CIRCULAIRES – Sage, ECRITS SPIRITUELS

L’éducation demeure à nos yeux le plus parfait moyen pour préparer, dans le monde, dans la vie religieuse et le clergé, une élite totalement dévouée aux intérêts majeurs de l’Eglise.

Informations générales
  • ES-0235
  • CIRCULAIRES
  • SEPTIEME CIRCULAIRE
  • Sage, ECRITS SPIRITUELS
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENTS
    1 ALUMNATS
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 APOTRES
    1 AUSTERITE
    1 BEAU CHRETIEN
    1 BEAUTE DE JESUS-CHRIST
    1 BON EXEMPLE
    1 BON PRETRE
    1 BONTE MORALE
    1 COLLEGES
    1 COMBATS DE L'EGLISE
    1 COMMUNION FREQUENTE
    1 CRITERES D'ADMISSION AU NOVICIAT
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DETACHEMENT
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 EDUCATION
    1 ENFANCE DE JESUS-CHRIST
    1 ENFANTEMENT DES AMES
    1 ENSEIGNEMENT PROFANE
    1 ESPERANCE
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT DE L'EDUCATION
    1 ETUDE DES CARACTERES
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE JESUS-CHRIST
    1 EUCHARISTIE
    1 EXAMENS SCOLAIRES
    1 FECONDITE APOSTOLIQUE
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 FORMATION DES JEUNES AUX VERTUS
    1 INCARNATION MYSTIQUE
    1 INTELLIGENCE
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LITURGIE
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 LUTTE CONTRE LE MAL
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 LUXURE
    1 MAITRES CHRETIENS
    1 MISERES DE LA TERRE
    1 MORT
    1 OEUVRE DE JESUS-CHRIST
    1 OEUVRES DES VOCATIONS
    1 ORAISON
    1 OUBLI DE SOI
    1 PARADIS TERRESTRE
    1 PATIENCE DE JESUS-CHRIST
    1 PAUVRETE
    1 PECHEUR
    1 PERFECTION
    1 PERSEVERANCE
    1 PIETE
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PROVIDENCE
    1 PSYCHOLOGIE
    1 QUERELLE DES AUTEURS CLASSIQUES
    1 RENVOI D'UN ELEVE
    1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINTETE
    1 SEMINAIRES
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SURVEILLANCE DES ELEVES
    1 SURVEILLANCE PAR LE SUPERIEUR
    1 TENTATION
    1 TIEDEUR
    1 TRAVAIL
    1 TRAVAIL MANUEL
    1 TRIPLE AMOUR
    1 TYRANNIE DES SENS
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VERTUS DE L'APOTRE
    1 VERTUS RELIGIEUSES
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VOCATION
    1 VOCATION SACERDOTALE
    1 ZELE POUR LE ROYAUME
    2 ADAM
    2 JOB, BIBLE
    2 JUDAS
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
  • Nîmes, 13 juillet 1874.
La lettre

Mes très chers Frères,

J’ai hésité assez longtemps sur le meilleur plan à suivre dans ce que j’ai à vous exposer au sujet de l’éducation. Devais-je considérer à part l’éducation dans les collèges et l’éducation dans les Alumnats? Devais-je prendre la question d’ensemble, et m’arrêter à ce qui est commun à ces deux modes de formation de la jeunesse? Après y avoir bien réfléchi, j’ai cru préférable, en partant d’une base commune, de considérer avec ordre les divers points de vue que soulève le grand problème de l’éducation chrétienne et religieuse.

Je traiterai: 1° du but de l’éducation; 2° du maître; 3° du collège; 4° du premier Alumnat; 5° du second Alumnat.

I. — But de l’éducation

Toute l’éducation chrétienne et religieuse se résume dans ces paroles de saint Paul aux Galates: Filioli mei quos iterum parturio, donec formetur Christus in vobis. La formation de Jésus-Christ dans les âmes, voilà le but unique de l’éducation; et, comme Jésus-Christ est arrivé à l’état d’homme parfait: in virum perfectum, quand nous aurons mis les jeunes âmes sur la voie où elles peuvent s’approcher des perfections de l’Homme-Dieu, nous leur aurons donné la plus admirable préparation à la vie. La connaissance de Jésus-Christ, selon tout ce qu’il est et selon son action humaine et divine; l’amour de Jésus-Christ, selon l’impression de ses bienfaits pour nous et de sa beauté théandrique; le dévouement à Jésus-Christ, selon les droits souverains de notre Roi; les récompenses auxquelles il nous invite, la pratique des devoirs et des vertus qui découlent de nos rapports avec Jésus-Christ ainsi considéré, tel est, ce me semble, le but le plus parfait de l’éducation.

