MEDITATIONS – Sage, ECRITS SPIRITUELS

Informations générales
  • ES-0593
  • MEDITATIONS
  • TRENTE-QUATRIEME MEDITATION LA RETRAITE D'UN SUPERIEUR
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 AMBITION
    1 AMITIE
    1 ANIMATION PAR LE SUPERIEUR
    1 ANTIPATHIES
    1 APPRECIATION DES DONS DE DIEU
    1 AUGUSTIN
    1 CADRE DE LA VIE RELIGIEUSE
    1 CAPRICE
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DEVOTION EUCHARISTIQUE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 ESPRIT D'OUVERTURE A L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT DE COMMUNAUTE
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 FRANCHISE
    1 HUMILITE
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LACHETE
    1 LIBERTE DE CONSCIENCE
    1 MANQUEMENTS A LA VIE RELIGIEUSE
    1 MARIE
    1 PARESSE
    1 PERSEVERANCE
    1 PIETE
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 PRUDENCE
    1 REFORME DU COEUR
    1 REGULARITE
    1 RELATIONS ENTRE RELIGIEUX
    1 RETRAITE DES RELIGIEUX
    1 SENS DES RESPONSABILITES
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 SOUVERAIN JUGE
    1 SUPERIEUR DE COMMUNAUTE
    1 SURVEILLANCE PAR LE SUPERIEUR
    1 TIEDEUR
    1 VERTUS RELIGIEUSES
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JONAS, BIBLE
    3 NINIVE
La lettre

Si la retraite est nécessaire aux simples religieux, elle l’est mille fois plus aux supérieurs. Exposés, par le fait même de leur charge, à se donner plus au prochain,ils ont bien moins de temps pour s’occuper d’eux-mêmes.

Or, il faut qu’il puisse, sous l’oeil de Dieu, avoir des heures à eux pour méditer sur leur compte à rendre au Père de famille.

Voici quelques principaux points de réflexion, dont ils doivent se pénétrer en entrant en retraite :

1° Quelle est leur responsabilité par le fait même de leur charge?

2° Quels moyens ont-ils à prendre pour rétablir ou maintenir la marche régulière et la ferveur dans la communauté?

3° Quel bien ont-ils à faire aux âmes?

4° Quelle action extérieure ont-ils à exercer?

I. — Responsabilité d’un supérieur

Le supérieur d’une communauté est certain qu’il ne se sauvera ni ne se damnera pas seul. Il est entouré d’âmes dont il porte le poids, dont il répond devant Dieu.

Les caractères dans une communauté sont multiples, et il faut les faire marcher ensemble : travail difficile, car si, par suite de leurs dispositions naturelles, l’antipathie établit des chocs, le supérieur est obligé de tout faire pour les éviter.

Puis, les degrés de perfection sont divers, et le supérieur est tenu d’être au courant de toutes ces variétés, qui vont de la chute jusqu’au sommet de la perfection, en passant par la tentation, la tiédeur, le découragement, la torpeur morale.

Le supérieur rencontre à côté de lui des Frères que l’ambition pousserait à désirer sa place. Or, la situation est embarrassante. Si en effet il a désiré être à la tête de la maison, comment prêchera-t-il l’humilité, la modestie, le désintéressement à ce concurrent? Remarquez qu’il ne s’agit pas ici de ces phrases banales que l’on s’adresse dans le monde; il s’agit de tout ce qu’il y a de plus sérieux, de la conscience; quelle difficulté!

Ou bien, il n’est supérieur que malgré lui, et l’embarras est presque aussi grand, car on a beau être humble, on persuade très difficilement à un ambitieux que tout le monde ne l’est pas.

Mais si lui-même l’est en effet, que se passe-t-il? Il a une certaine incapacité et il l’a montrée; il est arrivé à ses fins, il commande. Il commande bien ou mal, peu importe. Eh bien! le voilà avec sa responsabilité qu’il a voulue, mais sans les grâces que Dieu lui eût accordées s’il ne fût pas monté au premier poste par des moyens humains. Hélas! dès les premiers pas, que sa responsabilité est lourde! En attendant, la communauté va de travers, précisément parce que chacun s’aperçoit du désir qu’a eu le supérieur d’être le maître.

Tel autre, au contraire, refuse l’autorité. Pourquoi? Uniquement par ennui. Il aime ses fantaisies, travaille par caprice, il faut qu’on lui passe tout: il ne commandera pas, parce que le commandement a ses gênes; il n’obéira pas davantage, parce que l’obéissance est un joug, et ce religieux est en général la croix de son supérieur.

On ne veut pas être supérieur par paresse; le travail fatigue, on ne veut pas se fatiguer; mais on veut avoir le droit d’exiger beaucoup de travail de ceux qui nous commandent, afin d’avoir à en faire moins soi-même. Et le supérieur est obligé de travailler pour lui et pour les paresseux, sans quoi rien ne se ferait. Dans quelle mesure est-il obligé de travailler pour les autres? Affaire de bonne foi. Car il faut qu’une certaine somme de travail soit faite, et cependant le supérieur ne peut pas tout faire; d’autant plus que, s’il fait trop, certains caractères mal faits l’accuseront de se charger de tout et de ne rien laisser aux autres.

