGUSTIN
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 CORDIALITE
    1 CRITIQUES
    1 DEFAUTS
    1 DESOBEISSANCE DE RELIGIEUX
    1 ESPRIT DE COMMUNAUTE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FOI BASE DE L'OBEISSANCE
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 HYPOCRISIE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JOIE
    1 PATIENCE
    1 SENS DES RESPONSABILITES
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SUPERIEUR
    1 TRISTESSE
    1 UNION DES COEURS
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 PAUL, SAINT
    3 BABEL
La lettre

[[Obedite proepositus vestris et subjacete eis. Ipsi enim pervigilant quasi rationem pro animabus vestris reddituri, ut cum gaudio hoc faciant et non gementes: Obéissez à vos maîtres et soyez-leur soumis. Car ils veillent sur vos âmes et doivent en rendre compte; qu’ils le fassent avec joie et non pas en gémissant, car cela ne vous serait pas avantageux.]] (Hebr. XIII, 17).

Tel est le commandement de saint Paul. S’il est important pour les simples fidèles, à combien plus forte raison pour les religieux!

La Règle est une lettre morte, c’est la Bible pour les protestants. Quels commentaires tous les hérétiques n’ont-ils pas donnés aux Livres Saints, et quelle tour de Babel n’en ont-ils pas formée? Edifice sans cesse recommencé et sans cesse détruit, jusqu’à ce qu’on ne comprenne plus rien aux Livres Saints, et, qu’après les avoir amoindris, on ne les considère plus que comme l’oeuvre de l’homme. L’Eglise, avec ses enseignements, tranche les difficultés, maintient le dépôt, révèle, au moment opportun, les mystères renfermés dans la parole de Dieu, fixe les sens et condamne les erreurs à mesure qu’elles se produisent.

De même la Règle. Livrez-la à des religieux épris du désir d’abonder chacun dans son sens; chacun y verra ce qu’il voudra. D’où la nécessité d’un docteur pour éclaircir les obscurités, pour trancher les différends : mais les supérieurs ne sont utiles qu’à la condition d’être reçus avec les dispositions convenables, et voilà tout mon plan :

1° Nécessité des supérieurs;

2° Conditions avec lesquelles il faut accepter les supérieurs.

I. — Nécessité d’avoir des supérieurs

Où n’y a-t-il pas de chefs dès qu’il y a, je ne dis pas une société, mais une agrégation d’êtres intelligents? L’enfer lui-même a ses chefs, dont le commandement très dur est comme un dédommagement et un aiguillon à son supplice.

Que si, prenant les choses par un autre point de vue, nous considérons l’Eglise, son organisation, de quelle magnifique hiérarchie ne nous offre-t-elle pas le modèle? Elle prend son exemplaire dans les cieux où les milices angéliques forment leurs choeurs ordonnés en union avec les saints, au pied du trône de Dieu.

Mais quand même les autres sociétés seraient capables d’exister sans un pouvoir vivant, les sociétés religieuses ne le pourraient pas. Leur essence est l’obéissance même, et comment obéir s’il n’y a personne pour commander?

Vous voyez, par ce côté, la nécessité des supérieurs et l’obligation de les demander à Dieu.

1° J’entends dire: mais les supérieurs ont des défauts! D’abord, qui n’en a pas? Et vous qui jugez avec une facilité si grande les défauts de tout ce qui est au-dessus de vous, n’avez-vous aucun reproche à vous faire? Mais, si vous n’aviez pas de défauts, vous auriez un bon esprit, car de tous les vices, chez un religieux, le mauvais esprit est le pire. Ah! que vous avez besoin d’un supérieur pour extirper cet esprit de critique qui, comme un affreux cancer, répand sa contagion autour de lui : Quorum sermo ut cancer serpit. (II Tim. 11, 17).

Admettons qu’ils aient ces défauts que vous leur trouvez. Qu’êtes-vous venu faire ici? Vous sanctifier, n’est-ce pas? Eh bien! prenez leurs défauts comme le plus parfait des instruments de pénitence, acceptez-les. Ne savez-vous pas que saint Paul, en donnant aux premiers chrétiens les preuves de son apostolat, met en première ligne la patience. Vous voulez être des religieux apostoliques, soyez patients, et trouvez dans votre patience la preuve que vous êtes appelés à être des apôtres.

J’ai accordé que vos supérieurs ont tous les défauts. Mais les ont-ils? Ne voyez-vous pas ces défauts à travers les vôtres? Serait-ce pour vous que Notre-Seigneur aurait dit: [[ Hypocrita, ejice primum trabem de oculo tuo; et tunc videbis ejicere festucam de oculo fratris tui; Hypocrite, arrache d’abord la poutre qui est dans ton oeil, et ensuite tu penseras à arracher le fétu de paille qui est dans l’oeil de ton frère ]]. (Matth. VII, 5).

