- ES-0569
- MEDITATIONS
- TRENTE ET UNIEME MEDITATION DES RELATIONS DES RELIGIEUX ENTRE EUX
- Sage, ECRITS SPIRITUELS
- 1 AMITIE
1 AMITIES PARTICULIERES
1 AMOUR FRATERNEL
1 BON EXEMPLE
1 CONNAISSANCE DE SOI
1 CORDIALITE
1 CORRECTION FRATERNELLE
1 CRITIQUES
1 DESIR DE LA PERFECTION
1 EGOISME
1 ESPRIT DE COMMUNAUTE
1 ESPRIT RELIGIEUX
1 ESPRIT SURNATUREL A L'ASSOMPTION
1 EXAMEN DE CONSCIENCE
1 FIDELITE
1 FRANCHISE
1 FRERES
1 FRERES CONVERS
1 GENEROSITE
1 GENEROSITE DE L'APOTRE
1 IMITATION DE JESUS CHRIST
1 JESUS-CHRIST MODELE
1 MEDISANCE
1 MORT DE JESUS-CHRIST
1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
1 REFORME DU CARACTERE
1 RELATIONS ENTRE RELIGIEUX
1 RESPECT
1 SCANDALE
1 SERVIABILITE
1 SYMPATHIE
1 UNION DES COEURS
3 BETHLEEM
[[Mandatum novum do vobis; je vous donne un commandement nouveau.]] (Joan. XIII, 34).
Je me propose de traiter des relations des religieux entre eux, et j’établis que ces relations doivent être:
1° Edifiantes; 2° Charitables; 3° Respectueuses; 4° Fondées sur la serviabilité.
I. — Relations édifiantes
Pourquoi êtes-vous venu chercher la vie commune dans un cloître, sinon pour vous faire soutenir par les rapports quotidiens que vous auriez avec des hommes qui tendraient comme vous à la perfection? Sans quoi vous n’aviez qu’à rester dans votre solitude et y garder le genre de vie qui vous eût convenu le plus.
Du moment que vous cherchez la société de certains hommes, pour avoir un plus grand moyen de vous sanctifier, vous devez vous pénétrer de la solidarité que vous avez contractée envers eux. Vous avez demandé à être introduit dans leur compagnie, pour qu’ils pussent vous édifier et vous soutenir ainsi dans votre marche vers les vertus plus parfaites; mais, à votre tour, vous avez quelque chose à leur rendre. Ils vous édifient: édifiez-les de votre côté, et souvenez vous que, si leur conduite vous est une prédication vivante, bien plus puissante que celle de la parole, cette prédication, ils sont en droit de la réclamer de votre part.
Remarquez que le Saint-Esprit a dit: [[ Frater qui adjuvatur a fratre, quasi civitas firma; le frère qui est soutenu par son frère est comme une ville forte]]. (Prov. XVIII, 19). Cette cité, c’est le couvent. Voyez ce que vous avez à y mettre du vôtre. Que si, au contraire, vous malédifiez, comme votre mauvais exemple sera évidemment suivi et en entraînera d’autres, le résultat sera qu’un certain nombre de religieux tomberont dans la décadence.
Mais, direz-vous, depuis que je suis religieux, que de mauvais exemples n’ai-je pas reçus? Quoi donc, et que dites-vous là? Vous vous plaignez d’avoir été victime du mal que vous avez fait, que vous faites tous les jours aux autres?
Depuis quand les fautes de telle ou telle personne peuvent-elles être votre excuse? C’est vraiment un singulier raisonnement que celui-là. Voyons : vous êtes entré dans la vie d’un couvent pour vous sanctifier en la compagnie de vos frères; au lieu de cela, vous y trouvez une mauvaise édification; donc, vous allez vous mettre à malédifier à votre tour.
En d’autres termes, on vous donne de mauvais exemples, capables de vous entraîner à la perte de l’esprit religieux, à des défaillances graves, peut-être en enfer. Donc vous allez, sans gêne et en vertu des scandales reçus, vous mettre en train de faire perdre l’esprit religieux aux autres, de les entraîner à des fautes graves, peut-être en enfer! Admirable raisonnement que celui-là. Mais convenez qu’il n’a pas été inspiré par Notre-Seigneur quand il disait : [[ Malheur à celui par qui le scandale arrive! ]]
Voyez, au contraire, le bien immense que vous pourriez faire, si vous le vouliez un peu fortement. Je vous accorde que certains de vos frères pourraient être plus édifiants. Qu’en concluez-vous, si vous avez l’esprit religieux? Eh! peut-être, à la nécessité de bien examiner où l’on entre, mais ensuite de voir aussi quels efforts à faire pour porter nos frères à toute perfection, plus par notre édification que par nos paroles.
