MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0577
  • MEDITATIONS
  • TRENTE-DEUXIEME MEDITATION RELATIONS DES RELIGIEUX AVEC LE DEHORS
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE DIEU SOURCE DE L'APOSTOLAT
    1 AMOUR DU PROCHAIN SOURCE DE L'APOSTOLAT
    1 APOSTOLAT DES RELIGIEUX
    1 BAVARDAGES
    1 BONTE
    1 CALOMNIE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CONCUPISCENCE DE LA CHAIR
    1 CURIOSITE MALSAINE
    1 DEGOUTS
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 DEVOTION EUCHARISTIQUE
    1 DISTINCTION
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ESPRIT SURNATUREL A L'ASSOMPTION
    1 FEMMES
    1 GRAVITE
    1 HOMME DE PRIERE
    1 HUMILITE
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 MAUVAISES CONVERSATIONS
    1 MEDISANCE
    1 MINISTERE SACERDOTAL
    1 OUBLI DE SOI
    1 PARLOIR
    1 PERSEVERANCE APOSTOLIQUE
    1 PRIERES AU PIED DE LA CROIX
    1 PRUDENCE
    1 RENONCEMENT
    1 SALUT DES AMES
    1 SENS DES RESPONSABILITES
    1 TENUE RELIGIEUSE
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    1 ZELE POUR LE ROYAUME
    2 BENOIT, SAINT
    2 DANIEL, PROPHETE
    2 DOMINIQUE, SAINT
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 PAUL, SAINT
La lettre

[[Vos estis sal terrae; vous êtes le sel de la terre.]] (Matth. V, 13).

J’ai parlé des religieux entre eux. Longtemps la vie religieuse a été isolée, solitaire. Les populations affluaient vers les monastères; les monastères se tenaient à l’abri du monde, et, dans le silence du cloître ou les chants de l’Office, trouvaient de saintes et chastes délices que rien ne venait troubler.

Plus tard, les disciples de saint Benoît, en Occident, descendirent de leurs montagnes, sortirent de leurs forêts, et se livrèrent à une fructueuse évangélisation.

Aujourd’hui, après saint François et saint Dominique, les Ordres religieux font partie de la vie ecclésiastique, et les Papes se sont servis des religieux, dans les pays catholiques, pour réveiller la foi; dans les pays infidèles, pour y porter son flambeau. Il est admis que les religieux doivent avoir des relations avec le monde, mais que doivent-elles être?

J’établis que ces relations doivent être :

1° Surnaturelles;

2° Réservées;

3° Bienveillantes;

4° Exclusivement dans l’intérêt des âmes.

Peut-être alors, au lieu de nuire, pourront-elles produire des fruits abondants pour le ciel.

I. — Relations surnaturelles

[[ Sic nos existimet homo ut ministros Christi et dispensatores mysteriorum Dei; que le peuple nous regarde comme les ministres de Jésus-Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu ]]. (I Cor. IV, 1). Le religieux peut s’appliquer au moins la première partie du précepte de saint Paul, et l’Augustin de l’Assomption, tendant au sacerdoce, à moins qu’il ne soit Frère convers, peut s’appliquer la seconde aussi, puisqu’il doit se préparer à être prêtre un jour et à en remplir tous les devoirs, à en acquérir toutes les vertus.

Que l’homme nous considère comme les ministres du Christ. Soyons toujours ses serviteurs et ses envoyés, et n’ayons pas à faire autre chose ici-bas avec les hommes.

Si nous ne sortions jamais de nos cellules qu’avec cette préoccupation, que de misères n’éviterions-nous pas! Que de dangers ne nous épargnerions-nous pas! Ou plutôt quel bien ne ferions-nous pas! Je ne veux être que le ministre de mon Sauveur auprès des hommes, m’occuper avec eux d’oeuvres de charité, du salut des âmes absentes, du salut des âmes auxquelles je m’adresse: que de bien à faire à ce point de vue, et que je dois faire!

Mais alors, comme ma pensée doit s’élever au-dessus de tout cancan et de tout tripotage! Que je les écoute quelquefois, uniquement afin de faire quelque bien, je le puis absolument, mais que je dois y éviter la curiosité malsaine, la satisfaction de quelque sentiment mauvais, le plaisir d’apprendre les ennuis de personnes qui me sont peu sympathiques, surtout si j’écoute pour aller répéter, et si je parle pour la satisfaction de nuire par mes paroles.