Et comme, pour ne point nous égarer, il est bon de le suivre pas à pas, nous comprenons pourquoi le Fils de Dieu n’a pas voulu, comme le premier Adam, sortir parfait des mains de son Père, mais pourquoi il a préféré naître d’une humble femme, subir les langes, les infirmités de l’enfance, grandir peu à peu et se manifester ainsi par degrés aux hommes. La formation de l’enfance était quelque chose de trop important, pour que Jésus enfant ne se proposât point pour modèle de cette formation. Le mystère de la sainte enfance et de tout ce qui s’y rapporte doit être le sujet fréquent des méditations du maître chrétien. Que d’enseignements ne puisera-t-il pas dans ces détails, qui, au premier aspect, semblent n’avoir aucun rapport avec l’éducation!

II. — Du Maître

[[ Je vous ai donné l’exemple, disait le divin Maître à ses apôtres, afin que, de même que j’ai fait, vous fassiez aussi à votre tour. ]] Et ailleurs : [[ Jésus commença à faire et ensuite à enseigner : coepit Jesus facere et docere. ]] L’éducation n’est pas une pure théorie; elle est, avant tout, un enseignement pratique de tous les jours et de tous les instants. Je ne comprends pas le maître chrétien qui n’a pas sans cesse, non sur les lèvres, mais dans le coeur ces paroles de l’Apôtre: vivo,jam non ego, vivit vero in me Christus. Quand Jésus-Christ vit dans un maître, il est bien facile à ce dernier de montrer constamment le divin Modèle, surtout s’il ajoute : mihi vivere Christus est et mori lucrum. Le maître pour qui vivre, c’est Jésus-Christ, porte avec lui le double caractère de l’esprit surnaturel et du désintéressement.

Si toute sa vie est Jésus-Christ, si elle est cachée avec Jésus Christ en Dieu, elle s’élève nécessairement au-dessus de toutes les misères de la terre, et prend en Dieu, par Jésus-Christ, un cachet divin; et, si mourir est un gain pour lui, c’est qu’il ne tient à rien ici-bas, sa récompense n’est pas sur la terre. S’il la mettait dans les choses périssables, la mort les lui enlevant, la mort ne serait pas pour lui un gain. Que si, au contraire, on sent en lui le dédain de ce qui passe, de la gloire, de tout point d’honneur, de toute susceptibilité, de tout bénéfice, de tout avantage matériel, de toute satisfaction de bien-être; si aucune tache de boue humaine ne souille le cristal de pureté à travers lequel Jésus-Christ, vivant en lui, lance les rayons doux et forts de sa lumière et de ses flammes, oh! alors, il sera puissant, fécond, propre à former Jésus-Christ dans ses petits enfants, pour qui sa tendresse aimera de souffrir je ne sais quel enfantement mystérieux dont le fruit sera comme une nouvelle incarnation de Jésus-Christ dans les âmes : donec formetur Christus in vobis.

Certes, il y a là un pénible labeur à subir, mais quel honneur pour un homme d’être appelé par Jésus-Christ au plus admirable des travaux! Qu’est-ce que l’oeuvre des six jours, en comparaison de l’oeuvre de l’éducation chrétienne? Et si la théologie nous enseigne que l’acte de la Rédemption est bien au- dessus de l’acte de la création, que devons-nous penser de l’honneur qui nous est fait d’être les coopérateurs du salut des hommes?

Dira-t-on que toutes ces observations s’appliquent à tous les hommes revêtus d’un caractère ou d’une mission apostolique? Sans doute, et il est déjà bien glorieux que nous soyons comparés aux apôtres: nous devons l’étre en effet. Toutefois, on peut établir quelques nuances positives: Le maître chrétien est apôtre par le zèle, les vertus, le but; seulement, l’apôtre proprement dit a un champ plus vaste, le maître chrétien a le sien plus circonscrit; l’apôtre s’adresse aux masses d’où jailliront les saints, le maître chrétien doit, alors même qu’il ne réussirait pas toujours, s’efforcer de former des saints; moins d’âmes à pétrir lui sont confiées, mais il doit les façonner avec plus de délicatesse; c’est un sculpteur dont le ciseau hâtif ne taille pas dans la pierre vulgaire de nombreuses statues ébauchées, destinées à être vues de loin; c’est sur le marbre que doit s’enfoncer son burin, et son oeuvre est destinée à orner le temple de Dieu, peut-être même le sanctuaire; il est tenu de faire avec d’autant plus de perfection qu’on lui demande, si je puis dire ainsi, moins d’oeuvres que quelques chefs-d’oeuvre. L’apôtre agit d’ensemble, sauf à reprendre ensuite son travail pour quelques particuliers; le maître chrétien agit avant tout dans un ensemble très restreint dont il lui faut prendre les membres un à un, s’il veut réellement former Jésus-Christ dans ces jeunes coeurs, d’où tant de germes funestes sont à extirper les uns après les autres, avant que puisse leur être communiqué le grain de froment par excellence, Jésus-Christ, semence des saints:

Après cela, je déclare très volontiers que dévouement le maître chrétien doit être par-dessus tout un homme apostolique. De quelles prières, de quelles larmes, de quelles pénitences ne doit-il pas accompagner son action extérieure! Le maître qui ne prie pas beaucoup, qui ne souffre pas beaucoup pour les enfants, qui ne fait pas sa grande affaire de l’éducation, sera un homme brillant, distingué, obtenant des applaudissements et des succès; au fond, ce sera un maître médiocre, vulgaire, sans fécondité pour Dieu; ce sera un mercenaire. Dieu nous préserve de maîtres pareils! Le fond du vrai maître se résume dans ce seul mot: le dévouement, savoir se donner tout entier : libenter impendam et superimpendar ipse pro animabus vestris.

III. — Du collège

Espérer faire d’un collège le vestibule du ciel pour tous ceux qui viendront frapper à sa porte, ce serait une prétention absurde sur laquelle Jésus-Christ, pour nous consoler, a jeté la plus vive lumière quand il a dit : Nonne duodecim vos elegi, et unus vestrum diabolus est? Nous aurons donc, quoi que nous fassions, des démons parmi nos élèves, ce qui ne doit pas nous empêcher de nous appliquer à en faire des anges. Les difficultés ne doivent jamais nous arrêter. Est-ce que Notre-Seigneur n’a pas eu beaucoup à souffrir de la grossièreté, de l’inintelligence, de l’incrédulité des apôtres eux-mêmes? A chaque instant, ce sont les aspirations les plus absurdes de préséance, de dignité, d’ambition, de rivalité; à chaque instant, nous voyons qu’ils ne comprenaient pas : ipsi autem nihil horum intellexerunt. Certes, le maître chrétien doit être patient, mais il ne le sera jamais autant que son divin Modèle.

Partons de la conviction que les enfants confiés à nos soins ne sont pas parfaits. S’ils l’étaient, pourquoi nous les confierait-on? Pour leur apprendre un peu de latin, de grec, d’histoire ou de physique? Les professeurs à gages qui enseignent pour de l’argent y suffiraient de reste.

Le premier homme fut pétri par la main créatrice d’un peu de boue. Eh bien! oui, les élèves d’un collège sont cette masse, fangeuse hélas! quelquefois, mais sur laquelle le maître chrétien, à l’imitation de Dieu, souffle l’esprit de vie : spiraculum vit. Mais, pour le communiquer, ce souffle, il faut l’avoir. Hélas! que de maîtres en manquent et ne se doutent seulement pas qu’ils en sont dépourvus!

Veuillez ici remarquer une différence, toute à l’avantage du maître chrétien, entre la formation de l’homme au paradis terrestre, et la formation de l’homme nouveau dans l’Eglise. Primus homo de terra terrenus, secundus homo de coelo coelestis: quelque sens que vous donniez à l’expression terrestris, vous avez, vous, à faire des hommes célestes, selon votre modèle, Jésus-Christ, qui est en vous et devant vous : aspicientes in auctorem fidei et consummatorem Jesum. Pour un but si élevé, un grand travail est à faire:

Il faut connaître Jésus-Christ, et, comme je le disais ailleurs, on ne parle convenablement que de ce que l’on connaît bien. On apprend à connaître Jésus-Christ par l’étude et par la méditation; impossible, sans l’union de ces deux moyens, de connaître assez le divin Maître pour en parler comme il convient. L’étude de Jésus-Christ est bonne, mais susceptible d’une certaine sécheresse. La méditation sans étude précisée se perd dans un vague de faux mysticisme. L’étude et la prière unies donnent des résultats féconds. Hélas! l’expérience n’est-elle pas là que, si Jésus-Christ se forme si mal dans le coeur des enfants, c’est que le travail de formation est confié à des maîtres qui ne prient pas ou n’étudient pas, ou bien qui trop souvent n’ont ni prié ni étudié.