Ah! qu’il est facile de les grossir, ces défauts, de les faire paraître comme des énormités! Ce qui est énorme, c’est votre esprit de critique qui tourne tout en mal et ne se repose qu’après avoir répandu, dans un affreux esprit de révolte, un venin empesté.

Revenons à la vérité. En général, les supérieurs cherchent les sujets les plus capables; s’ils ne les rencontrent pas, est-ce leur faute? Ah! je comprends! on n’a pas fait attention à vous, et c’est grand dommage! Quel bien n’eussiez-vous pas fait! Quel ordre n’eussiez-vous pas établi! Eh! vous le croyez bonnement! Hélas! hélas! que l’amour-propre et l’amour de la critique sont aveugles! Oui, les supérieurs majeurs peuvent se tromper; il est probable qu’ils se trompent de temps en temps. Priez Dieu qu’ils ne se trompent pas en vous choisissant, car votre jugement serait terrible : Dieu vous demanderait, en vous jugeant, ce que vous vous plaignez de ne pas trouver chez les autres.

2° On a dit: un peuple a toujours les chefs qu’il mérite. Vous avez de pauvres supérieurs parce que vous ne méritez pas d’en avoir de meilleurs.

Grave sujet d’examen. N’ai-je pas les supérieurs que je mérite? Ne sont-ils pas si faibles, si insuffisants, parce que vous ne méritez pas d’être mieux commandés?

3° Pourtant ils ont, quand la malédiction n’est pas sur une maison, des grâces toutes spéciales. Dieu, qui ne doit rien à personne, fait comme s’il les leur devait, à cause de vous.

Sachez les mériter. Elles leur seront distribuées pour votre plus grand bien.

4° Souvenez-vous que l’Eglise, en les approuvant, leur a conféré un certaine juridiction sur vous, et que c’est une grande grâce que cette disposition de l’Eglise qui, par eux, veut que l’ordre subsiste dans les communautés. A ce point de vue, leur désobéir, c’est désobéir à l’Esprit qui gouverne l’Eglise. Pourtant, il savait bien, cet Esprit divin, qu’il ne pouvait vouloir des supérieurs sans choisir des hommes sujets aux défauts de l’humanité.

Mais si vous avez de bons supérieurs, quel avantage n’en retirerez-vous pas? Or, je prétends que vous pouvez les forcer à être bons pour vous, si vous savez les accepter avec les dispositions surnaturelles qui conviennent à un religieux.

Examinons attentivement ces dispositions.

II. — Dispositions que doit avoir un religieux envers ses supérieurs

Les conditions que le religieux doit remplir envers ses supérieurs se réduisent aux conseils de l’Apôtre que j’ai pris pour texte:

1° [[ Obedite praepositis vestris ; obéissez à vos chefs. ]] L’obéissance, mais l’obéissance surnaturelle, l’obéissance telle que l’on voie sans cesse Dieu dans la personne des supérieurs.

Quand vous vous mettez à genoux devant un Crucifix, refusez-vous de méditer sur les mystères de la Passion, parce que l’image du Sauveur en croix est mal peinte ou mal sculptée? Elle vous rappelle l’amour de Jésus-Christ pour vous, et cela vous suffit. Obedite præpositis vestris. Voilà pour l’obéissance.

2° Saint Paul ajoute: [[ Et subjacete eis; soumettez-vous à eux]]. Que de religieux font de leur couvent un enfer anticipé, parce qu’ils ne veulent pas connaître la vraie dépendance! Que de souffrances disparaîtraient si l’on était véritablement dépendants, si l’on soumettait son jugement à ceux que Jésus- Christ a chargés de décider pour nous!

Mais non, on préfère se poser sur un terrain d’égalité et même de supériorité, on se complaît dans sa fierté, et l’humble soumission à une direction donnée disparaît complètement.

3° [[ Ipsi enim pervigilant quasi rationem pro animabus vestris reddituri; ils veillent parce qu’ils doivent rendre compte de vos âmes. ]] Voilà ce que l’on ne médite pas assez. Vos supérieurs rendront compte de vos âmes, mais à une condition : c’est que vous les ferez porter par eux. Or, pouvez-vous prétendre qu’ils porteront cette responsabilité terrible, si vous faites tout ce qui dépend de vous pour vous soustraire à leur action? Evidemment, ils n’auront de responsabilité que celle que vous leur aurez donnée par votre dépendance à leur direction.

