- ES-0553
- MEDITATIONS
- VINGT-NEUVIEME MEDITATION BONNES OEUVRES
- Sage, ECRITS SPIRITUELS
- 1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
1 CHARITE ENVERS DIEU
1 DEFIANCE DE SOI-MEME
1 DONS EN ARGENT
1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
1 EPREUVES DE L'EGLISE
1 ESPRIT D'INITIATIVE
1 FOI
1 GENEROSITE DE L'APOTRE
1 HAINE
1 HAINE CONTRE DIEU
1 HUMILITE
1 LUTTE ENTRE L'EGLISE ET LA REVOLUTION
1 MAUX PRESENTS
1 MENSONGE
1 OEUVRES SOCIALES
1 ORDRE SURNATUREL
1 PERSECUTIONS
1 PRATIQUE DE LA PAUVRETE
1 SATAN
2 ARIUS
2 CAMILLE DE LELLIS, SAINT
2 JEROME-EMILIEN, SAINT
2 LUTHER, MARTIN
2 MAHOMET
2 PIERRE, SAINT
2 VINCENT DE PAUL, SAINT
3 EGYPTE
[[Tibi derelictus est pauper; le pauvre vous a été confié.]] (Ps. X, 14)
Rappelons-nous la description du jugement où le Fils de l’homme récompensera et absoudra, uniquement selon les pratiques, accomplies ou méconnues, de la charité envers nos frères. Dès lors, comprenons que cette sorte d’exercice de la charité a quelque chose de bien important.
Je ne crains pas d’ajouter que, si cette importance est très grande toujours, elle l’est plus spécialement aujourd’hui.
Je veux vous parler tout d’abord de la nécessité des bonnes oeuvres. Mais le mobile de ces bonnes oeuvres est bien loin d’être cette bienfaisance humaine, qui ne va pas au-delà de la satisfaction de venir en aide à son semblable; elle a des conditions plus élevées, et je me propose de les indiquer rapidement.
1° Nécessité des bonnes oeuvres;
2° Caractère des bonnes oeuvres.
Voilà les deux points principaux auxquels je me propose de m’arrêter.
I. — Nécessité des bonnes oeuvres
Si jamais les bonnes oeuvres ont été
nécessaires, c’est à coup sûr aujourd’hui que de toutes parts éclatent les passions les plus funestes, et que les crimes sociaux les plus terribles sont commis. Voyez la fureur des classes inférieures s’élever contre les classes supérieures. On flatte les appétits populaires, on leur souffle les idées les plus subversives. Qui mettra un frein au monstre déchaîné?
Le mal social est là: les monuments anciens croulent en général d’eux-mêmes, quand le ciment qui lie les murs est dissout; ici les pierres sont détachées avec violence; on se complaît à les briser et à les disperser en mille débris; la destruction est le besoin universel.
Au-delà, qu’y a-t-il? L’inconnu, Et qui pousse comme fatalement vers cet inconnu? La haine. Oui, c’est la haine. Quels sont ceux qui s’aiment en dehors de l’Eglise? Quelles dispositions à s’entre-dévorer quand ils seront vainqueurs! Ils le savent bien, et leurs chefs, à la fois meneurs et esclaves, redoutent par instinct le moment du triomphe, parce qu’ils savent bien que le triomphe sera pour eux le précurseur de la catastrophe. Cela s’est toujours vu; c’est la loi de l’histoire humaine. La haine dissout; elle ne peut tenir un moment que pour faire de plus profondes ruines.
Or, nous sommes à un de ces moments solennels et terribles où les ténèbres s’étendent de toutes parts, où l’on se sent entouré d’abîmes, et où l’on ne sait plus si c’est à droite ou à gauche que se trouvent ces abîmes. On voit les nations se haïr, au sein des nations les partis se choquer, la haine partout, et partout les symptômes les plus alarmants. Que faire?
Pour qui sonde les plaies du présent en chrétien, il est évident que, si l’Eglise repose sur un principe surnaturel, qui est Dieu, la Révolution repose sur un principe antinaturel, qui est le Diable. L’homme, depuis le jour de sa révolte, est l’esclave du Diable par le péché. Jésus-Christ l’avait affranchi, mais l’homme aujourd’hui repousse Jésus-Christ en repoussant l’Eglise, et quand Jésus-Christ se retire, il est nécessaire que le Diable arrive.
Or, le Diable combat par deux principaux moyens: l’erreur ou le mensonge, dont je ne veux pas parler ici, et la haine. Le Diable, étant essentiellement menteur, ment, ment toujours. Quand donc quelqu’un, l’ayant découvert, lui dit: Vous êtes le Diable, il répond: [[ Point du tout, je suis un honnête homme, je m’occupe de bonnes oeuvres, vous vous trompez ]]. Mais voyez de près, et, sous ces prétendues bonnes oeuvres, vous verrez la haine la plus atroce et la plus savante à la fois. Avec toutes les apparences de l’amour de l’humanité, on souffle aux masses les sentiments, et les plus haineux, et les plus violents. La lave volcanique est toujours sur le point de s’élancer du cratère déchiré. Que veulent-ils? Des bouleversements, des ruines, et sur ces ruines, leur haine triomphante.