Il faut aimer Jésus-Christ: grave question. Comment se fait-il que, en général, Notre-Seigneur est si peu aimé des enfants? On en donnerait une douloureuse raison en répondant qu’ils n’aiment plus celui qui aime à se reposer au milieu des lis parce qu’ils n’ont plus le lis de leur innocence; triste vérité que celle-là! Peut-on dire que les élèves n’aiment pas Jésus-Christ parce que les maîtres l’aiment trop peu? Puisque nous devons, dans ces communications intimes, aller au fond, voilons-nous la face et avouons que là est la vraie cause du peu d’ardeur de nos enfants pour notre divin Maître. Le maître chrétien, au milieu de ses enfants, devrait se représenter sans cesse Jésus-Christ interrogeant saint Pierre au moment où il allait lui confier le magistère suprême de l’Eglise : Simon Joannis, diligis me plus his? Une première, une seconde fois le Seigneur lui confie les agneaux du bercail. A la troisième interrogation, Pierre s’attriste, et dans un élan d’amour il s’écrie: Domine, tu omnia nosti, tu scis quia amo te, et Jésus-Christ lui dit: Pasce oves meas. La mesure d’amour envers Jésus-Christ devrait être, elle sera toujours la mesure de l’action sur les âmes dans l’Eglise et dans l’école.

L’amour se prouve par les faits. Si Jésus-Christ est formé par nous dans les âmes des élèves, non seulement ils l’aimeront, mais ils l’invoqueront. Laissez-moi vous faire un aveu sous forme de question. Ne vous ai-je pas donné un mauvais exemple en ne vous engageant pas davantage à former nos enfants à l’esprit de prière, et les formerions-nous si peu à cet esprit parce que nous sommes beaucoup trop peu des hommes d’oraison? De grâce, veuillez y penser et réfléchir sur les conséquences si terribles pour nos enfants, sur la responsabilité que nous encourons en développant si peu chez nous la vie de prière, d’où il résulte qu’elle est à peu près nulle chez les autres; et alors, comment espérer que Jésus-Christ se formera dans les âmes dont nous avons la charge?

L’amour se prouve par les faits. L’ensemble de ces faits, c’est la pratique des vertus dont chacune est une imitation plus spéciale des perfections de Jésus-Christ. Quelle matière à perfection pour nous-mêmes! Quelle prédication vivante pour nos enfants! Ah! c’est bien l’occasion de revenir à Jésus-Christ faisant d’abord, et enseignant ensuite!

Je n’ai pas à rappeler les vertus plus particulières qui constituent l’esprit de l’Assomption, ceci a été dit autre part; inutile d’y insister de nouveau. Je rappellerai seulement que nous devons surtout nous porter et porter nos enfants à un très grand esprit de foi, de franchise, de sacrifice et d’initiative. Après cela, que nous leur laissions une certaine liberté de développement, que nous ne les écrasions pas sous une forme identique, c’est, je crois, absolument indispensable.

Toutefois, revenons aux trois grands principes à leur inculquer sans cesse: l’amour de Jésus-Christ, l’amour de la Sainte Vierge, protectrice de leur pureté, l’amour de l’Eglise, cette grande cause pour laquelle il faudrait les embraser, tenant pour sûr que la préoccupation des combats à livrer les soutiendrait dans l’ennui de certaines études, leur donnerait de salutaires distractions, refuge contre les bouillonnements d’un sang jeune, contre les séductions du monde et de Satan.

Que de vocations se formeraient alors comme d’elles-mêmes! Séduits par la grandeur, par la beauté du but, par les périls à surmonter pour l’atteindre, avec ce triple mobile: l’amour de Jésus-Christ, que nous leur aurions communiqué, l’amour de la Sainte Vierge et de toutes les vertus cachées sous son royal et céleste manteau, l’amour des combats de l’Eglise et des persécutions à subir pour elle, que de jeunes gens deviendraient facilement des héros! En vérité, ce serait facile, mais à une condition, que nous serons nous-mêmes des héros pour Jésus-Christ.

