MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0585
  • MEDITATIONS
  • TRENTE-TROISIEME MEDITATION LES ETUDES
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 AMBITION
    1 AMOUR DE LA VERITE A L'ASSOMPTION
    1 AMOUR-PROPRE
    1 AUGUSTIN
    1 BAVARDAGES
    1 CELLULE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 COLERE
    1 CRITIQUES
    1 CURIOSITE MALSAINE
    1 DECADENCE
    1 DEFECTIONS DE RELIGIEUX
    1 DISCIPLINE SCOLAIRE
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ETUDIANTS EN THEOLOGIE
    1 EXERCICES RELIGIEUX
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 FORMATION DES JEUNES PROFES
    1 HUMILITE
    1 IMMACULEE CONCEPTION
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 JUIFS
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 PARESSE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 PRATIQUE DE LA PAUVRETE
    1 PREDICATION
    1 RELIGIEUX ANCIENS
    1 RESPECT
    1 SUFFISANCE
    1 SYSTEMES POLITIQUES
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 UNIVERSALITE DE L'EGLISE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
    2 JOSEPH DE CUPERTINO, SAINT
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 PIERRE, SAINT
    2 SIMON LE MAGICIEN
La lettre

Si notre famille religieuse doit être empreinte d’un cachet apostolique, comme elle ne peut compter sur la science infuse communiquée aux apôtres le jour de la Pentecôte, il importe qu’elle puisse au moins se préparer à distribuer la science divine par des études sérieuses. En d’autres termes, pour être un vrai religieux de l’Assomption, il faut sérieusement étudier.

Nous allons donner d’abord quelques avis généraux, et parce que nous tenons à être pratique, nous donnerons ensuite des avis particuliers.

1. — Avis généraux

Le premier est qu’il est absolument indispensable, pour le religieux, de fuir la paresse.

Nous en avons touché quelque chose, en parlant de la loi du travail, comme conséquence du voeu de pauvreté.

Je l’envisage aujourd’hui comme condition indispensable pour le religieux apostolique : Nemo dat quod non habet, personne ne peut donner ce qu’il n’a pas, et l’une des grandes causes de la perte de la foi, c’est la paresse des catéchistes et des prédicateurs. Ils ne savent pas, ils n’y comprennent rien. Voilà que les plus terribles ébranlements seront le fruit de leur ignorance: [[Nescierunt neque intellexerunt, in tenebris ambulant, movebuntur omnia fundamenta terrae; ils ne comprennent pas, ils n’ont pas l’intelligence, ils marchent dans les ténèbres, et c’est pourquoi tous les fondements de la terre seront agités! ]] (Ps. LXXXI, 5).

Il est inutile de jeter cet anathème aux impies ; commençons par le jeter à ces prédicateurs bouffis autant de suffisance que d’ignorance, qui font fuir, mépriser la parole de Dieu, par le peu de préparation qu’ils mettent à leur enseignement. Que Dieu leur demandera un jour un compte terrible du temps perdu, et qu’il leur sera difficile de trouver une excuse à leur paresse et à la paralysie intellectuelle, qui les rend incapables de tout effort sérieux de la pensée!

Mais pour revenir à un point de vue qui nous soit plus propre, d’où est venue la décadence de presque tous les Ordres religieux? Saint Bernard fait observer que la pauvreté a fait germer les vertus, que les vertus ont amené les richesses, que les richesses ont produit l’oisiveté; l’oisiveté a été bien vite la mère de tous les vices. Tel est le résumé de l’origine et de la décadence d’une foule de couvents.

Voyez ces religieux fatigués de leur cellule. L’auteur de l’ Imitation dit bien : [[ Cella continuata dulcescit; la cellule peu à peu devient douce ]]. Mais quand? Lorsqu’on sait s’y occuper à la prière ou à l’étude. Au contraire, passez-y de longues heures à n’y rien faire, elle vous deviendra bien vite odieuse; elle se transformera pour vous en une prison d’où vous aurez hâte de sortir.

Et alors, que ferez-vous? Vous vous répandrez au dehors, car, à coup sûr, vous ne sortirez pas de votre cellule pour aller à l’église, de la vérité cachée dans les livres pour aller à la vérité cachée dans le tabernacle. Vous irez vous plonger dans les vains discours des hommes, vous aimerez, comme les Athéniens, à dire ou à apprendre des nouvelles, [[ aliquid novi ]].

Charme inexprimable que cette curiosité qui se repaît en ce qu’on lui dit, ou qui rassasie les autres de ce qu’elle dit elle-même! Mais toutes ces conversations, quel en est le but? Ce bavardage, car c’en est un véritable, à quoi aboutit-il? A faire perdre les idées fortes et surnaturelles, à exciter des rivalités, à aigrir des antipathies, à provoquer des jugements sévères sur le prochain. Tout cela est-il digne d’un religieux? Et si ces conversations le dégradent et le font tomber à un niveau intellectuel très inférieur, faut-il s’en étonner?