Mais si l’Eglise repose sur un principe surnaturel, si elle a Dieu pour appui, sa force doit consister précisément dans l’opposé de la haine: c’est l’amour, qui est Dieu même, Deus caritas est. C’est l’amour qui doit s’opposer à celui qui était homicide dès le commencement et dont les souffrances ne trouvent, ce semble, un rafraîchissement que dans le sang de l’homme.
Voyez-vous sur-le-champ ces deux grandes forces en présence : la haine de Satan d’un côté, l’amour de Dieu de l’autre.
Ne nous faisons pas d’illusion, les choses en sont là. La guerre est engagée entre le ciel et l’enfer, et j’ajouterai : elle se livre au-dessus de nos têtes, si nous ne devions pas en être l’enjeu. Que faire? La question est bien simple. De quel côté veux-je pencher? Du côté de Dieu ou du côté de Satan?
Posée en ces termes, la réponse serait facile, si malheureusement Satan ne pénétrait dans le camp de Dieu même, pour y souffler son esprit de division. Mais c’est précisément, pour nous, une obligation d’autant plus grave de nous porter à toutes les conséquences pratiques de la grande loi de l’amour dirigée par l’esprit de l’Eglise. Et voyez comme en acceptant certains principes la solution est facile.
La grande attaque est aujourd’hui dirigée contre l’Eglise, oeuvre de Dieu fondée par Jésus-Christ. Quels sont les ennemis de Dieu? Ceux qui veulent renverser l’Eglise. Et vous admettrez que le spectacle que nous avons sous les yeux, et qui du côté de l’Eglise implique l’action de Dieu (il faut bien le reconnaître si nous avons la foi, selon la parole de Jésus-Christ: [[ Ecce ego vobiscum sum; voici que je suis avec vous ]]), n’implique pas, de la part des ennemis de l’Eglise, une force infernale, satanique, diabolique?
Mais niez-le tant que vous le voudrez; la parole de Jésus-Christ y est. Quand Jésus-Christ annonça à saint Pierre qu’il bâtirait l’Eglise sur lui, qu’ajouta-t-il aussitôt : [[ Et port inferi non prævalebunt adversus eam; et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle ]]. L’Eglise d’un côté, l’enfer de l’autre, la parole de Jésus-Christ y est; et quand nous assistons à un de ces combats entre l’Eglise et ses ennemis, combat comme il s’en est livré, tout au plus, trois ou quatre depuis dix-huit siècles, avec les empereurs romains, Arius, Mahomet, Luther, la Révolution, vous oserez dire que Satan n’y est pas?
Mais si Satan y est, il y est avec ses mensonges et ses haines. Laissons de côté la question des mensonges traitée par les docteurs, les évêques, le Pape infaillible; à nous une autre sorte d’armes : la charité manifestée par les oeuvres.
Inutile de vous dire qu’il y a les oeuvres du corps et celles de l’âme. On s’occupe surtout des oeuvres du corps, mais ce sont les âmes qu’il importe d’atteindre. Or, dans ce temps où tout est matière, vous ne les atteindrez qu’en donnant sous toutes les formes, et non seulement en donnant, mais en vous donnant.
Ici s’élève la terrible question du superflu. Je ne crains pas de le dire; si vous vous réfugiez aujourd’hui derrière le superflu, vous êtes perdu. On a tant gardé pour soi de ce superflu pour les besoins menteurs que chacun se crée, qu’il faut donner du nécessaire.
Vous ferez comme ce solitaire de l’Egypte, qui avait vu l’incendie des Barbares éteint par les travaux et les pénitences des moines de la Haute-Egypte; mais un moment vint où ces travaux représentés par les nattes ne suffirent plus, et l’incendie prit des proportions telles, qu’il s’étendit des Barbares du Nord aux hordes des Arabes conduites par Mahomet.
Plaise à Dieu qu’aujourd’hui, donnant sous l’action de la Charité qui est Dieu, vous donniez avec assez de générosité pour éteindre l’incendie allumé par la Révolution, incendie bien autrement affreux que ceux des Goths, des Vandales et des Huns!
Après le passage de ces ravageurs, une nouvelle société se forma; après les invasions révolutionnaires, nous ne pouvons nous attendre qu’aux invasions savamment raisonnées du socialisme tendant la main au Kulturkampf. II. — Conditions des bonnes oeuvres
Ces conditions sont multiples, la charité embrassant toutes les vertus. Nous pourrions en indiquer plusieurs. Contentons-nous de quelques-unes:
1° Et, d’abord, l’esprit de foi. [[ Sine fide impossibile est placere Deo; sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu ]]. C’est là le cachet distinctif des oeuvres vraiment chrétiennes. Plus l’esprit de foi est grand, plus on se place sous l’action de Dieu, et plus on s’applique à ne rien faire que pour lui. Que d’oeuvres perdues parce qu’elles ne sont pas faites par esprit de foi!