J’ai négligé de vous parler des défauts à corriger, des abus à réformer; ceci est l’affaire d’une vigilance constante et d’un travail persévérant. L’amour de Jésus-Christ, source de tout bien pour l’homme régénéré par lui, implique la haine du mal et son extirpation du coeur. Dieu a dit lui-même le dernier mot de l’éducation, lorsque, chassant Adam du paradis, il lui annonça que la terre ne lui produirait que des ronces et des épines: tribulos et spinas germinabit tibi; qu’il aurait besoin de pain pour vivre, et qu’il le gagnerait à la sueur de son front : in sudore vultus tui vesceris pane. Nous aussi, nous avons besoin de pain, et les enfants n’en ont pas moins besoin: A nous de le leur procurer, mais en même temps de leur apprendre à se le procurer plus tard. Ce pain, si nécessaire à nous et à nos élèves, est ce pain supersubstantiel dont il est parlé en saint Matthieu. Telle est la pierre de touche pour nous; poussons vers ce pain, inspirons-en la faim; qu’à nos leçons et par nos exemples surtout nos chères jeunes âmes apprennent à le gagner à la sueur de leur front par la lutte contre leurs défauts, leurs vices, leurs habitudes coupables; formons-les à ces intimes labeurs, mais montrons-leur ce pain admirable, force des faibles, aliment des forts, vrai pain des anges. Le jeune homme qui communie souvent de lui-même, sous la seule grâce de Dieu, porte en lui le germe de la perfection. Il nous quittera et nous aimera: mais dût-il nous oublier, ce qui importe peu, notre oeuvre sera accomplie, puisque ce qui manquera sera continué par Jésus-Christ à la communion. Nous en aurons fait un chrétien, nous aurons formé Jésus-Christ en lui; Jésus-Christ, revenant en lui par l’Eucharistie, se chargera d’en faire un saint.

Evidemment, ce que je vous esquisse sur l’éducation est plein de lacunes. Ainsi je n’ai rien dit de la manière dont le maître doit étudier ce qui est spécial à chaque enfant, extirper certains défauts, voir ce qui est bon dans sa nature pour le développer, et former des caractères ayant tous un certain type, quoique divers. Jésus-Christ a toutes les perfections en lui: les saints n’ont que certaines vertus à un degré éminent, ils reproduisent le Modèle divin sous une foule d’aspects. Ce qui se voit dans les saints doit se voir dans les âmes des enfants. Les saints ont eu à combattre certains vices originels, à repousser certaines tentations, et ils ont acquis par là un ordre spécial de mérites. Il en doit être de même dans le travail de l’éducation. Il importe de former Jésus-Christ, mais selon la matière où il est possible de le reproduire: or, argent, bronze, marbre, pierre ou bois.

Ceci est l’objet d’une étude très assidue. Il est certain toutefois que, lorsque le maître, par son dévouement et sa sainteté, aura inspiré une grande confiance à ses élèves, ce qu’ils reproduiront le plus fidèlement et le plus facilement, ce sera lui-même.

Je n’ai pas à traiter ici de l’instruction; je veux pourtant vous faire observer combien l’étude de Jésus-Christ, si elle est bien faite, peut être une source d’inspirations chrétiennes. Qu’y a-t-il de plus beau que Dieu, de plus admirable que Dieu, mis à la portée des hommes par son union avec l’humanité? Quoi de plus grand que le rejaillissement de cette beauté divine à travers tous les types de beauté, de grandeur, de délicatesse morale que nous offrent tous les saints? Et quand on a ces types à étudier, je me demande quel temps on a pour étudier les types païens. Peut-être trouverait-on là le dernier mot d’une controverse célèbre.

Nous ne proscrivons pas tout ce qui n’est pas littérairement chrétien; nous admettons qu’on peut y trouver ce que certains amateurs prétendent y découvrir. Mais les filons chrétiens à exploiter sont si riches, la mine est tellement inépuisable, que nous n’avons pas le loisir de nous occuper d’autre chose. Quand nous aurons fouillé tout le monde des beautés surnaturelles, que nous nous serons pénétrés de cet ordre admirable placé par la révélation au-dessous du ciel sans doute, mais bien au-dessus de la terre, nous pourrons alors jeter un regard sur l’esthétique naturaliste, telle que le monde païen la comprend. Jusque là, nous nous en passerons, pour l’unique motif que ce serait un temps inutilement employé.