Et quand ces conversations ont été prolongées, doit-on trouver étonnant que les murmures se manifestent, murmures contre les confrères, murmures contre l’autorité, murmures contre son état; on se demande ce que l’on est venu faire au couvent et on ne le trouve guère.

De là à se demander pourquoi on ne se retirerait pas d’un lieu où la liberté et l’indépendance sont si fort gênées, il n’y a qu’un pas, et ce pas est vite franchi; on en a de très nombreux exemples.

Que si l’on se résigne à rester, on cherche un dédommagement : l’ambition se forme vite dans une âme qui n’est plus surnaturelle. On aspire aux emplois de l’Ordre; j’en ai vu devenir fous de cette passion. Fous, ils étaient évidemment incapables, mais ils croyaient ne pas l’être et se trouvaient infiniment malheureux de ce que leur mérite n’était pas suffisamment apprécié. Mettons qu’ils ne fussent pas privés entièrement de raison, peut-être n’en étaient-ils que plus dangereux; car l’ambition les portait à toutes sortes de machinations, sans aller à certaines extrémités, si prodigieuses que l’on a grand’peine à les croire. Que de troubles, que de désunions dans les âmes causés par un esprit ambitieux!

Que s’il ne se satisfait pas dans ses prétentions vaines au dedans, tenez pour sûr qu’il se précipitera au dehors sous apparence de zèle; on le verra se mêler de tout ce qui ne le regarde pas, et le moindre mal qui en résultera sera, chez les gens du monde, la perte du respect pour les religieux: on les trouvera ou nuls, ou intrigants, se mêlant beaucoup trop de ce qui ne les regarde pas.

Ce n’est pas qu’il ne faille affronter quelquefois, souvent même, les blâmes et les critiques des hommes : c’est là notre partage. Mais il faut, selon la pensée de saint Pierre, que nous soyons persécutés comme religieux et en haine de la vie religieuse, ce qui se sent bien aisément. Ah! soyez poursuivis tant que le monde le voudra comme religieux, ce sera votre gloire, mais non comme de pauvres et indignes religieux; or, c’est ce que cause la paresse dans certaines communautés.

Mais, à côté de cette paresse si déplorable, ne craignons pas de placer le défaut opposé : la passion trop humaine de l’étude. Le religieux qui en est atteint semble possédé du démon de la vaine science, celle qui enfle et n’édifie pas.

Dans quel but étudie-t-on ainsi? Je n’ai pas, pour le moment, à l’examiner.

Je sais qu’on voit des religieux frénétiques d’études; que, pour eux, les exercices de la vie de communauté ne sont rien; pour eux, il n’y a plus de règle; ils étudieront, si vous voulez, la théologie et les autres sciences ecclésiastiques, mais ils les étudieront d’une façon tellement humaine, qu’ils n’y trouveront que de l’aridité ou le vain plaisir des disputes.

L’amour-propre s’enfle d’autant, semblable à Simon le magicien, [[ qui croyait être quelqu’un, existimans se esse aliquem ]]. Voyez ce religieux qui se croit quelqu’un, et qui juge les gens du haut de sa science.

Or, remarquez que presque tous ceux qui se croient ainsi quelqu’un, se complaisent dans des idées hasardées. On devient systématique. On trouve inutile de travailler pour penser comme tout le monde; on va tout seul, et l’on compromet ainsi et son influence qui devient funeste et son salut, par des paradoxes contre la foi.

Le pire, c’est qu’on devient entêté. Sous prétexte qu’on en sait plus que les autres membres de la communauté, on s’enfonce dans sa manière de voir, on abonde dans son propre sentiment, et quelquefois on subit, dès ce monde, le châtiment mérité de cet entêtement orgueilleux, en se rendant ridicule.

Qu’il vaut bien mieux pour l’âme religieuse se livrer, sous l’oeil de Dieu, aux saintes études inspirées par l’humilité, l’obéissance et l’amour des âmes! Formons-nous sur le modèle de tant de saints qui ont tant étudié, mais qui ont pris pour devise: humilité et amour.

Lisez saint Augustin; vous verrez tous les travaux de ce grand Docteur écrits sous cette double inspiration. Sans avoir son génie, efforçons-nous d’apporter dans nos études ses vertus : elles seront l’arme seul capable de les préserver de toute corruption.

II. — Avis particuliers

Ici, j’ai à m’adresser à trois catégories d’auditeurs: aux tout nouveaux, à ceux qui étudient depuis quelques années, aux anciens.

Aux premiers, je dis : Vous arrivez, laissez-vous conduire. Que savez-vous ? Vous avez peut-être un bagage d’idées humaines bien inutile, et dont vous devez avant tout chercher à vous dépouiller. Ne croyez pas que nous ayons une grande estime pour la science que constatent les diplômes universitaires, nous les subissons dans le même esprit que la nécessité d’accorder le divorce aux Hébreux: [[ Ab initio autem non fuit sic ]]. Ce fut un Pape qui a établi les grades. Depuis, le diable les a retournés contre l’Eglise; et jusqu’à ce qu’ils aient recouvré leur esprit primitif, nous devons nous attendre aux plus déplorables résultats.