Etrange bouleversement des idées surnaturelles! Je suis venu au couvent pour me sanctifier, et je viens chercher dans les parloirs un moyen de me perdre! Si je dois avoir des relations au dehors, c’est pour qu’on trouve en moi un ministre de Jésus-Christ, qui dit opportunément à l’oreille ce qu’il est obligé ailleurs de prêcher sur les toits, mais qui, en parlant ainsi dans l’intimité, pénètre au fond de l’âme, émeuve la conscience et procure, ou des conversions pour les uns, ou des améliorations pour les autres. Au lieu de cela, que fais-je? Je suis un homme vulgaire, à petits tripotages, à petites intrigues. Quant au bien que l’on vient retirer de moi au parloir, il est nul.

Et pourquoi? Parce que je ne suis pas resté homme surnaturel. Et je ne suis pas surnaturel, parce que je ne me suis pas fait un trésor de vérités surnaturelles, de sentiments surnaturels. Si je parle de Dieu, j’ai l’air de réciter une leçon; ma parole prend quelque chose de machinal, dont la source peut bien être la mémoire, mais n’est certainement pas le coeur.

C’est que, pour être surnaturel dans les relations extérieures, il faut de longue date l’être devenu au pied de son crucifix, ou au pied du Saint-Sacrement. Alors la pensée de Dieu, de sa cause, l’amour de Notre-Seigneur, de l’Eglise, mettent aux lèvres des paroles apostoliques, et personne ne vient vers nous qu’il ne s’en retourne meilleur ou plein de la préoccupation de le devenir.

Ah! que de temps perdu et même mal employé, parce que nous n’avons pas su rendre nos relations avec les hommes assez surnaturelles!

II. — Relations réservées

En bien des circonstances, la loi des relations consiste moins à dire qu’à ne pas dire.

D’une part, que de curieux viennent nous chercher uniquement pour nous faire parler, ou bien pour parler devant nous, obtenir un signe approbatif, et, sur ce beau fondement, nous prêter leurs paroles et nous les attribuer. Avec de pareilles personnes, que le silence est utile, que les parloirs abrégés sont précieux! Elles ne peuvent nous surprendre, nous faire dire ce qu’elles voulaient arracher de nous, et découvrir notre opinion. En certaines occasions, nous ne sommes pas obligés d’en avoir une bienveillante, mais nous sommes, en pareil cas, tenus de ne la montrer que pour un très grand bien, et ce n’est pas toujours dans un entretien avec un étranger que le bien peut se faire.

Sachons donc être constamment sur nos gardes, et souvenons-nous que nous ne sommes pas au parloir entourés d’amis, et que, bien des fois, nous pouvons nous y considérer comme Daniel dans la fosse aux lions. C’est à nous à garder si bien notre âme qu’elle ne soit pas dévorée.

Je ne dirai rien de la réserve que nous avons à garder avec les personnes du sexe, et combien nous sommes obligés à aller prudemment en certaines circonstances. Je parle pour les religieux de tous les âges, car c’est une illusion de croire que l’âge mette à l’abri de certains périls; mais je m’adresse surtout aux plus jeunes, et je les invite, de la manière la plus forte, à fuir tout ce que ces rapports ont de décevant, pour l’innocence de leur âme et pour la préservation de leur chasteté. Qu’ils y fassent une sérieuse attention, qu’ils y veillent et qu’ils se mettent à l’abri par la plus rigoureuse réserve.

Voulez-vous qu’on estime, je ne dis pas votre personne, ce qui serait bien vain, mais votre caractère religieux ou sacerdotal? Tenez-vous sur une réserve constante. Ne permettez pas, par d’inutiles épanchements, qu’on voie le peu de vertu de votre vie, le peu de valeur de vos actes; et peu à peu, si vous ne faites pas un grand bien, vous ferez au moins celui dont vous êtes capable : en tout cas vous ne ferez pas de mal, ce qui est immense.

III. — Relations bienveillantes

Une fois la nécessité de la réserve établie, rien d’important comme de faire sentir une grande bienveillance.

Pourquoi se poser toujours en censeur de tous et de tout? Qu’en résulte-t-il? Que l’on vous fuira. Peut-être sera-ce un avantage. Mais alors ne vous montrez pas. L’avantage sera plus grand pour vous et surtout pour les autres.

En quoi consiste, en effet, la bienveillance que je vous demande? En ce que l’on sente que Jésus-Christ passe à travers votre tenue, vos paroles, tout votre être. Sic nos existimet homo.