La notion du beau chrétien, étudié dans son côté le plus élevé, est évidemment un très puissant moyen d’éducation. Lorsque l’âme s’éprend des charmes de la vérité, qu’elle s’abandonne aux émotions d’un ordre plus pur, elle se purifie, elle s’améliore, elle trouve en elle moins de goût et d’entraînement pour les sensations inférieures. Il faudrait peut-être un long temps pour expliquer les rapports entre l’être, le vrai, le bien et le beau, tels qu’ils composent la substance divine et se révèlent en Jésus-Christ. Pourtant, l’on peut trouver dans ces rapides données des développements sans fin d’une littérature saine, fortifiante, supérieure, élément précieux de l’éducation, telle que nous voudrions pouvoir la réaliser. De grâce, mes chers Frères, étudiez la question de l’enseignement par ce coté, vous serez surpris des résultats que vous obtiendrez.

IV. — Du premier Alumnat

Je ne vous ai parlé que de l’éducation dans le collège; je n’ai pas besoin d’ajouter que le fond de ce que j’ai établi s’applique aux Alumnats. Cependant, il est nécessaire de préciser un peu plus ce qui convient à une institution spéciale.

En fondant les Alumnats, nous avons voulu élever des enfants destinés au sacerdoce, soit dans le ministère des paroisses, soit dans le clergé régulier. Nous nous sommes adressés aux familles qui, vu leur modeste avoir, ne peuvent pas payer toute la pension de leurs enfants, laissant pour les petits Séminaires les enfants dont les parents ont assez d’aisance pour subvenir aux frais de l’éducation.

Mais n’est-il pas dangereux de prendre des enfants exposés par leur pauvreté même à n’avoir pas une certaine noblesse de sentiments? A cette objection, nous avons répondu d’abord que Jésus-Christ, notre modèle, avait composé le premier de tous les séminaires, le séminaire dont il était lui-même le Supérieur, de bien pauvres et grossiers artisans; ensuite, que l’éducation comme nous l’entendions dans les Alumnats avait précisément pour but d’écarter l’inconvénient objecté, malheureusement très réel dans les grands et petits Séminaires.

L’Alumnat, formé d’enfants qui veulent être prêtres et même religieux, mais qui sont pauvres, doit avoir son cachet.

1° Il importe que la piété y soit pratiquée dans toute sa simplicité et sa franchise.

2° On doit exiger une vie austère, rude, ainsi qu’elle convient à des enfants pauvrement élevés.

3° Les études chrétiennes doivent y occuper une place presque exclusive, surtout l’étude du latin et du grec, les deux langues de l’Eglise.

4° Le travail des mains doit y préparer aux travaux des futurs missionnaires.

5° Les cérémonies de l’Eglise y seront les grandes joies, et, comme disait un illustre évêque, les enfants devront être des hommes d’Eglise, vivant surtout d’une façon très ecclésiastique.

6° Les Supérieurs des Alumnats devront rendre à leurs familles les enfants reconnus peu aptes à recevoir l’esprit de l’institution, et à se plier à la règle commune : nonne modicum fermentum totam massan corrumpit?

7° Il importe d’exiger des enfants une certaine capacité. C’est pour quoi les examens préalables sont si nécessaires avant l’admission à l’Alumnat. Un enfant, pour être admis, doit, en dehors des pièces réclamées par la feuille des conditions, jouir d’une bonne santé, d’une intelligence plus qu’ordinaire, avoir un caractère pliable, surtout très franc, montrer le sentiment très profond de la grandeur de sa vocation; il lui faut une persévérance soutenue, une certaine joie dans le service de Dieu, de la promptitude à obéir, l’amour du règlement, un esprit ouvert, mais sérieux, et, comme le disent nos Constitutions, la disposition à faire bon marché de lui-même. Si, au terme du premier Alumnat, les enfants se présentent au second avec ces conditions, il y a tout lieu d’espérer que leurs progrès se soutiendront, et que leur vocation affermie les disposera à devenir des prêtres fervents et utiles, de saints religieux, en un mot des hommes vraiment apostoliques.

V. — Du second Alumnat

Il n’y a pas à se préoccuper ici des connaissances exigibles pour passer du premier au second Alumnat. Ce qui doit fixer notre attention, c’est de savoir si tout élève doit être versé sans examen d’une maison dans une autre. L’attention des Supérieurs sera très sérieusement éveillée à cet égard. Un enfant qui monte au second Alumnat s’élève dans un monde nouveau; il doit donc être l’objet d’une étude très attentive, et le Supérieur de l’OEuvre a le devoir d’étudier avec la vigilance la plus persévérante :

1° Quel est le caractère de ce nouvel arrivé; quels sont ses penchants; quelles luttes il a livrées à ses défauts; quelles défaites il a subies; quelles victoires il a remportées, quelles vertus commencent, non pas seulement à germer, mais à grandir dans son âme.