II. — Relations charitables
Quel spectacle que celui de frères qui s’aiment entre eux! [[ Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum! Comme cela est bon et suave, d’habiter ensemble comme des frères! ]] (Ps. CXXXII, 1). Oui, rien n’est bon comme une communauté où l’on s’aime, mais pour cela il faut que tous y mettent du leur.
Pour que cette charité soit permanente, il importe d’en enlever une foule de sentiments particuliers, qui viennent trop souvent gêner ces dispositions d’affection générale que l’on doit avoir les uns pour les autres.
Gardons-nous des amitiés particulières qui suscitent des jalousies, des jugements sévères, et qui disposent à la séparation d’avec ceux qui cherchent à agir à part. La charité que l’on doit avoir doit s’étendre à tous et être très universelle, comme la maison où l’on habite ensemble est commune à tous.
L’âme de chacun de nos frères a été rachetée par le sang de Jésus-Christ, qui l’a aimée jusqu’à répandre son sang pour elle; que ces mêmes âmes soient pour nous l’objet d’une semblable charité, que nous soyons toujours prêts, à l’exemple du Sauveur, à nous donner et à nous dépenser pour elles, selon le mot de l’Apôtre: [[ Libentissime impendam et superimpendar ipse pro animabus vestris; je donnerais volontiers tout, et moi-même par-dessus pour le salut de vos âmes ]]. Si l’ouvrier apostolique doit être dans cette disposition envers les pécheurs qu’il rencontre, à combien plus forte raison doit-il avoir ces sentiments pour les âmes avec lesquelles il est appelé à vivre en famille.
Et cette affection, si elle est sérieuse, ne peut manquer de produire son effet. On a beau dire que l’on ne sent pas le bien que l’on fait, le religieux embrasé d’amour pour l’âme de ses frères en fait toujours, et beaucoup. On sent qu’il est un lien entre eux et Notre-Seigneur. A la vérité, cette affection doit être d’une grande franchise et d’une grande loyauté, mais quand elle est telle, tout le monde s’en aperçoit, et qui peut se plaindre d’un ami qui n’est franc que parce qu’il désire être utile?
Cette affection doit être fidèle et résister à certains froissements. [[ Amicus fidelis, protectio fortis; qui autem invenit eum, invenit thesaurum; Un ami fidèle est un puissant appui; qui l’a trouvé, a trouvé un trésor ]]. (Eccli. VI, 14). Que ces amitiés fidèles sont rares! Il faut la plus grande fidélité dans la charité des religieux entre eux. Quelquefois on subit des froissements. Tous les caractères ne sont pas de la même égalité d’humeur.
Heureux le religieux fidèle qui ne se décourage ni ne se rebute envers un frère qui se blesse, soit par l’effet d’un malentendu, soit par les suites d’un inconstance qui est la conséquence des misères du coeur humain. Le frère offensé reviendra avec d’autant plus d’affection qu’il se sera senti plus injuste dans ses appréciations, à moins que ce ne soit un homme de peu de coeur, et alors vous aurez eu la consolation très grande, dans les rebuts qu’auront subis vos avances, de pouvoir être certain d’avoir tout fait pour Dieu et rien pour les hommes.
Qu’après cela, et en tenant compte des dangers des amitiés particulières, il y ait entre religieux, par l’effet de travaux communs, d’efforts plus grands, une estime plus spéciale, je me garderai bien de le critiquer, pourvu qu’il soit entendu que ces relations entre frères sont basées sur une estime, qui part de Dieu et non d’une sympathie tout humaine.
III. — Relations respectueuses
N’espérez rien d’une communauté où l’on ne se respecte pas. Le respect chrétien est une des conditions les plus essentielles de la vie en commun pour des religieux.
Le religieux irrespectueux pour ses frères ne se connaît pas, ne les connaît pas et ne connaît pas l’honneur qui lui est fait, quand on l’admet en pareille société.
1° Il ne se connaît pas. Car s’il se considérait dans on fond, à la lumière de la foi, il verrait ses défauts, ses imperfections, ses aspérités de caractère; il comprendrait l’importance de les faire disparaître, avant de se permettre de manquer de respect envers qui que ce soit. Mais si tous ces obstacles au respect étaient supprimés, le respect aussitôt lui deviendrait facile. Il admirerait la patience dont on use envers lui et il en deviendrait d’autant plus respectueux.