Que de temps le Sauveur n’a-t-il pas passé dans la solitude et la vie retirée! Mais quand il s’est montré, il a eu de ces paroles qui faisaient dire aux émissaires envoyés pour l’arrêter : [[ Nunquam sic locutus est homo sicut hic homo; jamais homme n’a parlé comme cet homme ]]. (Joan. VII, 46). C’est qu’on sentait dans son coeur cette disposition à la miséricorde, à la patience, à la bonté, à la bienveillance qui était son charme.

Ce charme, efforcez-vous de l’avoir. Il n’empêche pas la réserve. Par la réserve, vous évitez de descendre dans les bas-fonds des choses humaines; par ce charme divin, vous attirez en haut. Encore une fois, vous élevez les âmes comme celui à qui les pharisiens disaient: [[ Quo usque animam nostram tollis? Jusques à quand tiendrez-vous notre âme en suspens? ]] (Joan. X, 24).

Peut-être l’effet de ce charme ne produira-t-il pas tout le bien que vous souhaiteriez, mais s’il est des circonstances où il faut savoir, comme notre Modèle, s’abaisser, il vaut mieux peut- être aussi savoir rester à une certaine hauteur, où les hommes sentiront que vous voulez leur être utile. Encore faut-il observer certaines conditions.

C’est ici que le tact et la prudence sont nécessaires. Il faut se donner, mais ne se donner que sous le regard de Dieu et dans l’esprit de Notre-Seigneur. La bienveillance, quand elle cherche avant tout le bien des âmes, sait trouver mille inventions pour les prendre, si je puis dire, dans ses filets. Mais comme il faut, pour l’obtenir, se plonger, et se plonger sans cesse dans l’amour du divin Maître!

Heureux celui qui a cette bienveillance dans toute sa pureté! Heureux celui qui ne voit que Jésus-Christ à faire connaître et aimer, dans toute l’action qu’il peut exercer autour de lui!

IV. — Relations exclusivement pour les âmes

Un des plus grands malheurs qui puisse nous arriver, c’est qu’on puisse dire légitimement que nous travaillons pour autre chose que pour les âmes, et que, dans nos relations extérieures, nous recherchons un intérêt personnel.

On le dira certes de nous. Les ennemis de l’Eglise sont heureux de jeter cette boue sur ses défenseurs et ses fils, mais autre chose est d’être calomnié, autre chose de mériter que la médisance s’exerce à bon droit sur nous.

L’accusation est trop féconde en fâcheux résultats pour que, si d’une part on fait ce que l’on peut pour lui donner une apparence de vérité, de l’autre nous n’employions pas nos efforts pour ne pas mériter un pareil reproche; et le meilleur moyen de ne le mériter pas, c’est de nous élever constamment aux pensées de notre vocation.

Nous sommes religieux pour nous sauver et étendre le règne de Jésus-Christ dans les âmes. Que faisons-nous dans ce double but? Que Dieu trouve-t-il en nous qui le serve mieux, qui lui amène ou plus d’adorateurs en esprit et en vérité, ou plus d’âmes éprises du désir de se consacrer à son service dans une plus grande perfection?

Oui, nous devons être des hommes célestes et nous ne devons poursuivre qu’un but céleste : peupler le ciel d’un plus grand nombre d’habitants. Dans nos relations extérieures, nous devons sans cesse nous répéter: A combien d’âmes suis-je utile et avec quelle perfection leur suis-je utile? Voilà certes, un champ digne des plus nobles ambitions: conquérir des âmes et les conquérir pour Jésus-Christ, aider Jésus-Christ dans sa grande oeuvre du salut du genre humain; que pouvez-vous souhaiter de plus?

Mais pour courir comme le Bon Pasteur après les âmes, il faut du zèle, de l’ardeur, de la persévérance; on commence ce ministère, mais, parce qu’il est plein d’ennuis, de fatigues, hélas! et de stérilité, on s’en dégoûte et l’on se tourne vers des relations plus faciles. Voilà le grand mal. Sachons nous en préserver avec une ardeur persévérante, qui purifiera nos relations par les dégoûts que nous y pourrons trouver, et les rendra plus bénies à cause même de notre désintéressement.

Ah! aimons les âmes, non seulement du haut de la chaire, mais dans les relations que nous avons avec elles tous les jours! Aimons les âmes, et allons en apprendre tout le prix au pied de notre crucifix, mémorial de la croix où notre Maître a voulu répandre son sang pour elles; au tabernacle, où il veut être pour tous un modèle de patience; à l’autel où, s’immolant tous les jours, il apprend au religieux, vraiment digne de sa vocation, à se faire lui-même victime humble et généreuse, et à continuer en lui-même, autant qu’il en est capable, cette grande immolation par laquelle le monde a été sauvé.

Notes et post-scriptum