2° Vers quel but scientifique son intelligence se dirige plus volontiers : la littérature, l’histoire, la philosophie, les sciences sacrées, mathématiques ou naturelles; quelle est sa facilité à écrire ou à parler; quelle est la portée de son esprit, sa persévérance au travail, sa ténacité devant les obstacles.

3° A quel degré de piété il est parvenu, quels sont: son attrait pour la fréquentation des sacrements, le fruit qu’il retire des lectures pieuses, son désir de vivre avec mortification, les retranchements qu’il s’impose, son exactitude à visiter le Saint-Sacrement, sa disposition à la vie de sacrifice.

4° C’est l’heure de lui donner l’amour de Notre-Seigneur, de la Sainte Vierge, de l’Eglise. Son coeur doit être déjà embrasé dans l’oraison pour tout ce qui touche aux intérêts de Dieu. Quand la disposition des lieux et le nombre des maîtres le permettront, c’est le moment de le former à la vie d’oraison, en lui faisant faire quelques retraites de temps en temps. C’est l’heure aussi de lui faire sentir d’une manière réfléchie et consciencieuse la beauté de sa vocation, la grandeur du but qu’il donne à sa vie, la bonté de Dieu, qui veut se servir d’un aussi misérable instrument que lui, la conviction intime de son néant, et, par-dessus tout, le zèle immense dont il doit être animé pour le service de Notre-Seigneur.

5° Le terme du second Alumnat correspond à l’âge des passions. Il n’est pas étonnant que des enfants, devenus jeunes hommes, commencent à ressentir quelques révoltes des sens. Peut-être amèneront-elles des désertions douloureuses; peut-être aussi une sage direction fera-t-elle tourner à bien une épreuve comme nécessaire. A cette époque si importante, de très grands devoirs sont imposés aux religieux chargés d’âmes condamnées à une crise, source de bien des désastres. La dévotion à la Sainte Vierge, la fréquentation des sacrements, certaines pratiques de pénitences, des études plus acharnées peuvent être de puissants moyens de se vaincre. Il faut surtout à ce moment une immense compassion, un coeur très large, très paternel, de la tendresse et de la force, de la prudence et aussi de la hardiesse, mais principalement une grande union à Notre-Seigneur, une profonde pureté d’âme. C’est là l’heure de l’enfantement. Cet état se poursuivra au noviciat sans doute; mais, pour les novices élevés par nous dans les Alumnats, j’ai la certitude que le noviciat sera bien plus facile et l’issue bien plus assurée, quelle que soit la voie qu’ils embrassent sous l’oeil de Notre-Seigneur. Ils pourront servir dans des armes diverses; ils auront toujours le même esprit, on les retrouvera toujours au besoin.

Il y aurait maintenant à nous représenter, non pas seulement l’écolier sortant des mains de ses premiers maîtres pour passer d’une manière plus ou moins naturelle de la vie préparatoire des études classiques à la vie des études théologiques dans le Séminaire, mais le jeune homme comme doivent l’avoir formé de vrais Supérieurs d’Alumnats. J’aurai tout résumé, quand je l’aurai montré comme une belle ébauche de Jésus-Christ, préparée pour recevoir dans le Séminaire ou le Noviciat des traits plus purs, plus nobles, plus délicats, plus caractérisés. La perfection doit se manifester dans ses premiers jets : c’est une certaine fraîcheur de vertu, d’ardeur pour le don de soi, de passion pour le sacrifice, de dispositions généreuses que le Noviciat rendra plus fécondes en les réglant. On doit dire du jeune homme sortant de l’Alumnat ce que, dans le livre de Job, le Saint-Esprit dit du cheval: Ubi audierit buccinam, dicit: Vah? Procul odoratur bellum.

Ne croyez pas, mes chers Frères, que je me livre ici à des descriptions plus ou moins poétiques. Le jeune homme, prêt à entrer au Noviciat, qui n’a pas le feu sacré de l’amour de Notre-Seigneur, qui n’a pas l’enthousiasme des combats de l’Eglise, fera peut-être un bon prêtre, pieux, réglé, modeste, médiocre et vulgaire; il ne sera jamais un vrai fils de l’Assomption. Certes, je ne le suppose pas encore devenu parfait, mais je le veux avec les éléments nécessaires pour le devenir. Comment communiquera-t-il la flamme, s’il ne l’a pas? Et comment poussera-t-il à l’action, s’il est endormi? Inspirera-t-il les grandes choses importantes à la défense de l’Eglise, s’il ne comprend pas les petites? Formera-t-il à son tour des saints, s’il n’est pas saint lui-même, ou du moins, au moment où je le suppose, capable de le devenir promptement?