En tout cela, où est la pensée de Dieu? Ah! vous ne voulez pas être supérieur en face de mille difficultés, dont j’ai à peine effleuré quelques-unes? Mais si vous avez la responsabilité d’être supérieur, votre responsabilité n’est pas moindre si, devant l’être, vous ne l’êtes pas.

Remarquez que Jonas ne voulait pas aller à Ninive, comme vous, vous fuyez les emplois. Il souleva une tempête, il fut jeté à la mer, et la mer le poussa vers la ville où il redoutait d’arriver. Ah! vous n’êtes pas satisfait d’être supérieur; vous voulez vous retirer, vous allez susciter des tempêtes: seulement j’ignore si, à la différence du prophète, vous n’y périrez pas.

Elevez-vous donc plus haut, et souvenez-vous que votre responsabilité ne peut être mise à l’abri qu’autant que vous vous serez mis entre les mains de l’obéissance, sans quoi je vous engagerai a vous représenter le tribunal de Dieu, et à scruter tout ce qu’il vous demandera à votre dernier jour, et tout ce que vous aurez à lui répondre, pour vous justifier de l’état où vous aurez laissé les âmes confiées à votre charge.

Croyez-moi, vous faites votre retraite pour toutes les âmes que vous devez sanctifier. Or, jetez un regard sur votre troupeau : les âmes se traînent, et vous ne les portez pas; les âmes commettent des fautes même graves, et vous ne les punissez pas; elles souffrent, et vous ne les consolez pas; elles s’affaiblissent, et vous ne les fortifiez pas; elles se pervertissent, et vous ne les convertissez pas!

Quand vous paraîtrez devant Dieu, que répondrez-vous à ces terribles questions du juste Juge, en face et des motifs pour lesquels vous avez peut-être voulu être supérieur, et des prétextes pour lesquels vous avez mal exercé votre charge, et des âmes que vous avez laissées errer dans une voie détestable, et de toute la communauté qui, par votre faute, n’est plus peut-être qu’une grande ruine.

II. — Moyens d’établir la régularité et la ferveur

Pendant les jours de solitude que la Providence vous fait, rendez-vous un compte exact de l’état de votre maison.

La règle y est-elle observée? Les emplois sont-ils accomplis convenablement? L’oraison y est-elle en honneur? L’obéissance y est-elle acceptée? Les Frères sont-ils charitables entre eux? Le travail y est-il sérieux et donne-t-il des résultats? Le niveau des études s’élève-t-il? Les oeuvres sont-elles recherchées dans un but surnaturel? Les étrangers sont-ils édifiés? L’influence chrétienne s’étend-elle au dehors? L’action exercée n’est-elle que pour Dieu? Ne voilà-t-il pas une ample matière à examen!

Quand votre prédécesseur vous a transmis l’autorité, où en était la maison? Etait-elle fervente, régulière? Avez-vous entretenu la régularité, la ferveur?

Remarquez que, dans ce temps où l’on fait tant de choses grâce aux machines, il ne suffit pas d’en avoir une pour que le travail se fasse tout seul. Il faut savoir s’en servir, la diriger; il faut l’entretenir, en réparer les avaries, en renouveler les ressorts, mettre de l’huile dans les rouages. De même pour une communauté: elle va bien, tant mieux! Il importe qu’elle continue à bien aller, et c’est pour cela qu’une surveillance constante est nécessaire, pour que rien ne vienne arrêter la régularité de la marche générale, l’exactitude dans les exercices, la vie religieuse dans l’accomplissement de tous les devoirs, l’amour de la vocation, le désir d’une perfection plus grande par la prière, la dépendance, l’affection réciproque, l’esprit de pénitence, de travail et de zèle.

Que si, au contraire, ce supérieur n’a trouvé qu’une communauté délabrée, à quelle vie de prière ne doit-il pas se donner pour réparer, avec l’aide de Dieu, les dégradations en face desquelles il se trouve.

Par où doit-il commencer? Quelle méthode plus efficace doit-il employer? Doit-il faire sentir son autorité? Doit-il gagner la confiance? Doit-il se poser en vrai religieux et attendre que l’estime assouplisse sous sa direction les religieux placés sous son action? Si un premier plan a avorté, doit-il l’abandonner au risque d’être taxé d’inconstance? Doit-il y persévérer au risque d’être accusé d’entêtement?

Ne voilà-t-il pas un ample champ à parcourir pour un supérieur pendant sa retraite? Et s’il commence à voir clair dans ce qu’il doit faire, n’aura-t-il pas beaucoup obtenu?