L’esprit de foi est courageux, il affronte le respect humain, il parle rondement, parce qu’il croit; il sait dire: [[ Credidi, propter quod locutus sum; J’ai cru, c’est pourquoi je n’ai pas craint de parler ]] (Ps. CXV, 1), et il ne connaît aucun obstacle quand le devoir a parlé. La foi renverse les montagnes, mais il faut qu’elle veuille travailler à combattre toutes les objections que la paresse et la tolérance suscitent.
2° L’humilité. La foi nous montre le pouvoir de Dieu, la faiblesse de l’homme. Plus Dieu est puissant, plus l’homme n’est rien, plus, par contre, il faut rapporter tout à Dieu, rien à l’homme.
La défiance de soi-même est la fille de l’humilité, cette vraie connaissance de nous-mêmes qui nous rend vils et méprisables à nos propres yeux. L’homme humble et obéissant racontera ses victoires, parce que Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles. Voulons-nous attirer le secours de Dieu dans nos bonnes oeuvres, avant tout, soyons humbles.
3° Soyons aussi prudents. Défions-nous de nous-mêmes, et ne soyons pas comme ces hommes qui prennent un coupable plaisir à tenter Dieu : ils en sont punis par l’insuccès et la honte.
4° Cela dit, établissons que la condition des bonnes oeuvres, c’est l’ardeur. Oui, il faut une charité ardente, sans quoi on ne fait rien.
Ne sentez-vous pas les ardeurs de l’enfer dans le zèle pour la propagande du mal? Opposez-leur les ardeurs célestes de l’amour de Dieu. Personne n’aime plus ses amis que lorsqu’il donne sa vie pour eux. Ainsi fit Jésus-Christ sur la croix. Celui qui n’avait pas où reposer sa tête, n’ayant rien à donner, se donna lui-même en donnant sa vie avec son sang.
Ah! qu’elles sont belles, les ardeurs d’un Camille de Lellis qui, malade, se dévoua aux malades, d’un Jérôme Emilien qui se consacra à l’éducation des enfants, d’un Vincent de Paul qui, pauvre, donna tant à la pauvreté! Qui les poussait? La charité. Le cri de saint Paul : [[ Caritas Christi urget nos; la charité du Christ nous presse ]], retentissait sans cesse au fond de leurs âmes, et ils allaient se donnant, et se donnant toujours avec un zèle croissant, avec une tendresse que rien ne pouvait rebuter.
5° Mais ce qui surtout doit fixer notre attention, ce sont les inventions de la charité. Voyez combien l’ennemi est habile pour pervertir les âmes. Je ne dirai pas seulement que tous les moyens lui sont bons; il en invente qui lui sont propres, et l’on est surpris de son habileté qui dépasse, il faut le reconnaître, l’habileté humaine: la presse, les théâtres, les jeux, la musique, le vice, l’éloquence des clubs, l’attrait du secret, les associations occultes, tout lui est bon, et quand un moyen semble usé, il a recours à des moyens nouveaux.
Pourquoi, par un côté, dans la guerre que nous avons à livrer, ne ferions-nous pas de même? Aux inventions de la haine, sachons opposer les inventions de l’amour.
Sans doute, dans ces derniers temps, on en a vu des exemples. Les conférences de Saint-Vincent de Paul, filles d’associations plus humbles, se sont répandues d’un bout du monde à l’autre. C’est le grand arbre, si vous le voulez, mais que d’admirables rameaux n’a-t-il pas produits : les Comités catholiques, les Cercles ouvriers, l’Union des oeuvres, etc! De toutes parts ce sont des formes nouvelles d’un même et divin moteur, la charité; et c’est ce qui fait espérer. Là où l’enfer pousse à beaucoup haïr, on se sent pressé d’aimer beaucoup et de le prouver par des actes. Prouvez-le, mes Frères, en donnant et en vous donnant.
Quant aux religieux, je ne crains pas de dire que leur voeu de pauvreté les rend merveilleusement aptes, non seulement à donner, mais à faire donner, comme Notre-Seigneur dont les pieds et les mains percées, dont le côté ouvert sont les sources divines par lesquelles l’amour s’écoule sur le monde. Aux chrétiens, à être charitables. Aux religieux, à être charitables, mais de plus, à prêcher la charité par toute leur vie avec une ardeur plus grande et des inventions plus tendres.
Chrétiens et religieux, donnons et donnons-nous, et la haine sera refoulée dans l’enfer, et l’amour descendra du ciel vers les hommes, pour les faire remonter dans le sein de Dieu.