Aussi, croyez-moi, laissez de côté toutes vos idées étrangères à l’esprit chrétien, d’une part, et surtout, d’autre part, à l’esprit de l’Assomption.

Mais vous êtes nourri depuis de longues années dans les notions augustiniennes. Tant mieux! Je vous dirai: acceptez le jugement que vos supérieurs portent sur vous.

Peut-être n’êtes-vous pas très capable, mais vous l’êtes assez pour qu’on vous accepte comme un membre, sinon savant, du moins utile et peut-être plus utile qu’un savant, si vous savez avec une grande modestie vous laisser conduire. Vous n’êtes pas très capable, ne perdez pas une minute de votre temps, occupez votre esprit, entretenez-le tous les jours; vous adorerez moins le Dieu des sciences, vous adorerez davantage le Dieu de l’humilité. Avec l’obéissance, le travail qui vous sera imposé, et une grande bienveillance pour les religieux plus savants que vous, vous arriverez à une haute perfection, comme saint Joseph de Cupertin, et c’est l’essentiel de la vie religieuse.

Voici une autre hypothèse: vous êtes dans la communauté depuis un certain temps et vous avez des moyens. Eh bien! faites-les valoir en toute modestie et application et, pour cela, suivez avec exactitude le plan d’études qui vous est donné. Quoi! la Théologie mystique, l’Ecriture Sainte, les Pères, l’Histoire ecclésiastique, la Liturgie, ne suffisent pas à votre ardeur de novice! Permettez-moi de me défier de votre zèle; vous me faites l’effet de ne pas savoir suffisamment ce que c’est que l’ordre dans le développement de l’intelligence. Pour moi, je trouverais plutôt qu’en voilà beaucoup trop pour un homme, à qui l’on semble poser d’abord sur ses jeunes épaules un fardeau fait pour l’écraser.

Vous êtes ancien déjà; vous avez été muni, à la suite du noviciat, des études philosophiques et théologiques, après lesquelles vous êtes un peu livré à vous-même.

Croyez-moi, ne vous fiez pas à vous seul, consultez vos maîtres, et tout en tenant compte, et de votre attrait, et des travaux que l’on vous confie, faites-vous à vous-même, selon la direction qui vous est donnée, votre plan définitif. Peut-être ne pourrez-vous pas toujours en poursuivre l’exécution avec une rigueur absolue; pourtant vous pourrez, tantôt dans une situation, tantôt dans une autre, y revenir sans cesse.

Que si vous ne le conduisez pas au terme parfait, je vous donnerai une très grande consolation : saint Thomas n’a pas pu finir sa Somme théologique, et pourtant saint Thomas n’en est pas moins l’Ange de l’Ecole. Au ciel, vous vous consolerez avec saint Thomas de n’avoir pas pu, sur la terre, exécuter en entier le programme d’études que vous aviez élaboré.

Mais quel que soit le chaos où vous vous croyez plongé, souvenez-vous que vous êtes pourtant dans une situation très précieuse.

Un monde ancien s’en va, il a presque disparu. Pourquoi? Je n’ai pas à l’examiner. Je constate le fait et je dis que cette disparition était dans les desseins de Dieu.

[[ La Providence, a dit de Maistre, n’efface que pour écrire. ]] Nous voyons bien des institutions effacées. Que seront les institutions nouvelles? Si elles portent l’empreinte divine, elles participeront jusqu’à un certain point à la stabilité des oeuvres de Dieu, sinon elles ne tarderont pas à disparaître. Eh bien! une institution restera : celle qui, basée sur Jésus- Christ, renferme le Pape et les évêques et, autour des évêques les prêtres, les religieux surtout appelés à s’occuper davantage de doctrine.

Or, dans la nuit que font les vapeurs montées du puits de l’abîme, Dieu a établi quelques phares dans les temps modernes : l’Immaculée Conception, qui implique le double dogme de la chute par le péché et de la réparation par Jésus-Christ; puis, la proclamation de l’lnfaillibilité du Pape, et dans ce dogme, quelle force merveilleuse pour maintenir l’unité de doctrine à travers la Babel de la libre pensée et de la morale indépendante!

Croyez-moi : quand, par la doctrine de Marie Immaculée, on est fortifié sur la notion de tout l’ordre surnaturel qui en découle; quand, par le Vicaire infaillible de Celui qui est l’Auteur et le Consommateur de notre foi, on peut étudier des siècles et des siècles avec sécurité, on peut sonder les profondeurs des horizons les plus étendus, et la vie la plus longue se trouve courte pour arriver au terme de la vérité révélée à la terre.

Etudiez donc et, admirant la manière dont Dieu affirme la vérité en face des négations de l’orgueil, cherchez à vous rendre compte des magnifiques développements de la doctrine catholique, et réfugiez-vous, comme dans un asile, dans cette lumière qui tombe toujours plus éclatante du ciel.

Notes et post-scriptum