2° Le religieux qui ne respecte pas ses frères ne les connaît pas ou les connaît mal. Qu’il les envisage dans la vraie lumière, qu’il se rappelle cette parole du divin Maître: [[ Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ]].
Vous êtes sévère envers les autres, mais examinez donc ce que vous méritez vous-même; et si votre regard, supposé qu’il soit juste, est si sévère pour les membres de votre communauté, rendez-vous compte de ce que doit être l’oeil de Dieu qui vous regarde. Croyez-moi, avant de vous ériger en critique des autres, voyez les critiques que vos frères peuvent faire de vous et le jugement que Dieu peut porter sur votre état.
Puis, peut-être pourriez-vous vous demander si la destruction du respect n’est pas un travail, qui tend à faire ressembler le ciel anticipé de la vie religieuse à l’enfer. Le lieu où l’on se respecte le plus est l’assemblée des saints autour du trône de Dieu; le lieu d’où tout respect est banni, c’est l’enfer où les démons et les damnés se renvoient les reproches et les injures dans un réciproque mépris, basé sur une connaissance plus grande des défauts communs. Ne les imitez pas. Imitez plutôt les anges et les saints, se respectant sous le regard de Dieu.
3° Le religieux qui ne respecte pas ses frères ne connaît pas l’honneur qui lui est fait. Que tous les couvents soient parfaits, je ne le prétends certes pas, mais on y tend à la perfection, et c’est beaucoup : être admis à l’honneur de vivre en pareille compagnie, c’est inappréciable! Vous pouvez blâmer, critiquer : à quoi cela aboutit-il? Corrigerez-vous? Ce n’est pas ainsi que l’on corrige; on exaspère, on divise, pas autre chose. Soyez respectueux et ferme, toujours charitable; mais alors les observations ne seront ni bruyantes, ni amères; elles auront la chance d’obtenir des résultats.
[[ L’Eglise, a dit un protestant, a été la grande école du respect. ]] Si le respect se perdait, il devrait se réfugier dans les couvents comme dans un sanctuaire.
III. — Relations serviables
S’en tenir à de belles théories n’est pas suffisant: il faut de plus l’esprit pratique, et l’esprit pratique se traduit par les services demandés et rendus.
Quel religieux n’a pas à demander des services dans une foule de circonstances, et dans combien d’occasions n’est-on pas ennuyé d’avoir à en rendre? Qui aime à se déranger? Qui aime à se gêner?
Pourtant, qu’a fait Notre-Seigneur que de se mettre dans une gêne perpétuelle depuis Bethléem jusqu’au Calvaire? Et quels exemples de patience ne donne-t-il pas dans son séjour au Saint- Sacrement? Quels prodigieux miracles n’accomplit-il pas pour nous montrer comment, quand on est souverainement bon, on rend, au prix de grands dévouements, tous les services!
Voilà votre modèle. Qui est plus parfait que Jésus-Christ? Et qui a rendu, qui rend à chaque instant du jour plus de services que lui? Allez, quand vous aurez rendu au genre humain entier tous les services qu’il a voulu s’abaisser à vous rendre, vous aurez sujet de vous plaindre; en attendant, baissez la tête, pensez que la raideur, l’esprit personnel, la préoccupation exclusive de soi est tout ce qu’il y a de plus opposé à l’esprit de Notre-Seigneur.
Que faire donc? Se vaincre, s’oublier pour rendre service, sous deux sauvegardes : l’utilité et l’obéissance.
Chacun doit avoir son genre de serviabilité. La Carmélite ne doit pas aller soigner les malades, ni la Soeur de Charité ne doit se charger d’instruments de pénitence pour la conversion des pécheurs; à chacun son lot. Il en est de même dans l’intérieur des couvents, et un Frère convers ne doit pas faire des cours, pas plus qu’un étudiant maladroit ne doit soigner les malades.
Les cours mal faits produiraient des ignorants, et les malades mal soignés peupleraient les cimetières; de façon que les services rendus ne doivent pas se transformer en mauvais services.
C’est pourquoi, en dehors de l’utilité à chercher dans les services, il importe de joindre l’obéissance qui éclaire, qui dirige, qui donne une force spéciale pour rendre des services utiles et intelligents. Même quand la bonne volonté y est, il faut savoir diriger cette bonne volonté; l’obéissance est là pour lui tenir lieu de guide.
Concluons : l’édification, la charité, le respect, la serviabilité sont quatre éléments fondamentaux de nos relations entre religieux. Que s’ils sont maintenus, la communauté grandira en union et en ferveur, et donnera tous les fruits que Notre-Seigneur a le droit d’attendre d’un champ aussi bien cultivé par sa grâce.