III. — Bien à faire aux âmes

Il est certain que la confiance ne s’impose pas, et qu’on ne peut pas obliger un religieux à s’ouvrir plus qu’il ne le veut. Il n’est donc pas ici question de devoir strict. Pourtant, à cause de cette liberté même, qu’il est bon de leur laisser, que de bien ne peut-on pas faire aux religieux?

Le coeur humain, si rude qu’il paraisse, a besoin d’être aimé, et, sans tomber dans les fadeurs absurdes de certains directeurs, il n’y a qu’à voir la charité de saint François de Sales, de saint Bernard, de saint Augustin surtout, pour comprendre le bien que l’on peut faire avec de l’affection surnaturelle.

Les religieux peuvent quelquefois ne pas répondre, mais il est bien permis de les interroger. Ici sans doute le tact, la prudence, une certaine réserve sont nécessaires, mais ajoutez le respect, et faites un tout de ces quatre éléments, et vous verrez si vous ne viendrez pas à bout d’obtenir que l’on vous dise tout ce qui est nécessaire.

Entendons-nous. Vous n’êtes pas obligé de vous faire tout dire, parce que vous devez beaucoup deviner; mais pourvu que vous ayez pu pénétrer je ne sais quel repli caché, où s’était réfugié je ne sais quel sentiment intime, qu’importe qu’on vous l’ait avoué! On est bien aise que vous le sachiez sans qu’on ait été obligé de vous le dire, et vous avez un moyen d’autant plus puissant pour exercer votre action, que vous vous servez d’une arme qu’on ne vous avait pas volontairement présentée.

Ici, je dois m’arrêter. Un supérieur doit avoir étudié la science de la direction des âmes, et dans sa retraite il doit examiner à quel degré il l’a acquise, à quel degré il doit l’acquérir, si elle lui fait défaut. Question de bonne foi, mais d’où dépend l’arrêt ou le progrès de sa famille spirituelle.

J’indique le point capital: l’obligation de posséder la science des âmes : [[ Ars artium, l’art des arts, comme dit saint Grégoire ]]. Pendant une retraite, un supérieur, partant de cette idée qu’il doit être savant dans l’art de former des saints, peut bien se demander quel bien il a fait, quels obstacles il a opposés à la marche de certaines âmes, et comment il doit travailler, en cultivant, une à une, les consciences qui viennent se soumettre à lui.

IV. — De l’action extérieure

Si notre petite famille doit se pénétrer de l’esprit apostolique, elle doit se livrer à une certaine action extérieure, et c’est surtout à un supérieur qu’il appartient de diriger et de développer cet esprit.

D’abord, que d’imprudences à éviter de la part de certains sujets qui croient que tout est possible, et qui ne comprennent pas qu’on ne fasse pas tout, uniquement parce qu’ils ne comprennent rien.

Revenons-en toujours à l’exemple de Notre-Seigneur qui à lui seul eût pu convertir le monde, et qui, à son dernier soupir, n’avait près de lui que sa mère, saint Jean, quelques femmes pieuses et le bon larron qui y était par force.

Quand le Saint-Esprit descendit sur les apôtres, ne pouvaient-ils pas bouleverser le monde? Il fallut trois siècles pour que l’Eglise triomphât, et la persécution du sang n’était pas finie, que la persécution de l’hérésie ouvrait son ère avec fureur.

Nous aurons toujours à combattre, et cela ne doit pas nous surprendre; nous irons lentement, nous reculerons quelquefois. Dieu a ses desseins. Mais il est sûr que, sans nous inquiéter du résultat, nous aurons toujours à faire. L’essentiel, c’est de ne jamais se décourager.

Un supérieur doit toujours ranimer l’ardeur de ses religieux, et, pour cela, il doit toujours leur montrer un but à poursuivre. Evidemment, il doit avoir pris le mot d’ordre le plus haut, mais quand il s’est mis dans l’obéissance, quand la prudence l’a aidé à combiner ses plans, il doit souffler le zèle à tout ce qui l’entoure, il doit surtout écarter cette atroce maxime: il n’y a plus rien à faire! aussi détestable que le cri de : Sauve qui peut! signal de toutes les déroutes.

Il y a toujours à faire, tant qu’il y a à prier, à souffrir, et à mourir.

On a dit que, dans l’Eglise, l’homme le plus à plaindre était le Pape; que, dans un diocèse, l’homme le plus à plaindre était l’évêque; on peut dire que, dans une maison religieuse, l’homme le plus à plaindre est le supérieur, d’autant plus qu’il est en général peu plaint.

Mais ajoutons qu’il doit n’avoir pas besoin des consolations de ses inférieurs; il a celles de son divin Maître au tabernacle et à l’autel; c’est là qu’il peut aller les demander en prenant les résolutions que lui aura inspirées sa retraite, et qu’il tiendra d’autant mieux qu’il l’aura faite avec plus de foi, d’espérance et d’amour, sous l’oeil de Notre-Seigneur.

Notes et post-scriptum