Que si Dieu, dans sa miséricorde, bénit nos efforts pour la préparation des Alumnats, ayons bon espoir. La Congrégation, en s’adressant aux directeurs de ces pépinières religieuses, pourra leur dire : Filii tui sicut novellae olivarum in circuitu mensæ tuæ, et ces vigoureux rejetons seront, non pour eux, mais pour notre famille tout entière.

De là les devoirs qui nous sont imposés à tous. Il faut:

1° Nous bien convaincre que, par une permission toute providentielle, Dieu a voulu que l’avenir de la Congrégation fût surtout renfermé dans les Alumnats. Nous n’y songions pas, il y a trois ou quatre ans. La pensée en a été semée comme une graine étrangère par un oiseau de passage; mais, grâce à Dieu, elle a fructifié. A nous de remercier Dieu d’avoir si bien fécondé la graine.

2° Prier beaucoup pour les Supérieurs des Alumnats. Leur tâche et leur responsabilité sont immenses. Si ce que je viens d’établir est vrai, d’eux surtout dépend la ferveur ou la décadence, le développement ou la mort de la Congrégation.

3° Prier et faire prier pour les enfants des Alumnats. Ils sont dignes de toutes nos préoccupations et de toute notre tendresse. Les Alumnats sont comme les nids de notre famille spirituelle. Là se préparent les générations qui recueilleront notre héritage. A l’oraison, à l’office, à la Messe, par nos pénitences, nos travaux, nos bonnes oeuvres, nous devons sans cesse les recommander à Dieu. Encore une fois, l’Alumnat bien fait donnera des noviciats faciles, où le développement des vertus religieuses se fera comme de lui-même, sous l’impulsion d’un premier mouvement bien donné, qui se continuera dans les dernières années des épreuves de nos jeunes religieux.

4° Enfin, procurer — puisqu’il faut à l’homme du pain, bien qu’il ne vive pas seulement de pain -à nos Alumnats des ressources matérielles, sans trop de préoccupations, mais avec une prévoyance que l’abandon à la volonté de Dieu n’exclut pas. Ces ressources semblent ne pas nous faire défaut, et chaque jour la Providence ouvre une main plus généreuse sur ces chères maisons. Ne soyons pas trop avides, mais en pensant à ces pauvres enfants qui comptent sur nous, sachons dire quelquefois : Unde ememus panes, ut manducent hi? Ils ont besoin de toit, de vêtements, de pain. Disons à la Providence Unde ememus? Rapportons-nous à elle toujours, et prions. Dieu fera le reste, pourvu que, dans la pauvreté religieuse, nous disions avec foi: Panem nostrum quotidianum da nobis hodie.

J’ai été bien long, mes très chers Frères, ne me le reprochez pas trop. Quelle pensée plus douce que celle de travailler à préparer des âmes pour la perfection du sanctuaire ou du cloître? Est-il bien téméraire de dire que, si le clergé séculier n’est pas tout ce qu’il pourrait être, le mal vient surtout des petits Séminaires? Serions-nous assez heureux pour aider à une réforme indispensable, si l’on ne veut pas que le sel de la terre aille toujours s’affadissant? L’exemple de l’éducation donnée dans nos Alumnats pourra-t-il heureusement influer sur le renouvellement des premières années de l’éducation ecclésiastique?

Mais ceci ne nous touche qu’indirectement. Ce qui nous importe avant tout, c’est le renouvellement de notre esprit religieux.

L’obligation de préparer une génération de saints nous fait un devoir de nous appliquer à une sainteté plus grande. Si la vue des anciens est un élément de formation pour les plus jeunes, la nécessité d’édifier ces chers enfants nous contraindra à leur donner de plus nombreux exemples de vertu. Que Notre-Seigneur, qu’ils connaîtront par nous, se communique à vos coeurs et à vos intelligences, de façon à ce que tout ce qu’ils verront de vous soit une formation perpétuelle de Jésus-Christ au plus intime de leur être.

Recevez, mes très chers Frères, l’expression de toute ma respectueuse affection en Notre-Seigneur.

E. d'ALZON.
Notes et post-scriptum