Vous ne voulez pas dépendre: libre à vous! Mais quand vous paraîtrez devant Dieu, souvenez-vous que vos supérieurs, pour se justifier de votre vie si éloignée de ce qu’elle aurait dû être, n’auront qu’à dire : [[ Il a refusé d’obéir et de dépendre. Qu’il porte seul la responsabilité de ses révoltes, de ses chutes et de ses scandales! ]]

4° [[ Ut cum gaudio hoc faciant; de telle sorte qu’ils remplissent leur charge avec joie. ]] Heureuses les communautés où les inférieurs aident les supérieurs à mettre de la vie, par un certain entrain qui fait circuler la joie des pères aux fils, de telle sorte que l’obéissance est joyeuse et douce, parce que le commandement est joyeux et bienveillant. Mais comment obtenir ces dispositions, sinon par une grande ouverture et une grande confiance? Cela peut paraître difficile au premier abord; pourtant, avec un peu d’effort, on en vient à bout, et l’on obtient que les supérieurs eux-mêmes vous rendent la confiance dont vous les entourez.

Pour que les supérieurs agissent avec entrain et joie, il faut qu’ils se sentent aimés. Je ne dis pas qu’ils ne doivent pas aimer les premiers, mais quels sentiments voulez-vous qu’ils éprouvent, quand ils sentent leurs intentions méconnues, leurs ordres critiqués, tous leurs procédés pris en mauvaise part?

Ah! ils eussent pu répandre la joie autour d’eux, ils n’y répandent que la tristesse. [[ Ut cum gaudio hoc faciant et non gementes ]]. Vous préférez que la maison porte l’ennui qui part de votre coeur. Tant pis pour vous! Mais hélas! tant pis aussi pour vos supérieurs, et tant pis pour toute la communauté qui porte le poids d’un mécontentement, d’une tristesse dont vous êtes seul responsable. Les supérieurs sont tristes et sombres. Que sont les religieux? Examinez-en la cause. Elle vient de vous, de votre caractère, dont les supérieurs subissent la conséquence et, par les supérieurs, toute la communauté!

5° [[ Hoc enim non expedit vobis : Eh ! non, cela ne vous convient pas. ]] Et pourtant, que de caractères qui se laissent aller à la triste volupté d’empoisonner une communauté de leurs tristesses, de leurs murmures, de leur insubordination! Ne va-t-on pas quelquefois jusqu’à vexer les supérieurs pour le plaisir de les vexer? Hélas! que cette disposition est fréquente, et quelles ruines ne prépare-t-elle pas?

Car enfin, que résulte-t-il de tous ces beaux systèmes d’indépendance et de critique perpétuelle? Des antipathies réciproques et la destruction de tout esprit de communauté. Cela vous convient-il? Ah! que l’Apôtre a raison : cela ne vous conviendra jamais. [[ Hoc enim non expedit vobis ]].

Les supérieurs ont-ils des torts? Peut-être. Je vous avouerai même qu’ils en ont. Mais vous? Ah! rentrez une fois dans votre fond, et voyez quel mal vous faites aux autres et à vous. [c Hoc enim non expedit vobis ]]. Saint Augustin, au commencement de son beau traité de la Doctrine chrétienne, fait cette observation: [[ Quidam reprehensuri sunt opus nostrum, quia quae præcepturi sumus non intellexerint; plusieurs, vont trouver à reprendre à ce travail, parce qu’ils n’auront pas saisi ce que nous voulons dire ]]. Ah! que de religieux blâment parce qu’ils ne comprennent pas! Et pourtant ils veulent faire porter à leurs supérieurs le fruit de leur inintelligence. Quelle injustice, ou plutôt quel accroissement de sottise!

Concluons : le religieux qui, malgré les défauts de ses supérieurs, voit toujours par esprit de foi, Dieu dans leurs personnes, les oblige bien souvent à être Dieu pour lui, c’est- à-dire à mûrir leurs décisions, à les puiser dans les motif les plus élevés, à peser la gravité de leur réponse, à prévoir toute la portée de leur volonté.

[[ Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ]], dit Notre-Seigneur. Or, que de religieux peuvent forcer Notre-Seigneur à se placer entre leur supérieur et eux, pour être un lien de charité, de douceur, de force et de vie!

J’ai montré surtout les maux qu’apporte à sa communauté le religieux en révolte contre ses supérieurs. N’aurais-je pas mieux fait de parler de la communauté où une obéissance parfaite maintient la pratique de la règle, l’estime réciproque, le lien de la paix, la force qui vient d’un soutien mutuel?

Quelle joie dans les maisons où règne cet esprit! Jésus-Christ, au milieu de ses disciples, en est le modèle. Que peut-on vouloir de plus pour tendre à la perfection et y parvenir?

Notes et post-scriptum